Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Robert Desnos : propagande, voir Potemkine à la Havane en 1928

Robert Desnos qui partit un jour vers Compiègne comme le chantait Aragon, a écrit ce texte sur la manière dont la classe ouvrière cubaine accueillait le film Potemkine sous la dictature de Machado, alors qu’en France la censure règne avec l’antisoviétisme, on s’y croirait.

Au mois de mars à la Havane, j’assistais dans une salle publique, à la représentation du cuirassé Potemkine. Vous avez bien lu, dans une salle publique. Oh, certes, la censure avait fonctionné, mais enfin le principal du film était projeté devant la foule des travailleurs : débardeurs, nègres, ouvriers des sucreries et des cigarettes, employés… Ai-je besoin de décrire le succès qui l’accueillait ?

Non, mais il importe de souligner que sous un gouvernement qui passe pour autoritaire, la censure ne s’était pas crue autorisée à fermer la frontière à l’admirable film russe si juste, si moral, si exaltant et, en même temps, réalisé d’une façon aussi parfaite.

En France, mais à quoi bon insister… Il faudrait refaire éternellement le procès de la censure française, composée de vieux messieurs sans flamme et sans compétence, obéissant aux principes de la morale la plus discutable et pour qui les productions imbéciles des ciné-romans (alias M. Sapène) représentent le « cinéma ».

Les films français peuvent, par contre, se livrer à la propagande la plus honteuse contre l’amour et la liberté. Mieux, ils sont encouragés dans cette voie.

Cent trente-cinq ans après sa mort, on n’a pas le droit, par exemple de représenter Robespierre sous son aspect véritable, c’est-à-dire admirable.

Prohibé, le film où Robespierre n’est pas vu à travers les lunette fleurdelisées des partis de la réaction. Prohibé, le film où la Révolution française n’est pas calomniée, celui où l’on ne dissimule pas les tares et les crimes de Danton, celui où Louis XVI, ce triste sire, n’assume pas les rôles de martyr et de héros.

Prohibés aussi les films où l’amour se révèle sous son jour réel et moral : tyrannique, fatal, irrésistible.

Ce n’est pas assez de dire que le film est un instrument de gouvernement : c’est, à l’heure actuelle, un instrument de réaction.

L’Amérique puritaine tolère les plus beaux films d’amour du monde : Betty Simpson, Nazimova, Dorothy MacKaill, ont pu nous émouvoir sur pellicules yankees. Mais jamais un metteur en scène français n’eut le droit d’exprimer la vie sentimentale et tragique des hommes.

Ah! qu’il s’agisse de Napoléon, des gardes françaises, de Fanfan la Tulipe, du Miracle des Loups ou d’autres âneries alors les capitaux sont prêts à être jetés par la fenêtre, et tous les cerveaux débiles qui constituent la majorité intellectuelle de notre beau pays, de crier au chef-d’œuvre.

Ah! metteurs en scène français, rendez-nous les films de 1916 et les Vampires et Musidora.

Le Soir

8 juillet 1928

Quelques faits et quelques dates:
En 1922, Desnos a rejoint l’aventure surréaliste.

En 1928, Desnos qui est de culture espagnole fait un voyage à Cuba où il découvre la musique cubaine… Si à Cuba malgré la dictature de Machado, le public d’ouvriers que décrit Desnos peut voir le Cuirassé Potemkine alors interdit en France en projection publique, c’est que Cuba présente un cas particulier que je décrivais ainsi dans Cuba est une île: « Il y a peu de pays d’Amérique latine où la Révolution Bolchevique de 1917 eut une influence comparable à celle qu’elle eut à Cuba (…) Le Parti Communiste cubain avec sa personnalité charismatique Julio Antonio Mella (assassiné sur ordre du dictateur Machado au Mexique en 1927) rassembla les intellectuels et les travailleurs, créa des organisations de masse. Cette union entre ouvriers et intellectuels avait déjà caractérisé la révolution indépendantiste avec son héros, un très grand poète et écrivain José Marti. Mella est pénétré de Marx et Lénine mais aussi de Marti, comme quelques années plus tard Fidel Castro.

En 1929, alors que Breton veut tous les entraîner vers le parti communiste et reproche à Desnos d’être journaliste, c’est la rupture. Desnos reproche à Breton son narcissisme et refuse d’être embrigadé. La querelle est sanglante.

