Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

La nationalisation du gaz et de l’électricité (2)

Nous poursuivons le débat parlementaire de mars 1946, qui a abouti à la nationalisation de l’ensemble du secteur de l’électricité et du gaz en France, selon la volonté du Conseil National de la Résistance, sous l’impulsion du Parti Communiste, de son ministre de la production industrielle Marcel Paul et grâce à la mobilisation massive des travailleurs du secteur et de la CGT. La seconde intervention communiste dans la discussion générale de la loi (retranscrite ci-dessous) est réalisée par Maurice Michel. (note de Franck Marsal pour histoireetsociete)

Frère de Georges Michel*, fils d’un cordonnier et d’une mère commerçante et catholiques, Maurice Michel quitta l’école libre à l’âge de treize ans, après le certificat d’étude, et fut de 1917 à 1924 employé dans une maison de commerce à Romans. Ayant perdu son père en 1919, il fut placé par son tuteur dans une pension catholique où les inégalités sociales le choquèrent. Attiré par les idées de la Révolution d’octobre, il adhéra dès 1923 à la section des Jeunesses communistes qui venait de se constituer à Romans, et en fut le premier secrétaire. Au cours d’une grève des cinq mille ouvriers de la chaussure, en avril-mai 1924 (voir Désiré Revol*), ce petit groupe déploya tant d’activité que le journal le Bonhomme Jacquemart effrayait ses lecteurs en prétendant qu’il devait exister à Romans quatre cents jeunes communistes ! Il rejoignit le Parti communiste en 1926. (Source et notice complète le Maitron : https://maitron.fr/spip.php?article122198, notice MICHEL Maurice, Jean par Roger Pierre, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 19 septembre 2017).

Après avoir fait 4 mois de prison pour opposition à la guerre du Rif en 1926, Maurice Michel poursuit son action militante, organise, mobilise. Prisonnier de guerre de 1939 à 1945, il organise la résistance au sein du Stalag et tente à plusieurs reprises de s’évader. Il est élu à la constituante en 1945 où il sera un des principaux porte parole du groupe communiste.

Son intervention aborde les principaux points de débats que soulève alors le projet de nationalisation. A nouveau, nous pouvons examiner comment avancer sur la voie de la nationalisation, non pas comme simple “changement formel de propriétaire” mais comme réorganisation de l’activité de production, basée sur la socialisation des moyens et la rationalisation de l’activité au service de l’intérêt général.

Les communistes défendent ce projet national, qui sera une clé du relèvement et de la modernisation de la France. En organisant rationnellement une activité nationale de production, les communistes balayent tous les particularismes, tous les intérêts étroits. La simplification est énorme et rend possible le développement rapide dont le pays a besoin. L’exploitation des ressources hydrauliques majeures (la “houille blanche”) de la France, que le secteur privé a négligé afin de préserver des prix élevés et les intérêts commerciaux des houillères va être l’enjeu majeur des nouveaux plans industriels de l’électricité. Des investissements massifs sont nécessaires que seule l’unification et la nationalisation vont permettre.

Pour y parvenir, il faut expliquer et réexpliquer les absurdités et les manipulations auxquelles conduit le “marché”, l’utilisation anarchique des ressources au gré des forces et des intérêts particuliers, et de leur concurrence. L’organisation rationnelle nous avait donné l’abondance d’une énergie électrique bon marché, indépendante car produite souverainement sur le sol national. La réintroduction du marché a ramené l’absurdité, la désorganisation, les prix élevés, les pénuries et la perte de la souveraineté.

L’intérêt général est simple et ne requiert ni organisation complexe, ni, comme le souligne Maurice Michel, aucune bureaucratie.

Comme le montre l’intervention de Maurice Michel (notamment par la citation de Pierre Lebrun, secrétaire de la CGT), déjà, les forces capitalistes sont opposées à la nationalisation, à voir ce secteur clé de l’économie échapper à leur appétit et à leur contrôle. Déjà, elles tentes d’amoindrir la nationalisation. En essayant de préserver l’organisation régionale et en flattant les particularismes, elles s’efforcent de “réserver des possibilités de dénationalisation”. C’est effectivement en s’appuyant sur les délimitations conservées de la Compagnie Nationale du Rhône et de la Société Hydroélectrique du Midi – filiale de la SNCF maintenues par la nationalisation) que seront constitués les premières ouvertures du marché français de l’électricité.

