Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

DES ÉTATS-UNIS, DU DOLLAR, DE LA THÉORIE DE LA MONNAIE ET DE L’IMPÉRIALISME CONTEMPORAIN (Partie 2/4), par Jean-Claude Delaunay

Nous poursuivons la publication en 4 parties du travail de Jean-Claude Delaunay.

Dans la 1ère partie, publiée hier, Jean-Claude a attiré notre attention sur les différents types de structures productives dans le monde, en termes d’internationalisation et de répartition entre les différents secteurs.

Les économies capitalistes du bloc occidental dominant sont aujourd’hui des économies largement internationalisées, issues de l’impérialisme monopoliste : “Ces pays continuent d’exister comme territoires et centres de commandement et de pouvoir politique. Ils abritent, à condition d’être fiscalement conciliants, les sièges sociaux de capitaux monopolistes diffusés et implantés dans les pays du monde où il y a des affaires à faire. Car l’impérialisme contemporain n’est plus un impérialisme d’Etats-nations, comme du temps de Lénine ou même plus tard. “

De ce fait, nous a expliqué Jean-Claude, la mesure du PIB de ces pays n’est plus une mesure fiable de la réalité de leur structure productive nationale réelle : “Autour des années 1970-1980, l’exportation de capital est devenue massivement une exportation de capital productif en plus de l’exportation de capital financier. Les grandes entreprises monopolistes se sont organisées d’une part comme centres de profits, distincts, et localisés dans des endroits fiscalement intéressants, et d’autre part comme ensembles de relations de sous-traitance avec des producteurs «indépendants» du monde entier. “

Ainsi, les états impérialistes modernes ne sont plus des états-nations productifs autonomes et un centre en particulier commande l’ensemble d’un réseaux de captation de profits : « L’Etat des Etats-Unis est le coordinateur des Etats qu’il rassemble et réunit en force au sein de la «famille impérialiste» ainsi que des capitaux monopolistes. Comme je le développerai dans une autre partie, le dollar US détaché de toute relation avec l’or, et tout le système qui va avec, est l’un des instruments de cette réunification familiale. »

A l’inverse, l’économie des pays socialistes, dont la Chine et son économie socialiste de marché reste à base productive nationale ainsi que la plupart des économies des pays en voie de développement. Ce qui amène Jean-Claude à conclure que « Le monde ne cherche pas à être “multipolaire”. Dans les faits, il est multipolaire. Nous ne sommes plus dans la configuration “Centre-Périphérie” ».

C’est donc la configuration mondiale du système productif, de l’organisation capitaliste et impérialiste qui a changé autour des années 1970. Et c’est un changement dont nous ne percevons que progressivement l’ampleur et la signification : « L’une des interrogations ressortant de ces trois tableaux est la suivante : comment les grandes et très grandes bourgeoises ont-elles imaginé qu’elles pouvaient continuer à dominer et exploiter le monde lorsqu’il leur est apparu, autour des années 1970, que le système impérialiste d’après la Deuxième Guerre mondiale n’était plus conforme à leurs exigences et qu’il convenait d’en changer radicalement, tout en conservant les rapports capitalistes de production? Quelles contradictions ressortent aujourd’hui de ces tentatives? Je me propose de commencer à répondre à cette question dans la sous-partie suivante. »

Ayant rappelé ces éléments, nous allons pouvoir suivre Jean-Claude Delaunay dans la deuxième partie de son texte, qui aborde la rupture qu’a été, pour le système impérialiste l’abandon du cadre national, et particulièrement l’établissement du dollar comme monnaie mondiale, comme étalon monétaire débarrassé de l’or qui fût l’instrument privilégié de ce nouveaux cours impérialiste. (note de Franck Marsal)

La mise en place d’un «impérialisme soft»

Il y a 50 ans, les sociétés capitalistes développées étaient en difficulté et leurs dirigeants ne savaient pas où donner de la tête. Le keynésianisme d’Etat était en crise en raison de la suraccumulation durable du capital qui se faisait à nouveau jour dans ces pays. Ce qui paraissait clair pour le grand capital est que le fonctionnement principalement national des rapports sociaux capitalistes était «dépassé».

