Je ne suis pas du tout convaincue que l’anti-Dühring dont il est question dans l’article qui suit, rende le marxisme abordable pour tous, effectivement les aspects polémiques sont souvent fastidieux et c’est un “pavé”. Mais la question que pose cet article est bien réelle : dans l’état d’inculture théorique où se trouvent aujourd’hui la masse des militants et la quasi totalité des dirigeants politiques, la théorie marxiste en Europe, et singulièrement en France n’a plus d’influence sur le débat politique. Personne ne semble avoir jamais lu une ligne de Marx, peut-être les trois premières pages du Manifeste, même si le marxisme connait un regain d’intérêt auprès des chercheurs.
Après l’eurocommunisme et la contrerévolution avec “la trahison de la “gauche”, le niveau du débat, les propositions programmatiques sont en rupture totale avec le niveau le plus basique du marxisme, même pas du léninisme ou des autres penseurs. Comme ça parait plus facile, ce qui est inexact, on a vaguement assimilé quelques pages de Gramsci, nous en sommes à un socialisme de la distribution, “un moralisme” dans l’analyse du capital, toute chose étrangère à l’analyse marxiste.
Il serait presque rassurant de constater à quel point la social démocratie allemande pourtant sous la direction d’Engels était majoritairement la proie de courants aussi dévoyés que Dühring après Lassalle, (Dühring, aussi violemment antisémite que Proudhon, annonce le nazisme et pas seulement parce qu’il est antisémite). l’héritier d’Engels étant Kautsky, sans parler du socialisme français où le “marxiste était Guesde qui s’est rallié à l’union sacrée. Le vrai problème est que cette coexistence en particulier face à la guerre ou au colonialisme s’est toujours traduite (sauf dans le cas de Jaurès) en trahison.
l’antidühring se bat pour une dialectique matérialiste en sciences, dénonce le positivisme et Engels montre comment se fait jour à travers le succès des théories confuses d’universitaire comme Dühring, l’exigence d’une vision globale qui peut être aussi une éducation au marxisme. On peut noter le paradoxe que ce soit Emile Bottigelli qui est certes un excellent connaisseur de Marx et un traducteur de référence mais qui va participer à un courant qui tirera le PCF vers la social démocratie qui se fasse ici le défenseur d’un marxisme intransigeant tant sur le plan théorique que sur celui des alliances. Mais peut-être la contradiction n’est-elle qu’apparente : on la retrouve chez Trotski, qui Menchevick accuse Lénine de “jacobinisme” à cause de son Que faire? C’est-à-dire qu’il y a toujours dans le courant le plus droitier l’espoir d’économiser la dictature du prolétariat, comme la sous estimation de l’Etat et de la nation. Même Marx a eu des mots très percutants sur les révolutionnaires français qui ont cru en finir avec la classe dominante en guillotinant les personnes. Mais il insiste sur la nécessité de la dictature du prolétariat. C’est tout un débat qui n’a cessé de traverser le mouvement communiste et que tranche en général les nécessités historiques qui sont souvent celles de la guerre.
Actuellement, en France, en Europe, dans une période de développement scientifique, cette soif d’une vision globale débouche sur à la fois l’anti-science, les délires complotistes, et dans le même temps on retrouve ce besoin d’une compréhension globale dans une situation d’inculture de masse. Est-ce qu’il y a une exigence théorique ? Comment initier au matérialisme non seulement historique mais dialectique des gens qui ne lisent plus. Comment reconstruire la capacité à des raisonnements qui admette au moins le développement des contradictions? Un autre aspect important est le choix de Engels et de Marx, dont nous avons déjà fait état à propos du programme de Gotha, celui de la coexistence – mais séparée en deux courants – entre un socialisme de la distribution, et à côté le marxisme, il y a là une question qui se pose en théorie et en pratique même si elle rarement abordée en tant que telle. Mais pour répondre à ma question : oui la politique a plus que jamais besoin de théorie et de Marx en premier lieu, mais ce besoin visiblement est totalement ignoré et chacun s’estime socialiste, communiste, sans que ce besoin effleure sa conscience. Pourtant dans une société, l’idéologie dominante étant celle de la classe dominante on voit mal comment y échapper sans travailler son mode de pensée spontanée, de celui qui nous fait percevoir que le soleil tourne autour de la terre, on le travaille par les luttes contre l’exploitation mais en intégrant l’expérience de celle-ci dans une conception de monde au-delà de la conscience spontanée qu’on en a. (note de Danielle Bleitrach dans histoireetsociete) .
Marxisme – L’Anti-Dühring de Friedrich Engels rend le marxisme abordable par tous ?
mercredi 26 juillet 2023, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 26 juillet 2023).
