Nous avons avec cet interview d’Emmanuel Todd, une caricature de ce que le débat politique est devenu en France. Ce que dit Emmanuel Todd mérite au moins d’être entendu. En gros, c’est parce que la Russie est en position de force sur le terrain que cet épisode intervient. Poutine sait depuis longtemps qu’il va devoir faire face à ce que mettent en place les Etats-Unis et l’OTAN, mais il a tout fait pour l’éviter et pour limiter les engagements. Et l’appel à Wagner fait partie de cet engagement limité pour éviter la guerre et rester dans l’opération spéciale. Sur ce point, il a raison et tous les délirants anti-Poutine de gauche et au sein du PCF n’ont pas compris ou on feint de ne pas comprendre que Poutine avait été contraint et forcé d’agir et avait toujours tenté de limiter la portée de l’opération. Ils ont préféré un narratif de guignol avec un “méchant” à l’article de la mort, terré dans sa cachette pour faire le mal inscrit dans sa nature russe perverse. Notez à quel point ce journaliste en est devenu totalement idiot, incapable d’entendre ce qu’on lui dit. Il est occupé à gorger son public de ses stéréotypes, ceux d’un terrible consensus qui domine la société française et qui conduit à la guerre et au fascisme avec hélas là une évidence incontournable. Au moins Marianne et moi, et quelques intervenants dans ce blog nous tentons jour après jour depuis près d’une décennie de briser ce consensus mortifère et nous le faisons en général en reprenant les positions du KPRF, et en les confrontant à d’autres informations, venues d’autres pays, en particulier des USA. Ziouganov tient un certain cap sans aventurisme ni soumission, comme d’ailleurs la Chine dont il est proche. Voilà en gros ce que nous pensons de la crise solutionnée mais aussi de ses prolongements :
illustration: artstreet dans le Donbass (“les héros d’hier et ceux d’aujourd’hui”)
Le KPRF et Ziouganov, comme l’immense majorité du peuple russe fait bloc derrière son armée parce que depuis des années, bien avant l’opération spéciale, les USA, l’OTAN, les communistes russes ont un leitmotiv, ils analysent la manière dont l’impérialisme veut agir contre la fédération de Russie comme ils ont agi face à l’URSS et face à l’Ukraine. Poutine a longtemps espéré être admis au sein des pays impérialistes, mais il a été repoussé et grugé y compris par l’Allemagne de Merkel avec qui il croyait avoir un terrain d’entente. Les communistes russes que personne surtout pas les communistes français, la gauche, déclarent qu’ils en ont assez d’affronter pour l’Europe ingrate les nazis et tous les périls, avec la guerre contre le Donbass et le sud de l’Ukraine, fomentée par l’occident, les USA mais aussi avec la complicité de la France, de la Pologne et de l’Allemagne, il y a eu 15000 morts, des populations civiles attaquées, depuis des années ils organisent des convois d’aide dans le Donbass, où les chefs communistes sont systématiquement exécutés par des attentats suspects d’unir l’OTAN, les nazis ukrainiens et quelques nationalistes locaux. Les communistes parlent d’une “cinquième colonne” qui organise même à l’intérieur de la Russie des cellules dormantes fascistes et qui ont des complices dans le parti au pouvoir. Ils en appellent au réveil des peuples européens en particulier. Qui a jamais publié leur appel sinon quelques individus censurés comme nous ? est-ce qu’il ne méritait pas débat autant sinon plus que toutes les stupidités qui sont déversées tous les jours sur nos ondes, dans notre presse et que contredisent les FAITS, comme ce que nous avons vécu en matière d’intervention impérialiste depuis plus de cinquante ans ?
Donc l’adhésion à la résistance face à cette agression qui crée dans toute l’Europe la guerre civile et voudrait la porter en Russie nécessite selon les Russes une mobilisation populaire avec une tout autre politique que celle d’un pouvoir capitaliste comme celui de la Russie. Donc le soutien n’empêche pas Ziouganov de dire aussi ce qui le différencie du parti au pouvoir et de sa cinquème colonne d’oligarques. le parti communiste russe au contraire ne cesse de mettre en garde “le commandant” forcé malgré lui d’affronter l’OTAN et d’affirmer qu’il ne pourra pas éviter cet affrontement. Ziouganov tout en soutenant l’opération ne cesse d’affirmer qu’il faut passer à l’offensive et que la seule protection face à l’oTAN dépend des peuples russes et ukrainiens dans leur aspiration au socialisme.
Marianne et moi avons soutenu ce point de vue et face à toutes les interprétations de ces dernières 24 heures, nous avons également refusé de considérer qu’il s’agissait d’un événement sans importance (certains allant même jusqu’à inventer une manœuvre concertée entre le chef rebelle de Wagner et Poutine) mais sans pour autant rentrer dans les délires occidentaux qui prennent leurs rêves pour des réalités y compris dans les pro-Otan de la gauche et du PCF. Nous sommes confrontées, comme le malheureux Emmanuel Todd dans cet interview, à une incapacité à penser une situation complexe.