L’impérialisme à base nationale relevant du passé, il fallait permettre au capital monopoliste de se mondialiser encore plus massivement que cela ne s’était produit auparavant. La monnaie des Etats-Unis a été conçue comme un grand et nouveau véhicule du processus de mondialisation capitaliste, adapté aux circonstances socio-politiques prévalant après la deuxième guerre mondiale. Je la comprends comme un «soft-imperialism», complémentaire du «hard and basic impérialism», dans un univers où, dans cette seconde moitié du XXe siècle, dominent les idées de la décolonisation, du Tiers-Monde enfin libéré et de l’espoir du développement.

La monnaie nord-américaine n’a pas remplacé les moyens politico-militaires traditionnels de l’impérialisme, c’est-à-dire la guerre, la menace, les assassinats, la corruption, le vol, les pressions économiques et politiques de toutes sortes sur les gouvernements, les coups d’État, les sanctions, les blocus, la guerre idéologique, l’espionnage, la désinformation, et tous les actes criminels possibles et imaginables. Elle les a seulement complétés.

Elle est apparue comme étant cohérente avec cette nouvelle phase de l’impérialisme, comme étant «son huile bienfaisante» adaptée, et, par conséquent, la monnaie de l’impérialisme fut elle-même mondialisée. Je dois dire au passage que j’apprécie le résumé qu’a fait Danielle Bleitrach des trois piliers de l’impérialisme contemporain, à savoir : 1) le monopole du dollar, 2) l’armée la plus puissante du monde, 3) le monopole de l’information, même si on peut en discuter de deuxième point (Débat à propos de l’issue du 39e Congrès, 14 mai 2023).

Je vais, dans les paragraphes qui suivent, chercher à décrire, à très grands traits, la mise en place de cette nouvelle phase de l’impérialisme et la place prise par le dollar US dans cette évolution. Je vais le faire dans le langage ordinaire en rassemblant des faits.

Comment le «soft-imperialism» monétaire, en tant que composante du système de de l’impérialisme, a-t-il été concrètement mis en place? Je vais m’efforcer, en dix points et en utilisant le langage ordinaire, de rassembler les faits relatifs à la mise en place du dollar comme monnaie mondiale. Cette méthode permet, je l’espère, de déblayer le terrain.

A/ La rupture entre l’or et le dollar et ses conséquence

1) Rupture entre l’or et le dollar.

Cette mise en place a commencé par la décision consistant à rompre tout lien entre le dollar US et l’or. Cette liaison avait un sens. Elle signifiait que les membres de la famille impérialiste disposaient d’un certain pouvoir d’autonomie économique, grâce à la possible conversion des dollars en or. Ils pouvaient «discuter» avec l‘impérialisme principal et changer leurs dollars en quelque chose de «sonnant et trébuchant».

De Gaulle fut le représentant le plus offensif des caractéristiques nationales de l’impérialisme de cette époque. Il croyait que les nations avaient une existence transhistorique et, sur cette base, eu égard à ses convictions royalistes et légitimistes, il estimait pouvoir construire «un impérialisme français» durable et fusionnel entre les classes et les peuples, un impérialisme qui fut à la fois capitaliste et populaire, cimenté par une collaboration équitable et «gagnante-gagnante», entre classes sociales et peuples. La décision américaine de 1971 sonna le glas de cette idéologie en introduisant une nouvelle époque.

Avant, le dollar était une monnaie nationale de portée internationale. Après, le dollar a vécu une nouvelle vie, étant à la fois monnaie d’une nation et monnaie mondiale, La rupture avec l’étalon-or a facilité cette évolution.

2) Les changes flottants

Il résultait notamment de cette décision que c’était aux autres pays que les Etats-Unis d’ajuster leur taux de change avec le dollar. Le dollar était la monnaie des Etats-Unis fonctionnant comme monnaie mondiale. Mais, si problème il y avait, étant donné que subsistaient d’autres monnaies nationales, c’était «le problème des autres». Les changes devenaient flottants. Ils ne relevaient plus d’aucune décision administrative particulière. Ils étaient fixés, en principe, en fonction de l’offre et de la demande de dollars, faite au jour le jour. Le marché des changes devenait ainsi le plus gros des marchés dont la nouvelle stratégie impérialiste entraina la création.

