Oui ! Cette fête de l’Humanité peut être comparée à la bataille de Waterloo relatée par Fabrice del Dongo : il n’a rien vu de cette bataille qui est pourtant le tournant réactionnaire du siècle, celui du triomphe de la contrerévolution, le retour apparent de la féodalité qui assassine le dernier avatar de la Révolution française: Napoléon. De lui Metternich dit “c’est Robespierre plus la grande armée”. Tous les enfants du siècle, le XIXe vont voir leur avenir bouché y compris Stendhal. A la seule différence près, que c’est la contrerévolution des années quatre-vingt qui a manifesté son épuisement lors de cette fête qui certes ne saurait prétendre être le lieu de la bataille décisive, mais plutôt un écho provincial de l’affrontement géopolitique de 2023 qui marque la fin de ce qui a pris de l’ampleur en 1983, avec la “défection des intellectuels de gauche”. A lire les sordides insultes entre “militants” dans les réseaux sociaux, on voit mal une perspective politique qui irait au-delà du crétinisme des plateaux de télé qui surgirait de cette fête. Et dans le genre provocateur y compris avec tee shirts proclamant la haine de Roussel, on est allé très loin… Pourtant, cette provocation est tombée à plat, il s’est passé quelque chose d’important, à cette fête et qui va au-delà de la conscience politique des protagonistes : un changement irréversible d’époque. On peut résumer le poids réels de l’événement en trois actes :
1) L’opération contre le PCF fomentée par la direction du journal et de la fête a échoué, soutenue en sous main par les déclarations d’une sénatrice communiste et par les débats du secteur international le cul entre deux chaises. L’opération, le remplacement du PCF par la Nupes a été à peine entamée elle s’est heurtée à l’obstination des militants qui tenaient les stands, à une sorte d’autogestion de ceux qui ne savent plus très bien ce que cela signifie mais qui veulent rester communistes et sont reconnaissants à Fabien Roussel de tenir ce créneau.
2) l’opération s’est surtout heurtée à la faiblesse des pseudos-radicaux de l’unité de la NUPES qui n’ont pas de base et dont les provocations tombaient à plat dans une foule qui telle la France populaire ne s’intéresse pas à leur simagrées. Et ceci nous renvoie à un moment historique qui marque la fin de cette “gauche” mitterrandienne.
3) La droite qui avait prétendu face à cette trahison de la gauche mitterrandienne, à la contrerévolution partie du Chili jusqu’à la trahison, erreur de l’URSS, reprendre quasiment le flambeau des idées et des libertés est confrontée à la fin de son néo-libéralisme. Elle ne tient plus que parce que le peuple français est désorganisé, nourri de confusion, Macron et l’incapacité à gouverner relève de la débâcle …
Un espace s’ouvre… s’il se referme c’est le fascisme avec la guerre perpétuelle comme corollaire… que chacun mesure là où il est le plus utile …
- UNE FÊTE QUI DEVAIT DÉPOSSÉDER LE PCF
La direction de la fête et du journal avaient décidé d’arracher définitivement le journal et la fête au PCF et de l’offrir à une gauche pseudo-radicale qui, comme cela est décrit ici est “la force dure de l’atlantisme” depuis Mitterrand et qui en est arrivée à sa parodie ultime, son anticommunisme le plus caricatural, flanqué du secteur international, ce boulet qui tente de tenir le PCF dans l’OTAN. Dans ce que l’on peut décrire comme une sorte d’instinct de classe abâtardi, loin de toute prétention à la compréhension intellectuelle du monde, il y a eu une double résistance, celle de ceux qui veulent rester communistes et celle de cette foule comparable au “sac de pomme de terre” de Marx, la France qui ne se reconnait plus dans les caricatures politiciennes de l’ère Mitterrand. Fabien Roussel, je le maintiens a porté cela à la fois en refusant les âneries de cette gauche-là et en prétendant affronter la droite, la tutoyant puisqu’elle se voulait elle aussi l’héritière de la Révolution. Mais en reprenant cette “bifurcation” contrerévolutionnaire décrite ici (y compris par Jacques Chirac) nous mesurons bien à quel point est indispensable un retour dans le temps et dans l’espace sur ce qu’on a tenté de nous imposer et qui fait eau de toute part aujourd’hui et là, le discours de Roussel, de la direction du PCF reste nettement en-deçà de sa propre volonté de rupture… Il est un possible, ce qui pouvait être le mieux au bout de quarante ans minimum de dérive…
