Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Écritures alternatives et espace de l’Utopie à Marseille par Danielle Bleitrach

Vous faire partager un bonheur n’est pas si fréquent parce que l’on a enfin le sentiment de ne pas avoir vécu pour rien, un écho de vos luttes, de vos efforts d’une vie, vous est offert par une nouvelle génération et cet écho du temps où vous enseigniez une manière d’aborder le monde à vos étudiants, toujours à l’œuvre pour vous, et qui vous donne si souvent un sentiment de solitude a le mérite d’ouvrir un espace de l’utopie dans lequel la fiction fait du passé de chacun l’avenir de tous, une totalité qui cherche à se recomposer…

Hier j’ai bénéficié de ce que l’on trouve actuellement à Marseille et qui mériterait encore plus d’audience. C’est un rendez-vous annuel qui a lieu dans l’espace magique du Mucen. Focus est une manifestation où chercheurs et professionnels de l’économie créative se rencontrent pour réfléchir, échanger et nouer de nouvelles collaborations afin de développer les nouvelles formes de narration en sciences humaines et sociales.

Ce salon propose de questionner l’écriture de la recherche pour y intégrer d’autres formes comme le cinéma, le son, le spectacle vivant ou toute autre forme d’écriture. Dans le fond il s’agit là de quelque chose à quoi en lui donnant une finalité politique, celle d’une intervention qui ne se contente pas de voir, d’entendre l’herbe qui pousse mais qui prétend agir avec ceux qui font l’histoire,

Moi, un Noir Jean Rouch

Cette année le cinéma est placé sous le parrainage de Jean Rouch ce qui n’est pas rien. Jean Rouch pour ceux qui l’ignorerait c’est celui qui va consacrer la rencontre entre une ethnologie différente, anti-coloniale et le cinéma. Moi, un Noir est avant tout basé sur la découverte d’un personnage, celui de quelqu’un qui est un ami de Rouch. Recruté comme enquêteur alors que Rouch étudiait les migrations nigériennes à Abidjan, Oumarou Ganda a entraîné Rouch dans tous les recoins de la ville, avec la caméra comme passeport pour que chacun se raconte, une petite caméra 16 mm Kodachrome (très légère) armée d’un rétroviseur qui permettait de changer d’angle ou d’attendre que quelque chose se passe. Au montage, il agrandissait en 35 mm. Donc le cinéma mais pas n’importe quel cinéma : Dziga Vertov et Robert Flaherty, auquel il faut ajouter J.L.Godard, quand c’est la fiction qui révèle le vrai documentaire. Jean Rouch est l’un des pères fondateurs du cinéma-vérité. Il est une source d’inspiration et une constante référence pour les réalisateurs de la Nouvelle Vague. Président de la Cinémathèque française pendant cinq ans (entre 1986 et 1991), il est en 1993, à Berlin, lauréat du prix international de la paix, pour son film Madame l’eau, engagé dans la paix et dans toutes les aventures du cinéma comme art de masse et internationalisme, on retrouve encore pêle-mêle Leroi Gourhan, de la préhistoire au tiers-mondisme. Un admirateur de Rouch, Jean-Luc Godard, pose cette question : « Jean Rouch n’a pas volé son titre de carte de visite : chargé de recherche au Musée de l’homme. Existe-t-il une plus belle définition du cinéaste ? ». Oui la vie nous fut bien un rendez-vous de juillet en préparation d’une expédition pour des tropiques où nous rencontrions des révolutions. Je ne savais pas que tout ce temps-là ressurgirait pour saluer ce qui est en train de naitre.

Je vais d’ailleurs y aller ce dimanche à la rencontre d’auteurs de films dont j’ignore tout et j’espère pouvoir vous en parler comme je vais tenter en quelque mot d’esquisser le bonheur éprouvé à la rencontre que j’ai eu avec ces chercheurs et artistes qui ont décidé de collaborer dans la construction d’une écriture alternative et leur échange passionnant avec Youness Atbane, Bénédicte Barillé, Sophie Bava, Julie Chenot, Cédric Parizot et Marion Slitine, un débat animé avec beaucoup de sincerité par Rémi Baille.

J’étais invitée par une ancienne étudiante devenue à son tour enseignante-chercheuse et qui présentait un étonnant livre-objet en relation avec les migrations. Sophie Bava, c’est avec elle et le petit groupe d’étudiants que nous avons inauguré notre premier terrain au Sénégal. Ce fut une aventure dans laquelle nous avons affronté ce qui était aussi discuté dans ce débat : comment des couples, voire plus si affinités se constituent à travers la recherche, tentent de construire un en-deça des institutions et des stéréotypes, une compréhension mutuelle à travers la découverte d’un pays, d’un autre monde, de paysages inconnus.