3) Les réserves des banques centrales en dollars

De plus, les pays qui engrangeaient des dollars pouvaient théoriquement les convertir en entreprises sur le marché américain. En réalité, leurs entreprises n’ont pu le faire que dans certaines limites, très étroites. Les convertir en armements américains, c’était très bien. Mais les convertir en industries, stratégiques pour le grand capital nord-américain, c’était autre chose, quasiment impossible ou, en tout cas, très surveillé. Les pays détenteurs de dollars devaient donc se débrouiller avec leurs encaisses dollars. Leur banque centrale pouvait les considérer comme une encaisse de précaution en cas de crise. Elle pouvait alimenter les besoins de leurs grandes entreprises pour investir dans les pays en développement. Elles pouvaient enfin les convertir en bons du Trésor des Etats-Unis, étant entendu que la rémunération de ces bons serait faite en dollars.

4) La marchandisation financière des économies.

L’une des décisions importantes, propre à l’implantation de la monnaie américaine comme monnaie mondiale, concerna la réorganisation des marchés financiers de toutes sortes. Cette époque fut, en effet, celle de la dérégulation généralisée et de la réorganisation des professions financières, ainsi que de la création, tout autour de la planète, d’une ceinture de marchés financiers. La notion de «capitalisme néo-libéral» en est issue.

Je note en passant, mais c’est un détail, que l’utilisation de cette notion (capitalisme néo-libéral) ne me semble pas très heureuse. Au delà de sa justification idéologique, consistant à faire disparaître Lénine de l’affiche, elle gomme le terme même d’impérialisme et de ce qui en est l’âme et le corps, à savoir le très grand capital monopoliste. Elle sous-entend que le capitalisme industriel serait revenu au stade de la libre concurrence du XIXe siècle, mais cette fois au niveau mondial et avec de très grandes entreprises. La mondialisation aurait, en quelque sorte, régénéré le capitalisme. La réalité est différente.

La mondialisation du capital monopoliste et de l’impérialisme ne pouvait prendre appui sur un quelconque «Etat mondial». L’exigence de l’heure, pour le grand capital monopoliste, était de briser les «Etats nationaux». Il fallait «libérer» le grand capital. Tel est l’origine de ce «nouveau libéralisme», à savoir la crise de suraccumulation durable du capital autour des années 1970 et la nécessité capitaliste de favoriser la mondialisation du grand capital.

Ce gigantesque penseur que fut Ronald Reagan, disait d’ailleurs que : «L’Etat n’est pas la solution. Il est le problème». Des organisations internationales para-étatiques, comme le FMI, la Banque Mondiale, ou l’OMC, on pouvait en admettre l’existence à condition qu’elles fussent placées sous le contrôle de l’impérialisme (droit de véto des USA). Mais il n’était certainement pas question de penser à un Etat mondial régulateur. Le monde de l’impérialisme mondialisé serait un monde de «liberté pour le grand capital» et de marchés financiers. La régulation de l’ensemble serait acquise par le biais des marchés financiers réorganisés et non par le biais d’une structure étatique mondiale.

Bref, la mondialisation du grand capital monopoliste, qui ne pouvait être que «marchande» et «financière», faisait, du même coup, voler en éclats les mécanismes régulateurs étatiques antérieurement mis en place au plan national. Le capital monopoliste devait pouvoir s’investir là il trouvait son meilleur avantage. Il lui fallait donc des marchés nombreux et les plus profonds possibles pour s’engager et se désengager. Devenant l’infrastructure principale du grand capital en état de mondialisation permanente, les marchés financiers devaient avoir pour fonction de permettre la libre circulation en dollars du capital monopoliste et de réguler toutes les économies nationales ainsi que l’économie mondiale.

