Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Jean Claude Delaunay: le dollar encore et la “monnaie commune”…

L’opinion exprimée par Anna Sedova paraît raisonnable. Une conclusion de ce genre avait déjà été exprimée en 2016, par Aglietta et alii, dans La Monnaie Entre Dettes et Souveraineté, chapitre 8 et suivants. Le dollar perdra progressivement son statut de monnaie hégémonique, ou monnaie mondiale, pour devenir une monnaie internationale, portée par l’économie des Etats-Unis et de ses satellites. Mais cela ne va pas se faire en cinq minutes. Aujourd’hui, comme le rappelle Sedova, le dollar US représente encore 58% des encaisses des banques centrales (statistiques du FMI), et ce n’est pas seulement une monnaie de paiement, c’est aussi une monnaie de facturation. Natura non fecit saltum. En réalité si, la nature fait des sauts, mais ils sont longuement préparés. Je ne partage pas du tout le sous-bassement idéaliste et la structure profondément réformiste des conceptions relatives à l’essence et à la pratique de la monnaie, de l’auteur que je viens de citer (Aglietta). Je crois cependant que c’est une des lectures que des économistes marxistes doivent faire, ainsi que celle d’autres auteurs, comme André Orléan ou Bruno Théret, non pas pour les copier, car ils sont animés par leur propre logique conceptuelle, mais pour stimuler notre réflexion et peut-être, prolonger ce qui a été écrit par Marx sur la monnaie. Aussi respectables qu’aient été les travaux de Suzanne de Brunhoff sur la monnaie, ils me paraissent bien insuffisants. Sans développer davantage, je vais avancer trois points.
 
Le premier concerne les monnaies de remplacement du dollar. Pour l’instant, il n’y en a pas. Le RMB, ou yuan chinois, rerésente 2.7% des encaisses des banques centrales, et les dirigeants chinois avancent avec lenteur. Ils expérimentent comme à leur habitude. Quant à l’euro, qui compte pour 20% des réserves de change, il n’est adossé sur rien de solide. La grande bourgeoisie française ainsi que son ectoplasme macronien et tous les socialistes qui vont avec, aimeraient que l’Union européenne devint une “puissance”. Ce n’est pour l’instant qu’une machine à surexploiter les populations et un ramassis de contradictions entre les bourgeoisies composantes. Ce n’est certainement pas une puissance sur laquelle l’euro pourrait prendre appui pour rivaliser avec le dollar US. Ceux qui auraient cette idée en tête se doivent de l’abandonner.

Le deuxième point est un point de théorie. Les marxistes, je parle de celles et de ceux qui n’ont pas honte de leurs convictions théoriques, disent que la contradiction la plus importante du mode de production capitaliste est celle qu’engendrent, d’une part, la socialisation croissante de la production et des échanges, et d’autre part, la prise en charge de ce mouvement par des intérêts privés. C’est exactement ce qui se passe avec la monnaie américaine. D’une part, elle est à la pointe de la socialisation. Elle est monnaie mondiale. Mais d’autre part son usage est destiné à servir des intérêts privés, que ce soient les intérêts privés du grand capital monopoliste, ou que ce soient les intérêts privés d’un Etat particulier. De plus, l’Etat américain s’arroge le droit de voler qui il veut quand il veut de la monnaie qu’il a pourtant émise et distribuée, et qui fut reçue en toute confiance, cela va de soi. Le tableau de l’évolution annuelle de la dette américaine illustre ce point. La dette américaine, qui ne sera jamais remboursée, sert à soutenir les faillites financières (à partir d’Obama), ou à financer les guerres (depuis toujours, et ça continue), ou à financer telle ou telle politique, par exemple celle relative au covid 19, mais pour les Etats-Unis seulement.

Le troisième point est que la monnaie mondialement la plus importante de l’avenir ne peut et ne doit pas être la monnaie d’un Etat. Ce doit être une monnaie commune, une monnaie représentative de l’économie des pays rassemblés sous son image et gérée par ces pays pour le developpement de tous et non pour les intérêts de quelques uns et des interêts de quelques uns parmi ces quelques uns. Les Chinois ont diffusé un projet en ce sens. En France, Paul Boccara a émis quelques idées générales sur ce point, notamment dans le chapitre V du deuxième volume de ses Théories sur les Crises (Delga 2015), chapitre dans lequel il ne manque pas de nous rappeler qu’il fut sans doute l’un des premiers, peut-être même le premier, à réfléchir à la solution de ces problèmes. A mon avis, c’est dans la direction de la monnaie commune, et non dans dans celle d’une grande monnaie de remplacement, que l’on devrait avancer. 