Donc nous ne sommes pas d’accord avec tout ce que dit Todd mais il met l’accent sur un fait très important et qui commence à venir à la conscience des gens qui ont un minimum de sens politique. Derrière Poutine, il y a comme dans la plupart des nations et pays, une situation qui murit et dont a parfaitement conscience la Chine. Poutine est un conservateur patriote mais un conservateur, qui n’a pas pu s’empêcher dans son discours d’égratigner les communistes russes en comparant la situation à la manière dont les bolchéviques avaient poignardé le tsar dans la guerre. Il l’avait d’ailleurs fait en inaugurant l’opération spéciale en dénonçant le rôle de Lénine dans la création de l’Ukraine.
Est-ce un message envoyé à l’occident ?
Ce que la Chine dit mérite d’être pris en considération à savoir que c’est une affaire interne de la Russie, dans laquelle Poutine prouve ses capacités à empêcher la guerre civile et à organiser la victoire sur le terrain ukrainien. Mais il est évident que si cette rébellion matée en 24 heures est plutôt la preuve de la capacité de Poutine à mettre sous contrôle, rien n’est terminé. Pas plus d’ailleurs en Russie qu’aux Etats-Unis ou dans toute l’Europe. Pourtant, au vu de la déstabilisation générale d’une telle situation cela va peut-être aider à accélérer la négociation.
Ziouganov a une pensée assez proche des dirigeants chinois alors que l’analyse d’Emmanuel Todd reste marquée par une méfiance à l’égard de la Chine et un certain souverainisme. Cela dit il est incontestablement plus apte à comprendre que dans cette affaire Poutine se place en garant de la stabilité de la Russie et en fait la démonstration, ce que perçoit le monde dont c’est loin d’être le problème principal. Nous analysons par ailleurs la question de la dé-dollarisation qui est encore plus au cœur des bouleversements géopolitiques. Poutine y est confronté comme d’autres à cause des sanctions, du coût de sa défense comme l’ensemble de la planète, et en particulier les pays du sud. Dans le même temps comme la plupart des forces conservatrices souverainistes, il se présente en ultime rempart contre la révolte des peuples qui se trame sous le passage au multipolaire provoqué par l’incapacité des Etats-Unis à assurer la stabilité ne serait-ce que par ce qu’est devenu le dollar, leur hégémonie militaire.
Malheureusement je pense que l’état de la société française, de ses forces de gauche et du PCF est arrivé à un tel état d’asphyxie intellectuelle dont témoigne ce journaliste incapable d’entendre ce qu’on lui dit, ne laissant même pas parler son interlocuteur en brouillant ses propos de remarques imbéciles.
Je suis partagée entre l’idée que l’on ne peut pas déserter et tenter d’apporter des faits et des éléments de réflexion à notre malheureux peuple français et l’envie de tout lâcher tant on ne peut qu’avoir conscience de l’inutilité d’une telle démarche menée à notre niveau, chaque jour, nous continuons en nous demandant jusqu’à quand, mais ne comptez pas sur nous pour flatter en quoi que ce soit l’irresponsabilité générale dans un mépris du travail accompli dans ce blog depuis maintenant une décennie.
Danielle Bleitrach
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Franck Marsal
Cette interview est intéressante à plus d’un titre.
1. Le réel et le viruel : le décodage permanent qu’Emmanuel Todd effecttue des positions, des rapports de forces réels et des faux discours est salutaire. En filigrane apparaît l’idée de la faiblesse généralisée : lse Russes sont faibles, mais sont conscients de leur faiblesses, les américains bluffent avec une paire de deux et se prennent à leurs propres mensonges. Le ressort de cette traduction du virtuel au réel, comme toujours avec Todd, c’est la démographie. La Russie n’est pas en bonne santé démographique, mais elle a conservé un système de formation hérité de l’URSS qui lui permet de former de bons ingénieurs en plus grand nombre que les états-uniens, nous avions déjà noté ce raisonnement sur ce blog.
2. “L’Europe n’existe pas. Il y a des pays européens”. Cette phrase est fondamentale et doit être placée en exergue de toute réflexion sur l’avenir de l’UE. Et non seulement, nous dit Todd l’UE n’existe plus que comme un apendice de l’OTAN, mais en plus, toute l’initiative a basculé : ‘l’union libre franco-allemande” est paralysée et au garde à vous d’un axe Kiev – Varsovie – Londres – Washington qui mène la danse de la guerre. L’axe qui domine l’UE est donc composé d’un adhérent de l’Union, la Pologne, qui il y a peu était quasiment placé au piquet et par 3 pays qui n’en sont pas membres.
3. L’analyse de la situation de la Russie apporte aussi de nombreux éclairages intéressants, je ne développe pas.
Ce qui manque cruellement, mais c’est normal, c’est une analyse en termes de lutte de classes des acteurs en jeu.
