Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Du nouveau sur GLADIO (l’armée secrète de l’OTAN) par Comaguer


21 juillet 2023



Quelques jours après la publication de notre bulletin 525 le site britannique GRAYZONE vient de mettre en ligne un article qui rend compte de la récente déclassification de documents britanniques sur GLADIO. Nous avons donc sans tarder traduit cet article important (voir ci-après).
Pour plusieurs raisons :
La première est que dans toutes opérations souterraines de l’impérialisme étasunien les « services » britanniques forts de leur expérience de puissance impérialiste dominante jusqu’à la première guerre mondiale sont toujours présents voire même sont les acteurs principaux. L’opération GLADIO le confirme. Or comme l’observe l’auteur de l’article, le déroulement du conflit ukrainien laisse penser que l’influence britannique dans la conduite occidentale est importante. Le camouflet des sous-marins français pour l’Australie en est une autre illustration.
La seconde est que GLADIO opération clandestine de guerre froide en Europe de l’Ouest a été menée sur le même schéma organisationnel dans plusieurs pays Belgique, France, Suède mais il est incontestable que l’Italie a été le pays où son activité a été la plus prolongée et la plus intense et la plus protéiforme de 1947 à la fin de la guerre froide en s’adaptant à toutes les oscillations du système politique italien.
La troisième est que la France n’a été épargnée mais que le gaullisme et ses « services » ont certainement surveillé de prés le phénomène pour éviter qu’il ne prenne trop d’ampleur.
La dernière qui surgit des interrogations précédentes est encore plus centrale car le décès de Berlusconi dernier grand acteur de ce jeu ne peut pas clore le dossier GLADIO. Revenons sur ce passé.

De 1947 à 1990 Gladio a servi à ses maitres anglo-saxons à éviter toute extension vers l’Ouest du camp socialiste. Ce résultat obtenu l’impérialisme allait-il s’arrêter ? Les naïfs ? stupides ? Gorbatchev, Eltsine l’ont cru. Or la preuve est aujourd’hui faite : à aucun moment après 1990 les États-Unis n’ont considéré que leur marche vers l’Est par OTAN interposé devait s’interrompre. Cette persévérance s’explique.
A l’achèvement de la première guerre mondiale Wilson se sent assez fort pour dicter les conditions de la paix aux impérialismes européens secondaires. Mais surgit une perturbation et quelle perturbation : la révolution russe qui malgré l’intervention de 17 armées occidentales au cours de ce qui est appelé la guerre civile débouche sur la création de l’URSS premier état socialiste où le grand capital international ne peut
plus imposer sa politique. Vient la grande crise économique de 1929 puis la guerre. L’hégémonie étasunienne ne peut donc s’imposer qu’après la chute du Reich et après Hiroshima et Nagasaki. Le capitalisme étasunien peut alors considérer que le monde lui appartient définitivement.

Pourtant un doute subsiste comme un caillou dans la botte impériale. L’URSS a tenu le choc contre la horde nazie, elle a obtenu la capitulation sans conditions du Reich et en libérant l’Europe de l’Est elle s’est constitué un glacis. Donc malgré les destructions immenses, la mort de 27 millions de personnes l’URSS reste un immense état richement dotée en ressources naturelles et en riches terres agricoles très avancé
technologiquement. Jusqu’à sa dissolution elle va rester un obstacle à l’hégémonie étasunienne.

Pour autant GLADIO ses méthodes, ses structures ont-ils disparu le jour où Giulio Andreotti a levé le voile ? Au vu de l’histoire de ces 30 dernières années la réponse est non.
Le maintien et l’extension de l’OTAN ont permis aux États Unis via la DIA, la CIA, la NSA et les États majors militaires de pénétrer en profondeur dans les armées et les services de renseignement de tous les pays membres (et aussi à un moindre degré à l’intérieur des nombreux pays partenaires de l’OTAN). Il existe aujourd’hui depuis la Croatie en allant jusqu’à l’Estonie un arc otanien d’encerclement de la Russie qui reste l’adversaire à éliminer. Il est donc possible d’organiser dans chacun de ces pays des groupes clandestins capables : d’influencer le sort des urnes, de recruter espions et haut gradés complices, de former des cadres clandestins équipés d’un armement de premier niveau, de réaliser des opérations de sabotage et au plan idéologique d’empêcher tout glissement pacifiste ou neutraliste. Avoir transformé les Verts allemands en croisés de l’Occident est un travail remarquable commencé au moment du dépeçage de la Yougoslavie qui ne peut pas s’être fait spontanément.