L’organisation capitaliste de la société, les “marchés” capitalistes, qu’ils soient mondiaux, européens ou nationaux ne sont pas moins irrationnels ni anarchiques que les marchés de l’électricité des années 30.

Nous avons déjà abordé les impasses auxquelles nous a conduits la réintroduction du marché de l’électricité. Mais ce raisonnement vaut pour de nombreux autres secteurs. Prenons l’exemple de la logistique et du transport de marchandise, un secteur contrôlé également par quelques trusts. Parmi eux : le puissant groupe Géodis, filiale de la SNCF, donc, opérateur public, on pourrait dire “pôle public” de la logistique. Sauf que la logistique n’est pas nationalisée ni organisée rationnellement. Au contraire, l’état n’a eu de cesse de développer le transport de marchandises comme un marché concurrentiel. La vente récente par la SNCF de sa filiale de location de locomotive AKIEM, comme celle réalisée peu auparavant de celle de location de wagons, ERMEWA, ont été imposées par l’état dans ce sens. Geodis est géré comme un acteur capitaliste du marché et le transport de marchandises est progressivement privatisé, morceau après morceau.

Une myriade de sociétés concurrentes, gérées par une poignée de trusts et d’intérêts particuliers. L’état, simple propriétaire ne fait pas mieux qu’un actionnaire privé. Les lois du marché gouvernent et en plus, l’état privatise ce qu’il reste de public. Les résultats sont tout aussi catastrophiques que pour l’électricité : la part de marché du fret ferroviaire a été divisée par deux en 20 ans. Aucun plan sérieux n’est à même de réduire massivement les émissions de gaz à effet de serre importantes du secteur. Les entrepôts poussent comme des champignons, au même rythme que le réseau ferroviaire se dégrade. Les salariés du secteur sont de plus en plus précarisés, subissent dévalorisation, bas salaires et conditions de travail éprouvantes.

Une réorganisation basée sur la socialisation et la rationalisation serait à même d’apporter de grands avantages. Elle seule permettrait d’engager un vaste plan de transition énergétique, pour développer la part de marché du fret et investir dans de nouveaux outils, comme peut-être l’électrification des autoroutes, tout en apportant aux producteurs et consommateurs un service de transport homogène sur l’ensemble du territoire, durable, efficace et peu coûteux.

Pour cela, il faudra résister à la propagande anti-communiste, qui essaiera de convaincre que la nationalisation serait moins efficace que le marché. Il faudra résister aux particularismes, qui voudront diviser le service par région, comme on le fait sur tant de services publics. Il faudra porter un projet simple, lisible et ambitieux, qui ne laisse aucune prise aux forces du marché. Il faudra se poser la question de l’outil industriel : produira-t-on le matériel de transports, trains, camions, … en France ou les achètera-t-on ? Il faudra s’appuyer sur les salariés du secteur, leur expertise concrète et réelle des métiers, des besoins et des outils.

Il faudra affronter les interdits européens et reposer entièrement le cadre européen qui aujourd’hui rend impossible de nationaliser pour faire prévaloir l’intérêt général. Faire ce qu’ont fait les communistes et le gouvernement de la Libération pour l’électricité et le gaz, pour quelque secteur que ce soit, est totalement contraire aux traités actuels. Comment ferons-nous ? Il est encore trop tôt pour le dire. Mais nous pouvons et nous devons dire dès aujourd’hui et sans ambages qu’il faudra, pour toute avancée sociale, pour tout pas à franchir sur la voie d’une nouvelle société, briser le carcan européen. Non pas l’adapter, le modifier, en changer la priorité, non pas “amender les traités”, non, le briser. Bien sûr, les forces productives aujourd’hui débordent largement du cadre national. Mais elles débordent aussi largement du cadre européen.