Portée de l’« Anti-Dühring »
Version PDF de L’Anti-Dühring : http://mai68.org/spip2/IMG/pdf/anti…
https://assawra.blogspot.com/2023/0…
26 juillet 2026
Assawra
Portée de l’”Anti-Dühring”
Par Émile Bottigelli
dans Avertissement, “Anti-Dühring” par Friedrich Engels
Éditions sociales – 1971
Si nous essayons de nous remémorer la situation dans laquelle Engels a entrepris de répondre de façon aussi magistrale à Dühring, il faut reconnaître qu’elle n’était pas pour lui une grande source d’encouragement. Certes l’Allemagne possédait un parti socialiste qui avait surmonté le stade de la secte lassallienne. A chaque élection le nombre de voix socialistes augmentait. Le parti possédait près de quarante organes de presse et était en mesure d’utiliser le Reichstag comme tribune de propagande à l’échelon national. Mais l’unité s’était réalisée à Gotha sur des bases qui trahissaient la faiblesse idéologique des dirigeants. Il était clair que le Manifeste communiste ou Le Capital étaient à peine connus. La lutte souvent héroïque du parti se situait sur un plan strictement politique. Sans doute les statuts de l’Internationale avaient servi à orienter l’action et on recourait aux conseils de Marx et d’Engels. Mais à dire vrai, personne dans le parti allemand n’avait cherché à penser les principes mêmes de cette action, ni à la rattacher à une conception du monde. On luttait pour la prise du pouvoir, mais sans une vue claire de ce que le socialisme signifiait dans l’histoire de l’humanité. Il est probable que les grandes données du matérialisme historique étaient un sujet auquel on n’avait pas réfléchi.
On ne saisissait donc pas le marxisme comme une conception du monde, mais plutôt comme un fil directeur de l’action politique. Aussi n’est-il pas surprenant qu’un Dühring qui se réclamait du socialisme et touchait à tous les domaines de la connaissance ait tant impressionné certains dirigeants. Les critères qu’ils auraient pu avoir pour dénoncer l’éclectisme de cet universitaire leur manquaient, faute d’avoir pleinement assimilé les données profondes du marxisme. Il eût fallu, en partant des oeuvres de Marx et d’Engels qui étaient accessibles, le Manifeste communiste et Le Capital, que les socialistes allemands se livrent à tout un travail d’exégèse et à une synthèse dont ils n’étaient sans doute pas capables.
Dans ces conditions on peut parler de l’audace d’Engels qui n’a pas hésité à proposer un exposé du marxisme qui commençait par la philosophie. Il n’a pas hésité à se placer très en avant des positions qui étaient celles de ses lecteurs en débutant par la partie la plus abstraite, par la discussion de thèmes à laquelle, du fait de leur culture et de leurs préoccupations politiques, ils étaient le moins préparés. Il a fait ainsi confiance à la capacité théorique du prolétariat allemand, qualité qu’il n’avait cessé d’affirmer, mais qui ne s’était pas tellement manifestée dans la réalité.
Dans un sens, mener la polémique contre Dühring servait ses intentions. Il rattachait l’exposé théorique qu’il s’apprêtait à faire à des problèmes que les controverses dans le parti avaient rendus actuels. L’intérêt montré par les socialistes allemands pour un homme qui leur proposait un système apparemment cohérent du monde, prouvait dans une certaine mesure qu’ils étaient mûrs pour recevoir un enseignement théorique de haut niveau. La polémique à mener et qui flattait le tempérament de lutteur d’Engels lui offrait un moyen de faire pénétrer, de façon vivante et en déployant tout son humour, des éléments théoriques qui, présentés de façon plus didactique, auraient souvent paru rebutants. C’est ce qui explique d’ailleurs qu’aujourd’hui où le marxisme est assimilé de façon plus approfondie, les parties polémiques de l’œuvre aient perdu leur impact et apparaissent souvent fastidieuses. Il n’empêche qu’Engels s’est situé d’emblée à un niveau théorique qui exigeait de ses lecteurs un véritable effort intellectuel.
En écrivant l’Anti-Dühring, Engels a fait pour la première fois la synthèse dans tous les domaines de la connaissance de la conception marxiste du monde. Et c’est pourquoi on peut parler véritablement ici d’une encyclopédie du marxisme. Des générations y ont trouvé un exposé clair et complet de ses principes fondamentaux et l’Anti-Dühring continue à être l’ouvrage qui permet de s’initier le plus complètement à la pensée de Marx, tout en restant accessible à tous.
