Fabio Massimo Parenti est actuellement professeur associé d’économie politique internationale à l’Université des affaires étrangères de Chine, à Pékin. Il a également enseigné en Italie, au Mexique, aux États-Unis et au Maroc et est membre de divers groupes de réflexion italiens et étrangers. Son dernier ouvrage est intitulé “La voie chinoise, un défi pour un avenir commun” (Meltemi 2021). Sur twitter : @fabiomassimos. L’article a été signalé à Histoire et societe par notre ami et correspondant communiste italien Pietro Fiocchi, qui se trouve en ce moment en Chine. (note et traduction de Marianne Dunlop pour histoireetsociete)
La semaine dernière, nous avons appris la propagation des protestations dans plusieurs villes chinoises contre les mesures de la stratégie “zéro covid”.
Les mesures anti-covid strictes, dues en partie à la multiplication des cas d’infection à des niveaux auxquels la Chine n’était plus habituée, ont mis à rude épreuve la résistance de la population (soumise à des tests quotidiens, à des bouclages localisés et à des quarantaines pour le simple passage dans des lieux où se trouve un cas). En outre, un problème qui a parfois contribué à exacerber les tensions concernait l’excès de prudence de certains responsables locaux, au niveau des districts et des communautés, souvent par crainte de sanctions. Ainsi, dans certains cas, il est arrivé que les dirigeants locaux mettent en œuvre des mesures plus strictes que celles exigées par le gouvernement central.
Les manifestations de la semaine dernière, qui semblent s’être calmées jusqu’à présent, ont impliqué un très petit nombre de personnes (des groupes de plusieurs centaines dans plusieurs villes). Dans le même temps, la possibilité d’une nouvelle escalade semble avoir été neutralisée par le premier assouplissement des mesures de restriction, déjà annoncé et mis en œuvre par certaines autorités municipales sur la base des nouvelles directives du gouvernement central. « Les villes qui ajustent leurs politiques sont notamment Chengdu, Tianjin, Dalian, Shijiazhuang et Shenzhen », écrivait le Glbal Times il y a quelques jours.
En général, nous pouvons affirmer que si la majorité de la population semble encore accepter les sacrifices personnels, sociaux et économiques résultant d’un respect total de toutes les règles anti-covid – pour des raisons de sécurité et de responsabilité sociale – une part croissante de la population, composée principalement de personnes à faibles revenus mais aussi de petits entrepreneurs, semble ne plus tolérer les effets négatifs générés par les restrictions anti-pandémiques.
La réactivité politique de la Chine embarrasse l’Occident
Enfin, beaucoup apprennent que l’on peut protester et manifester librement en Chine grâce à un cadre réglementaire et législatif qui s’est affiné au cours des 20 dernières années. Codifié par une loi de 2005 sur les rassemblements et les manifestations et son règlement d’application, le droit de manifester est largement reconnu et protégé en Chine. Il en va de même pour le renforcement des syndicats, qu’ils soient liés au parti ou indépendants, et du droit de grève qui y est lié.
Les manifestations de ces jours-ci offrent donc une nouvelle leçon à ceux qui, depuis des décennies, ne tiennent pas compte de l’intense dialectique démocratique entre les autorités et la population en Chine. Comme nous l’avons déjà mentionné, après une semaine de manifestations dans plusieurs villes chinoises, les autorités politiques ont commencé à assouplir certaines mesures de lutte anti-covid. Dans ce cas, comme dans d’autres cas de protestations généralisées dans le pays, le gouvernement, qui jouit d’une cote de popularité parmi les plus élevées au monde, a été réactif, bien plus que les gouvernements occidentaux dans des situations similaires. En effet, ces derniers prétendent donner des leçons de démocratie alors même qu’ils n’ont pas répondu à ceux qui manifestaient entre 2020 et 2021 pour exactement les mêmes raisons (lockdowns, restrictions et interdictions de voyage, etc). Au contraire, force est de constater que dans certains cas, comme celui du carnet de vaccination pour pouvoir travailler, nos gouvernants se sont engagés sur des voies encore plus restrictives de la liberté et des droits fondamentaux.
