Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Michèle Firk : une vie pour la révolution…


BILLET DE BLOG 15 OCTOBRE 2017

En ce moment on parle beaucoup de “patriarcat” je n’aime pas particulièrement le terme mais s’il s’agit de lutter pour le droit des femmes à l’égalité je suis prête à passer outre. Je suis doublement intéressée par le sujet, en tant que femme communiste et en tant que marxiste anthropologue, l’apport d’Engels (les origines de la famille, de la propriété privée et de l’état) et de Marx (en particulier dans la Sainte famille) méritant d’être revisités. Mais je voudrais aussi transmettre une expérience de révolutionnaire et parler de toutes celles que j’ai rencontrées. Le 7 septembre 1968, Michèle Firk se donnait la mort, à 31 ans, en se tirant une balle dans la bouche. Elle croyait qu’elle allait être arrêtée par la police guatémaltèque, et ne voulait pas parler. En réalité, ce n’était pas elle que recherchaient les policiers, et elle ne devait être identifiée qu’après son suicide, un suicide à la Walter Benjamin, juif et communiste comme elle. Qui était Michèle Firk ? Cet article prétend y répondre. Je ne peux pas dire que je connaissais Michèle, les hasards de la lutte pour l’indépendance de l’Algérie nous ont fait nous côtoyer. Michèle tournait un film sur ceux qui désertaient pour ne pas rejoindre le contingent envoyé par Guy Mollet en Algérie. 27 mois et combien de morts, français, mais aussi algériens, la torture, c’était le drame de notre génération. Donc Michèle était en pleine clandestinité et elle logeait là où les réseaux la plaçaient, ce fut chez moi. Nous étions des jeunes femmes et notre grande interrogation était effectivement de savoir si nous résisterions à la torture, comme ces résistants que nous admirions. Comme celui qui allait devenir mon compagnon Pascal Fieschi. Nous aimions la vie “à en mourir”… et cette joie de vivre je l’ai conservée jusqu’à ce jour peut-être à cause de Cuba, du fait que l’on ne fait pas la révolution à mi-temps, comme le deuxième homme que j’ai aimé et qui m’entraînait dans le “travail sans jamais s’arrêter”, “compagne de lutte et d’idéal”, l’égalité dans le combat pour tous. Et je le referais si j’avais à le refaire sans hésitation. Comment vous expliquer tout ça c’est si incompréhensible, peut-être… (note de Danielle Bleitrach histoireetsociete)

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus. 

“Michèle n’admettait pas que l’on ne vécût pas ce que l’on pensait”, écrit François Maspero, qui poursuit: “Elle vivait totalement ce qu’elle avait choisi de faire. Elle l’avait choisi librement. Michèle a toujours tenu à n’être l’ “agent” de personne, à ce que personne d’autre qu’elle ne décide de la justesse de son choix et de ses actes politiques. Mais ce choix fait, elle s’y donnait entière.

(…)

Michèle apportait dans ses actions politiques une clarté et un entêtement souriant qui passaient au-dessus de toutes les manoeuvres et de toutes les arrière-pensées.

(…)

Michèle a répété, a écrit, qu’elle aimait la vie, et qu’elle n’entendait nullement se “sacrifier”.

Son choix a été raisonné et mûrement pesé.

Elle était à l’âge où déjà maints de ses camarades des luttes passées avaient repris des voies plus “sages”.

Elle avait assumé assez de responsabilités pour connaître toutes les désillusions de l’action politique, son éternel recommencement, ses réveils dans la compromission et la trahison.

(…)

Pour ceux qui ont connu Michèle et qui ont travaillé avec elle, leur vie se partagera désormais en deux époques: avant et après sa mort.

Ceux de sa génération ont passé l’âge des engagements juvéniles.

Michèle ne doit pas demeurer seulement pour eux comme le souvenir d’une jeunesse plus ou moins généreuse et terminée, mais comme le rappel que les “prises de positions” les plus justes sont de bien pauvres alibis qui ne peuvent remplacer une action concrète, même imparfaite. “

Un témoignage que confirme cet extrait d’un texte que Michèle Firk écrivit en 1967, au retour de son premier voyage au Guatémala:

“Je n’ai jamais pu me faire à la vie militante telle qu’elle est conçue en France: on va un soir à la réunion de cellule, le lendemain soir au cinéma.

On va à la manif en sortant du boulot, et les grands soirs, on arrivera en retard pour le diner. Les meilleurs, les plus agressifs, sont ceux qui montrent le poing devant l’ambassade américaine ou crient les slogans les plus “durs”…

Déjà, pendant la guerre d’Algérie, j’avais été surprise par ces révolutionnaires prêts à s’engager, à offrir une aide à leurs “frères” algériens, sauf pendant les vacances, évidemment.

La conception la plus généralisée, c’est d’intégrer la révolution dans son emploi du temps, mais il est rare qu’on aille jusqu’à bouleverser son emploi du temps pour la révolution.

Alors, encore moins sa vie…

Michèle Firk naquit en 1937.

Elle s’inscrivit à 19 ans au Parti Communiste Français.

Elle mène très vite de front une activité intense de militantisme politique, notamment en participant aux réseaux de soutien du FLN en France durant la guerre d’Algérie, où elle joua un rôle important, et une activité d’animatrice culturelle — après avoir fait l’IDHEC, elle anime le Ciné-Club Action, collabore à la revue Positif dont elle est membre du comité de rédaction, à Cinéma 58, 59…


En 1962, elle prépare et publie un numéro spécial de Positif sur le cinéma cubain ; en 1963, invitée par l’iCAlC, l’Institut du Cinéma, elle part à Cuba où elle va rester presque un an. Elle ne se borne pas à rester à La Havane, mais parcourt l’île entière, travaille en Oriente à la récolte du café, revient persuadée de la justesse de la « ligne cubaine ».


