Est-ce que vous vous souvenez pour ceux qui ont lu l’interview de l’homo sovieticus auquel nous avions procédé en 2015, il était de Gorlovka (1). C’est cet homo sovieticus qui incontestablement m’a le plus marquée à cet époque tant il reflétait les contradictions de ce qui se passait dans le Donbass et dans une bonne partie de l’Ukraine. Ce voyage me rappelle cette découverte et il me paraît d’une grande véracité en particulier en ce qui concerne ce que subissent les populations civiles et aussi le civisme des simples gens. La manière dont le Donbass résiste avec lucidité et parfois du mépris, refusant même parfois de faire de la politique avec simplement la conscience qu’il y a eu d’autres temps et qu’il faut ne pas se résigner. Merci Marianne de ce témoignage (note de Danielle Bleitrach, traduction de Marianne Dunlop)
L’homo sovieticus ne fait plus de politique | Histoire et société (histoireetsociete.com)
https://vz.ru/opinions/2023/1/13/1193998.html
Andrei Polonski
écrivain, historien
13 janvier 2023, 09:02
Gorlovka, le plus grand centre industriel du Donbass, est sur la ligne de front depuis avril 2014. Toute l’histoire de la ville est une histoire de résistance. Depuis maintenant neuf ans, les troupes ukrainiennes prennent pour cible Gorlovka et ses habitants, sans faire de distinction entre les cibles militaires et les civils.
Nous sommes venus à Gorlovka depuis Donetsk pour une journée – nous devions remettre de l’aide aux combattants et aux civils de la main à la main. Nous avons roulé pendant deux heures par des chemins de traverse, en passant par Makeievka et Yenakievo. La route directe, qui prend environ quarante minutes, n’est toujours pas sûre. Bien qu’elle soit déjà en cours de réparation. Les machines de construction du Kouzbass, qui a pris le patronage de la ville de la ligne de front, sont à l’œuvre, et l’asphalte a déjà été posé sur plusieurs kilomètres selon les normes russes modernes – sans la moindre bosse, lisse comme un miroir. Si les règles le permettaient, on pourrait facilement aller jusqu’à 180. Le travail de reconstruction du Donbass est donc en cours, et personne n’attend la fin de la guerre. Dans un contexte de bombardements constants, c’est pour le moins honorable.
La route que nous avons été obligés d’emprunter – de Yenakievo à Gorlovka – est complètement défoncée, ce qui, étonnamment, est une rareté dans la DNR aujourd’hui. La première pensée, bien sûr, est que nous sommes confrontés à un héritage de la guerre. Mais les habitants de Gorlovka nous ont détrompés. En fait les routes défoncées sont une affaire courante en Ukraine, ils en ont hérité du régime de Kiev. En général, selon le bureau du maire, pendant les années d’indépendance ukrainienne, pas un seul bâtiment résidentiel n’a été construit à Gorlovka. Ils n’ont fait que siphonner l’argent de la ville ouvrière. Et maintenant les autorités de la ville, bien sûr, n’ont pas le temps de construire des routes. Anna Anatolevna Stavitskaya, chef du district central, déclare : “Nous n’avons aucun endroit sûr. En une seule semaine, dans la seconde moitié de décembre, c’est-à-dire quelques jours avant votre arrivée, il y a eu plusieurs frappes sur des bâtiments civils par des Heimars. Les ennemis ont frappé l’hôtel Rodina sur la place centrale – heureusement, ils ont raté leur coup et ont touché le parking ; plus tôt encore, ils ont visé un immeuble résidentiel de deux étages, dont ils ont détruit l’entrée principale, tuant une grand-mère, une autre grand-mère a été sauvée de sous les décombres par des bénévoles ; enfin, ils ont frappé la salle de spectacle du palais de la culture “Shakhtior” [“le Mineur”, NdT]. Il était 11 heures du matin et le directeur du théâtre local, plusieurs acteurs et la réceptionniste discutaient dans le foyer à ce moment-là. Aucun d’entre eux n’a été blessé.
L’efficacité étonnante des armes américaines de haute précision pour frapper les quartiers civils. Hélas, ce n’est pas le cas le plus tragique. Anna Anatolievna montre un morceau de missile d’avion américain qui a été arraché du mur, juste devant le lit d’enfant où dormait une petite fille. Et ainsi de suite, jour après jour, semaine après semaine, mois après mois, pendant huit ans et demi. Et pourtant, la ville vit et fonctionne. Les transports publics fonctionnent, il n’y a pas d’eau dans les maisons, on voit des bombonnes sur les paliers, mais le chauffage central fonctionne, il fait chaud. Même les lignes de tramway ont été préservées…
…En principe, toute personne qui prétend que la guerre a commencé le 24 février 2022 devrait être emmenée à Gorlovka, au moins pour une journée. Et commencer la marche depuis la place Rudakov, depuis le monument à la Madone de Gorlovka – Kristina Zhuk, 23 ans, et sa fille Kira, 10 mois, qui sont mortes sur une place du centre-ville le jour du “dimanche sanglant” – le bombardement ukrainien du 27 juillet 2014.