5) Un projet sociologique

La mise en place d’une ceinture de marchés financiers reposait sur un projet sociologique, à savoir faire surgir, ou consolider, dans chaque pays émergent, une bourgeoisie liée au grand capital des Etats-Unis, à la fois utilisatrice de dollars, politiquement liée à la grande bourgeoisie impérialiste, celle des Etats-Unis en premier lieu, ayant un pied-à-terre à New-York, Miami, ou Los Angeles, totalement soumise et de type compradore, «à la Eltsine». La mondialisation du capital monopoliste était donc le projet de l’extension ainsi que du renforcement des rapports capitalistes et de l’exploitation du travail partout dans le monde, avec l’appui de contremaîtres locaux grassement payés.

6) La mise au pas des forces contestataires

D’autres décisions importantes accompagnant la mise en place de la monnaie mondiale furent celles consistant à mettre réellement et totalement au pas les sources possibles de contestation de cette «nouvelle économie politique» qu’était la mondialisation capitaliste. Que ce soit aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, les unions (les syndicats de travailleurs) furent l’objet d’un affrontement direct avec les grandes bourgeoisies et leurs représentants (Reagan, Thatcher) et furent vaincus.

En France, la défaite des travailleurs passa, paradoxalement, par le chemin d’une apparente victoire, celle de «la gauche unie». Ce chemin fut en réalité celui du «communisme écrasé».

Je ne développe pas les traits de cette période, sauf à dire que la mondialisation capitaliste, cette nouvelle stratégie qui visait à ce que le capital monopoliste pût sortir de la crise aigüe de rentabilité dans laquelle il était plongé, ne concernait pas seulement «les sous-développés». Elle concernait aussi et d’abord «les développés». L’impérialisme n’est pas né du sous-développement. Il est né du développement et de la suraccumulation durable du capital qui le traverse périodiquement.

Il fallait donc que le terrain fut syndicalement nettoyé, pour que, notamment en France, mais ce fut partout pareil chez «les développés», des entreprises, publiques ou privées déclarées non rentables, fussent vendues ou fermées, pour que des capitaux étrangers achetassent des entreprises françaises, pour que des entreprises françaises exportassent leurs capitaux pour acheter des entreprises ailleurs, d’abord aux Etats-Unis, techniquement plus avancés que les pays européens dans certains domaines.

B/ Une stratégie globale sous contrôle nord-américain

1) Une stratégie globale

Le fait que le dollar US devienne une monnaie détachée de l’or ne gênait plus, après 1970, la grande bourgeoisie française, qui avait abandonné, pour certains depuis longtemps, «le rêve gaullien» d’un impérialisme français à base populaire. Le gaullisme a correspondu à une stratégie nationale au sein de l’Impérialisme mondial. A cette époque, il était concevable qu’il y eut plusieurs stratégies nationales au sein de l’impérialisme mondial.

Après les années 1970, il n’y a plus eu qu’une seule stratégie impérialiste, celle de la globalisation du capital monopoliste de toutes origines. Cette stratégie est aujourd’hui portée par une nation et plus exactement par un Etat, celui des Etats-Unis. Elle est placée sous le contrôle strict des Etats-Unis. Les pays impérialistes autres que les Etats-Unis se rangent donc derrière le pays impérialiste leader. Ils l’acceptent notamment comme leader monétaire. Après 1970, ils lui ouvrent encore davantage les portes de leur territoire qu’ils ne le faisaient auparavant car ils espèrent faciliter ainsi l’accès du territoire nord-américain à leurs propres groupes monopolistes.

Ils pensent que ces derniers vont pouvoir bénéficier des nouvelles technologies et de la révolution scientifique et technique en cours, alors plus avancée aux Etats-Unis que partout ailleurs. De ce fait, ils laissent aux Etats-Unis le soin de décider de la guerre et de la paix. L’Union européenne, qui prit forme en 1992 et en 2000, fut un effort de rationalisation juridique, financière et monétaire au sein de l’impérialisme global ainsi conçu. Ce ne fut aucunement la recherche d’un pôle compensateur du pôle américain.

2) Trois aspects supplémentaires

Je dois encore noter trois aspects, qui font partie de cette mise en place.

Le premier a certes eu de grandes conséquences économiques mais il fut d’abord de nature politique. Les Etats-Unis, en même temps qu’ils installaient le dollar comme monnaie mondiale, ont réussi à remporter une grande victoire sur le socialisme, en réalisant l’explosion de l’URSS en 1991. Je ne détaille pas. En 1999, ils ont terminé le travail en écrabouillant la Yougoslavie.