2. UNE GAUCHE DEVENUE “FORCE DURE” DE LA CONTRE-RÉVOLUTION CARICATURE D’ELLE-MÊME
Si vous voulez *vérifier les faits*, tapez « Congrès pour la liberté culturelle » dans votre barre de recherche et descendez la chronologie. Mais vous pouvez aussi chercher le rapport de la CIA de 1985 intitulé « France : défection des intellectuels de gauche ». J’ai écrit à cette époque un texte dont j’avais pris le titre à Aragon “le music hall des âmes nobles” et qui faisait à sa manière la critique de ce qui apparaissait à ce moment et ouvrait un boulevard à la réaction, celle dominée par la CIA et qui est décrite ci-dessous, cette fausse radicalité dont nous avons vu les convulsions à la fête de l’Humanité s: il n’y a même plus d’intellectuels ce sont des pitres provocateurs à la manière de Sandrine Rousseau ou à celle d’un Vincent Boulet, qui tente de concilier l’inconciliable pour donner l’illusion de penser le monde en préservant l’essentiel : l’atlantisme. Avec toujours la même logique, offrir publications et conférences pour ne rien dire, ne rien faire qui gène l’ordre du monde atlantiste. Mais aussi une droite qui avec Jacques Chirac en jouant les derniers feux du gaullisme et les carences de la “gauche” inféodée à la CIA, en arrive parfois à oser dire ce que cette gauche-là se contorsionne pour cacher. Est-ce que quelque chose peut renaître pour “penser” ? Oui mais il faut une rupture totale avec cette double illusion, celle d’une gauche devenue la “force dure” de l’atlantisme, comme celle d’une droite qui représenterait la nation que la dite gauche a trahie auquel renvoie ce texte de Jacques Chirac paru en 1983 dans le Revue des deux mondes. Les deux courants sont épuisés et doivent être dénoncés pour ce qu’ils sont : l’illusion du passé trafiqué plaqué sur l’avenir en train de naître (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)
Bref, il est devenu clair pour l’élite capitaliste depuis les années 1950 que le modèle de développement soviétique, qui utilise le marxisme comme développement industriel d’État et la politique sociale populiste pour redessiner la carte géopolitique, présente une menace invisible pour l’ordre mondial atlantique.
Désormais, le but premier de l’élite capitale anglo-saxonne était de neutraliser cette base théorique et cette méthode politique, les faits se sont déroulées comme suit :
1) Les services de sécurité des États-Unis ont étudié et documenté les lignes directrices théoriques présentes dans les mouvements radicaux de gauche en Europe occidentale et en Amérique du Nord avec une minutie émouvante.
2) Par la suite, ils ont identifié les courants qui permettent aux mouvements sociaux radicaux de vivre de façon spectaculaire, alors que si l’on considère leur validité politique, ils étaient inoffensifs par rapport à la position réelle de pouvoir de l’élite euro-atlantique.
3) De telles théories radicales (ironiquement selon la définition originale introduite par Friedrich Engels) peuvent être qualifiées de « communisme utopiste ».
Selon le rapport actuel de la CIA, la nouvelle vague de théories radicales de gauche critiques à l’égard du système, telles que le postmodernisme, le néomarxisme, le situationnisme, l’existentialisme féministe, etc. et leurs représentants spécifiques (Deleuze, Sartre, Marcuse, Horkheimer, Lacan, Foucault, Althusser, de Beauvoir, Badiou, etc.) « ne représente pas une résistance intellectuelle importante à la principale direction politique émanant des États-Unis ».
4) Les théories radicales qui ont été classées comme relevant d’un « communisme utopiste » ont été embrassées par les systèmes du capital occidental : leurs auteurs ont reçu des moyens de publications, des départements académiques et des postes institutionnels-politiques leur ont également été ouverts. Pour leurs adeptes et leur base sociale, des fondations et des organisations civiles ont été créées et des espaces sous-culturels leur ont été consacrés.