Vues : 221

Suite de l'article

4 Commentaires

  • Franck Marsal
    Franck Marsal

    Ces remarques sont très justes. Il faut cependant avoir ceci à l’esprit : la situation que nous avons vécue depuis 50 ans, c’est celle du monopole de la finance occidentale organisée autour du dollar. Le premier changement, déjà en cours n’est pas le remplacement du dollar par le yuan, mais la fin du monopole. C’est à dire que même si le yuan et les autres monnaies alternatives ne rivaliseront pas avant plusieurs années avec le dollar, il existe de plus en plus d’outils monétaires et financiers alternatifs au dollar et au système financier occidental. Donc, le changement en cours, et il a déjà des conséquences géopolitiques primordiales, c’est la perte de la position de monopole de ce système financier.

    En effet, le contrôle financier permettait un contrôle géopolitique sur de nombreux pays, tenus de se soumettre pour éviter de s’effondrer. On connaît le cas du Vénézuela, de la Grêce, de l’Iran …

    La Grêce s’est entièrement soumise. Le Vénézuela et l’Iran ont résisté. La Russie résiste également aujourd’hui. Cuba résiste depuis plus longtemps que tous. L’Iran et le Vénézuela sont sortis de la pire période. Les principales difficultés ont été résolues par ces deux pays, l’industrie iranienne a connu des développement remarquables, dans les domaines énergétiques (maîtrise du raffinage, de l’exploitation gazière …) mais aussi dans des secteurs comme l’automobile, l’acier, les biens de consommation … Le rétablissement des liens avec l’Arabie Saoudite, la stabilisation de l’Irak et de la Syrie, le renforcement du partenariat avec la Russie et la Chine offre un potentiel énorme de développement. Donc, les sanctions économiques ont échoué.

    Le développement de la finance internationale alternative, autour des BRICS, de la BRI … offre à un nombre plus important de pays des alternatives financières là où, jusqu’ici les USA et le FMI régnaient en monopole. Selon une étude récente de la Banque Mondiale, la Chine a procédé ces dernières années à 22 opérations de sauvetage à destination de pays endettés, dont l’Argentine, le Belarus, l’Equateur, l’Egypte, le Laos, la Mongolie, le Pakistan, le Surinam, le Sri Lanka, la Turquie, l’Ukraine, and le Venezuela.

    L’existence d’une alternative change la donne d’emblée. Le principal outil de chantage utilisé par les USA perd dès lors une large partie de sa puissance. L’autre changement, c’est que l’orientation économique proposée par la Chine est axée sur le développement, là où, en général, l’orientation proposée par le FMI est basée sur l’austérité et le néo-libéralisme. Il faudra davantage de recul pour juger si les orientations chinoises apportent un développement supérieur aux plans de restructuration du FMI. On peut déjà néanmoins constater que l’aide chinoise se traduit dans la mise en place d’infrastructures modernes nécessaires à ces pays, ce que l’aide occidentale n’a en général pas apporté.

    Répondre
  • Xuan

    Merci Jean Claude pour ces observations neuves. Je ne suis pas très calé sur les questions monétaires, il me reste juste l’idée que le capital cristallise la marchandise, et que la transformation qu’elle subit lui confère toute sa valeur.

    Je me demande si l’article “Le PIB russe, plus faible que l’Espagne ?” ne permettrait pas de donner une indication sur la fin du monopole monétaire du dollar, parce que si l’UE cumule les contradictions, l’écart aux USA entre la réalité de la production et son image monétaire est insondable.

