Voici la traduction d’un article de Scott Ritter publié par CN. Même si sa conclusion laisse rêveur (Bob Kennedy en sauveur du monde ?) son éclairage détaillé sur les mécanismes du complexe militaro-congresso-industriel aux Etats-Unis permet de mieux mesurer les enjeux dramatiques auxquels nous confronte le naufrage de l’hégémon impérialiste, croulant sous le poids de ses hyper-budgets militaires. Qu’on puisse encore espérer que le jeu de la démocrassie sauce impérialiste offre une planche de salut semble inimaginable (Jean-luc Picker)
Par Scott Ritter, paru dans Consortium News le 7 avril 2023
Conséquence de la politique de Washington, qui cherche une défaite stratégique de la Russie, Moscou a changé radicalement son approche du désarmement. Cela pose des questions existentielles quant au gagnant des prochaines élections présidentielles états-uniennes.
Sur le sujet du contrôle des armes nucléaires, les Etats-Unis sont perdus dans une jungle d’indécision.
En ce qui concerne la situation du traité New Start, on est au bout du rouleau. Sa mise en œuvre est maintenant gelée suite à la décision russe de suspendre sa participation en protestation contre le but ouvertement affirmé par les Etats-Unis de lui imposer une défaite stratégique. La Russie juge que cet objectif n’est pas compatible avec l’ouverture aux inspecteurs états-uniens de ses facilités de dissuasion nucléaire -dont le but essentiel est justement de prévenir une telle issue.[i] Par ailleurs, les Etats-Unis refusent de parler avec la Russie du futur du désarmement après l’expiration du traité New Start en février 2026.
Plus préoccupant, une des conséquences majeures des menées des Etats-Unis est d’avoir provoqué un changement de position radical de Moscou sur le sujet. Aujourd’hui, Moscou exige que toute discussion sur le contrôle des arsenaux nucléaires inclue les questions de la défense par missiles[ii], des arsenaux du Royaume Uni et de la France ainsi que des armes nucléaires fournies au nom de la dissuasion par les Etats-Unis à d’autres états de l’OTAN. Et ce n’est pas la décision de la Russie de positionner des ogives nucléaires dans l’enclave de Kaliningrad et d’étendre son parapluie nucléaire à la Biélorussie -faisant ainsi un parallèle avec le parapluie de l’OTAN- qui va simplifier la situation. Bilan, le contrôle des armes nucléaires en est à peu près au stade du patient en soins intensifs que personne ne pense sérieusement à réanimer.
La Russie avance vers une modernisation radicale de ses forces nucléaires, articulée autour du nouveau missile intercontinental lourd Sarmat (ICBM) et du missile supersonique Avanguard à réentrée atmosphérique. De leur côté, les Etats-Unis sont sur le point de moderniser leur triade nucléaire organisée autour de leur bombardier furtif B21, leurs sous-marin Columbia, et leur nouvel ICBM Sentinel. Si aucune disposition n’est mise en place à l’expiration du New Start, le Russie et les USA se retrouveront enfermés dans une course aux armes nucléaires sans plus aucun contrôle. Le corollaire, bien sûr, est que le risque d’une confrontation nucléaire non voulue augmentera exponentiellement.
Ce qui découle de cette situation, c’est que la dénucléarisation militaire -et donc la sécurité mondiale- est étroitement fonction de la capacité de la Russie et des Etats-Unis à revenir à la table des négociations afin de ressusciter les accords de contrôle des armes nucléaires avant qu’ils ne soient définitivement enterrés. Et à cet égard, l’élément clé sera la capacité de Washington à intégrer les considérations de la Russie en regard de la posture nucléaires des Etats-Unis.
Washington sera-t-il capable de sortir des analyses sclérosées qui ont servi de guide aux politiques états-uniennes depuis la fin de la guerre froide ? Ces analyses conduisent à la conclusion première qu’il est indispensable de maintenir coûte que coûte la suprématie US en termes de capabilité nucléaire. Et la question de savoir si les Etats-Unis sont capables d’abandonner cet axiome est étroitement liée à la question de savoir qui sera en charge à la maison blanche le jour où le traité New Start deviendra caduc, en février 2026.
A cet égard, l’élection présidentielle de 2024 est probablement la plus importante élection de l’histoire récente. Pour être clair, le futur de l’humanité dépend peut-être de qui sera le choix final des électeurs états-uniens en novembre 2024.