Pourtant l’antifascisme va les rapprocher, le 3 novembre 1933, à l’occasion du lancement d’un nouvel épisode de la série Fantômas, il crée à Radio Paris la Complainte de Fantômas qui ponctue, sur une musique de Kurt Weill, un communiste allemand auteur avec Brecht entre autres de l’Opéra de quat’sous. Antonin Artaud qui assure la direction dramatique tient le rôle de Fantômas, tandis qu’Alejo Carpentier est responsable de la mise en onde sonore. Alejo Carpentier est un Cubain, un très grand romancier, spécialiste de musique, il a été arrêté en 1928 par le dictateur Machado comme communiste et à dû s’exiler à Paris. Aussi en 1934, devant la montée du nazisme Desnos se rapproche des mouvements des intellectuels antifascistes, mais c’est la guerre d’Espagne qui le marque. Passionné de culture espagnole, il est choqué par le refus de la France de s’engager aux côtés des républicains et il renonce à son pacifisme et accepte d’écrire pour le quotidien communiste Ce soir. Il devient résistant sous l’occupation et il est arrêté, déporté d’abord à Buchenwald puis à Theresienstadt, en Tchécoslovaquie. Le 3 mai 1945, les SS prennent la fuite, laissant derrière eux des morts vivants squelettiques en pyjamas rayés, tremblants de fièvre, incapables de se lever, l’armée rouge et les partisans tchèques et quelques médecins pénètrent dans le camp. Un étudiant tchèque, Joseph Stuna, est affecté par hasard à la baraque n°1. En consultant la liste des malades, il lit : Robert Desnos, né en 1900, nationalité française. Stuna sait très bien qui est ce Desnos. Il connaît l’aventure surréaliste ; il a lu Breton, Éluard… Au lever du jour, l’étudiant se met à la recherche du poète au milieu de deux cent-quarante « squelettes vivants » et le trouve. Appelant à l’aide l’infirmière Aléna Tesarova, qui parle mieux le français que lui, Stuna veille et tente de rassurer le moribond au péril de sa vie. Desnos a tout juste eu la force de se relever en entendant son nom et de souffler « Oui, oui, Robert Desnos, le poète, c’est moi ». Il meurt le 8 juin 1945 du typhus.

Pourquoi retrouver ce texte, d’abord parce qu’il est magnifique et qu’il illustre bien ce que Desnos critique de cinéma à à dire et combien toute sa poèsie reste sous le charme du cinéma qui pour lui représente la liberté absolue du rêve et il accomplit ce que la vie quotidienne leur refuse: »ce que nous demandions au cinéma c’est l’impossible, c’est l’inattendu, le rêve, la surprise, le lyrisme qui efface les basesses dans les âmes et les précipitent enthousiastes aux barricades et dans les aventures; ce que nous demandons au cinéma, c’est ce que l’amour et la vie nous refusent, c’est le mystère, c’est le miracle  » (2 avril 1927)

Il me semble aussi que cette exigence de Desnos qu’il a payé de sa vie face à la barbarie nazie mérite d’être rappelée dans un temps où la réaction déploie le drapeau français pour mieux interdire aux êtres humains la liberté, où au moment même où ils multiplient les expéditions coloniales ils osent revendiquer un salut au drapeau devenu mercenaire pour complaire à l’extrême-droite… C’est comme le dit Desnos, encore et toujours,  la propagande la plus honteuse contre l’amour et la liberté à laquelle se livre tous les jours les chaînes de télévision, elles sont en train de mettre  encore et toujours au service de la réaction  le pouvoir des images  de peur sans doute qu’un peuple rebelle se précipite enthousiaste aux barricades…

Au fait, la plus terrible des censures celle de l’argent fait que les mots de Desnos conservent toute leur actualité:

Les films français peuvent, par contre, se livrer à la propagande la plus honteuse contre l’amour et la liberté. Mieux, ils sont encouragés dans cette voie.

Cent trente-cinq ans après sa mort, on n’a pas le droit, par exemple de représenter Robespierre sous son aspect véritable, c’est-à-dire admirable.

Prohibé, le film où Robespierre n’est pas vu à travers les lunette fleurdelisées des partis de la réaction. Prohibé, le film où la Révolution française n’est pas calomniée, celui où l’on ne dissimule pas les tares et les crimes de Danton, celui où Louis XVI, ce triste sire, n’assume pas les rôles de martyr et de héros.

Prohibés aussi les films où l’amour se révèle sous son jour réel et moral: tyrannique, fatal, irresistible.

Nous sommes en pleine régression non seulement Robespierre est plus que jamais interdit mais il en est de même de toute peinture d’une quelconque révolution, en revanche le nombrilisme, les petites manoeuvres minables et tous les modes possibles de renoncement à la liberté sont encouragés… De temps en temps  quelque chose troue la représentation théâtralisée de nos vices et de nos servitudes mais ce ne peut être que sous une forme mélancolique…

lire Robert desnos: Les rayons et les ombres, Cinema, Gallimard, nrf où sont regroupées toutes les critiques cinématographiques de Desnos.Poster un commentaire

Publié par histoireetsociete le septembre 21, 2011 dans CINEMAHISTOIRElitterature

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