Comme l’a fait le Conseil National de la Résistance, nous devons voir loin et grand. Lorsqu’a été posée l’exigence de la nationalisation des secteurs clés de l’économie, on ne savait pas encore comment cela allait pouvoir être réalisé. Mais la formulation de cette exigence a soutenu l’espoir de millions de travailleurs et ces millions, organisés, ont trouvé le chemin vers la solution, en tous cas pour l’électricité et le gaz. Ce faisant, ils ont fait faire à notre pays un pas de géant.

La campagne des “jours heureux”, portée par Fabien Roussel a renoué avec cette ambition d’écrire une nouvelle page du développement de notre pays. Le congrès nous donne l’occasion de développer cette ambition dans notre programme, avec clarté et simplicité, avec audace et en ouvrant de nouvelles voies.

Intervention de Maurice Michel :


Mesdames, messieurs, je me propose d’apporter brièvement le point de vue du parti communiste sur quelques problèmes importants qui sont :
1° La séparation du gaz et de l’électricité ;
2° La nationalisation de la distribution de l’électricité ;
3° Les secteurs de production ;
4° L’importance des circonscriptions territoriales des services intercommunaux de distribution ;
5° La question de l’indemnisation.

On a invoqué la technique pour séparer l’électricité et le gaz. Certes, les deux industries n’utilisent pas toujours les mêmes moyens de production.
Cela est vrai aussi pour l’électricité seule, dont une partie utilise l’eau de nos cours d’eau et l’autre partie le charbon.
L’électricité et le gaz ont intérêt, à notre avis, à être gérés par les mêmes organismes, parce que ce sont des sources d’énergie et des services publics complémentaires. Chacun de ces deux services publics doit se développer en fonction du meilleur emploi des ressources naturelles disponibles dans chaque région. L’unité de direction permettrait, par exemple, de développer la cuisine électrique dans les Alpes et la cuisine au gaz dans le Nord.
Avec deux organismes de gestion, l’un pour l’électricité, l’autre pour le gaz, on peut craindre une concurrence se manifestant anarchiquement par l’emploi de la cuisine électrique aux alentours des bassins miniers et l’emploi de la cuisine au gaz dans des régions riches en bouille blanche. Aucune coordination rationnelle n’est actuellement réalisée entre l’électricité et le gaz, ni sur le plan de la production, ni sur le plan de la distribution.
Par contre, on constate des rapprochements entre les deux services publics dans plus d’un domaine. Le personnel du gaz et le personnel de l’électricité ont des intérêts sociaux concordants, et cette réalité s’est affirmée par la création de syndicats communs.
De plus, sur 264 sociétés gazières, 160 distribuent également de l’électricité. Dans 394 villes importantes, il y a une exploitation unique du gaz et de l’électricité. Parmi ces villes, on peut citer Lyon, Lille, Tours, Montpellier, Montauban, Rennes, le Mans, Reims, Poitiers, Mâcon, Clermont-Ferrand, Cherbourg, Brive, Besançon, Saint-Brieuc, Verdun, etc.
Cette exploitation mixte, déjà installée depuis longtemps, comporte des avantages évidents au point de vue des frais généraux et, notamment, des dépenses de direction, de fonctionnement des services commerciaux et des services de contentieux.
Là où cette communauté n’existe pas, il y a double frais généraux et nous craignons de sérieuses complications dans les cas où il faudra séparer les deux exploitations, comme on nous y convie.
Il y aurait, à notre avis, d’autres avantages à un service unique :
1° Unité du service de propagande, orientant la clientèle suivant l’intérêt national ;
2° Unité des services de comptabilité pour le relevé des compteurs, l’établissement des quittances et les encaissements ;
3° Unité du service technique immédiat pour le dépannage ;
4° Unité des travaux de rues. Il est parfois navrant de voir défoncer une rue, un jour, pour les travaux du gaz et, le lendemain, pour l’électricité.

