Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Les Oscars ont légèrement gâché un bon film, par Dmitri Dabb

Une critique russe sur le film Everything Everywhere All at Once, réalisé par Daniel Kwan et Daniel Scheinert, qui a triomphé aux récents César avec sept statuettes (meilleur film, meilleurs réalisation et scénario original pour Daniel Kwan et Daniel Scheinert, meilleure actrice pour Michelle Yeoh, meilleurs seconds rôles pour Jamie Lee Curtis et Ke Huy Quan, meilleur montage). Dans ces temps de propagande, étrange convenez-en que ce soit en Russie, dans un site proche souvent du “Kremlin”, que l’on trouve une défense de la création qui se moque des exigences de “la nouvelle guerre froide” ? Une critique qui, sous le badinage, revendique non pas l’art pour l’art, un simple formalisme, non une critique qui conçoit la démarche artistique comme celle d'”un porteur” selon le terme de Pasolini, c’est-à-dire un engagement dans la manière de prendre figure, de s’impliquer dans les façons de rendre la parole des petites gens, pour produire de l’épique, le poème des peuples. Ce sont là des positions réellement politiques, les seules que l’on puisse exiger d’un artiste “je veux qu’un porteur soit un porteur: c’est-à-dire que je veux qu’il ne soit ni une image, ni le porte-parole de ma philosophie” (1)Encore moins celui qui, comme dans un concours de l’eurovision, devra son succès à l’enrôlement et sera interdit en fonction des mêmes critères. Staline lui-même aimait trop le théâtre, le cinéma, la littérature pour exiger cela et l’excellence de la formation soviétique n’est jamais allé aussi loin dans l’enrôlement que là où nous en sommes, ce qui pose effectivement la question du devenir de Daniel Kwan et Daniel Scheinert. (note de Danielle Bleitrach, traduction de Marianne Dunlop)

(1) P.P? PASOLINI, la peur du naturalisme.

https://vz.ru/opinions/2023/3/14/1203110.html

Par Dmitri Dabb, critique de cinéma

14 mars 2023

Après tout ce qui s’est passé entre nous et les Américains au cours de l’année écoulée, les Oscars ne sont certainement pas un critère pour nous. Surtout un Oscar avec la shahada du féminisme BLM-LGBT, depuis certains jours presque obligatoire.

En Russie, la question concernant “All at Once”, pour ceux qui ne l’ont pas vu, devrait donc être posée dans la direction opposée : l’Oscar, avec ses mains américaines sales, a-t-il gâché un bon film inattendu en en faisant le triomphateur de la cérémonie (le prix couvre également la réalisation, le scénario, le montage et le travail des trois acteurs) ?

S’il l’a fait, c’est juste un peu. C’est comme l’expérience de Wegner : il est impossible de ne pas penser à l’ours polaire si on vous demande de ne pas y penser. On ne peut s’empêcher de remarquer que “Tout à la fois et partout” correspond à la shahada même, comme les “devoirs” d’un potache correspondent à ce que le maître a demandé.

Mais si on fait abstraction des Oscars, tous ces éléments n’attirent pas l’attention, ne font pas système, ne semblent pas artificiels – ils sont organiques. Et l’idée que ce film puisse être qualifié de meilleur film par l’académie du cinéma n’a pas dû effleurer grand monde. Non parce qu’il serait mauvais, mais parce qu’il est “hors format”. Rien de tel n’avait jamais été récompensé par un grand Oscar.

Les cinéphiles russes ont pu le voir pendant près d’un an. “Everything Everywhere All at Once” a pu être visionné légalement dans la Fédération de Russie juste avant que le cinéma hollywoodien ne prenne fin dans les salles de cinéma en raison de la deuxième guerre froide. Il s’agit d’un parcours atypique pour un favori des Oscars, qui se déroule généralement dans l’autre sens : d’abord une nomination, voire une statuette, et ensuite seulement un rachat pour la distribution en Russie. Mais là n’est pas la question ; l’essentiel est que tous ceux qui devaient voir ce film l’ont déjà vu et l’ont trouvé pour le moins inventif.

Dans les grandes lignes, il s’agit de l’histoire d’une immigrée chinoise dont la vie morne dans une laverie miteuse avec un mari minable, un père violent et une adolescente LGBT hystérique change radicalement après une visite au bureau des impôts. Ou, plus exactement, elle se met soudain à vivre un nombre infini de vies, voyageant dans des univers parallèles.

Une grande partie du temps passé à l’écran ressemble à Matrix si elle était filmée à partir d’un scénario de Jackie Chan. Cet effet comique est créé par la chevelure du mari et la ressemblance de l’acteur Jonathan Ke Kwan avec la star du sous-genre des “comédies d’action de Hong Kong”. Cependant, le genre de All at Once est impossible à définir. Au cours de l’action, qui est une chevauchée effrontée, le film change à plusieurs reprises pour devenir un drame familial avec des vérités éternelles à la fin, la principale étant d’être honnête avec les personnes qui vous sont chères.

Cette même vérité éternelle était contenue dans le précédent (ou premier) film du duo de réalisateurs, qui a demandé à s’appeler Daniels, Man is a Swiss Knife (L’homme est un couteau suisse). À proprement parler, il s’agit de l’histoire d’un loser qui trouve sur l’océan le cadavre pétant de Harry Potter (c’est-à-dire le cadavre joué par l’acteur Radcliffe) et qui se lie d’amitié avec lui. Cette intrigue donne un bon aperçu de l’ingéniosité insolente des Daniels, mais il faut savoir que L’homme est un couteau suisse est un film touchant et gentil qui peut, et peut-être même doit, être regardé avec des enfants.