La norme de ‘l’establishment’
Le président Biden semble vouloir se représenter pour un deuxième mandat. Aux dires de certains, cela est peut-être un peu trop optimiste au vu de son âge. Il reste que si le parti démocrate assigne la vice-présidente Kamala Harris (ou un/une autre) pour continuer les même politiques pendant 4 années supplémentaires, le pouvoir décisionnel sur la question de la posture nucléaire et donc du contrôle des armes restera dans les mains des mêmes forces qui nous ont amené là où nous en sommes aujourd’hui.
Il faut donc se demander si cet ‘establishment’ est capable ou pas d’opérer les changements qui permettront de remettre sur les rails les négociations pour le désarmement entre la Russie et les Etats-Unis. En 2020, le programme de Biden promettait de changer la stratégie nucléaire des Etats-Unis pour en finir avec la posture héritée de l’ère de Georges W. Bush leur permettant une première frappe préventive. La nouvelle posture devait établir que les forces nucléaires avait pour fonction de dissuader toute attaque nucléaire contre les Etats-Unis, ou de riposter en cas d’échec de la dissuasion. Mais cette promesse s’est évaporée après son élection grâce à l’action combinée de bureaucrates et d’officiers militaires -tous non élus- qui se sont assurés que la rhétorique électorale ne soit pas traduite pas dans la réalité.
Biden, comme tous ses prédécesseurs depuis l’ère atomique, s’est montré incapable (ou n’a pas voulu ?) utiliser son capital politique pour affronter le lobby nucléaire états-unien. Il en résulte que le peuple états-unien et les peuples du monde entier restent pris en otages par la collusion mortelle du complexe militaro-industriel et du congrès des Etats-Unis. Le congrès vote l’utilisation des deniers publics pour soutenir une industrie de défense construite autour de l’armement nucléaire et cette industrie lui retourne l’ascenseur sous forme de contributions de campagne. Le congrès est ainsi placé sous influence et continue à financer l’entreprise nucléaire dans un cercle vicieux incapable d’auto-réforme. Biden -comme tout autre candidat que le parti démocrate désignerait en 2024- est le pur produit de ce système et participe allègrement à ce cercle vicieux et corrompu entre pouvoir et capitaux.
Au total, que ce soit Biden ou un remplaçant qui soit envoyé à la Maison Blanche en 2025, il n’y aura pas de changement de direction en ce qui concerne les politiques de désarmement nucléaire. Ce qui signifie que le représentant du parti démocrate qui sera élu en novembre 2024 pourrait fort bien être le dernier président à tenir ce siège vu que les politiques actuelles augmentent considérablement la probabilité d’une guerre nucléaire entre la Russie et les Etats-Unis.
La norme Trump
Le précédent locataire du 1600, avenue de Pennsylvanie, a maintenant jeté son gant dans l’arène électorale pour 2024. Le parti républicain, toujours inféodé aux orientations populistes du ‘make america great again’, a peu de chances de désigner un candidat capable de battre Trump, quelques soient ses difficultés légales actuelles.
Au regard du sujet de cet article, la question de savoir si Trump serait capable de s’assurer un nouveau mandat est superfétatoire. La vraie question est celle de la capacité de Trump à formuler une stratégie de contrôle de l’armement nucléaire qui différerait de celle de Biden et des établissements aussi bien démocrates que républicains. Une stratégie qui serait capable de s’affranchir des contraintes dont les politiques de désarmement sont prisonnières.
Le bilan de Trump à cet égard est indécis. D’un côté, il a formulé des principes fondamentaux qui, s’ils sont intégrés dans les politiques officielles, ont vocation à changer radicalement les rapports entre les Etats-Unis et le reste du monde et pourraient déboucher sur un nouveau paradigme encourageant une révision de la stratégie du désarmement.
Trump est capable de s’affranchir de l’emprise idéologique de la russophobie ambiante. Il pourrait chercher à se démarquer de tous les autres candidats, républicains ou démocrates en faisant miroiter la possibilité de meilleures relations entre les Etats-Unis et la Russie.