A la lumière de cette analyse, le sabotage des deux gazoducs sous-marins de la Baltique est un cas d’école : il est possible de tenir indéfiniment en haleine l’opinion publique pour savoir qui a décidé, qui a organisé qui a exécuté sans jamais dévoiler la vérité parce que le petit noyau responsable est clandestin et qu’il se trouvera des militaires de bonne foi qui n’admettront pas la responsabilité de leur armée simplement parce
qu’ils ne faisaient pas partie des comploteurs et à leur écoute tout l’appareil médiatique de brouillage intellectuel.
Il y a donc nécessairement un GLADIO 2.0 qui porte sans doute un autre nom mais qui profite d’une vaste expérience historique de complots d’État accumulée pendant près d’un demi-siècle et que ces promoteurs dont les ambitions n’ont pas changé ne peuvent pas ne pas tenter de la poursuivre.


Des documents déclassifiés exposent le rôle de la Grande-Bretagne
dans les armées terroristes de GLADIO, par Kit Klarenberg


· 19 juin 2023

Des dossiers britanniques récemment déclassifiés jettent une lumière troublante sur les origines et le fonctionnement interne de l’opération Gladio, un complot secret de l’OTAN visant à déployer des milices fascistes terroristes dans toute l’Italie. Les espions londoniens ont-ils appliqué ces leçons à l’Ukraine ?
Des dossiers du ministère britannique des affaires étrangères récemment déclassifiés ont ajouté des détails troublants à l’histoire de l’opération Gladio. Cette opération secrète a été découverte en 1990, lorsque le public a appris que la CIA, le MI6 et l’OTAN entraînaient et dirigeaient une armée clandestine d’unités paramilitaires fascistes dans toute l’Europe, déployant ses ressources pour affaiblir les opposants politiques, notamment par le biais d’attaques terroristes sous fausse bannière.


Parmi eux se trouvait un jeune Silvio Berlusconi, l’oligarque des médias qui a occupé le poste de Premier ministre italien dans quatre gouvernements distincts entre 1994 et 2011. Inscrit sur la liste des membres de la P2, la cabale secrète des élites politiques de l’époque de la guerre froide dévouées aux objectifs de Gladio, Berlusconi a sans aucun doute emporté de lourds secrets dans sa tombe lorsqu’il est décédé le 12
juin dernier.

Il est presque impossible de croire que des vérités gênantes n’ont pas été retirées du dossier documentaire britannique sur l’opération Gladio avant sa déclassification. Néanmoins, les documents récemment rendus publics sont très instructifs. Couvrant une période troublée de douze mois après la première révélation publique de l’existence de Gladio, les documents illustrent la manière dont l’appareil de renseignement extérieur de Londres a gardé un œil attentif sur le continent au fur et à mesure que les événements se déroulaient.

Les documents ne jettent pas seulement une lumière nouvelle sur la conspiration, ils soulignent la pertinence de Gladio, alors que les services de renseignement britanniques rejoignent leurs homologues américains dans des complots contemporains impliquant des forces partisanes secrètes, de la Syrie à l’Ukraine.

Plusieurs passages disséminés dans les documents suggèrent fortement que les Britanniques en savaient beaucoup plus qu’ils ne l’ont admis publiquement sur des actes criminels flagrants, notamment la tentative de renversement d’un gouvernement italien allié et l’enlèvement et l’assassinat de son dirigeant.


Un “réseau de résistance clandestine” à l’œuvre

Le Gladio était constitué d’une constellation d’armées de partisans anticommunistes “restés à l’arrière”, dont la mission ostensible était de repousser l’Armée rouge en cas d’invasion soviétique. En réalité, ces forces ont commis d’innombrables actes violents et criminels dans le cadre d’une “stratégie de la tension” destinée à discréditer la gauche et à justifier la répression de l’État sécuritaire.