Tout d’abord Engels a défini très nettement ce qu’était le matérialisme moderne. Le matérialisme mécaniste du XVIIIe siècle était évidemment désuet, car il s’appuyait sur des données scientifiques désormais largement dépassées. La vogue du positivisme avait été un timide essai de réhabilitation de la connaissance rationnelle, mais ses limites mêmes le faisaient basculer dans des conclusions idéalistes. Il correspondait à un certain essor des sciences de la première moitié du XIXe siècle et s’efforçait d’intégrer leurs conquêtes. Mais il ne rendait pas compte, faute d’une conception matérialiste globale, de l’ensemble des phénomènes. Auguste Comte, qui se voulait résolument positiviste, en arrivait à dire que ce sont les idées qui mènent le monde, rouvrant ainsi la porte à l’idéalisme. Bien qu’incomparablement supérieur à ce qu’il avait été cent ans plus tôt, le niveau des connaissances ne rendait pas compte intégralement du réel. Face à ces lacunes, l’idéalisme semblait une explication souvent plus cohérente.
Ici Engels n’a pas seulement eu le mérite de réaffirmer sans concession un principe de base ; il a montré également comment le développement des sciences imposait une philosophie matérialiste. Ce n’est pas une idée qui s’imposait. Les problèmes posés par la connaissance montraient au contraire que le matérialisme, sous la forme mécaniste qu’il avait revêtue avec la philosophie des Lumières, était dépassé et ne suffisait plus à assurer l’unité du savoir humain. Les progrès des sciences biologiques par exemple remettaient en question le déterminisme qui, à l’époque de Laplace, semblait encore s’imposer. Dans toutes les sciences de la nature le mouvement, les mutations qualitatives étaient venu ébranler la stabilité du bel édifice. La causalité classique ne suffisait plus à fonder une théorie de la connaissance homogène et cohérente.
Il n’était sans doute pas facile de coordonner les résultats apparemment assez disparates de l’ensemble des sciences. Elles présentaient plus de problèmes échappant aux règles de la logique formelle que de solutions définitivement acquises. En un mot il fallait trouver une méthode qui rendit au processus de la connaissance son unité, des règles de raisonnement qui permettent d’affronter les difficultés et de les résoudre sans faire appel aux solutions commodes qu’offrait le saut dans l’idéalisme. En d’autres termes, il s’agissait de définir dans ses grandes lignes la forme du matérialisme correspondant au développement des sciences dans le troisième quart du XIXe siècle. Cette forme, c’était le matérialisme dialectique, et c’est l’honneur d’Engels d’en avoir dégagé les principes et les lois.
Pour Marx et pour lui, c’était une méthode familière. Il y a longtemps qu’ils avaient su opérer le passage de la dialectique hégélienne à la dialectique matérialiste. S’ils l’avaient fait dès qu’ils avaient défini les bases du matérialisme historique dans L’Idéologie allemande et dans le Manifeste, si Le Capital n’était que l’application de cette méthode à l’économie, ils n’en avaient jamais présenté l’exposé théorique. Chacun des ouvrages de Marx et Engels alors accessibles au public s’insérait plutôt dans une perspective politique et personne n’avait essayé d’analyser et d’exprimer sous forme de concepts la méthodologie qui avait donné naissance à leurs travaux historiques et scientifiques.
L’Anti-Dühring apportait donc quelque chose d’absolument neuf. Il était vraiment le premier exposé du marxisme en tant que conception du monde. Il rattachait toute l’action des partis socialistes à une philosophie d’ensemble qui transcendait de loin les luttes politiques et rappelait en termes clairs que ces luttes de classes, menées consciemment par le prolétariat, non seulement s’inscrivaient dans un mouvement historique nécessaire, mais avaient aussi pour fin la libération de l’homme. Le Manifeste communiste l’avait déjà dit, mais sans dégager avec évidence ces principes fondamentaux.
l’Anti-Dühring est le premier exposé systématique de ce qui est l’essence même du marxisme. Mais il est plus encore : il constitue toute une conception nouvelle de la philosophie.
La philosophie bourgeoise prétendait légitimer les sciences, être par elle-même une science au-dessus des autres. Elle visait à constituer un système complet rendant compte à la fois des phénomènes naturels et de la vie de l’esprit. Elle était dans ce sens une totalité fermée, mise sans cesse en contradiction avec elle-même du fait des progrès de la connaissance. Il en va tout autrement du marxisme qui affirme la priorité de l’être sur la conscience et pour lequel la pensée est étroitement dépendante des conditions dans lesquelles elle s’exerce. Dès lors, à mesure que notre connaissance s’élargit, que nous appréhendons plus scientifiquement le réel, les formes mêmes de notre pensée se transforment. La philosophie n’est plus une science au-dessus des autres, visant à combler les lacunes de notre connaissance. Elle est la traduction et la synthèse sur le plan de la pensée de la réalité, elle est la généralisation et l’appropriation des résultats obtenus par la science dans son exploration des phénomènes naturels et humains.