5) Les théoriciens des théories radicales qui ne répondent pas aux exigences du « communisme utopiste » ont été liquidés et leurs disciples ont été désignés comme étant les principaux opposants politiques au « communisme synthétique » créé par l’élite capitaliste. L’essence du « communisme synthétique » est que, mis en œuvre comme une pratique politique, il détruit les méthodes socioculturelles et institutionnelles qui assurent l’auto-structure politico-économique d’un État contre l’influence des monopoles mondiaux du capital – alors qu’il ne crée pas d’autres types de structures contre eux. Par conséquent, les mouvements du « communisme synthétique » proclamant « l’abolition de la hiérarchie et la libération de l’humanité » peuvent être utilisés de la même manière pour déstabiliser les structures politiques des systèmes socialistes historiques, qu’à déstabiliser les organisations étatiques des régimes nation-bourgeois, autosuffisantes par rapport aux centre de puissance de l’Atlantique.
Après la guerre froide, le socialisme de type soviétique en tant que menace géopolitique a disparu. Le principal défi pour l’élite capitaliste est devenu la résistance sociale qui peut se dérouler dans les limites de ses propres forces. Pour gérer cela, dès le début des années 2000, s’est opéré le nettoyage des mouvements “communisme synthétique” des sujets (social démocrate) sur la question de l’injustice des revenus. Avec dans le même temps, la diffusion de points de vue qui relativise l’importance de la super élite capitale et manipulent des groupes de classes sociales qui vivent l’effondrement du niveau de vie d’une manière qui s’identifie mutuellement comme des ennemis.
Désormais, la gauche radicale postmoderne est devenue l’outil le plus efficace de l’élite capitaliste euro-atlantique pour prendre des mesures contre tout phénomène social “illibéral” qui minimise la réalisation des monopoles mondiaux des capitaux.
Actuellement, les adeptes des mouvements radicaux de gauche postmodernes ne sont plus seulement les « idiots utiles » des super-élites du capital avec une influence mondiale, qui fournissent le piège d’assaut du « soft power », mais ils peuvent aussi être considérés comme une « force dure », comme les vapeurs de canon des révolutions colorées mesurées en chair et en os.
3. LE PARI DE LA DROITE PERDU DÉSORMAIS ET IL NE LEUR RESTE PLUS QUE LE FASCISME ET CETTE CARICATURE DE GAUCHE COMME REPOUSSOIR
Pour saisir la distance entre le projet hégémonique de la droite de 1983 et l’état réel de ladite droite telle qu’elle se présente à la fête de l’Humanité, sur les plateaux de télévision et surtout dans l’incapacité de faire face à la violence que sa politique appliquée par la gauche comme par la droite a généré au plan intérieur, à celui de l’Europe et du monde, il suffit de lire ce texte programme d’une reconquête hégémonique par Jacques Chirac.
LES INTELLECTUELS DE « GAUCHE » par Jacques Chirac
Cet article est paru dans la Revue des Deux Mondes en octobre 1983.
Au début de l’été [1983], un débat a fait grand bruit. Il était question des rapports qu’entretiennent les
intellectuels avec la politique et la modernité, ainsi que des réticences – spécialement des intellectuels
dits de « gauche » – à sortir de leur silence pour soutenir l’action du gouvernement actuel. Sans prétention aucune, je voudrais faire quelques remarques à propos de ce débat.
Tout d’abord, un préalable en forme de question : jusqu’à quand la gauche – notion d’ailleurs des plus floues comme en témoigne la dualité de la coalition au pouvoir – entendra exercer sur la pensée, la création, en un mot la vie de l’esprit, un droit de propriété si exclusif que seuls les penseurs de stricte obédience socialiste peuvent mériter à ses yeux le nom d’intellectuels ? De quel droit cette gauche revendique-t-elle tout ce qui, en France, depuis deux siècles, a été fait, énoncé et théorisé pour le développement de la justice, de la dignité humaine, des libertés, au prix des récupérations abusives et d’interprétations fantaisistes de l’histoire? Jusqu’à quand l’appellation de « droite », inséparable des imprécations électorales, sera-t-elle jetée à la face de l’opposition, symbole de tous les obscurantismes, du repli frileux sur des ambitions purement matérielles ? Qui ne voit là, dans cette dichotomie absurde, dans ce manichéisme facile, une duperie qui n’a que trop duré ?
