Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Les étonnants canulars d’un duo russe au service du Kremlin

Leurs victimes occidentales les accusent de hooliganisme téléphonique, dernière victime Christine Lagarde croyant parler à Zelensky, elle se déclare par ailleurs convaincue de la victoire de Kiev, grâce à l’aide américaine. « J’ai un point de vue simple : ceux qui ont le plus gros fusil gagnent. Il s’agit d’un principe très bête et très basique du Far-West », dit-elle. On ne saurait mieux exprimer combien madame Lagarde et ses pareils s’identifient au cow-boy étasunien. Les émissions de ces deux duettistes sont très suivies à la télévision russe, elles amusent beaucoup le public, quel dommage qu’elles soient censurées en France cela nous changerait du grotesque involontaire de LCI… et du comique troupier de tous ceux qui essaient de convaincre les Français qu’à l’Élysée et à Matignon siègent la fine fleur de la démocratie et de l’intérêt général. (note de Danielle Bleitrach, histoireetsociete)

Voyan et Lexus, les deux humoristes russes qui font le jeu de Moscou© HANDOUT / AFP

Alain Barluet, correspondant à Moscou

Christine Lagarde s’entretenant sur Zoom avec Volodymyr Zelenki des difficultés de l’économie européenne et de l’avenir de la guerre en Ukraine. Des millions de téléspectateurs russes ont pu voir cette séquence diffusée mercredi soir sur Pervy Kanal, la principale chaine de télévision fédérale qui relaie fidèlement les messages du Kremlin. Sauf que la présidente de la Banque centrale européenne (BCE) ignorait à ce moment-là qu’elle dialoguait, non pas avec le président ukrainien, mais avec Vladimir Kouznetsov (alias « Vovan ») et Alexeï Stolaryov (« Lexus »). Deux as du canular téléphonique, passé maîtres dans l’art de l’imitation et du maquillage, quand ils n’ont pas recours à des sosies et au « deep fake », le trucage numérique permettant de remplacer un visage grâce à l’intelligence artificielle (AI).

Sévissant depuis une décennie, le duo d’humoristes a réussi à piéger des dizaines de personnalités mondiales, de l’ex-premier ministre britannique Boris Johnson à la star Elton John, en passant par l’ex-chancelière Angela Merkel et le président turc Recep Tayyip Erdogan. Ces talentueux farceurs démentent tous liens avec le Kremlin mais les experts en cyber-sécurité les soupçonnent d’être en rapport avec les services de sécurité russes. « C’est plutôt nous qui les aidons et pas l’inverse », répondent-ils dans leurs interviews, sans s’appesantir sur la question. Il est vrai que, depuis le début de la guerre en Ukraine, « Vovan » et « Lexus » semblent redoubler d’efforts pour prendre dans leurs filets des responsables de haut niveau, américains et européens, ayant pris position contre l’invasion russe. Une fois enregistrées, les vidéos sont « postées » sur leur site « V et L » (« Vovan » et « Lexus ») via la plateforme russe Ru.Tube et sur You Tube, qui les a bloqués au début mars.

En novembre dernier, les deux hommes, qui se présentent comme des « journalistes-prankers », (de l’anglais prank, farce, NDLR), ont appelé le président polonais Andrzej Duda en se faisant passer pour Emmanuel Macron, après la chute en Pologne d’un missile qui a fait deux victimes. « Je ne souhaite pas déclencher une guerre avec la Russie », a déclaré alors M. Duda qui s’imaginait parler avec son homologue français. Alors que la tension était à son comble et que tous les regards étaient tournés vers Moscou, le président polonais s’était dit « extrêmement prudent » sur cette affaire – il s’avèrera finalement que, selon les Occidentaux, le missile venait probablement de la défense anti-aérienne ukrainienne.

Avec Christine Lagarde, les deux acolytes, âgés respectivement de 36 et 35 ans, ont fait dire à la présidente de la BCE que la Russie parvenait, relativement aisément, à contourner les sanctions, notamment le plafond de 60 dollars le baril fixé pour les pays continuant à acheter du pétrole russe. « Les sanctions ne sont pas aussi sévères que nous l’avions prévu », concède Mme Lagarde qui admet par ailleurs avoir sous-estimé le taux d’inflation en Europe. Croyant s’adresser à Volodymyr Zelensky, elle se déclare par ailleurs convaincue de la victoire de Kiev, grâce à l’aide américaine. « J’ai un point de vue simple : ceux qui ont le plus gros fusil gagnent. Il s’agit d’un principe très bête et très basique du Far-West », dit-elle. Les deux farceurs ont également affirmé, au nom de Zelensky, que son prédécesseur à la tête du pays, Petro Porochenko (juin 2014-mai 2019) avait détourné des fonds alloués à l’Ukraine par le FMI, dirigé à l’époque par Christine Lagarde. « Vous savez aussi bien que moi qu’il y avait des personnages très étranges, qui avaient leurs propres petites armées, qui avait leur propre système », confirme indirectement Mme Lagarde, ajoutant que « bien sûr que non, le programme (du FMI) n’a pas été mis en œuvre à 100%… ».

