Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Le procès d’Oppenheimer : en quoi est-il celui de tout un chacun ? …

Le film sur Oppenheimer parce qu’il laisse beaucoup de champ d’identification et d’interprétation au spectateur m’a incité à penser au-delà de cette histoire autour de la notion de “procès”. Le film qui est la rencontre entre “la subjectivité” et l’Histoire vous incite à l’identification et c’est son grand mérite qui rend le “formel” nécessaire. Encore faut-il admettre ce qu’induit un tel angle de réflexion. Personnellement j’ai longuement marché et j’ai songé qu’il y a dans le cas Oppenheimer une mise en évidence de processus qui ne concernaient pas seulement le génie pris dans les limites du sordide de la mise en œuvre de la théorie. Oppenheimer a comme Einstein et d’autres scientifiques une pensée cyclopéenne, ce qu’il invente “en théorie”, LA SCIENCE FONDAMENTALE joue à être DIEU, mais la question est ce qu’il faut pour passer de la Théorie à la matérialité et donc in fine à l’épreuve de la VÉRITÉ. Et c’est là que non seulement il se heurte à la médiocrité des politiciens, mais à la limite des rapports de production, au vecteur de la dite société. L’accumulation du capital, la conquête impérialiste ne se limite pas à l’étroitesse des politiciens, à leur appétits carriéristes. C’est sans doute ce que le film n’aborde pas, ce qui lui permet de renvoyer dos à dos capitalisme des Etats-Unis et socialisme sans réellement s’interroger sur le fait que c’est le capitalisme qui produit le nazisme, puis Hiroshima, Nagasaski et pas le socialisme.

Illustration: le retournement des aspirations les plus nobles en leur contraire est inscrit selon nous dans le refus de considérer la contradiction fondamentale entre forces productives et rapports de production avec les appareils de répression et idéologiques que la classe dominante engendre…

Pourtant cela a des conséquences y compris sur le “procès” lui-même et sans doute le fait que les scientifiques choisissent de se retrouver abusivement désignés comme communistes et acceptent de passer devant de tels “juges”. Ce que je voudrais expliquer c’est que comme le souligne Marx, les rapports de production teintent d’un ether particulier l’ensemble d’une société et chacun d’entre nous peut comprendre et partager ce que vit Oppenheimer.

J’ai pensé que depuis plus de trente ans je subis un “procès” qui n’est jamais présenté en tant que tel et que je ne suis pas la seule à vivre cette impression. C’est la situation juridique d’Oppenheimer qui m’a incitée à comprendre que l’on peut passer en procès ce qui est son cas avec la totale suppression des garde-fous d’un État de droit. En fait on l’accuse d’être communiste sans savoir en quoi c’est un délit en dehors du contexte d’un maccarthysme délirant mené par un ivrogne paranoïaque et avec l’assentiment silencieux de tout le peuple des Etats-Unis. Oppenheimer est simplement soumis à une procédure visant à son habilitation à la sécurité et c’est de cela qu’il est exclu ce qui lui interdit de fait de poursuivre ses recherches et de participer à des collectifs scientifiques. Ce “jugement” peut alors suspendre toutes les garanties que l’on a théoriquement dans un jugement, il n’est même plus besoin d’apporter des preuves.

C’est en fait ce que subit l’individu Assange aujourd’hui, mais aussi une nation comme Cuba. Si l’on y regarde bien, le cas individuel Assange touche à un droit citoyen celui d’être informé, que le capital transforme en l’arbitraire de la liberté de la presse, devenu liberté des patrons de presse (en France il y a parmi eux une majorité de marchands d’armes, ou de gens ayant des intérêts dans le marché de la reconstruction post guerre). Mais si l’on y réfléchit bien cette transmutation par la pierre philosophale du capital, fait que chacun s’est plus ou moins senti désigné injustement, il y a des cas collectifs comme “les banlieues” ou les “pauvres” traités de surcroit en imbéciles qui n’ont pas droit à la VÉRITÉ, mais aussi une vague sensation d’être incompris.