Avec Sophie et cinq autres étudiants de maîtrise, nous sommes parties au Sénégal, chacun ayant déterminé un terrain d’étude autour de l’urbain comme creuset de la modernité. Avec Sophie, il s’agissait des formes autochtones de la religion et des migrations. Nous avons étudié la Mecque d’une confrérie sénégalaise, les Mourides, dans leur ville sainte de Touba. Ce n’était pas seulement la référence à Jean Rouch et à Moi, un Noir, mais c’était du Chester Himes. Touba vit non plus seulement de l’arachide mais de ses immigrés qui ont longtemps hanté nos plages harnachés de tout un étal de montres, de lunettes de soleil et autres produits, il faudrait des pages et des pages pour vous décrire la rencontre avec ces univers.

Avec ces étudiants nous partagions des conditions précaires de logement, des expéditions en taxi-brousse, je faisais la cuisine pendant que les étudiants revoyaient leurs notes et travaillaient leurs mémoires. Mais j’exigeais qu’ils me disent Vous et Madame, parce que je suis condamnée à vous juger à la fin, j’ai la mission de vous voir finir votre mémoire, leur disais-je.

imaginez avec quelle passion j’ai écouté son expérience actuelle, cette fois avec les chrétiens charismatiques venus d’Afrique noire installés au Maroc en attendant de traverser la méditerranée. Il y avait en filigrane ce samedi 17 juin 2023, ce bateau qui avait coulé en Grèce. Sophie nous a présenté un livre, une sorte de bible intitulée en référence à l’exode et au passage dans un bateau de fortune : “Dieu va ouvrir la mer” … Tout avait débuté par une commande pour une exposition du CNRS, ramener les objets que les migrants emportent dans leur traversée, ce qu’ils considèrent comme l’essentiel. Elle n’a pas voulu ni même osé les dépouiller de cet essentiel. Mais en revanche “Dieu va ouvrir la mer” est le fruit d’un compagnonnage et de terrains partagés entre un photographe et deux chercheurs anthropologues, Malik Nejmi, Sophie Bava (Institut de recherche pour le développement) & Bernard Coyault (EHESS – Institut des mondes africains). Ce projet s’initie au Maroc en 2016 autour des objets de la mobilité, objet religieux et objets de protection que les migrants portent et transportent avec eux, liens ultimes et spirituels avec leurs aînés (1).

dieu va ouvrir la mer

J’ai retrouvé Sophie, toujours aussi mécréante, comme moi, enfant d’une famille prolétaire communiste, mais ce que j’ai fait à cette époque là, au Sénégal, au Bénin, puis au Mexique, je l’ai poursuivi récemment avec Marianne en Crimée, sur les routes d’Ukraine, en Moldavie, à Kazan… et je n’ai jamais vécu dans un pays sans mettre en œuvre cette immersion totale dans l’univers de l’autre, même durant mon récent voyage en Grèce. J’ai rencontré Cuba dans nos combats communs mais aussi en m’identifiant aux Cubains, sans exemplarité à la recherche des contradictions humaines, dans la cocasserie de la créativité populaire dans sa survie éperdue… parce qu’à cette époque-là, celle de Jean Rouch être communiste c’était conciliable avec cette anthropologie. Cela correspondait assez bien avec ce que tentait Aragon en nous faisant connaitre la littérature d’Asie centrale, et quelqu’un comme Sadoul et d’autres le cinéma de la planète en refusant l’exotisme.

Retrouver mes étudiants avec qui nous avons conçu l’apprentissage du métier de sociologue comme une aventure humaniste et politique est toujours une de mes plus grande joie, le sentiment d’une réussite, d’un cadeau de la vie qui se poursuit toujours. Mais là il y a eu une autre découvrte inespérée. C’est un “couple” dont on ignore le sens de ce terme au-delà de la recherche, elle Marion Slitine arrivait de Palestine où elle avit travaillé sur les expériences artistiques trés politique palestinienne et elle arrive au Maroc où le milieu est totalement différent, comment se disent les mêmes revendications, comment le corps parle le refus de la colonisation ou plutôt de l’impérialisme “décolonisateur” et là intervient Youness Atbane qui gaucher contrarié (parce être gaucher est le signe du diable) on prétend le transformer dans une répression collective de la famille supertitieuse et si on réussit à “coloniser” sa main, on laisse ses jambes en état avec une douleur du bras que seule la danse attenue. Cela nous vaut une exhibition de ce que la danse peut.

