Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Le dollar perd du terrain, mais il résistera jusqu’en 2030, par Anna Sedova

https://svpressa.ru/economy/article/369827/

Le rouble, le yuan et les nouvelles monnaies limiteront l’usage du toxique “américain” au monde anglo-saxon

Une monnaie capable de concurrencer le dollar et l’euro sur le marché mondial n’apparaîtra pas avant 2035-2040. Un pronostic décevant pour ceux qui attendent l’effondrement prochain du dollar est contenu dans le rapport du Roscongress intitulé “Les unions monétaires. Une alternative à un monde unipolaire”.

“Si les tendances actuelles se poursuivent et que le dollar américain n’est plus perçu comme indispensable en raison du recours excessif aux sanctions et des prochaines vagues de crises bancaires, l’espace libéré peut être occupé par d’autres monnaies que l’euro”, peut-on lire dans le document.

Le processus de remplacement du dollar prendra “des dizaines d’années”, car aujourd’hui sa position est encore forte, notamment parce qu’il représente 58% des réserves officielles de change dans le monde. Le poids de l'”américain” diminue progressivement depuis 20 ans, mais à raison de dixièmes de pour cent par an. Les auteurs citent comme alternative la plus probable le yuan chinois, les monnaies des pays d’Afrique centrale et de l’Ouest, l’Amérique latine et, de manière assez inattendue, le dollar de Hong Kong.

Pour l’instant, seul l’euro peut réellement concurrencer le dollar. Le yuan chinois ne représente qu’environ 3 % des réserves mondiales et les autorités sont relativement prudentes quant à son statut de monnaie de réserve. En revanche, l’euro poursuit son expansion et, en dehors de l’Europe, l’euro est la référence pour les deux monnaies inter-nationales en Afrique : le franc d’Afrique centrale et le franc d’Afrique de l’Ouest, qui circulent dans 14 pays.

En ce qui concerne la monnaie unique de l’UEEA (Union économique eurasiatique), les auteurs du rapport soulignent que les conditions de son émergence n’ont pas encore été créées. Une union monétaire à part entière est la dernière étape de l’intégration économique et implique la création d’associations douanières et migratoires, ainsi que d’un marché financier et du travail commun. Alors que la formation d’un marché unique des matières premières est à un stade avancé, il reste encore beaucoup à faire en matière d’intégration financière et de création d’un marché unique des capitaux.

Néanmoins, les monnaies des unions régionales, ou encore de certains pays, pourraient supplanter le dollar, ne serait-ce que dans 10 à 15 ans. Il est question de créer une monnaie unique en Amérique latine, en discutant de la monnaie sur. Dans le monde arabe, le projet d’un “dinar-or” est également mûr depuis longtemps.

Mikhail Belyaev, candidat en sciences économiques, a expliqué à SP que le dollar ne quittera pas complètement les règlements internationaux, mais que d’ici 2030, les pays qui ne sont pas membres du “conglomérat économique” occidental utiliseront probablement des monnaies nationales, supranationales ou de nouvelles monnaies uniques, qui remplaceront la monnaie américaine.

– Le dollar domine le monde, non pas parce qu’il est une sorte de miracle en soi, mais parce qu’il représente toujours la plus grande économie du monde. Qui a peut-être déjà cédé la première place à la Chine, mais qui reste l’une des plus grandes puissances. Le dollar repose sur le produit intérieur brut américain, sur l’importance du commerce mondial et sur les liens que les États-Unis ont noués avec d’autres pays, sans parler du secteur financier où le dollar a traditionnellement dominé. Pour qu’une monnaie occupe la même place que le dollar dans le monde, il faut qu’elle ait toutes ces qualités.

Aujourd’hui, nous constatons que le dollar disparaît progressivement de la scène mondiale, mais cela ne veut pas dire qu’il disparaît complètement. Il réduit simplement sa sphère d’activité. Cela se produit précisément parce que l’Amérique est évincée de la circulation mondiale par d’autres pays, en particulier la Chine. Le dollar est en effet évincé par d’autres monnaies et perd sa position de leader incontesté pour en occuper une plus modeste.

Un facteur politique entre également en ligne de compte. Le dollar est utilisé par les États-Unis comme élément de pression sur les autres pays et est déjà devenu ce que nous appelons une monnaie toxique. Naturellement, les autres pays deviennent plus prudents à son égard. Par conséquent, des facteurs politiques subjectifs s’ajoutent aux facteurs objectifs.