Personnellement je n’ai pas à me plaindre et j’ai construit ma vie de telle sorte que j’y jouis d’un modeste revenu et d’une liberté qui en est le luxe suprême. Pourtant il m’est aisé de comprendre ce sentiment général d’être traité avec injustice et de n’avoir pas le droit à compter pour au moins un. Le paradoxe du procès que je subis depuis plus de trente ans et qui débouche sur une censure qui a fini par m’indifférer, est que jamais elle n’a eu de mise en accusation claire, c’est toujours de l’ordre de la rumeur. Le plus souvent j’y suis confrontée d’une manière stupide qui redouble le choc de l’insulte. Par exemple, ayant publié un texte sur la position des camarades grecs, un crétin place un commentaire : Danielle Bleitrach va te faire voir par les grecs… un autre “camarade” qui commence avec la périphrase habituelle “je ne suis pas d’accord avec Danielle Bleitrach mais ses analyses sont intéressantes et il est vrai que nous manquons d’information sur l’international”. Le crétin explique que c’est de l’humour et que d’ailleurs Marx a beaucoup d’humour et il continue comme ça à revendiquer son identification avec Marx à partir de son “post”. Là, je suis totalement accablée de voir Marx ramené à ce niveau… Mais mon “défenseur” devient onctueux et sympathise “Tu es pardonné si c’est de l’humour”… Et le crétin d’apporter sa conclusion “mais Danielle Bleitrach ne peut pas apprécier l’humour de Marx vu que c’est une stalinienne archaïque qui appartient à une autre époque”.

Je suis encore stupéfaite par un tel échange et ce qui peut autoriser de tels propos parfaitement imbéciles ? Ce qui me concerne n’est rien en dehors de la manière dont est traité Marx, oser comparer une misérable grossièreté avec la force polémique des formules de ce géant est invraisemblable… La première remarque est la même que celle que nous inspire le malfaisant et vaniteux Lewis Strauss dans le film sur Oppenheimer, le mépris. Mais comment peut-on en arriver là ? et se prétendre communiste, croire même qu’on défend cette idée et qui la menace? Ce ne sont pas “les limites” intellectuelles des deux protagonistes qu’il faut considérer et l’accident d’un tel dérapage, mais bien le consensus qui s’est peu à peu construit dans la société française qui lui est du béton. En fait, je passe sous les fourches caudines de la victoire de l’anticommunisme et de l’arbitraire, quelque chose qui est à l’œuvre dans le procès d’Oppenheimer et qui est devenu la norme s’appliquant à tous si l’on ne prend pas garde à s’en débarrasser à chaque moment, individuellement et collectivement.

Même si l’on prend ma désignation comme stalinienne, en dehors de la rumeur, être stalinienne c’est comme le fait d’être juive, cela évite d’avoir à faire la preuve de la nécessité de vous condamner. Mais sur quoi ont-il établi ce qualificatif me concernant ? Sur le constat auquel j’ai abouti après beaucoup d’études et de rencontres dans le vaste monde, à une constatation : Je ne sais toujours pas ce qu’il en est mais ce dont je suis sûre est que le procès de Staline a été mal instruit. Non seulement l’accusation “pouvoir personnel” est fausse et ne mène nulle part, en tous les cas certainement pas à la correction des fautes pour améliorer le communisme, cela conduit à une vision moralisante, bigote, qui interdit d’aller plus loin. Et logiquement les résultats en ont été catastrophiques. Il serait temps de reprendre les pièces du dossier dans l’ensemble de l’histoire et de le faire en fonction de nos buts et pas ceux de la bourgeoisie. Nos buts concernent la liberté humaine, non pas en idée, en théorie, mais dans les conditions matérielles de pouvoir l’exercer. Et là nous retournons à Oppenheimer, nous avons plus que jamais besoin de l’intervention du libre arbitre de l’humanité, alors même que la crise de la démocratie tourne à la caricature d’une classe hors sol.