Si l’on commence par la Russie, je pense que la “mutinerie” quelqu’en soit le contenu réel, dont on ne sait réellement pas grand chose, révèle une nouvelle phase de la vie politique russe. Il faut toujours se rappeler que Poutine a pris le pouvoir dans l’effondrement de la phase de liquidation elsinienne, dans une double promesse de restauration de l’unité nationale, donc mise sous le boisseau d’un certain nombre de divergences politiques, et d’une stabilisation : on stoppe le mouvement de liquidation de l’état, mais on ne le remet pas fondamentalement en cause non plus. On garde une économie de marché, mais on garde les ressources stratégiques et le pilotage de l’économie sous le contrôle de l’état. (remarque en passant : de ce point de vue, la société russe est en “avance” sur la France qui elle, continue à liquider son propre état économique et social et se laisse dicter sa politique par les marchés et l’oligarchie).
La guerre dissout tous les vernis et la crise Wagner a dissout l’image de Pouine unificateur. Même si la crise a – semble-t-il – été réglée pacifiquement, elle indique que les conflits de classe ne peuvent plus être contenus comme par le passé.
Prigojine , avec sa culture de mercenaire, a tenté d’exploiter un filon populiste grossier, le peuple et les soldats contre les gradés et les planqués. Cela n’a pas marché. Autre chose est en jeu. Prigojine est apparu comme un traître et quelqu’un qui jouait des intérêts personnels. A mon sens, ceci est la principale question : le peuple russe est en plein effort de guerre. La question n’est pas de savoir si les généraux sont compétents, mais de chercher ceux qui dans la guerre, jouent leur intérêt personnel au détriment de l’effort collectif.
Ce qui ressort, de manière symptomatique, dans beaucoup de commentaires, c’est la comparaison Poutine – Staline. Implicitement, cette comparaison reflète la question fondamentale de classe qui traverse la société russe : celle de l’Union Soviétique. Nous avions noté qu’au début de l’opération militaire, fleurissaient les drapeaux soviétique, en particulier, le drapeau de la victoire. Il me semble que ces drapeaux ont disparu, et mon opinion est que cette disparition n’est pas spontanée. Pourquoi ? Je pense que consigne a été donnée en ce sens. Autoriser et assumer la référence à l’Union Soviétique et à la guerre patriotique, c’est rouvrir la question de l’Union Soviétique et la question de savoir si le socialisme est une organisation qui permet mieux de soutenir l’effort de guerre national que le capitalisme. Cela, le pouvoir russe le craint, car cela briserait le consensus sur lequel il est lui-même établi.
A mon sens, le discours de Poutine et son choix de se référer de manière plutôt étonnante et emberlificotée (il est quand même connu que la cause de la révolution vient dans l’échec du régime tsariste à conduire la guerre qu’il avait largement contribué à déclencher, et que la révolution contribue au redressement d’une Russie en proie à l’effondrement et non l’inverse) à la 1ère guerre mondiale va dans ce sens. Poutine désigne Prigojine comme un traître, mais porte de facto un argument qui est plutôtt adressé contre les communistes, en reprochant à la révolution de 1917 d’avoir affaibli le pays.
J’en déduis, tout en étant conscient que c’est seulement une hypothèse, que ce qui préoccupe aujourd’hui Poutine, ce n’est pas les populistes à la Prigojine, mais la montée de l’influence des idées communistes, la montée de la référence à l’Union Soviétique et la progression du KPRF en particulier.
Or, la rébellion produit de ce point de vue un effet désastreux pour Poutine. Certes, il a réussi à faire rentrer les choses dans l’ordre sans effusion de sang. Mais, le tabou de l’unitté nationale derrière le “commandant suprême” a été brisée par son propre camp, par quelqu’un dont on ne savait pas exactement pour qui il ravaillait, mais dont on laissait entendre que, d’une certaine manière, il était l’exécuteur des basses oeuvres du grand chef. Grand chef dont on supposait qu’il avait deux coups d’avance sur tout le monde ce qui permettait toujours d’expliquer l’inexplicable.
C’est tout cela que Prigojine a fait voler en éclat. Les questions politiques et les questions de classes vont resurgir avec une nouvelle acuité, ce qui mènera inévitablement à un durcissement politique afin de les remettre sous le boisseau. Mais il n’est pas sûr que cela réussisse.
Dernier point : les responsables OTANiens de diverses nationalités qui se sont frottés les mains de voir Poutine affaibli devraient déchanter rapidement. Ils n’ont pas intérêt non plus à voir les questions de classes s’ouvrir au grand jour. Il n’ont pas intérêt de voir les drapeaux rouges flotter sur les chars russes. Car la question de classe commence lentement à bouillir des deux côtés du front, tant sur l’avant que sur l’arrière.
Bernard Malfon
Je viens de regarder le dernier Michel Collon qui présente des livres pour les vacances et Michel Collon en présentant son livre “la gauche et la guerre” a déclaré que les dirigeants du PCF tentaient d’empêcher les débats qu’il organise dans le midi de la France. Mais comment osent-ils ? Je suis écoeuré que les dirigeants de mon parti se comportent comme des agents de la réaction ?