Pour toutes ces raisons, nous aurions préféré le projet du Gouvernement qui prévoyait un seul service national : Electricité et Gaz de France et des services intercommunaux de distribution communs.
La majorité de la commission de l’équipement national a pensé autrement et le projet actuel prévoit deux services distincts. Nous pensons que cette divergence n’est pas de nature à retarder la nationalisation et nous nous rallions à l’accord réalisé sur ce point entre le Gouvernement et la majorité de la commission.

Sur la nécessité de nationaliser la distribution de l’électricité, en même temps que la production et le transport, l’accord est réalisé entre tous les partisans de la nationalisation. Chacun sait que la plus grande partie des bénéfices est réalisée dans la distribution du courant électrique et nationaliser seulement la production et le transport aurait abouti à priver le développement de notre équipement des ressources les plus importantes.
Les hasards de la concurrence ont entraîné un développement des réseaux de distribution souvent désordonné et il importe de rationaliser et de mettre de l’ordre dans ce domaine. D’ailleurs, la nationalisation exclusive de la production et du transport — la distribution restant dans le secteur privé — serait pratiquement irréalisable en raison de la complexité inextricable de toutes les sociétés qui dépendent les unes des autres. Les trois branches de l’activité électrique sont étroitement enchevêtrées à l’intérieur d’un grand nombre de sociétés. Par exemple, la Société générale de Force et Lumière, la Compagnie Lorraine d’Electricité, la Société nantaise d’Electricité, la Société pyrénéenne d’énergie électrique, l’Energie électrique du littoral méditerranéen, la Compagnie électrique du Nord, etc.
Même dans le cas où il existe des sociétés distinctes pour la production et le transport, ces sociétés sont souvent des filiales de sociétés de distribution dont elles tirent le principal de leurs ressources. Tel est le cas de la Société des forces motrices du Haumbs, filiale des sociétés de distribution du groupe de la Compagnie générale d’électricité; c’est le cas de la Société des forces motrices de la Selves, dont le capital est détenu par de nombreuses sociétés de distribution: de la Société des forces motrices du Gui, filiale de la Compagnie électrique de la Loire et du centre et de la Compagnie continentale du gaz.
En réalité, une dizaine de « groupes » contrôlent 90 à 95 p. 100 de la production, du transport et de la distribution. Ils ont des filiales communes pour l’exécution des travaux et diverses autres activités.