Le deuxième a trait aux taux d’intérêt. En 1979, la décision de Tokyo, de doubler d’un seul coup les taux d’intérêt (ils passèrent de 10% à 20% à New-York), ne gêna apparemment aucun membre de la famille impérialiste. Gérard Dumesnil et Dominique Lévy parlèrent, à ce propos, de «coup». Ces auteurs cherchaient ainsi à en indiquer la violence.

Et il est vrai que cette hausse considérable contribua à mettre brutalement au pas les syndicats de travailleurs en donnant un coup d’arrêt aux économies. Elle visait à casser à la fois le processus inflationniste et le processus syndical. Par ailleurs, elle accroissait fortement la dette des Etats et transférait aux agents bancaires et financiers une part importante du «profit national», tout en tendant à mettre fin à ce qu’on appelait antérieurement «les politiques économiques de la demande». Apparemment, «tout le monde» était content.

Le troisième point est le rôle du FMI et de la Banque Mondiale comme prêteurs pour le ré-équilibrage des balances commerciales et pour le développement. Ces institutions prêtaient des dollars, selon des conditions extrêmement rigoureuses et demandaient donc d’être remboursées en dollars.

C/ Les contradictions

Cette mise en place était contradictoire. Parmi l’ensemble des contradictions, je note trois grandes contradictions.

La première est d’ordre technique, pour autant que la technique puisse être isolée des rapports sociaux fondamentaux dont elle est la technique. Elle tient à ce que la monnaie mondiale est gérée par la Banque Fédérale des Etats-Unis, comme si cette dernière était la Banque centrale du monde. Or ce n’est pas le cas.

Une Banque centrale vise à mettre un certain ordre dans l’ensemble des banques dont elle est le centre. Elle vise aussi à mettre de l’ordre dans l’émission monétaire et si possible, à permettre de surmonter les contradictions et les crises propres au fonctionnement macro-économique du capital.

Elle devrait représenter les exigences d’équilibre de la macro-économie mondiale, tant en ce qui concerne le fonctionnement des banques et des institutions financières que les taux d’intérêt directeurs du monde entier. Ce faisant, une banque centrale agissant dans un périmètre clos, affirme que la monnaie de ce périmètre, quoique n’ayant plus de rapport avec l’or ou l’argent, est «une vraie monnaie». Or la Banque centrale des Etats-Unis, qui est censée gérer l’économie mondiale depuis que le dollar est promu au rang de monnaie mondiale, prend des décisions en fonction de la seule économie nord-américaine et non en fonction de l’économie mondiale.

La deuxième grande contradiction est d’ordre financier. Eu égard à l’impossibilité dans laquelle se trouve l’Etat américain de gérer l’économie mondiale en fonction des exigences de cette économie, c’est aux marchés financiers qu’est délégué le soin d’en assurer la gestion. Or les marchés financiers sont incapables de gérer correctement, de manière équilibrante, quelque économie que ce soit

Sur les marchés des biens et des services, on peut admettre que l’Offre et la Demande varient en sens inverse. Quand le prix des biens offerts augmente, la demande qui en est faite diminue. On en déduit que sur le marché des biens, l’Offre et la Demande peuvent s’équilibrer (la courbe de l’Offre croise celle de la Demande en un point et un seul).

Il n’en est pas de même sur les marchés des actifs financiers. Quand le prix de ces actifs augmente, la demande en augmente également, car les perspectives de gains grandissent avec l’augmentation du prix de ces actifs. C’est d’ailleurs ce que disent les «conseillers» des banques aux mémères dont le mari vient de décéder. «Achetez donc ces titres, leur valeur augmente». Il existerait donc une infinité de points de rencontre entre l’Offre et la Demande de «biens financiers». Le marché de ces biens ne serait jamais équilibré.