Parce que le procès intenté à Oppenheimer en masque un autre qu’il se fait à lui-même : . Au cœur du drame biographique, qui met en vedette Cillian Murphy  dans le rôle de l’homme qui a orchestré la naissance de la bombe atomique, il y a une folie qui s’est jouée et se joue encore à l’échelle planétaire. Lorsque l’arme a été testée pour la première fois – un événement maintenant connu sous son nom de code, Trinity – il y avait une chance qu’elle anéantisse toute l’existence humaine que la fission ne s’arrête pas. Une telle perspective aurait du dissuader ceux qui l’on fait d’aller de l’avant, mais pas Oppenheimer, il a même convaincu les autres… pourquoi était-ce par passion scientifique? A cause de ce qu’Hitler infligeait aux juifs ?par névrose perverse comme quand il empoisonne au cyanure la pomme de son prof qui l’empêche d’aller écouter Niels David Bohr, encore un juif,tous obligés de penser hors limites… Le fait est : Il a accepté de gérer l’affaire et il a quand même appuyé sur le bouton et le soulagement éprouvé ne change rien, lui le sait et pire encore il découvre que si la fission s’arrête, se contrôle, la terrible menace est plus que jamais là et il fixe le regard retourné vers l’intérieur ceux qui sont en charge, il les supplie, tente d’utiliser sa célébrité… Y a-t-il un possible ? jamais les êtres humains n’ont renoncé à un savoir, une arme, une connaissance, tout dépend donc d’une autre gestion des possibles ? Est-il possible que la masse comme dit Marx, soit la seule apte à sauver l’humanité? Ce pari là, celui de la “masse” consciente a-t-il un sens ?

Bref à partir d’un film sur le procès infligé à un génie Oppenheimer, un cas exceptionnel, j’aboutis en poussant l’analyse à refuser toutes les régressions comme des utopies, il faut répondre au savoir, aux dégats et catastrophe potentielles, par un autre savoir, s’investir dans d’autres voies, ne pas prétendre bloquer la pensée(1). Seul le marxisme permet de penser les contradictions, pas le positivisme qui ne mesure pas les conséquences… la relation entre forces productives (sciences, techniques, savoirs, etc…) et rapports de production (capitalisme, impérialisme), mesurer à quel point cette contradiction impériaiste interdit ce que la bourgeoisie a promis: un état de droit démocratique, non seulement pour ceux qui sont socialement soumis à un procès permanent mais à la pensée la plus ordinaire si le groupe concerné accepte les règles du jeu…

Il ne s’agit pas de tomber dans le piège du refus de la “démocratie”, il s’agit de renforcer nos exigences dans le sens de ne pas demeurer une simple “critique” mais bien sa réalisation concrète pour les individus et surtout pour les possibilités de “coopération” qui nous sont offertes. A ce propos, il y a beaucoup de réflexions à avoir : par exemple l’émancipation féminine. Le fait que Marx et Engels qui sont de grands féministes (surtout Engels) assortissent toujours leur analyse d’autres concepts comme la division du travail, la propriété et la nature de l’Etat pourrait être d’un apport sur la “matérialité” de cette émancipation et sur le caractère réel de la conquête. Là encore, il ne s’agit pas de tomber dans le piège de la réaction, face à des dénis de droits, mais d’assumer les buts et les moyens.

Bref, j’ai décidé d’aller toujours plus loin dans le refus de leurs règles du jeu et ce blog n’a de sens que dans cette aventure qui se nourrit de théorie, d’expériences… et d’échanges… et partout dans le monde il y de petits cercles : nous sommes comme devant un gigantesque puzzle…

Danielle Bleitrach

(1) Il n’y a pas que les marxistes pour émettre de telles propos, un écologiste comme Jared Diamond qui analyse les “effondrements” de société dus en particulier à une exploitation inadaptée à l’aide de techniques destructrices et leur impact sur leur environnement, tout en affirmant qu’il ne connaît « aucun cas dans lequel l’effondrement d’une société ne serait attribuable qu’aux seuls dommages écologiques”  il voit dans la science, dans le développement des forces productives à certaines condition la solution. Ces forces productives seront d’autant plus salvatrices qu’elles s’appuieront sur des formes de coopération, de division du travail et de gouvernance permettant à chaque société humaine de s’investir dans ce combat commun, des societes confrontées à des situations particulièrement ont connu et connaissent des réussites. Même s’il ne traite pas de Cuba, on pense à l’extraordinaire lutte y compris dans la préservation de l’environnement, du dveloppement humain sous le terrible blocus à côté des catastrophe envitonnementales à la Guadeloupe. .

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