Monter un tel « coup » a t-il été compliqué ? « Pas trop », ont expliqué mercredi soir « Vovan » et « Lexus » devant les caméras de Pervy Kanal. « La principale difficulté a été de trouver des personnes avec lesquelles Zelensky n’avait pas encore parlé… ». Le duo a même insisté sur la facilité avec laquelle leurs « victimes » se laissent habituellement abuser. Ils ont raconté, par exemple, comment ils ont pu se faire passer sans problème pour l’activiste Greta Thunberg grâce à un sosie russe parlant à peine l’anglais… En 2015, ils avaient piégé le chanteur Elton John qui a cru d’abord avoir affaire au porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, lequel lui aurait ensuite passé Vladimir Poutine en personne. L’auteur de l’inoubliable Goodbye Yellow Brick Road a discuté au téléphone avec le pseudo maître du Kremlin… du droit des personnes LGBT. Un épisode qui n’a pas été confirmé officiellement. Le véritable Vladimir Poutine aurait néanmoins appelé ensuite le chanteur pour s’excuser.

Passé du canular téléphonique classique au montage numérique sophistiqué, « V et L » ont affuté leur savoir-faire en résonance croissante avec les messages politiques, au risque d’ailleurs de perdre un public à l’origine surtout féru d’humour. Le 19 février 2022, moins d’une semaine avant le début de la guerre, ils ont appelé Angela Merkel en invoquant, déjà, Petro Porochenko. Avec celui qu’elle pensait être l’ancien président ukrainien, l’ex-chancelière n’a pas mâché ses mots, affirmant que « les accords de Minsk (avaient) donné à l’Ukraine plus de temps pour se développer entre 2014 et 2021 », un argument maintes fois utilisé par Moscou pour dénoncer l’ « agression occidentale »…

Selon le politologue Roman Osadchouk, du think-tank américain Atlantic Council, le fait que le duo cible en priorité « les ennemis du Kremlin depuis l’invasion (de l’Ukraine) indique une certaine sympathie et une coopération probable » avec le gouvernement russe. Par ailleurs, « le degré de sophistication, comme l’utilisation de « deep fake » ou de sosies pour se faire passer pour des personnes constitue un indice supplémentaire d’une possible aide extérieure », selon lui.

En septembre dernier, Michael MacFaul, ancien ambassadeur américain à Moscou entre 2012 et 2014 a indiqué avoir été victime d’une usurpation d’identité attribuée aux deux « humoristes ». Le diplomate a révélé qu’une vidéo circulait montrant un personnage généré par l’IA, lui ressemblant et parlant comme lui, s’exprimant « en direct » et en russe (alors que lui ne parle pas couramment), et répondant à des questions « manifestement conçues pour saper les efforts de guerre de l’Ukraine ». « Ce n’est pas moi. C’est une nouvelle arme de guerre russe », avait averti Michael McFaul sur Twitter. D’après des experts de la société de cybersécurité Proofpoint, basée en Californie, il s’agissait en fait, selon « une haute probabilité », de « Vovan » et « Lexus », dissimulés sous le code TA499.

Pour Proofpoint, le célèbre duo russe serait aussi derrière une tentative qui a visé le ministre de la Défense britannique Ben Wallace, en mars 2022. « Un imposteur prétendant être le premier ministre ukrainien a tenté de me parler », avait ainsi tweeté M. Wallace. « Il a posé plusieurs questions trompeuses et j’ai mis fin à l’appel après que cela soit devenu suspect », avait-t-il ajouté.

Ces deux-là, « se livrent à du hooliganisme téléphonique mais ils le font pour le bien de leur pays », écrivait récemment le site d’information Zen. En juin dernier, « Vovan » et « Lexus » ont été invités au Forum économique de Saint-Pétersbourg, le « Davos russe ». Une consécration officielle qui leur permis de répondre à de nombreuses interviews et de participer, en experts, à un débat sur « les fake news à l’ère de la mondialisation »… Deux semaines plus tôt, la porte-parole du Ministère des affaires étrangères, Maria Zakharova, leur avait remis un prix. « Appelez, faites-nous plaisir et faites plaisir au monde avec de nouvelles révélations », les avait-elle alors félicités. « Vovan » et « Lexus », visiblement, n’ont pas l’intention de raccrocher.

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