On y observerait de grands mouvements pendulaires. Pendant un certain temps, le prix des actifs augmente mais le marché est quand même globalement «acheteur». Puis, pendant un autre «certain temps», le prix des actifs diminue sans cesse mais le marché est quand même globalement continument «vendeur». Mais on n’observerait jamais de moment d’équilibre entre l’Offre et la Demande.

La régulation de l’économie mondiale a donc été confiée à des mécanismes strictement et continument déséquilibrants.

La troisième grande contradiction est d’ordre sociologique. Le projet américain était d’engendrer une bourgeoisie compradore, toute dévouée aux intérêts du grand capital américain plus qu’aux intérêts de sa nation d’origine. Or ce qui apparaît est l’émergence, dans les pays en développement, d’une bourgeoisie nationale, en même temps que se précise l’exigence, de la part des peuples, de bénéficier du développement, diffusé par les grands moyens d’information. Car, à mon avis, c’est la pression exercée par les peuples qui conduit en tendance au remplacement des bourgeoisies compradores par des bourgeoisies nationales;

D/ En conclusion

La suraccumulation durable du capital qui, autour des années 1970, pesait sur la rentabilité macro-économique des capitaux de tous les pays capitalistes développés fut donc combattue par les moyens classiques de la concentration mondiale des capitaux, par la mise au chômage des travailleurs dans tous les pays développés, par la pression accrue sur leurs salaires, par le redéploiement du grand capital productif dans le monde entier.

Les Etats-Unis ouvraient leur marché intérieur au reste du monde. Le dollar devenant monnaie mondiale, cela signifiait que l’économie américaine acceptait d’être débitrice universelle. Elle se déclarait en déficit permanent et son déficit, évalué en dollars, contribuait, derechef, à alimenter en dollars le reste du monde, supposé désormais créditeur universel.

Grâce au dollar devenu monnaie mondiale et aux marchés financiers créés simultanément, le capital monopoliste de tous les pays impérialistes disposait d’une source monétaire abondante et d’une infrastructure financière, lui permettant de commercer, d’acheter les matières premières stratégiques, en particulier le pétrole, d’investir et de se retirer à tout instant de ses lieux premiers d’investissement pour se diriger vers d’autres, jugés plus rentables. Certes les Etats créanciers en dollars devaient se débrouiller avec leurs dollars, mais ce n’était pas le problème des capitaux monopolistes. C’était le problème de leur Etat.

Tous les points que je viens de présenter montrent le rôle nouveau du dollar. En 1970-1980, c’est la monnaie du commerce des matières premières et c’est notamment la monnaie de facturation de la plus importante d’entre elles, le pétrole. C’est la monnaie du commerce ordinaire, dans la mesure où l’économie américaine fonctionne désormais comme débitrice structurelle. Les entreprises de tous les pays sont supposées vendre quelque chose sur ce marché. Elles en retirent des dollars. C’est la monnaie du développement par l’intermédiaire des prêts consentis par du FMI et de la Banque Mondiale.

Mais, plus que tout, c’est la monnaie de la globalisation du capital monopoliste, cette dernière étant placée sous la surveillance et le contrôle de l’Etat des Etats-Unis, en même temps que soutenue par toutes les banques centrales des pays capitalistes.

La monnaie mondiale, le dollar, est donc l’instrument d’un soft-impérialisme, comme indiqué au début de cette partie, à l’intérieur de l’impérialisme global. Ce n’est pas un instrument dont le maniement puisse être sans contradictions. Il apparaissait cependant qu’au cours des années 1970 et jusque vers 2010, ces contradictions ne comptaient pas ou étaient tenues pour mineures.

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1 Commentaire

  • Xuan

    Quid de l’Euro ?
    On a incriminé l’Allemagne, je pense que c’était une erreur.
    On a dit aussi que c’était la volonté des USA.
    L’euro était initialement à parité avec le dollar.
    Il y avait donc un “alignement”.
    Oui mais pourquoi pas le dollar lui-même alors ?
    Je pense qu’il s’agissait d’intérêts réellement contradictoires, et qu’il existe encore des contradictions, c’est-à-dire identité et opposition.
    Ce qui reste à déterminer est l’aspect principal qui domine dans une situation donnée.
    La crise de l’Euro en 2011 est sans doute un exemple de ce conflit.

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