    Répondre
  • Xuan

    Une monnaie unique serait elle-même l’enjeu d’un âpre combat. Si on remonte aux suites de la crise de 2008, la Chine, la Russie et le Brésil avaient déjà avancé l’idée d’une monnaie commune.
    Idée aussitôt rejetée par Obama. Mais cette monnaie commune n’était encore qu’une hypothèse, reprenant par exemple les DTS.

    en marge du G20 :

    La Chine en faveur d’une monnaie mondiale unique
    PUBLIÉ LE 01/04/2009 À 16:01 | © 2009 XINHUA / CHINE INFORMATIONS

    Au cours de la semaine écoulée, le vice-Premier ministre Wang Qishang, le gouverneur de la banque centrale Zhou Xiaochuan et le ministre des Finances Xie Xuren se sont prononcés pour une réforme du système financier international.

    Pour Zhang Xiaoji, un chercheur du Centre de Recherche et de Développement auprès du Conseil des Affaires d’Etat (le gouvernement), les débats qu’induisent les déclarations des dirigeants chinois prouvent qu’à l’approche du sommet, les prises de position de la Chine ont un effet sensible.

    Le vice-Premier ministre Wang Qishan s’est clairement prononcé pour que les pays en voie de développement soient mieux entendus quand il s’agira de savoir de quelle manière le système financier international doit être régi.

    Sur le site de la banque centrale, Zhou Xiaochuan a publié trois commentaires en faveur de la création d’une monnaie mondiale, pour expliquer le haut taux d’épargne en Chine, et les raisons cachées de la crise financière.

    Dans une interview accordée la semaine dernière à l’agence Xinhua, Le ministre des Finances Xie Xuren a réclamé une réforme de fond en comble du système financier mondial et une diversification des monnaies de réserve.

    Pour Zhang Xiaoji, à constater les réactions qu’elles ont engendrées, toutes ces propositions se sont avérées “réussies et efficaces”.

    Le directeur général du Fonds Monétaire international, Dominique Strauss-Kahn a déclaré que la proposition chinoise de créer une nouvelle monnaie de réserve pour remplacer le dollar était “raisonnable”.

    Le président américain, Barack Obama, le secrétaire au Trésor, Timothy Geithner et le président de la réserve fédérale Ben Bernanke ont rapidement réagi aux articles du gouverneur de la banque centrale chinoise et fait savoir qu’il n’y avait pas besoin d’une nouvelle monnaie de réserve pour remplacer le dollar.

    Selon les analystes, les commentaires chinois ont eu au moins le mérite de mettre le problème de la monnaie de réserve au premier plan.

    “La proposition de la Chine de créer une super-monnaie de réserve peut ne pas être approuvée par l’ensemble des participants au sommet, mais il ne sera pas mauvais d’entendre l’idée discutée lors de cette réunion et cela peut servir de base aux réformes à venir” a déclaré à l’Agence Xinhua, Tao Wenzhao, un chercheur spécialiste des Etats-Unis à l’Académie chinoise des sciences sociales.

    Le président chinois, Hu Jintao, a quitté Beijing mercredi pour Londres où il participera au sommet.

    Avant de partir, il a appelé tous les pays à coordonner leurs actions pour stabiliser le marché financier international “le plus tôt possible”, à varier leurs plans de relance économique et à lutter contre le protectionnisme commercial et financier. Il a aussi insisté pour l’adoption de ce qu’il a appelé ” les réformes nécessaires” du système financier international.

    Répondre
  • Gilleron
    Gilleron

    J’ai, bien entendu, partagé sur Facebook, la contribution de Jean-Claude. Mais si on parle de questions sérieuses et compliquées, on n’est guère lu ni surtout “liké”. Mon baratin de présentation était pourtant œcuménique:

    [L’ami Jean-Claude Delaunay, depuis son “village” de Nanning en Chine du Sud, n’a vraiment pas perdu la main dans tous les domaines de l’Economie.
    Il reprend la théorie de Paul Boccara d’une “monnaie commune” pour tous les échanges mondiaux utilisée dans le futur en remplacement du dollar.
    Je me souviens que Lordon a aussi énoncé une proposition d’euro monnaie commune (et non monnaie unique) ce qui lui a valu l’hostilité de tous les “économistes atterrants” (dont Khalfa, si j’ai bon souvenir).
    Je crois avoir compris des propos de la section économique du PCF, que les penseurs qui s’y expriment pensent à une monnaie commune mondiale qui serait composée des “droits de tirage spéciaux” (DTS).
    En tous cas haro sur l’euro et haro sur le dollar !]

    Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

La modération des commentaires est activée. Votre commentaire peut prendre un certain temps avant d’apparaître.