De même, sa remise en question de la viabilité et de l’utilité de l’OTAN implique qu’une deuxième administration Trump pourrait s’acheminer vers une restructuration des politiques étrangères qui mettrait un terme aux tensions perpétuelles entre l’OTAN et la Russie. En effet, l’OTAN a besoin de la menace russe pour pouvoir continuer à justifier son existence. En remisant la place de l’OTAN dans la détermination des politiques étrangères, on libérerait à la fois les Etats-Unis et l’Europe, leur permettant d’aborder plus rationnellement la question d’un nouveau cadre pour la sécurité européenne dans le monde de l’après-guerre en Ukraine. Une telle attitude pourrait aider à résoudre la plupart des nouvelles demandes de la Russie qui insiste pour que les accords de désarmement incluent dans le futur la question des missiles de défense, l’armement nucléaire de la France et du Royaume-Uni et la dissuasion nucléaire fournie par les Etats-Unis à d’autres pays de l’OTAN.
De façon peut-être plus essentielle, Lors de son passage au pouvoir, Trump a montré sa capacité à s’affranchir des contraintes préexistantes barrant la route d’un réel désarmement nucléaire. A ce titre la question nord-coréenne mérite d’être étudiée. Trump a rencontré le dirigeant de la Corée du Nord, Kim JongEun, à trois reprises pour tenter de régler la question de la démilitarisation nucléaire de ce pays. Ces tentatives ont avorté, en grande partie à cause de l’opposition de figures de l’establishment comme son secrétaire d’état Mike Pompeo et son conseiller à la sécurité nationale John Bolton. Mais, quel qu’ait été le résultat, en s’engageant dans cette voie, il a démontré sa capacité à mettre en place des efforts -sans équivalent chez ses prédécesseurs- pour un changement radical des politiques de désarmement.
Mais il y a un côté pile de Trump qui n’est pas de si bon augure pour les espoirs d’un changement significatif dans le contrôle des armes nucléaires entre les deux pays. Tout d’abord, et le plus important, est l’examen de son bilan en la matière.
Il s’est retiré de l’accord avec l’Iran, il s’est retiré du traité sur les armes nucléaires à portée intermédiaire et il a défini la stratégie nucléaire la plus agressive de l’histoire récente. Une stratégie qui, selon les dires de plusieurs membres de son entourage, avait pour fonction de « laisser les russes se demander » si les Etats-Unis utiliseraient ou non une frappe nucléaire préventive.
Trump a refusé de s’impliquer significativement dans des discussions avec les Russes au sujet de quel qu’aspect que ce soit du contrôle des armes nucléaires et s’est embarqué, à l’opposé, dans une modernisation de l’arsenal nucléaire stratégique du pays. Au final, il n’est pas passé un rai de lumière entre les positions de ‘l’establishment’ et les politiques mises en place par Trump. On pourrait même argumenter que ses politiques ont résulté en une escalade par rapport à l’existant.
Il y a ensuite les tendances trumpiennes aux fanfaronnades à la limite du pugilat. Tendances qui semblent alimentées par un sentiment d’insécurité qui exigerait que les Etats-Unis ne négocient qu’à partir d’une position de force et de dominance absolue. Après avoir parlé « d’amitié » avec la Russie, il s’est vanté d’être le « président le plus intraitable » dans l’imposition de sanctions à la Russie. Après s’être retiré de l’accord avec l’Iran, il a imposé de nouvelles sanctions, tout en continuant à avancer l’idée que de nouvelles négociations résoudraient le problème iranien. Et ses aventures Nord-Coréennes ont aussi inclus la rhétorique la plus guerrière de tous les présidents de l’ère nucléaire, promettant « feu et rage » si la Corée du Nord ne se mettait pas au pas.
Au bout du compte, la ‘norme Trump’ en ce qui concerne le contrôle de l’armement nucléaire est encore plus dangereuse que celle de ‘l’establishment’ parce qu’elle est basée sur une posture agressive justifiée par la dominance. Finalement, Trump s’est trouvé dans l’impossibilité d’agir selon ses propres dires, et sa politique de sécurité nationale a été dominée par une idéologie de primauté états-unienne. Cette approche a permis le renforcement et l’élargissement de l’entreprise nucléaire – un résultat diamétralement opposé à ce dont les Etats-Unis ont besoin après 2024. Et il n’y a aucune raison de croire qu’un second mandat de Trump produirait des résultats différents.
Une nouvelle norme états-unienne pour le contrôle des armements.
La triste réalité est que, quelque soient les noms avancés par les deux instances en mesure de proposer des candidats viables pour l’élection présidentielle de 2024 (le comité national du parti démocratique ou les républicains MAGA) aucun ne sera en mesure d’apporter des changements positifs dans la posture nucléaire des Etats-Unis ni dans la question sous-jacente du contrôle des armements.