La nationalisation étendue à la distribution se justifie donc pleinement. Il y a lieu d’apporter, d’ailleurs, dans le domaine de la distribution de l’électricité, des réformes urgentes, en raison du nombre excessif des entreprises exploitées, de la multiplicité des contrats de concession, qui sont au nombre de 15.000 environ, de l’existence de frais généraux résultant de la présence dans de nombreuses villes de plusieurs bureaux de sociétés d’électricité, alors qu’une seule entreprise pourrait facilement assurer le service. Certains nous ont reproché de vouloir bureaucratiser ce secteur de l’économie. S’ils sont de bonne foi, ils reconnaîtront que la nationalisation est un moyen de simplifier et de rationaliser.
Une longue discussion s’est instaurée à la commission de l’équipement national, sur la création de secteurs régionaux autonomes de production.
M. Pierre Lebrun, secrétaire de la C. G. T., écrit sur cette question dans le journal Les nouvelles économiques : « L’organisation actuelle de l’industrie électrique est certes à base régionale. Les raisons de cet état de fait ne sont nullement techniques, mais financières. Il existe, sous la direction jumelée de l’Union d’électricité et de l’Energie industrielle, un cartel des grandes entreprises capitalistes d’origines diverses, qui se sont partagé le marché et le territoire nationaux. Chacune de ces grandes entreprises a son fief: l’Union d’électricité règne à Paris; l’Energie industrielle à Lyon; Loire et Centre à Saint-Etienne; le Littoral méditerranéen à Marseille,
etc.
« Cette situation régionale, on comprend que les intéressés désirent la conserver. Il ne s’agit pas seulement, au travers de la nationalisation, de conserver des situations acquises et de réserver des possibilités de dénationalisation, mais aussi d’empêcher la nationalisation de s’accompagner d’un grand progrès et d’un grand succès technique.
« Depuis des années, en effet — poursuit M. Pierre Lebrun, dans son article — le progrès technique est entré en conflit avec cette structure régionale, car, depuis des années un kilowatt, dont le besoin se manifeste à Paris, peut, indifféremment, être produit dans une centrale thermique du Nord ou dans une centrale hydraulique des Pyrénées. »
L’organisation à base régionale, qui nous a été proposée et qui a été repoussée par le Gouvernement, comportait un certain nombre d’établissements publics, dotés de conseils d’administration respectifs. Avec cette organisation, la coordination des centrales et des réservoirs était rendue très difficile. Il est, d’ailleurs, impossible de constituer des régions techniquement autonomes dans lesquelles la production équilibre la consommation. Il y a de gros déficits dans l’Ouest, de forts excédents dans les Alpes, des excédents saisonniers dans le Massif Central. Les services du personnel, les services financiers et juridiques, les services de recherches techniques peuvent être avantageusement groupés. La création de la S. N. C. F. a permis de supprimer les services chargés de compter les wagons passant d’un réseau à l’autre sans que pour cela la S. N. C. F. perde la notion de prix de revient ni que son administration soit plus défectueuse, au contraire.
Nous souhaitons un progrès analogue dans l’industrie électrique. Nous savons très bien que, pour la bonne marche du service national de production et de transport il convient qu’existent un certain nombre de directions, sous l’autorité du directeur général, mais nous repoussons l’organisation de conseils d’administration régionaux qui seraient une entrave au développement de l’industrie électrique et à son utilisation rationnelle sur le plan national.
L’accord s’est fait sur ce point entre le Gouvernement et la commission pour qu’une loi, votée avant la fin de la période transitoire, détermine le statut des secteurs de production et la nature de leur autonomie.
Nous nous sommes ralliés à cette disposition, pensant que l’expérience de quelques mois permettra de trouver la forme la plus convenable d’organisation.
Pour la distribution, le projet du Gouvernement prévoyait la création de services intercommunaux dans le cadre départemental. On a objecté que la configuration de réseaux de distribution ne permettait pas cette formule et que des raisons techniques majeures demandaient son abandon.
Nous ne sommes pas de cet avis. Il y a de nombreux départements, dans lesquels la distribution est déjà organisée dans le cadre départemental : les Deux-Sèvres — régie intercommunale groupant toutes les communes du département ; la Vienne — trois régies intercommunales groupant la quasi-totalité des communes du département ; Loir-et-Cher — régie départementale groupant toutes les communes du département sauf les grandes villes; le Loiret — régie départementale ; la Creuse, où l’armature de la distribution est un réseau départemental constitué sur l’initiative du conseil général.
Il y a, d’autre part, des départements dans lesquels il existe des syndicats départementaux prêts à prendre en main la distribution. Ces syndicats ont actuellement pour objet le contrôle des distributions d’énergie électrique et le règlement de toutes les questions présentant un intérêt commun pour les collectivités du département. Ces départements sont : l’Allier, l’Aube, le Tarn, les Landes, les Ardennes, Indre-et-Loire, les Côtes-du-Nord, la Charente, le Lot-et-Garonne, la Haute-Garonne, le Calvados et la Seine-Inférieure. Le projet de la commission prévoit que les circonscriptions territoriales des services intercommunaux sont établies par les services nationaux, en tenant compte de la structure des réseaux et des intérêts économiques des régions. Nous souhaitons, dans l’intérêt des usagers, que les circonscriptions territoriales épousent le plus possible le périmètre des départements, car les municipalités et les maires ont l’habitude de défendre leurs intérêts dans le cadre du département et nous tenons, pour notre part, à les associer pleinement à la réussite de la nationalisation.