Il semble, à écouter certains, qu’il y ait une sorte de grande tradition dont les intellectuels socialistes et communistes seraient les héritiers. Elle commence avec Voltaire, Diderot, et les encyclopédistes, se
battant contre le trône et l’autel unis pour étouffer la philosophie des Lumières ; elle se poursuivrait avec les chantres de la Commune, puis avec Émile Zola dans l’affaire Dreyfus, et enfin trouverait son expression la plus noble dans l’exaltation du Front populaire, dans le soutien aux républicains lors de la guerre d’Espagne, et puis, bien sûr, dans la lutte contre le nazisme pendant la Seconde Guerre mondiale. Face à cela, notre actuelle opposition ploierait sous la honte accumulée des siècles durant par des régimes qui se seraient caractérisés par le goût de l’ordre et une horreur profonde pour les innovations.
Qu’importe que dans la France d’aujourd’hui, qui, dans son ensemble, est issue de la Révolution de 1789, et qui est attachée aux principes démocratiques, il soit assez ridicule pour une famille politique de vouloir s’annexer les libéraux du XVIIIe siècle, en lutte contre la monarchie absolue ou les républicains du XIXe siècle : Voltaire, Diderot, Victor Hugo, Michelet, ou Tocqueville appartiennent, à l’évidence, au patrimoine culturel français sans distinction partisane.
Qu’importe si le XIXe siècle est si riche en écrivains et intellectuels qui se réclament des partis conservateurs ou, plus simplement, qui se sentent, par nature, très éloignés des mouvements révolutionnaires de
leur temps : Chateaubriand, Balzac, Stendhal, Maupassant, et pour notre siècle Proust, Claudel, ou Saint-John Perse pourraient être catalogués de « droite », soit en raison de leurs engagements politiques ou
religieux, soit par le type de regard qu’ils portaient sur la société de leur temps, soit simplement, pour certains, à cause de leur égotisme et de leur franche indifférence à l’égard de l’action politique ; pourtant
ils comptent, nul ne le conteste, parmi les plus grands génies et les plus grands visionnaires de notre langue. Qu’importe si, dans l’histoire contemporaine, c’est André Gide, intellectuel de « gauche », qui dénonce, en revenant d’URSS, une des utopies les plus meurtrières de notre siècle, se rendant ainsi suspect à ses pairs ; si le franquisme, combattu par les brigades internationales, l’a été aussi par des écrivains dits de « droite » comme Georges Bernanos qui, dans Les Grands Cimetières sous la lune, en stigmatisa les excès et les dangers. Qu’importe enfin, si ce même Bernanos, Mauriac et beaucoup d’autres se sont retrouvés avec les intellectuels de « gauche » comme André Malraux, derrière le général de Gaulle pour combattre le nazisme et défendre les libertés et l’honneur de la France. Plus près de nous encore, il a été avéré que des régimes des pays de l’Est, en principe de « gauche », porteurs, pendant des décennies, de toutes sortes d’illusions et objets d’innombrables actes de foi, étaient en réalité les fossoyeurs des idéaux de justice et de liberté, envoyant au goulag tous ceux qui, parmi les intellectuels, refusaient de ployer sous le joug. Qu’importent tous ces faits, choisis parmi tant d’autres, puisqu’il s’agit de récrire l’histoire pour la faire coïncider avec le dogme : d’un côté, la pensée, la morale, l’esprit révolutionnaire ; de l’autre, le néant spirituel et le pragmatisme à courte vue. Pourtant, ces quelques exemples suffisent à démontrer que les liens prétendument organiques entre la pensée, la morale et la sensibilité de « gauche » ne sont ni simples ni évidents, que certaines filiations, et certaines exclusions sont totalement abusives et que le talent, l’imagination, la créativité, les forces d’innovation, comme la capacité de révolte devant l’oppression, n’appartiennent ni à la « gauche » ni à la « droite », mais bien plutôt à l’élite intellectuelle et morale de notre pays. Je crois que cela mérite d’être rappelé puisque la manière même dont le débat intellectuels-pouvoir a été posé est une preuve supplémentaire de cette appropriation obstinée par l’État socialiste du monde des idées.