Nous sommes donc en présence d’un renversement des évaluations en fonction du contexte considéré. Il s’agit du “double standard” habituel, selon lequel des phénomènes similaires sont évalués de manière opposée. Il s’agit essentiellement d’une pathologie qui affecte l’Occident depuis longtemps et qui trouve sa raison d’être dans la compétition politique internationale menée avec des méthodes malhonnêtes et déloyales. Concrètement et brièvement : il suffisait de protester contre les mesures anti-covid dans de nombreux pays occidentaux pour être diabolisé socialement et mériter moins de droits que les autres citoyens dociles. Si, en revanche, certains citoyens chinois manifestaient pour les mêmes raisons fondamentales, ils représentaient de courageux combattants de la démocratie. Du Canada à l’Italie en passant par les principaux pays européens, il n’est pas rare que les manifestants soient accusés par la police, étiquetés selon des catégories de mépris social, marginalisés et ridiculisés par les autorités publiques. Au Canada, cela est allé jusqu’au blocage des comptes bancaires des chauffeurs routiers, et en Italie à l’interdiction de manifester dans les centres-villes (en plus de la suspension de travail pour ceux qui ne sont pas vaccinés).
Il s’agit de la même méthode hypocrite appliquée aux différents groupes terroristes lors des dernières campagnes de guerre : les égorgeurs opérant en Libye, en Irak, en Syrie ou en Chine (Xinjiang), par exemple, ont été transformés par magie en rebelles combattants de la liberté s’ils servaient l’objectif de changement de régime d’un gouvernement donné.
Exagérations médiatiques
À la lumière des informations disponibles sur les manifestations en Chine, les médias occidentaux habituels ont commencé à politiser la question, allant même jusqu’à parler de similitudes avec les émeutes de Tiananmen de 1989. Ce dernier point est clairement exagéré car il manque les deux éléments politiques qui ont caractérisé les émeutes il y a plus de 30 ans : un mouvement politique pro-occidental et anti-gouvernemental et la demande d’un système politique différent.
Les critiques adressées par certains groupes de citoyens chinois à leurs propres autorités ces derniers jours ont presque exclusivement porté sur l’impact socio-économique des politiques de lutte contre l’épidémie et n’ont pas été dirigées contre le gouvernement et le parti tout court, sauf dans des cas minoritaires liés à l’incident d’Urumqi. Au contraire, comme cela s’est produit dans le passé pour d’autres questions environnementales, syndicales et économiques, les manifestants ont protesté en brandissant les drapeaux de la République populaire.
Il est bien connu que les médias occidentaux ont politisé la pandémie dès le début. Par conséquent, les distorsions interprétatives actuelles des protestations chinoises sont parfaitement logiques, malgré leur profonde hypocrisie et leur nature contradictoire. Tout cela fait partie d’un tableau encore plus large d’ingérence depuis des décennies des organes de presse occidentaux dans les affaires intérieures chinoises, visant constamment l’exploitation politique des questions concernant le statut des régions autonomes ou à administration spéciale telles que le Tibet, Hong Kong, le Xinjiang et Taïwan.
L’AUTEUR
Vues : 268
Xuan
Le blog de Beppe Grillo est souverainiste, c’est curieux le grand écart dans ces milieux.
admin5319
oui Marianne a intérrogé à ce propos notre correspondant communiste italien Pietro Fiocchi qui nous a transmis l’article, il nous a répondu deux choses :1) l’auteur est vraiment quelqu’un d’important, un grand expert des questions chinoises 2) la situation est telle en Italie que nous n’avons même plus comme vous un parti communiste, une publication, et on écrit où on peut là où on accepte de nous publier…
admin5319
@ Xuan, de la part de Marianne : selon l’explication de notre ami italien Pietro Fiocchi, à qui j’ai fait remarquer la chose, les possibilités de s’exprimer en Italie (ou peut-être les plate-formes de gauche ayant un peu d’audience ?) sont bien plus limitées qu’en France. Je ne connais pas suffisamment la situation politique italienne pour en juger.