Le problème de l’indemnisation nous permet de faire un certain nombre de remarques. Les actions des sociétés d’électricité représentent, en grande partie, des ouvrages et des installations qui doivent revenir gratuitement aux collectivités concédantes, à l’expiration du contrat de concession. C’est un aspect de la question que l’on a trop tendance à oublier dans ce débat.
D’ailleurs, le projet du Gouvernement prévoyait une indemnisation équitable.
Les actionnaires qui n’attendaient pas de leurs titres un profit spéculatif auraient vu leur revenu consolidé à un taux avantageux.
Les actions étaient remboursées sous forme d’obligations portant intérêt à 3 p. 100 l’an. Le montant de la valeur remboursable des actions était calculé sur la base d’une période de référence qui donnait l’indice 333 par rapport à la valeur de 1938 supposée égale à 100.
Il était prévu l’émission d’obligations nouvelles pour le financement des grands travaux d’équipement et la possibilité, pour ces obligations, de comporter, en plus d’un intérêt fixe, un intérêt complémentaire variable avec l’augmentation des ventes de courant.
La commission de l’équipement, à la majorité, a demandé une période de référence plus favorable, qui donne l’indice 398, et l’extension aux vieilles obligations de l’intérêt supplémentaire variable. Il n’y a donc là aucune spoliation et nous ne comprenons pas pourquoi ce mot est si fréquemment employé dans ce débat.
Les « modestes actionnaires » qui ont écrit aux députés des lettres dont la rédaction est uniforme et laisse penser que ce sont de gros actionnaires qui les ont rédigées, disent qu’ils pouvaient espérer une amélioration de leurs revenus par une bonne gestion privée, tandis que le service national va leur assurer un revenu fixe et immuable. Mais les augmentations, soit des dividendes, soit de la cote des actions en Bourse, n’ont été obtenues, jusqu’à présent, qu’en vendant l’électricité cher. Le modeste actionnaire est en même temps consommateur d’électricité et, à ce titre, il a supporté toutes les augmentations de tarifs. Remboursé équitablement, il a tout à gagner dans une réforme qui conditionne l’essor de notre économie nationale.
Le but de la nationalisation est de porter l’équipement du pays au niveau de ses besoins et du développement de notre industrie. La production électrique devra doubler en six ans, et monter à 40 milliards de kilowatts-heure en mobilisant nos formidables ressources du Rhône, du Rhin, de l’Isère, de la Durance, de nos rivières du Massif central et des Pyrénées. Le peuple de France fera l’effort nécessaire pour réaliser ce programme. Le parti communiste, en votant la loi sur la nationalisation de l’électricité et du gaz, sait que l’on réalise là les premières conditions de cet essor.

Vues : 259

Suite de l'article

3 Commentaires

  • jean-luc
    jean-luc

    Merci de cet article très intéressant comme toujours.
    Ne pensez-vous pas que le succès des nationalisations des industries ‘clés’ de l’énergie et des transports ait aussi à voir avec le fait qu’une partie de la classe capitaliste, alignée sur une politique nationale, y ait aussi trouvé son intérêt, quitte à arbitrer au sein de la classe contre la fraction qui contrôlait ces industries? Arbitrage, au demeurant, plutôt indulgent car indemnisé par l’état lui-même. A ce sujet, quel a été la position du PCF sur la question des indemnisations?

    Répondre
    • Michel BEYER
      Michel BEYER

      Je vais faire une réponse parcellaire. Frank MARSAL pourra compléter si il le juge utile.
      Souvent ont été évoqués par les adversaires de la nationalisation, les fameux 1%, pris sur le chiffre d’affaires de l’exercice précédent et accordés pour les oeuvres sociales de la CCAS. En fait, c’étaient 2% qui étaient accordés. Les anciens actionnaires touchaient eux-aussi 1% jusquà une date relativement récente. (Frank pourrait préciser la date). Ce 1% , les anciens actionnaires pouvaient en faire ce qu’ils voulaient, y compris le mettre sur un compte à l’étranger. Alors que le 1% des oeuvres sociales contribuaient à la richesse de la France, dépensés intégralement.
      Je m’excuse de l’imprécision, mais il me semble que les anciens actionnaires ont touché 1% jusqu’en 1995.