Une deuxième remarque qui s’impose sur les présupposés d’un tel débat, c’est qu’il implique une certaine conception de l’intelligentsia qui me semble pour le moins partielle. En effet, tout se passe comme si les intellectuels, qui déjà par définition ne peuvent être que de « gauche », ne pouvaient être, encore par définition, que des universitaires éminents, professeurs de philosophie ou de sociologie, à l’exclusion de toutes les autres branches du savoir et de la pensée. Si l’on s’en tient à cette double nécessité, la réponse au reproche de silence et de soutien insuffisant au pouvoir en place est déjà contenue dans les
prémisses.
En effet, ces intellectuels-là, théoriciens ou pédagogues ou chercheurs, ont par essence mille raisons de se taire et de se tenir à distance du pouvoir socialiste. D’abord une raison « structurelle » par laquelle le philosophe, s’il est quelquefois l’inspirateur du Prince, en est très rarement le conseiller ou le ministre – sauf illustres exceptions – sous peine de perdre esprit critique, liberté de jugement, et capacité de dire non, c’est-à-dire de perdre ce qui fait son identité même. Et il faut au gouvernement actuel beaucoup de naïve présomption pour penser que la vérité qu’il sert et qui inspire ses actes est suffisamment proche
d’une « grande illusion lyrique » pour justifier l’abandon de cette distance et de cette indépendance de l’esprit.
La deuxième raison, qui elle aussi est très claire, c’est que l’espace privilégié des intellectuels est celui des idées, des analyses, des prospectives, et non celui de l’action au quotidien en prise directe avec la
réalité. Ce n’est pas parce que d’aucuns se sont retrouvés autour de telle ou telle cause ponctuelle, tel ou tel combat avec les politiques qui aspiraient à exercer le pouvoir – sans d’ailleurs en mesurer les implications concrètes et la résistance aux constructions idéologiques –, qu’ils ont désormais un rapport avec la gestion de ce pouvoir. Surtout quand, devant les coups de boutoir assenés aux dogmes socialistes par la crise et la conjoncture économique, l’« illusion lyrique » n’a pas tenu ses promesses et s’est révélée être un ensemble de recettes souvent archaïques incapables de résoudre les problèmes de l’heure malgré des incantations assez creuses et des appels au peuple de « gauche ». Pour beaucoup d’intellectuels, qui étaient sympathisants socialistes ou compagnons de route occasionnels du PS, la déception a été grande devant
l’absence d’imagination dont a fait preuve le gouvernement appelé de leurs vœux, qui a fait prévaloir des thèses économiques obsolètes.
Leurs conséquences désastreuses au bout d’une année de gestion ont obligé à une volte-face spectaculaire, qui se traduit par la rigueur que nous subissons actuellement, à grand renfort de pression fiscale, afin que le navire ne sombre pas tout à fait dans l’océan des déficits.
Quand les grands principes ne résistent pas à leur application, quand les chiffres l’emportent sur les mots, il est logique que les maîtres de la pensée préfèrent retrouver leur terrain de prédilection et se gardent
d’intervenir à propos d’une politique qui se limite désormais à des tentatives désespérées pour rééquilibrer les finances publiques.
Cette intelligentsia de « gauche » ne peut donc être, en aucun cas, suspecte de reniement ; elle est plutôt réduite à un silence prudent, et peut-être désolé, par l’évidence d’un échec, de nature à tarir tout éloge
du socialisme appliqué.
Une troisième raison, conjoncturelle, à cette réserve, réside sans doute dans le malaise de très nombreux intellectuels de « gauche » devant l’alliance gouvernementale des socialistes et des communistes.