Le processus est en cours. L’Occident collectif perd sa position économique et l’Orient, centré sur la Chine, l’Inde, qui occupe toutefois une place à part, la Russie, les pays producteurs de pétrole et en partie la Turquie, gagne du terrain. Les pays BRICS produisent déjà plus de la moitié du produit brut mondial ; ils ont dépassé le G7.

Par conséquent, la base sur laquelle reposera l’ensemble des monnaies représentant cette économie en croissance s’élargit et se renforce. Le yuan se développe, la position internationale du rouble se renforce, bien que nous ne nous appuyions pas tant sur la valeur du PIB que sur notre position spécifique dans les matières premières énergétiques. Grâce à cela, nous sommes en mesure d’insister sur l’introduction du rouble dans le marché mondial des matières premières.

SP : Quand le dollar cessera-t-il d’être la monnaie de réserve mondiale ?

– On ne peut pas poser la question de manière aussi tranchée. Les États-Unis sont étroitement liés économiquement à d’autres pays – le Canada, le Royaume-Uni, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, certains pays d’Amérique latine. Cette partie du monde économique sera pendant longtemps desservie par le dollar, qui continuera à remplir les fonctions de règlement, de paiement et de formation de réserves de change.

Une deuxième partie du monde, la partie orientale, où se déplace le centre du développement, sera basée sur les monnaies que j’ai mentionnées. Il s’agira vraisemblablement d’une zone multidevises. Elle sera dominée par le yuan, dans certaines opérations la roupie indienne sera utilisée, bien qu’il s’agisse d’une monnaie spécifique, le rouble sera également utilisé.

Je ne suis pas d’accord avec le dollar de Hong Kong. Apparemment, on suppose qu’à mesure que l’Asie se développe, Hong Kong deviendra un centre financier majeur. Mais pour qu’une monnaie devienne globale, c’est tout à fait insuffisant. Elle doit s’appuyer sur un complexe économique solide. Il en va de même pour les monnaies des autres pays – Amérique latine, Afrique, etc. Ils n’ont pas la capacité économique de faire en sorte que leurs monnaies soient attractives par le reste du monde.

Dans les relations bilatérales, cependant, le règlement dans leurs monnaies propres peut avoir lieu et aura bien sûr lieu. Et dans une certaine mesure, il s’agira d’un substitut au dollar, mais à un niveau local. Cependant, on ne peut pas parler d’un substitut à part entière, car le dollar remplit aujourd’hui de nombreuses fonctions que ces monnaies n’auront pas.

SP : Et les nouvelles monnaies uniques ?

– Il est possible qu’une monnaie unique supranationale soit finalement créée au sein des BRICS. Elle serait capable d’assurer le commerce entre les pays membres de l’association, au nombre aujourd’hui de cinq, mais il y a environ 12 autres candidats à l’adhésion. Tout cela peut facilement se faire sur la base de la banque de développement des BRICS ou en créant une nouvelle banque.

Bien entendu, d’autres pays pourront se joindre aux échanges dans cette monnaie, il n’y a rien de délicat ou de compliqué à cela. Cela peut se faire en quelques mois, pas même en quelques années. Cette monnaie ne serait utilisée que pour les règlements internationaux, et non pour la circulation intérieure. On peut la comparer au rouble convertible, qui servait autrefois aux pays du CAEM, le Conseil d’assistance économique mutuelle.

Si nous parlons d’autres monnaies régionales potentielles, comme le dinar-or ou le Sur, leurs perspectives seront déterminées par la valeur des flux commerciaux mutuels. S’ils sont importants, une telle monnaie pourrait être appréciée et devenir internationale.

SP : Les monnaies alternatives remplaceront-elles vraiment le dollar d’ici à 2040 ?

– Les événements vont très vite en ce moment. La Chine prend de l’importance, le regroupement mondial des forces économiques bat son plein et s’accélère. Je pense que 2040 est une perspective trop lointaine. La nouvelle architecture des relations multi-monnaies, dans laquelle le dollar subsistera mais occupera une place beaucoup plus modeste, sera pleinement formée en 2030. La période d’inertie est révolue, le processus est en train de s’accélérer.