Comme l’a expliqué Vincenzo Vinciguerra, un agent de Gladio emprisonné à vie en 1984 pour un attentat à la voiture piégée en Italie qui a tué trois policiers et en a blessé deux :

“Vous étiez censé attaquer des civils, des femmes, des enfants, des innocents en dehors de l’arène politique. La raison en était simple : forcer le public à se tourner vers l’État et à demander plus de sécurité… Les gens échangeraient volontiers leur liberté contre la sécurité de pouvoir marcher dans les rues, prendre le train ou entrer dans une banque. C’est la logique politique des attentats. Ils restent impunis parce que l’État ne peut pas se condamner lui-même”.

Le scandale déclenché dans les capitales occidentales par la révélation de Gladio a fait la une des journaux pendant des mois. Le Parlement européen a réagi en adoptant une résolution condamnant l’existence d’une “organisation clandestine parallèle de renseignement et d’opérations armées [qui] a échappé à tout contrôle démocratique, a pu s’ingérer illégalement dans les affaires politiques internes des États membres [et] dispose d’arsenaux et de ressources militaires indépendants […] mettant ainsi en péril les structures démocratiques des pays dans lesquels elle opère”.

La résolution demandait que des enquêtes judiciaires et parlementaires indépendantes sur Gladio soient menées dans chaque État européen. Mais à part les enquêtes menées en Belgique, en Italie et en Suisse, rien de substantiel ne s’est concrétisé. De plus, les enquêteurs ont lourdement expurgé leurs conclusions tout en évitant de les faire traduire en anglais. Cela explique peut-être pourquoi ce scandale historique a été largement oublié. Dans ce contexte, les documents nouvellement déclassifiés pourraient constituer l’une des sources primaires les plus précieuses à ce jour, offrant de nouvelles perspectives sur les origines et le fonctionnement interne des milices terroristes secrètes de l’OTAN en Italie.

Prenons l’exemple d’un aide-mémoire préparé par Francesco Fulci, représentant permanent de l’Italie auprès des Nations Unies, qui a été communiqué lors d’une réunion “super-restreinte” du 6 novembre 1990 du Conseil de l’Atlantique Nord, le principal organe de décision politique de l’OTAN, puis transmis à de hauts fonctionnaires britanniques dans le pays et à l’étranger. Basé sur une note fournie par Giulio Andreotti, alors premier ministre de Rome, au “chef de la commission parlementaire italienne chargée d’enquêter sur les incidents terroristes”, l’aide-mémoire commence par noter qu’après la Seconde Guerre mondiale, les agences de renseignement occidentales ont conçu “des moyens de défense non conventionnels, en créant sur leurs territoires un réseau caché de résistance visant à opérer, en cas d’occupation ennemie, par la collecte d’informations, le sabotage, la propagande et la guérilla”. Selon l’aide-mémoire, les autorités de Rome ont commencé à jeter les bases d’une telle organisation en 1951. Quatre ans plus tard, les services de renseignements militaires italiens (SIFAR) et “un service allié correspondant” – une référence à la CIA – se sont officiellement mis d’accord sur l’organisation et les activités d’un “réseau clandestin post-occupation” :

Gladio était constitué d’agents actifs sur le territoire qui, en raison de leur âge, de leur sexe et de leurs activités, pouvaient raisonnablement éviter d’être déportés et emprisonnés par les occupants étrangers ; facile à gérer, même à partir d’une structure de commandement située en dehors du territoire occupé ; à un niveau très secret et donc subdivisé en “cellules” de manière à minimiser les risques de déportation et d’emprisonnement ;

Le “réseau de résistance clandestine” est subdivisé en branches distinctes, couvrant les opérations d’information, le sabotage, la propagande, les communications radio, le cryptage, l’accueil et l’évacuation des personnes et du matériel. Chacune de ces structures devait fonctionner de manière
autonome, “la liaison et la coordination étant assurées par une base extérieure”.

Le SIFAR a créé une section secrète dédiée au recrutement et à la formation des agents de Gladio. Parallèlement, il a maintenu cinq “unités de guérilla prêtes à être déployées dans des zones d’intérêt particulier” à travers l’Italie, qui attendaient d’être activées en permanence. Du “matériel opérationnel”, comprenant une grande variété d’explosifs, d’armes (mortiers, grenades, pistolets et couteaux) et de munitions, était entreposé dans 139 caches souterraines secrètes réparties dans tout le pays. En avril 1972, “pour améliorer la sécurité”, ces arsenaux ont été exhumés et déplacés dans les bureaux des carabiniers, la police militaire de Rome, à proximité des sites d’origine. Seuls 127 entrepôts d’armes ont été officiellement retrouvés. L’aide-mémoire précise qu’au moins deux d’entre eux “ont très probablement été emportés par des inconnus” au moment où ils ont été enterrés, en octobre 1964. L’identité de ces agents et ce qu’ils ont fait des armes volées sont laissés à l’imagination.