Horierontalisme par Youness Atbane

Youness ATBANE a connu un trés grand succès avec son exposition Horierontalisme qui soulève la question de ce que pourrait être « une identité arabe contemporaine ». Quatre personnages – un jeune artiste-plasticien arabe, un commissaire d’expositions arabe, un directeur de musée d’art contemporain occidental et un poète arabo-andalou du VIIe siècle – discutent, polémiquent et s’affrontent quant à qui détient la légitimité de définir cette identité dans le cadre d’une exposition qu’ils sont censés organiser ensemble.
Aujourd’hui dans la rencontre avec Marion s’est dessiné un projet présenté avec le sérieux et la gravité d’une telle ambition : récit extraordinaire. l’Afrique, le Maroc en sa personne vont avoir un pavillon d’exposition à la biennale de Venise de 2048, enfin la reconnaissance de l’apport culturel, intellectuel de l’Afrique, mais ce sera un pavillon flottant dont il projette le dessin sur un écran, une esquisse, qui dit la marginalité et pourtant l’adaptation : tant mieux s’il flotte parce que Venise aura alors disparu sous les eaux. Tout à fait pince sans rire, sérieux comme celui qui cherche à se faire accepter pour mieux tel les Marx brother détruire les codes ; il construit la fiction comme un futur dans lequel il proclame le changement du monde et décrit comment les artistes dans ce monument flottant dénonceront les idéologies “post-coloniales”. Car voilà l’adversaire le “post-colonialisme”, l’identité momifiée, concédée… Les temps sont venus du grand bouleversement…

Ce qu’il disait correspondait tellement à ce que je perçois de la réalité de ce monde en train de disparaître et Venise n’est pas rien dans la naissance du capitalisme sous une forme encore archaïque, le moment du fascisme, et le sud en train de naviguer sur ces terres englouties pour en changer le destin, que je me sentais libérée du poids si fréquent de la solitude. Nous avons ri lui et moi, en nous disant que ceux qui s’en sortaient le mieux dans la remise en cause de l’espace post-colonial inventé par les occidentaux, c’étaient les Chinois qui finissaient par pratiquer l’occidentalisme comme nous on pratiquait l’orientalisme: “nobles étrangers, vous nous les cassez menu, j’ai beau savoir que vous êtes irrémédiablement méchants, egocentriques, paranoïaques, trop c’est trop… ” nous disent les Chinois en tentant de tolérer nos “particularisme cuturels”…

Horierontalisme par Youness Atbane

Le débat avait dépassé le temps prévu, je suis intervenue sur la relation entre institutions – qui paraissent être un obstacle à la compréhension de ce qui est en train de naître- mais comment il fallait aussi ne pas renoncer à ce qu’elles portent de collectif comme dans ma relation pédagogique ou la mise en place de ces ateliers ou de ces journées. Cette intgration de l’art dans la sociologie, l’ethnologie c’était l’ouverture de l’espace de l’utopie dans un monde qui a basculé dans l’inconnu, une respiration enfin quand l’on étouffe. Ce terme d’utopie qui n’avait pas été prononcé jusqu’ici a servi de conclusion. Je leur ai demandé à tous de nous communiquer leurs travaux. Je suis repartie sous le soleil marseillais en me disant que j’avais une chance inouïe de pouvoir à mon âge avancé poursuivre ce qui avait été la richesse d’une vie et si j’ai un conseil à vous donner ne renoncez jamais.

Danielle Bleitrach

(1) livre et exposition autour du livre peuvent être vus à Paris du 18 mai 2023 au 30 juin 2023 de 10 h 00 à 19 h 00 à l’ Humathèque Condorcet 10 cours des Humanités (Forum) Cette installation et l’ouvrage qui l’accompagne représentent une plongée inédite dans le quotidien des “Églises de maison” fondées par les migrants chrétiens originaires d’Afrique Subsaharienne dans des appartements des quartiers périphériques de Rabat. Tout en privilégiant les témoignages et la parole des acteurs concernés, il restitue une expérience d’observation et esquisse, à partir de ce contexte marocain, une analyse des mouvements migratoires africains contemporains ainsi que des reconfigurations socio-religieuses et théologiques du christianisme sur le continent.

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