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1 Commentaire

  • Jean-Claude Delaunay
    Jean-Claude Delaunay

    L’opinion exprimée par Anna Sedova paraît raisonnable. Une conclusion de ce genre avait déjà été exprimée en 2016, par Aglietta et alii, dans La Monnaie Entre Dettes et Souveraineté, chapitre 8 et suivants. Le dollar perdra progressivement son statut de monnaie hégémonique, ou monnaie mondiale, pour devenir une monnaie internationale, portée par l’économie des Etats-Unis et de ses satellites. Mais cela ne va pas se faire en cinq minutes. Aujourd’hui, comme le rappelle Sedova, le dollar US représente encore 58% des encaisses des banques centrales (statistiques du FMI), et ce n’est pas seulement une monnaie de paiement, c’est aussi une monnaie de facturation. Natura non fecit saltum. En réalité si, la nature fait des sauts, mais ils sont longuement préparés. Je ne partage pas du tout le sous-bassement idéaliste et la structure profondément réformiste des conceptions relatives à l’essence et à la pratique de la monnaie, de l’auteur que je viens de citer (Aglietta). Je crois cependant que c’est une des lectures que des économistes marxistes doivent faire, ainsi que celle d’autres auteurs, comme André Orléan ou Bruno Théret, non pas pour les copier, car ils sont animés par leur propre logique conceptuelle, mais pour stimuler notre réflexion et peut-être, prolonger ce qui a été écrit par Marx sur la monnaie. Aussi respectables qu’aient été les travaux de Suzanne de Brunhoff sur la monnaie, ils me paraissent bien insuffisants. Sans développer davantage, je vais avancer trois points.
     
    Le premier concerne les monnaies de remplacement du dollar. Pour l’instant, il n’y en a pas. Le RMB, ou yuan chinois, rerésente 2.7% des encaisses des banques centrales, et les dirigeants chinois avancent avec lenteur. Ils expérimentent comme à leur habitude. Quant à l’euro, qui compte pour 20% des réserves de change, il n’est adossé sur rien de solide. La grande bourgeoisie française ainsi que son ectoplasme macronien et tous les socialistes qui vont avec, aimeraient que l’Union européenne devint une “puissance”. Ce n’est pour l’instant qu’une machine à surexploiter les populations et un ramassis de contradictions entre les bourgeoisies composantes. Ce n’est certainement pas une puissance sur laquelle l’euro pourrait prendre appui pour rivaliser avec le dollar US. Ceux qui auraient cette idée en tête se doivent de l’abandonner.

    Le deuxième point est un point de théorie. Les marxistes, je parle de celles et de ceux qui n’ont pas honte de leurs convictions théoriques, disent que la contradiction la plus importante du mode de production capitaliste est celle qu’engendrent, d’une part, la socialisation croissante de la production et des échanges, et d’autre part, la prise en charge de ce mouvement par des intérêts privés. C’est exactement ce qui se passe avec la monnaie américaine. D’une part, elle est à la pointe de la socialisation. Elle est monnaie mondiale. Mais d’autre part son usage est destiné à servir des intérêts privés, que ce soient les intérêts privés du grand capital monopoliste, ou que ce soient les intérêts privés d’un Etat particulier. De plus, l’Etat américain s’arroge le droit de voler qui il veut quand il veut de la monnaie qu’il a pourtant émise et distribuée, et qui fut reçue en toute confiance, cela va de soi. Le tableau de l’évolution annuelle de la dette américaine illustre ce point. La dette américaine, qui ne sera jamais remboursée, sert à soutenir les faillites financières (à partir d’Obama), ou à financer les guerres (depuis toujours, et ça continue), ou à financer telle ou telle politique, par exemple celle relative au covid 19, mais pour les Etats-Unis seulement.

    Le troisième point est que la monnaie mondialement la plus importante de l’avenir ne peut et ne doit pas être la monnaie d’un Etat. Ce doit être une monnaie commune, une monnaie représentative de l’économie des pays rassemblés sous son image et gérée par ces pays pour le developpement de tous et non pour les intérêts de quelques uns et des interêts de quelques uns parmi ces quelques uns. Les Chinois ont diffusé un projet en ce sens. En France, Paul Boccara a émis quelques idées générales sur ce point, notamment dans le chapitre V du deuxième volume de ses Théories sur les Crises (Delga 2015), chapitre dans lequel il ne manque pas de nous rappeler qu’il fut sans doute l’un des premiers, peut-être même le premier, à réfléchir à la solution de ces problèmes. A mon avis, c’est dans la direction de la monnaie commune, et non dans dans celle d’une grande monnaie de remplacement, que l’on devrait avancer. 

     
     
     

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