      Répondre
    • Franck Marsal
      Franck Marsal

      Merci pour ces questions et remarques. Je n’ai pas tous les éléments pour répondre, mais voici ce que je peux dire dans un premier temps, sur cette question éminement intéressante. D’abord, il est intéressant de comparer l’histoire du secteur énergétique français à celle de son homologue allemand. Cela éclaire largement l’actualité politique. Voici ce que dit Dominique Lorrain dans la revue scientifique Persee (https://www.persee.fr/doc/flux_1154-2721_2000_num_16_39_1317) :
      “Par rapport au paysage français d’une industrie électrique unifiée autour d’une grande entreprise, Électricité de France, l’Allemagne offre un contraste saisissant. Son industrie électrique est bien plus proche du deuxième modèle français de service public avec un rôle ancien des municipalités, le dynamisme de quelques grandes entreprises privées se développant sur des monopoles territoriaux et des pratiques anciennes de coopération entre public et privé. Le secteur présente une architecture complexe avec un millier d’entreprises qui s’articulent à différents niveaux (1). Au sommet, neuf grandes compagnies produisent 81 % de l’énergie du pays, la transportent et distribuent 40% de l’électricité (voir carte et encadré 1). Environ 70 compagnies régionales de distribution représentent 7 % de la puissance et 28 % des ventes, principalement dans les zones à faible densité. 850 municipalités s’appuyant sur des entreprises publiques spécialisées, ou tadtwerke, distribuent et parfois produisent; au total elles contribuent pour 30% des ventes. Les 10% restants sont générés directement par de grands industriels ou des producteurs indépendants, parmi lesquels les deux plus importants sont Steag et VKR qui a été absorbé par Preussen Elektra
      (Veba).”
      Et
      “Afin d’éviter des conflits territoriaux les compagnies ont alors signé au cours des années vingt des contrats dits de démarcation {Demarkationsvertrag) , qui fixaient les bases de monopoles territoriaux. Plus tard, la loi sur l’énergie de 1935 tout comme la loi sur la libre concurrence de 1957, pourtant prises dans contextes politiques très différents, n’ont pas remis en cause ce système reposant sur :
      – un régime de liberté d’établissement assorti d’un cadre réglementaire,
      – l’existence de monopoles territoriaux fondés sur des accords entre les firmes,
      – des interconnexions régionales ou nationales, qui viennent compléter le système de monopoles territoriaux. ”

      C’est à dire que le système énergéique allemand est resté semblable à ce qu’aurait été le système français sans la nationalisation portée par Marcel Paul et aboutit exactement à ce que les communistes dénonçaient en 1946 et aux problèmes que nous rencontrons aujourd’hui (je site toujours le même article) :

      “Cette situation succinctement décrite connaît une rapide transformation. Depuis la fin des années quatre-vingt, une succession de problèmes ou de critiques se conjuguent. Premier d’entre eux, le niveau des prix. L’Allemagne enregistre des prix de l’électricité industrielle bien plus élevés que dans le reste de l’Europe. Beaucoup y ont vu un effet de la cartellisation du marché mais ce n’est qu’une partie de l’explication. Ces
      prix reflètent aussi les subventions en faveur de l’industrie charbonnière; lorsque la contribution pour le charbon a été supprimée en janvier 1 996, les prix pour les consommateurs industriels ont chuté de 12,5%.”

      Donc, la bourgeoisie avait un autre plan pour l’électricité, celui-ci est moins rationnel du point de vue de l’intérêt général mais plus pertinent du point de vue de la constitution de conglomérats industriels profitables. D’ailleurs, le groupe qui représente la grande bourgeoisie à la constituante de 1946 s’y oppose fortement et vote contre. Si on parvient en France à la nationalisation du secteur (et non, j’insiste, à la nationalisation d’une ou plusieurs entreprises) c’est bien parce qu’un rapport de forces politique le permet et l’impose simultanément.