En effet, l’évolution la plus marquante dans l’histoire des idées dominantes, au cours de la dernière décennie, est sans doute l’effondrement du marxisme-léninisme en tant que mythe révolutionnaire et modèle de société, mythe qui avait inspiré dans les années soixante bon nombre d’écrivains et d’universitaires. L’invasion de la Tchécoslovaquie, celle de l’Afghanistan, la normalisation de la Pologne, les témoignages des
dissidents ont révélé définitivement à la face du monde le vrai visage du communisme soviétique. Par ailleurs, la découverte de ce qu’a vraiment été la révolution culturelle chinoise, le génocide du Cambodge
par les Khmers rouges, la tragédie des boat people vietnamiens ont également porté des coups très durs à de grandes causes qui suscitèrent, des années durant, la fascination et l’enthousiasme de très nombreux
intellectuels. Même si certaines erreurs sont réputées fécondes, et que l’on ait longtemps considéré, bien à tort, qu’il était peu exaltant d’avoir raison avec Raymond Aron, toutes ces déconvenues ont donné
lieu à de terribles crises de conscience, souvent à de véritables retournements qui ont transformé d’ex-marxistes en antimarxistes acharnés, et donc à une vigilance accrue envers les totalitarismes, quelle qu’en
soit la couleur. Ces intellectuels-là sont donc hostiles à la participation au gouvernement d’un parti qui n’a jamais fait mystère de ses liens avec Moscou, avec toutes les compromissions que cela implique. Nul
doute que cette disqualification des idéologies marxistes, jointe à la disparition, du moins en Europe, en tant que pensées dominantes, de certains monstres en « isme » comme le fascisme ou le colonialisme, n’ait provoqué un vide idéologique qui incite ces intellectuels à la méditation, au ressourcement, ou à d’autres formes d’expressions que l’essai théorique engagé dans l’actualité la plus discutable.
Pour toutes ces raisons, c’est l’étonnement de la « gauche » devant le silence des intellectuels de « gauche » qui finalement est assez surprenant. Mais ce qui est encore plus surprenant, c’est que le gouvernement fasse si peu cas, implicitement, de toutes les autres catégories d’intellectuels qui parlent, qui s’expriment, et qui jouent pleinement leur rôle. Je pense évidemment à tous les théoriciens, écrivains, essayistes qui ne se reconnaissent pas dans l’idéologie socialiste dont ils voient les dangers et les implications à long terme, et qui le disent.
Ceux qui se prononcent pour une société authentiquement libérale, non étatiste, qui privilégie la responsabilité, les initiatives individuelles – société qui, en France, reste encore à créer – ; ceux qui développent une vision du monde lucide qui n’est pas marquée au coin de l’illusion, et dont les actes de foi concernent l’homme et ses infinies possibilités, plutôt que la pureté ou la noirceur supposée de certains peuples, l’innocence et la valeur intrinsèque des luttes révolutionnaires, ou l’excellence de tel ou tel système; ceux qui, comme Raymond Aron, ne sont pas tombés dans les diverses chausse-trapes idéologiques, et n’ont
cessé de défendre les principes essentiels, tant humains que moraux et économiques, de nos démocraties si imprudemment décriées, démasquant le totalitarisme, là où il se trouve, quelle que soit sa défroque ;
ceux qui, comme Castoriadis, ou comme les plus marquants parmi les philosophes modernes, ne cessent de dénoncer les véritables périls de notre temps : l’expansionnisme soviétique, le pacifisme manipulé,
thèmes qui peuvent susciter une véritable mobilisation, au-delà des clivages complètement archaïques « droite »-« gauche ». Et n’oublions pas non plus les historiens, comme Pierre Chaunu, Georges Duby ou
Emmanuel Le Roy Ladurie – chacun ayant suivi un itinéraire particulier –, qui, eux aussi, écrivent, s’expriment, et qui pèsent par leur appréhension du passé sur notre vision de nous-mêmes, de notre présent, justifient, suggèrent, anticipent nos choix de société, nos options morales, économiques ou démographiques.