Ce qui réduit le peuple états-unien comme les peuples du monde entier à devoir assister à une course aux armements effrénée entre la Russie et les Etats-Unis, débarrassée de toutes les restreintes que lui imposaient les traités en place. On courre au désastre. Tout ce qui est proposé se résume à une potion maléfique de peur cultivée par l’ignorance, aggravée par l’absence d’inspections qui permettaient de se rassurer sur les menaces respectives posées par les deux nations nucléaires. Deux nations qui, moins que jamais, ne semblent disposées à s’engager sur la voie d’un dialogue utile et se retrouvent en conséquence toutes les deux au bord d’un précipice sans fond.
En résumé, que ce soit le vote pour Biden et ‘l’establishment’ qui l’emporte, ou que ce soit le vote pour Trump et les républicains MAGA, le pays continuera à jouer à la roulette russe nucléaire. Il n’y a qu’une certitude quant à l’issue de ce jeu : à un moment donné, le pistolet déchargera. Mais ici, il ne s’agit pas d’un pistolet. Il s’agit d’une ogive nucléaire qui marquera l’entrée dans une guerre nucléaire générale et la fin sur la terre de la vie et de l’humanité telle que nous la connaissons aujourd’hui.
Le 19 février 2023, s’est déroulé à Washington un rassemblement où l’on a entendu quelques voix appelant à la sagesse. Certains des orateurs porteront peut-être leur message dans la course à la présidentielle en tant que candidats indépendants ou candidats de rupture au sein de leurs partis respectifs. Il s’agit de Tulsi Gabbard, Dennis Kucinich, Ron Paul et Jimmy Dore qui ont tous les quatre abordé la question de la menace nucléaire et de la nécessité d’un contrôle strict. Mais, jusqu’à présent, aucun d’entre eux n’a produit par écrit une quelconque proposition de contrôle des armements qui pourrait être opposée à Trump ou à Biden -ou qui que ce soit qui les remplace. Et, à part Dore, aucun n’a manifesté son intention de se présenter. Il est donc plus qu’improbable qu’une troisième voix s’exprime sur le contrôle nucléaire.
Reste Robert F Kennedy, le neveu de l’ex-président John F Kennedy, qui a annoncé qu’il défierait Biden pour la nomination démocrate. Pour l’instant personne ne donne cher de ses chances de succès. Mais l’état de détérioration physique et mentale de Biden pourrait s’aggraver d’ici à 2024 et empêcher sa candidature, alors que celle de la vice-présidente Kamala Harris apparaît insuffisante. Cette conjonction pourrait ouvrir une véritable compétition pour la nomination dans le parti. La déclaration de Kennedy le placerait dans ce cas en position de force pour être le candidat démocrate, ou à tout le moins pour s’affronter à celui qui serait choisi par ‘l’establishment’ du parti.
La question se pose donc de savoir s’il serait enclin à -ou capable de- mettre en place une nouvelle approche du contrôle des armes, une approche qui reprendrait le meilleur de la norme Trump sans l’arrogance contre-productive qui l’accompagne. Pour l’instant, Kennedy n’a rien publié au sujet ni du contrôle de l’armement ni de la posture nucléaire. Mais, lors d’une récente conversation, il m’a parlé de l’héritage de son oncle, Jack Kennedy, qui, dit-il, guide son action.
Aujourd’hui, les Etats-Unis ont bien besoin de quelqu’un capable de faire part de la même sagesse et patience qui ont permis au président Kennedy de désamorcer la crise des missiles à Cuba.
Scott Ritter est un ancien officier du renseignement des Marines de l’armée états-unienne. Il a travaillé en Union Soviétique pour la mise en place des traités de contrôle des armes nucléaires ‘Tempête du Désert’ dans le Golfe Persique, il contrôlait l’élimination des armes de destruction massive. Son dernier livre ‘Désarmement et Perestroika’ vient d’être publié par Clarity Press.
[i] NdT Officiellement, le côté russe affirme que sa décision de geler le New Start est motivée par les difficultés faites aux inspecteurs russes pour inspecter les facilités états-uniennes, les Etats-Unis refusant de délivrer les visas nécessaires au nom des sanctions prises suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
[ii] NdT Référence au traité ABM (missiles anti balistiques) qui a été dénoncé par les Etats-Unis en 2002 et qui git au centre de la décision prise en février 2022 par la Russie d’entrer en Ukraine.
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