      Venons-en à ce rapport de forces politiques : il tient à deux éléments : la puissance du parti communiste et la brûlante actualité de la crise des années 30, du fascisme et du nazisme récemment résolue dans la victoire de l’URSS, des alliés et, en France, de la résistance. Le parti communiste restera puissant durant plusieurs décennies, jusque dans les années 70, mais l’effet de la victoire et des leçons de la guerre et des années 30 va s’estomper beaucoup plus vite. 4 forces principales débattent du projet de loi de 1946 (et en toile de fond, se déroule le débat constitutionnel). Trois de ses forces son favorables, avec des nuances, à la nationalisation, ce sont les communistes, les socialistes et le MRP, parti chrétien-démocrate, issu de la résistance et très marqué par elle. Le MRP intervient vigoureusement en faveur de la nationalisation. Le MRP est un parti gaulliste, mais De Gaulle, lui, n’est pas MRP. De Gaulle, qui est resté président du conseil jusqu’en janvier 1946, démissionne car il veut un régime à l’exécutif fort (ce qu’il fera avec la 5ème république) et, lance, dèbut 1947 le RPF, le Rassemblement du Peuple Français, parti clairement de droite et anti-communiste, mais souverainiste (ce courant politique qu’on appellera ensuite le gaullisme, et qui est très différent de ce qu’était le RPF, qui deviendra le “centre démocrate” et s’étiolera progressivement).
      Aux élections municipales de 1947, le MRP voit son influence dans les grandes villes siphonnée par le RPF. Le MRP se maintient en zone rurale. Le RPF va, grâce à l’abstention des élus socialistes, pouvoir prendre la direction d’un nombre considérable de grandes villes (Paris, Marseille, Bordeaux, Lille, Rennes, …) et de communes plus petites souvent au détriment du parti communiste.
      Autrement dit, dès 1947, l’effet de la Libération s’estompe et, afin de reprendre le contrôle de la situation, la bourgeoisie procède par étapes : elle affaiblit le MRP. Ce faisant, la social-démocratie, qui était en quelque sorte prise en tenaille entre les communistes et ce MRP, s’en trouve libérée et commence son oeuvre d’affaiblissement du communisme.
      Après l’éviction des ministres communistes en novembre 1946, c’est cette social-démocratie, en la personne du ministre de l’intérieur Jules Moch, tiendra dnas un premier temps le (sale) rôle de “l”exécutif fort” cher à De Gaulle et à la droitte, par la repression massive des grèves de 1947 (notamment l’envoi de l’armée sur les carreaux des mines) et la dissolution des compagnies de CRS trop proches de la résistance et des communistes.
      Toutes les grandes réalisations de la Libération tiennent dans cette période cruciale de 1945 – 1946 et ensuite, commence l’oeuvre très lente et progressive, mais également très déterminée de démolition. il n’est pas inintéressant de noter, à toutes fins utiles, que ce n’est pas “l’union de la gauche” qui permet en 1946, comme en 1936, au parti communiste d’arracher des acquis sociaux. C’est dans les deux cas une union tri-partite (assortie d’une puissante base sociale) : PCF, SFIO et radicaux en 1936 et PCF, SFIO, MRP en 1946. En 1936, c’est d’aiileurs sur la pression directe et forte de Maurice Thorez que l’on vise un accord tri-partite plutôt qu’une “union PCF – SFIO” seule. En 1981, il y aura aussi des radicaux, mais ne représentent plus rien et la social-démocratie a le champ libre.
      Donc, à travers la nationalisation du gaz et de l’électricité, les communistes arrachent une victoire historique à la bourgeoisie, en s’appuyant sur une situation favorable, mais cette victoire nécessite des compromis (un premier projet de loi a d’ailleurs été rejeté). Un des éléments clés de ce compromis sera l’indemnisation (qui – et les communistes le dénoncent – est plus qu’une indemnisation légitime, c’est un pont d’or qui est fait, effectivement sous la forme du 1% du chiffre d’affaire pendant 50 ans). Cet argent, sachons-le, sera bien utile à la bourgeoisie française pour reconstituer son pouvoir financier et économique.

      Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

La modération des commentaires est activée. Votre commentaire peut prendre un certain temps avant d’apparaître.