Parler de silence parce que les siens se taisent, ou du moins qu’il ne disent pas ce que l’on attend d’eux, c’est faire preuve de naïveté, et de surdité. Les idées qui s’expriment aujourd’hui ne sont pas sans doute, et peut-être heureusement, des messages quasi christiques ou des philosophies salvatrices, mais elles sont fortes, nombreuses et porteuses d’avenir. Elles peuvent inspirer une action politique, mais non l’assister dans son exercice quotidien, encore moins lui servir de béquilles si elle s’avère défaillante. Ce n’est pas le rôle, ni la vocation, de ceux qui manient les idées. Le débat engagé cet été par le porte-parole du gouvernement, même s’il l’a été avec beaucoup de présomption et de présupposés, a eu du moins le mérite de le montrer.
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Blanc
Bonjour ,
merci pour ce texte de Chirac à relire et méditer. Je n’aime guère la mise en équivalence implicite du système soviétique – comme” une des pires utopies”- avec le fascisme. Le premier est mort, l’autre nous colle à la peau aujourd’hui, comme le sparadrap à celle du Capitaine Haddock.
Le Gaullisme était-il vraiment anti-nazi ou plutôt anti-allemand, dans la ligne des querelles impérialistes ? A la fin de la guerre, n’était-il pas question d’utiliser les anciens nazis contre l’URSS ?…
Quant à la trahison de la “Gauche”en France, remplacée par un salmigondis de droite libertarienne à la Ayn Rand, et de spontanéistes post-modernes, un ouvrage d’un historien américain m’a paru très intéressant (il y a aussi ceux de Clouscard) : “les intellectuels contre la gauche. L’idéologie anti totalitaire en France (1968-1981)”. Michael Scott Christofferson. Editions Agone. La base de la Mitterandie.
Cordialement
LEMOINE Michel
L’appellation “intellectuels de gauche” permet de masquer une hostilité aux organisations ouvrières.
Quand ils se disaient “gauche prolétarienne” leurs ennemis étaient les “stalino-collabos” et autres “bureaucrates” tandis qu’ils allaient recruter dans le lumpen prolétariat leurs nervis ou prétendus “nouveaux partisans”.
Tout cela c’était pain béni pour le pouvoir !
Quant à leurs théories c’était et ça reste : confusion et charabia. Ceci pour masquer une incapacité à se confronter au marxisme.
Xuan
Le gauchisme allait de pair avec le révisionnisme, et le rejet de Staline avec son reniement.
Et il allait de pair avec la promotion, par les uns et par les autres, d’un cagoulard à la tête de l’Etat. Un cagoulard qui se rendait en Israël le 4 mars 82, qui intervenait pour rendre visible le FN le 22 juin, un mois après l’arrestation de Thomas Sankara. Un cagoulard qui souhaitait réhabiliter les généraux putschistes de l’OAS le 29 septembre et approuvait le 20 janvier 83 le déploiement des Pershing US, avant de déclencher le 21 mars avec Delors le « tournant de la rigueur » réclamé par Edmond Maire.
L’idéologie “libéral libertaire” et l’électoralisme ou le réformisme n’étaient que les deux faces opposées d’une même pièce, l’abandon du marxisme-léninisme dans tous les cas.
Parce que lorsque la punition est arrivée, culminant peut-être dans l’émission-culte “Vive la crise” du 22 février 1984 (https://www.youtube.com/watch?v=FbNdCQHWb-E), la social-démocratie s’est retrouvée cul nu, mais le parti communiste ne s’est pas relevé.
Un parti communiste plus fort aurait-il changé le cours des choses ? C’est un peu la question qui pend au nez du projet de Roussel. Un projet qui ne dit d’ailleurs pas son nom : « Jours heureux » ? Socialisme ? Communisme ? Autre chose ?
Pour changer le cours de l’histoire il faut un objectif clair, pas des questions.
Il faut dire quand même que les années 80 ne se sont pas arrêtées aux frontières de l’hexagone, que Thatcher arrive au pouvoir le 9 juin 83, que Walesa est nobélisé le 5 octobre, que Reagan se présente le 29 janvier 84 : «America is back », un mois avant le tour de salaud d’Yves Montand.
Quarante ans plus tard, le vent souffle dans l’autre sens
Mais pour résoudre les questions il faut un parti communiste, pas un « parti gazeux » ou l’alliance de la carpe et du lapin.
DELBES
Le nouveau fascisme n’a plus de limite :
https://youtu.be/UsCuCjS5Sk8?si=tornLkoCzMm7KB5S