On peut dire la même chose de All at Once, y compris que l’intrigue donne une vision déformée du film dans son ensemble. Ce n’est que le début d’une route pavée d’humour noir et d’images de la culture pop comme des briques jaunes, et à la fin, il y a du cerveau, du cœur, du courage et une morale sur le fait qu’il n’y a rien de tel qu’un bon chez soi.

La conscience avec laquelle les Daniels s’engagent sur cette voie est impressionnante. Ils savent exactement ce qu’ils veulent nous dire, en choisissant des astuces complètement folles comme le fait de se déplacer dans un monde où les gens ont des saucisses à la place des doigts.

Ce qui rend cette histoire digne d’un Oscar (oui, digne d’un Oscar tout court), ce n’est pas la nationalité de l’héroïne ou l’orientation sexuelle de sa fille, mais une sorte d’ascension vers un statut princier à partir de la crasse – la crasse de l’industrie cinématographique.

Les Daniels réalisaient des clips musicaux jusqu’à ce qu’ils aient l’idée d’un film indépendant sur un cadavre. Jonathan Ke Kwan, rendu célèbre lorsqu’il était enfant (Shorty dans Indiana Jones, c’est lui), a travaillé comme doublure et cascadeur jusqu’à l’âge de cinquante ans. Jamie Lee Curtis était généralement connue pour être une bonne actrice, mais elle risquait d’entrer dans l’histoire du cinéma en tant que “scream queen”, une habituée des films d’horreur pour adolescents.

Seule Michelle Yeoh (le personnage principal) s’était frayé un chemin vers la célébrité mondiale plus tôt – lorsqu’elle est sortie acclamée des deux côtés de l’océan Pacifique dans le film Tigre et Dragon, où elle jouait le rôle féminin principal. Mais elle avait commencé par être danseuse et mannequin, et pour les célestes d’Hollywood, c’est aussi du menu fretin.

Aujourd’hui, ils sont tous nominés aux Oscars, ce qui signifie qu’il y aura de nombreuses offres et de nombreux droits d’auteur (malgré la sophistication visuelle, All At Once a été un film peu coûteux à produire), et que nous entendrons parler de toutes les Cendrillons du navire Daniel, ainsi que d’elles-mêmes, de nombreuses fois encore.

Puisque les cinéastes peuvent être qualifiés de révolutionnaires en matière de langage cinématographique, deux options s’offrent à eux. Soit continuer à repousser les limites de ce qui est permis à Hollywood, comme ils l’ont fait pour la catégorie des Oscars. Soit s’incruster dans l’industrie en tant que spécialistes de l’action rythmée, du montage en coupe et des gags visuels, pour s’engraisser, se rassir et se retrouver un jour dans le bureau du fisc, avec un inspecteur pointant du doigt des trous financiers de plusieurs millions de dollars.

Avec les qualités qui sont celles des Daniels, on peut tout aussi bien faire un film sur la “génération MTV” vieillissante qui rôde autour de Tbilissi à la recherche de latte à la citrouille que des tragédies au souffle shakespearien. Peut-être le crâne de Yorick sera-t-il là à roter et Rosencrantz et Guildestern à s’escrimer sur des saucisses. Mais s’il s’agit d’une action mignonne et pleine d’esprit plutôt que caustique et vulgaire, les Daniels pourront rester fidèles à eux-mêmes et à certaines des choses dont ils voulaient parler dans All at Once.

En bref : il ne faut pas faire une croix sur eux simplement parce qu’ils ont gagné un Oscar au début de la deuxième guerre froide. Comme la vie dans une laverie miteuse, ce n’est pas une tare. La vie est un grand cadeau dont tout le monde veut faire quelque chose de bien, et c’est ce qui unit les gens en Russie, en Amérique et en Chine.

Lorsque la deuxième guerre froide sera terminée, le meilleur film de l’année pourra également être confié aux Daniels. S’ils vivent assez longtemps, ils y parviendront certainement.

Note àpropos des stéréotypes racistes au cinéma , de la représentation de l’asiatique mais aussi du Français. il est intéressant de revoir une des références de l’article, Charlie Chan… Charlie Chan, détective américain d’origine chinoise est un personnage de fiction créé en 1925 par Earl Derr Biggers. Il est le héros de six romans, de près de cinquante films, et de bandes dessinées, de feuilletons radiophoniques, de dessins animés et de jeux de société. Tout d’abord sergent de la police d’Honolulu, il est marié et a quatorze enfants. Plutôt corpulent, il ne manque cependant pas de grâce dans ses mouvements.
Le détective Chan est un personnage patient, capable de passer outre les préjugés raciaux, démontrant ainsi sa tolérance. Il n’est ni agressif ni trop autoritaire. Engagé à servir le peuple, c’est un homme bon et poli qui ne ptofère aucune menace. D’origine chinoise, il incarne à merveille l’homme de couleur ayant réussi à s’intégrer dans la société américaine. Mais il demeure exotique, il fait des fautes grammaticales a un accent et ne manque pas de prononcer des citations chinoises ou prétendues telles.

Voici cet excellent film Charlie Chan à Paris(1935), il a un charme fou, son metteur enscène, Lewis Seiler est un tacheron prolifique mais on perçoit la parenté de ce cinéma là avec la bande dessinée, ce par quoi naquit la plupart des passions de cinéphile. Charlie Chan était un personnage “positif”, un détective qui prétendait rompre avec le stéréotype du méchant asiatique mais ce qui rend le film intéressant c’est qu’aujourd’hui on mesure à quel point cette apparente rupture est aussi un conformisme…Un film très réussi mais qui témoigne à sa manière de l’impossibilité d’échapper à une époque et à sa représentation pour hollywood., mais ce que dit aussi ce russe moqueur : c’est peut-être ça que nous aimons dans Hollywood à condition que John wayne ne se prenne pas pour Biden ou l’inverse…

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