Elle retourne à Cuba en 1965, pour encore plusieurs mois ; elle y travaille à un film de montage sur la révolution cubaine. Parallèlement elle collabore au travail militant de la Voie Communiste. Dès son second retour elle milite en France à propos de Saint-Domingue, du Vietnam. Mais elle a pris contact avec les militants des FAR, Forces Armées Révolutionnaires guatémaltèques, et, d’accord avec César Montés, elle part pour un premier voyage au Guatemala entre mai et septembre 1967.

Dès son retour, elle pense à son prochain voyage là-bas, voyage qu’elle sait déjà probablement définitif. Elle quitte Paris en mai 1968, après avoir eu le temps de voir les premières barricades au Quartier Latin.


En août 1968, les journaux signalent qu’un commando guérillero des FAR a exécuté l’ambassadeur américain au Guatemala.

Début septembre, les journaux annoncent qu’une jeune Française au nom imprécis s’est suicidée pour ne pas répondre aux enquêteurs venus l’interroger sur sa participation à l’attentat contre l’ambassadeur.

Des démarches effectuées par la famille de Michèle Firk, du voyage que fit sa sœur à Cludad Guatemala, Il semble ressortir que la version officielle est vraisemblable : Michèle Firk, semble-t-il, s’est bien tiré une balle dans la bouche pour échapper au sort classique des militants révolutionnaires faits prisonniers.
(…)

Michèle Firk est enterrée dans un petit cimetière populaire de Ciudad-Guatemaia.

Sur sa tombe il y a une simple pierre, avec son nom.

Elle restera, pour tous ceux qui l’ont connue, l’exemple même de la militante révolutionnaire totale, qui avait choisi délibérément une voie, la plus dangereuse, l’endroit le plus périlleux, et qui est morte en connaissance de cause, heureuse — elle l’écrivit peu avant sa mort — d’avoir pu vivre pleinement en conformité avec les exigences de ses idées.

Cette courte biographie,, ainsi que le témoignage de François Maspero cité en ouverture de ce billet, et le passage tiré d’une lettre de Michèle Firk, sont extraits  du livre “Michèle Firk . Ecrits réunis par ses camarades “, publié en 1969 par Eric Losfeld.

Illustration 1

Dans ce recueil, on trouvera, notamment, la  lettre laissée par Michèle Firk, “au cas où”, avant son départ pour le Guatemala:

« Chers camarades,

Je vous laisse cette lettre car, si j’avais omis d’y penser moi-même, « l’affaire Debray » est là qui nous enseigne à quel point il faut être vigilant lorsque l’on décide de s’engager entièrement et jusqu’au bout dans la lutte anti-impérialiste.

Quand les faits sont trop précis, la bourgeoisie s’efforce de dénaturer leur sens afin d’en délimiter la portée et elle amène les idées sur le terrain où elle peut le mieux les pourfendre – le plus loin possible de la politique.

L’extrême-droite a fait de Régis un « traître » à sa classe, à sa patrie. La grande bourgeoisie, bien plus intelligente, s’est contentée, patelinement, de le réduire aux dimensions d’un jeune homme rêveur, généreux, quichottesque, chiristique, un peu toqué peut-être, en bref récupérable demain, même si on doit le surveiller d’un peu près.

Rien de tel ne me guette, je représente tout ce qui fait horreur : un terrain mouvant, l’insécurité, l’instabilité, « l’asociabilité ».

Il n’en sera que plus facile de me condamner au nom d’un goût suspect pour « les aventures » et le « Tiers Monde » et de faire oublier qu’il s’agit avant tout d’un combat politique.

Rien n’est plus important que le combat contre l’ennemi impérialiste, parce que nous sommes tous menacés, cernés et que nous ne pouvons pas ne pas choisir.

Il n’est pas honteux, au contraire, de faire de la lutte révolutionnaire l’axe de sa vie, autour duquel tout le reste ne sera qu’accessoire. 

Ce qui est honteux, c’est de converser du Vietnam, les doigts de pied dans le sable, sans rien changer à sa vie, de parler des guérillas en Amérique latine comme du tour de chant de Johnny Hallyday.

Ce qui est honteux, c’est d’être « informé objectivement », c’est-à-dire de loin, sans jamais prendre part.

Nous sommes des citoyens du monde et le monde est vaste : ici ou là, peu importe.

Il n’est point de fatalisme géographique.

 Mes moyens sont limités et faibles.

Cependant, je les ai mis tout entiers dans le combat, et je refuse à quiconque le droit de me voler les idées au nom desquelles je me battrai jusqu’à la mort, celles du « Che », de Fidel, du peuple vietnamien.

Dans la lutte contre l’impérialisme américain, tous les champs de bataille sont glorieux.

Pourtant la gloire est bien ce qui nous est le plus indifférent.

Chers camarades, ne permettez pas que l’on fasse de moi autre chose que ce que je suis et ce que je veux être : une combattante révolutionnaire.

Comme dit le « Che », « jusqu’à la victoire toujours ! ».

17 mai 1967. Michèle Firk. »

Ainsi que ces lettres, qui témoignent de la férocité de la répression au Guatémala, et de son opinion sur les événements de mai 1968:

Illustration 2
Illustration 3
Illustration 4
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Illustration 6
Illustration 7

Sur la vie de Michèle Firk, et notamment les circonstances précises de sa mort:

Illustration 8

Un billet de blog consacré à Michèle Firk:

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