Participation britannique au coup d’État

Fulci a finalement été interrogé par les participants au sommet du Conseil de l’Atlantique Nord “sur la question de savoir si Gladio s’était écarté de ses objectifs”. En d’autres termes, il ne s’agissait plus seulement d’une force d’interposition à activer en cas d’invasion soviétique. Bien qu’il “ne puisse rien ajouter à ce qui figure dans l’aide-mémoire”, Fulci a confirmé que “les armes utilisées dans certains incidents terroristes provenaient de dépôts établis par Gladio”.
Cela peut refléter le fait que la violence politique était l’un des “objectifs propres” de Gladio. Un rapport du SIFAR de juin 1959, exhumé par l’historien Daniele Ganser, confirme que l’action de guérilla contre les “menaces intérieures” était intégrée à l’opération dès sa création. Dans le contexte italien, cela impliquait de terroriser systématiquement la gauche.
Alors que le parti communiste italien progressait dans les sondages avant les élections de 1948, la CIA a injecté de l’argent dans les caisses des démocrates-chrétiens et dans une campagne de propagande
anticommuniste. Cette opération de camouflage a si bien réussi à empêcher l’émergence d’un
gouvernement de gauche à Rome que Langley (siège de la CIA) est intervenu secrètement dans toutes les élections de Rome pendant au moins les 24 années qui ont suivi.
Les opérations secrètes de la CIA n’ont toutefois pas suffi à empêcher les Italiens d’élire occasionnellement les mauvais gouvernements. Les élections générales de 1963 ont vu les démocrateschrétiens l’emporter à nouveau, cette fois sous la direction du politicien de gauche Aldo Moro, qui a cherché à former une coalition avec les socialistes et les démocrates-socialistes. Au cours de l’année suivante, des conflits prolongés ont éclaté entre ces partis au sujet de la forme que prendrait leur administration.

Entre-temps, le SIFAR et les spécialistes des opérations secrètes de la CIA, tels que William Harvey, surnommé le “James Bond américain”, ont mis au point un complot visant à empêcher ce gouvernement d’entrer en fonction. Connu sous le nom de “Piano Solo”, il a envoyé des agents de Gladio pour une tentative d’assassinat sous fausse bannière de Moro qui devait délibérément échouer. Selon le plan, le kidnappeur devait prétendre que des communistes lui avaient ordonné de tuer Moro, justifiant ainsi la saisie violente des sièges de plusieurs partis politiques et journaux, ainsi que l’emprisonnement d’éléments de gauche dangereux dans le quartier général clandestin de Gladio en Sardaigne. Le plan fut finalement annulé mais il resta sur la table jusqu’en 1964.

Moro est devenu Premier ministre sans incident et a gouverné jusqu’en juin 1968. ”Piano Solo” a fait l’objet d’une enquête officielle quatre ans plus tard, mais les résultats n’ont pas été publiés jusqu’à ce que le public n’apprenne l’existence de Gladio. Bien que les conclusions n’aient fait aucune référence au rôle de la Grande-Bretagne dans le projet de coup d’État, les documents récemment rendus publics suggèrent fortement l’implication de Londres. Le président italien de l’époque, Francesco Cossiga, a demandé au ministère de lui communiquer “les détails des mesures prises par le Royaume-Uni en 1964”, selon une note détaillée du ministère des Affaires étrangères de février 1991 sur les derniers développements du scandale.

Cossiga a apparemment fait cette demande à la suite de l’intervention d’un juge “dont les enquêtes sur des attentats terroristes non résolus ont mis en lumière l’opération Gladio” et qui a pris la “mesure sans précédent” d’exiger que le président témoigne sous serment au sujet de la conspiration. À ce stade, M. Cossiga avait admis avoir appris l’existence de la force “stay behind” alors qu’il était ministre de la défense en 1966. Sa requête auprès du ministère des affaires étrangères suggère fortement que les services de renseignement britanniques ont joué un rôle dans “Piano Solo” et que le président italien était parfaitement au courant du complot.

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