Le matérialisme dialectique ne peut donc, par essence, constituer une totalité fermée. Sa base est strictement scientifique. Elle est la connaissance du réel, elle doit rendre compte du monde au niveau où la science a réussi à le saisir. C’est dire que chaque progrès de la connaissance implique un réajustement de la théorie, ou, comme le dira Engels, une forme nouvelle du matérialisme. Comme le marxisme est essentiellement une méthode d’appropriation et de synthèse des résultats obtenus par la science, il est par nature ouvert, contraint par sa loi même de s’enrichir de chaque conquête de la connaissance et de se transformer.
En écrivant l’Anti-Dühring, Engels a établi la forme du matérialisme qui correspondait à la science de son temps. Bien plus, il a été capable de déceler ce qui, dans les résultats nouveaux auxquels elle parvenait, était un ferment de renouvellement de notre connaissance. On peut dire qu’il a fait preuve d’une sûreté de vue extraordinaire pour dégager certaines notions, comme par exemple celle d’énergie, des confusions et des interprétations mécanistes dans lesquelles se débattaient les physiciens de son époque. Certaines de ses conceptions sont très en avance sur les conclusions auxquelles aboutissaient les savants. Sa méthode a non seulement su dégager ce qui constituait la forme du matérialisme des années 1875, mais elle a aussi contribué à éclairer les chercheurs eux-mêmes et à faire avancer leurs travaux. Personne ne pourrait plus affirmer aujourd’hui que la méthode marxiste n’a pas contribué au développement et à l’approfondissement de notre connaissance.
Ceci dit, cet exposé devenu classique de la méthode marxiste ne doit pas être considéré comme un bréviaire. Il est bien évident que certaines parties de l’ouvrage ont vieilli. Pour ne prendre qu’un exemple, les progrès considérables de la biologie générale et de la génétique et l’apparition de la biologie moléculaire ont fait franchir un pas décisif à notre connaissance du monde organique. On ne peut dans ce domaine faire fond sur les conclusions d’Engels qu’en les replaçant dans leur contexte historique. Tout comme Lénine tentait, trente ans après Engels, de définir dans Matérialisme et empiriocriticisme la forme du matérialisme résultant des découvertes scientifiques de son époque, il serait aujourd’hui nécessaire, près de cent ans après l’Anti-Dühring, de se livrer au même travail d’analyse critique et de synthèse.
Mais il ne peut faire de doute que c’est encore de la méthode définie par Engels en 1878 qu’il faudra s’inspirer.
Cette nouvelle édition reprend pour l’essentiel le texte de la traduction parue dans les éditions précédentes. Une confrontation avec le texte publié dans l’édition berlinoise des oeuvres de Marx-Engels en 1962 n’a pas fait apparaître de différence notable. C’est pourquoi nous avons repris l’ordonnance des textes que nous avions adoptée en 1956.
Une précision toutefois. On connaît maintenant la date approximative de la rédaction du texte : « La décadence de la féodalité et l’essor de la bourgeoisie ». C’est à la fin de 1884 qu’Engels a rédigé ce fragment, à une époque où il envisageait d’inclure La Guerre des paysans dans une histoire générale de l’Allemagne dont elle aurait constitué le pivot.
Nous voudrions, en terminant, exprimer nos remerciements à nos amis Pierre Boiteau et Paul Labérenne qui ont bien voulu se charger de revoir l’appareil de notes des précédentes éditions et l’adapter au niveau actuel de nos connaissances.
Avril 1971. Émile Bottigelli
(1) Emile Bottigelli, né le 26 mai 1910 à Chambéry (Savoie) et mort le 12 décembre 1975 à Villefranche-sur-Mer (Alpes-Maritimes) est un intellectuel et traducteur marxiste français.Il a été redacteur de la Marseillaise d’août à novembre 1944, il est ensuite chef-adjoint de la section de la presse à la direction de l’information de Baden-Baden avant de reprendre, à la rentrée 1946, un poste d’enseignant, en région parisienne, à Saint-Maur.Dans les années 1950, il est chargé par la direction du parti de piloter les publications de textes allemands, et notamment ceux de Marx et Engels, qu’il traduits, annote et commente, pour les éditions sociales. et il est un traducteur de référence du Manifeste du parti communiste et des manuscrits de 1844. Sur le plan politique, il est très critique et démissionne de la Nouvelle Critique, puis du parti . Il est proche de Charles Tillon et de tout un courant que l’on va retrouver avec Pierre Juquin. Il fait ainsi partie des promoteurs, dans le cadre de l’Union rationaliste, du lancement de la revue Raison présente. Parallèlement, il poursuit sa carrière universitaire, enseignant à l’école normale supérieure de Saint-Cloud, puis à la faculté de Nanterre et enfin, en 1971, à l’université de Nice, comme maître de conférence, puis professeur d’université.
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