A propos du travail de photographe de Françoise Larouge sur l’Ecole Pyrénées je vous ai dit que Françoise appartenait à l’école humaniste française et je vous ai cité “mon préféré” Willy Ronis, que j’ai eu la chance pendant plusieurs jours de suivre dans son travail. Il y a d’autres regards et il s’avère qu’il y a en ce moment une exposition à Paris de Jean-Philippe Charbonnier. C’est le moment de découvrir ce photographe qui a été retrouvé par le festival d’Arles. En regardant ces images vous percevrez certains traits du travail de Françoise même s’il est plus pessimiste qu’elle et si elle a son narratif propre. D’abord, la photographie comme lien entre les êtres humains, lien des corps, des substances dirait Spinoza pour désigner l’être dans son corps comme dans sa pulsion de vie, autant interne que vers l’autre. La manière dont le cadrage mais aussi les figures géométriques suggérées par les décors urbains, paysage, lumières qui sont aventures l’emprisonnent et le libèrent, cette errance du regard, le baroudeur de la rue comme celui le long des grèves marines. Je voudrais également souligner l’aspect politique de l’humanisme, de cette prise de conscience civilisatrice face à la folie, un vaste mouvement dont on peut voir le rôle de l’image depuis le peintre Géricault mais qui après les horreurs de l’occupation nazie a connu la libération et l’intervention des psychiatres communistes, puis souvenez-vous ces années-là Tony Lainé et Daniel Karlin, la raison du plus fou, les débats organisés dans toute la France par les militants. Il n’était pas besoin d’être communiste, de penser faire de la politique pour être pris dans cette exigence révolutionnaire d’une autre conception de l’humanité dans laquelle alors l’existence d’un parti communiste produisait des effets émancipateurs dans les milieux de la création. (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)
Jean-Philippe Charbonnier est souvent décrit comme un baroudeur, un reporter intrépide tourné vers l’ailleurs, parcourant le monde entier pour le mensuel Réalités dont il était salarié depuis 1950. Or il a passé beaucoup de temps à photographier son pays, de Roubaix à Arles, en passant par la Creuse et Paris, sa ville natale. Fasciné par ses contemporains, qu’ils lui soient proches ou inconnus, il avait l’habitude de dire : “L’exotisme est à un demi-ticket de métro de chez moi.”
On the Edge propose ainsi une traversée de la France à travers le regard de Jean-Philippe Charbonnier des années 1940 au début des années 1980 à un moment où le pays traversait de profondes transformations sociales, économiques, politiques et culturelles. Parce qu’il est en terrain connu, sa pratique photographique y est souvent plus contrastée, plus personnelle, plus pessimiste aussi. On the Edge fait ainsi référence à son approche photographique intime et critique, porteuse d’une solide dimension sociale qui a fait de Charbonnier un des photographes français les plus talentueux et atypiques de sa génération.
Cette pratique parfois contradictoire qui associe proximité de l’individu et distance critique se retrouve formellement dans sa manière de photographier ses sujets, en lutte contre des forces extérieures et intérieures, comme s’ils cherchaient à échapper à notre regard de spectateur ou à sortir du cadre. C’est aussi une manière de voir le monde qui l’a souvent éloigné de la scène photographique humaniste française : plutôt que de photographier le bonheur, il préférait une vision du monde plus sombre et féroce, dépourvue de nostalgie. Pour autant, son travail ne manque jamais d’humour et de tendresse et on perçoit dans ses photographies une connivence avec ses sujets et le monde qui l’entoure. En témoignent les légendes facétieuses qu’il choisissait consciencieusement pour chaque image. Adepte des reportages longs et immersifs, il aimait rappeler que « La photographie est le plus court chemin d’un homme à un autre.»
L’exposition, qui fait la part belle à des images inédites et des tirages vintages, s’articule autour de quelques moments forts du travail de Jean-Philippe Charbonnier en France. On retrouve ainsi son regard sur la Libération de Paris et l’immédiat après-guerre, ces reportages sur le quotidien des habitants de l’Île de Sein, de Roubaix et du Nord de la France dans les années 1950, son investigation sans concession sur les hôpitaux psychiatriques en 1954 qui provoqua une véritable prise de conscience, et ses déambulations dans son quartier du quatrième arrondissement de Paris à partir de 1975.
Jean-Philippe Charbonnier : On the edge
du 28 janvier au 1 avril 2023
La Galerie Rouge
3 rue du Pont Louis-Philippe,
75004 Paris
01 42 77 38 24
https://lagalerierouge.paris/
Horaires d’ouverture :
11h – 19h du mercredi au samedi
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