Ce jour-là, les Ukrainiens ont bombardé les quartiers civils de Gorlovka de 18 heures à tard dans la nuit. L’un des résidents a témoigné : “Nous ne savions pas que dans de tels cas, nous devions tomber au sol. Puis on s’y est habitué et on a appris.” Vingt-deux personnes sont mortes et 40 autres ont été blessées. Christina est restée en vie quelques minutes après l’explosion, sa fille est morte sur le coup. La mère serrait son enfant contre sa poitrine et répétait : “Ma petite Kirochka, Kira”…
C’est ainsi qu’ils ont été trouvés, mère et enfant. Une autre preuve de la mort, un autre signe d’amour…
On dit que dans l’ouest de l’Ukraine, un cocktail, quelque chose comme un Bloody Mary, a été baptisé “la Madonne de Gorlovka”…
Il y a maintenant un monument à l’endroit où Krystyna et Kira sont mortes, et une chapelle au centre de la place. C’est à cet endroit que chacun de nos libéraux devrait être interrogé personnellement, et tous par leur nom :
Quand la guerre a-t-elle commencé ?
D’où vient la haine ?
Il existe un autre monument aux civils morts à Gorlovka – sur l’avenue centrale de la Victoire. Il y a des dalles de pierre, l’une après l’autre, et sur chacune d’elles il y a des noms, petits et rapprochés. J’ai essayé de compter, mais j’ai perdu le compte et j’ai pensé que les chiffres n’avaient plus d’importance.
…Dans les ruines encore non terminées d’un immeuble d’habitation qui avait été pulvérisé par un Himars américain (précision de frappe : 100 mètres, un bloc de maisons privées était à proximité) dans la seconde moitié de décembre, il y avait deux livres en miettes dans les décombres. Je les ai ramassés. L’un était un manuel d’anglais avec un dictionnaire russe-anglais, l’autre était “Comment cueillir des fraises”.
***
…la Russie est attendue ici depuis longtemps, trop longtemps. Et enfin, la Russie est arrivée.
“Cela fait huit ans que nous en rêvons”, déclare Anna Stavitskaya, chef du district central de Gorlovka. – Et même sous le feu, les gens sont allés en masse au référendum. Bien que tout le monde ait eu la possibilité de voter à la maison. C’était le bonheur, la joie pure”.
Serioja, un homme de 26 ans originaire de Slaviansk, de petite taille, rapide, joyeux, délié, de ceux qui font habituellement d’excellents footballeurs et attaquants de pointe, milicien depuis 2014, et maintenant soldat sous contrat dans les forces armées de la RPD, affirme : “Je crois que tout se passe vraiment comme prévu. Si nous avions montré notre force immédiatement, eux, nos vrais ennemis, ces Américains et l’Occident collectif, auraient été tellement effrayés qu’ils n’auraient pas pu le supporter et auraient déclenché une guerre atomique. Mais de cette façon, nous arriverons progressivement à ce que nous voulons, nous sauverons le monde et nous obtiendrons la victoire.
Nous venions de prendre un café et nous étions prêts à nous disperser, debout au carrefour de Yenakievo, à côté du centre sportif où se déroulaient les entraînements habituels. Les yeux de Serioja brillaient et il pouvait difficilement s’empêcher de sourire, même s’il s’efforçait de garder un visage sérieux et adulte, digne d’un homme qui avait donné huit ans de sa jeunesse à la Victoire à venir. Et encore une fois, je pensai que nous étions invincibles.
…Lorsque vous quittez le Donbass, vous éprouvez inévitablement de gêne, parce que vous partez et qu’ils restent – pour notre cause commune. Le Donbass nous montre à tous une incroyable capacité de résistance, celle des simples gens, dont il est si facile d’oublier la possibilité dans le cours normal de la vie.
Mais le Donbass, lui, rêve de mesures sévères. Il ne comprend pas comment un homme dont tout le monde connaît le nom, qui a pillé l’armée russe, peut s’en tirer par un limogeage (1). Se promener librement. Et comment quelqu’un peut faire un festin dans un restaurant et exposer les gens aux missiles ukrainiens (2). Et même que les chefs soient pénalement irresponsables dans le casernement des recrues (3)- sans conséquences pour leur propre vie et même leur carrière…
Et vous pouvez voir à quel point le Donbass est fatigué. Fatigué de la longue guerre de huit ans, de la pesanteur bureaucratique, et encore plus – des gens qui cherchent à profiter du malheur commun, à se faire une réputation sur la guerre….
…Sur le chemin du retour de Gorlovka à Donetsk, alors que je conduisais dans un brouillard épais sur des routes de traverses compliquées, une seule pensée, très simple, m’a hanté. Ce n’est même pas que la Russie devrait naturellement être pour Donetsk, car ce sont les nôtres, notre patrie, notre maison. Mais le fait est que depuis près de neuf ans, Donetsk défend la Russie, afin qu’elle puisse rester elle-même et ne pas se transformer en une chose informe dépourvue d’honneur et de mémoire historique.
(1) Serdioukov
(2) Rogozine
(3) allusion à la frappe du jour de l’an sur une caserne de nouvelles recrues à Donetsk
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Anonyme
Ce n est pas de Prigojine (2) dont il edt question, mais de l ancien directeur de roscosmos Rogozin.
Prigojin est le “chef” de Wagner.