Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Un nouveau bataillon : les prisonniers de guerre des forces armées ukrainiennes retournent au front combattre du côté russe, par Igor Moiseïev

https://svpressa.ru/war21/article/354341/

Certains ont subi un tel lavage de cerveau qu’ils ne croient pas ce qu’ils ont sous les yeux.

Il a récemment été rapporté sur Internet que la formation d’un nouveau bataillon a été achevée à Donetsk, composé d’anciens membres de l’armée ukrainienne qui ont été faits prisonniers.

Ils iront bientôt au front. Et tous les combattants du bataillon sont des volontaires.

Nous cherchions depuis longtemps une personne impliquée dans ce processus. Et finalement, nous en avons trouvé quelqu’un. Le colonel Alexander Lifanov, un conflictologue militaire professionnel (il s’avère qu’il existe une telle profession au sein de la Direction principale du renseignement militaire), a expliqué à Svobodnaya pressa comment ils ont réussi à “reformater” radicalement la conscience des militaires ukrainiens. Il s’occupe des prisonniers de guerre ukrainiens depuis les premiers jours de leur capture.

“SP : – Comment tout a commencé, Aleksandr Gennadievich ?

– Ça n’a pas été facile. Changer le paradigme de la vision du monde d’une personne n’est pas un processus rapide, et il se déroule en plusieurs étapes. Première étape – il faut d’abord obtenir un maximum d’informations militaires du prisonnier. De quelle unité il vient, où il a été formé, ce qu’il faisait dans l’unité, qui étaient les officiers, etc. Nous n’avons pas été directement impliqués dans cette affaire. D’autres professionnels en étaient chargés. Y compris des psychologues. C’est d’ailleurs l’étape la plus difficile. Au cours de ces interrogatoires, les gens commencent à biaiser, à mentir, à minimiser leur participation à l’opération. Comme l’a dit l’expert militaire Shurygin, “les vieilles chansons sur l’essentiel” commencent.

Puis, après avoir appris tout ce qu’ils peuvent et ne peuvent pas apprendre des prisonniers, ils les laissent tranquilles – pour attendre d’être échangés. Le prisonnier n’a pas grand-chose à faire en attendant, si ce n’est de méditer à son sort. Et c’est là que nous intervenons.

“SP : Et par quoi avez-vous commencé ?

– D’abord, nous avons nettement séparé tous les prisonniers en deux camps – les Vsushniks [VSU = Forces de l’Armée Ukrainienne, FAU, ou AFU selon le sigle anglais, NdT] et les Nazis. Nous n’avons pas travaillé avec les nazis – cela aurait été une perte de temps et d’efforts. Nous nous sommes intéressés à un autre contingent – les mobilisés.

“SP : – Mais ils sont tous des personnes différentes…

– Bien sûr. Tout d’abord, vous devez comprendre quel type de personne vous avez en face de vous. Et une personne, comme vous le savez, est façonnée par la société. Vous devez obtenir le plus d’informations possible de sa part – où il est né, avec qui il a grandi, qui étaient ses amis d’enfance, où et avec qui il a servi, comment il a rejoint l’AFU, etc. Et nous étions très intéressés par la façon dont sa conscience était travaillée, son cerveau recâblé, sa haine des Russes inculquée, etc. Et nous avons fait savoir tout de suite au prisonnier que nous en avions besoin uniquement à des fins de recherche. Et cela ne représentait aucune menace pour lui. Ils sont devenus plus disposés à partager des informations. Nous avons trouvé ensemble des vidéos sur les réseaux sociaux.

Puis nous avons analysé attentivement ces vidéos. Nous avons vu ces oracles déformer les faits, utiliser des méthodes de programmation neurolinguistique, etc. Ils sont assez forts pour ça, d’ailleurs.

Puis nous sommes retournés avec ces vidéos “analysées” vers notre sujet. Et nous avons démonté chaque vidéo ensemble avec lui.

Notre “éducation” a eu un effet sur eux. Les gens ont commencé à réfléchir. D’autant plus qu’ils avaient le temps pour ça. Nous sommes ensuite passés à un court briefing politique de quarante minutes sur les bases de la géopolitique. Nous leur avons expliqué qui et pourquoi dans ce monde a intérêt à ce que les Slaves s’entretuent. Pour beaucoup, d’ailleurs, ce fut une véritable révélation.

Puis nous avons expliqué la véritable raison de cette opération spéciale. Nous avons ensuite procédé à une analyse comparative élémentaire – nous avons simplement montré des vidéos montrant comment nos prisonniers étaient traités par les combattants des forces armées ukrainiennes et les forces de sécurité nationales. Nous avons proposé de les comparer avec la façon dont nous les traitions. Et leur avons expliqué les tactiques de notre armée, quand tout est fait pour ne pas blesser les civils. Une analyse comparative est une excellente chose. C’est irrésistible. Et ça fait réfléchir un homme à deux fois. Ce qui est très utile.

Mais tout cela n’est que la moitié du problème. La deuxième partie du travail avec les prisonniers de guerre est la communication avec les amis et les parents des prisonniers de guerre. Chacun d’entre eux avait de la famille et des amis en Ukraine. Dès que les espions avaient été débusqués, nous nous assurions que les prisonniers de guerre aient un contact avec leurs proches. Sous notre contrôle, bien sûr. Ils étaient libres d’appeler leurs parents, leurs sœurs, leurs frères, leurs épouses et leurs enfants.

Par moments, c’était juste des scènes déchirantes. Lorsqu’ils parlent à leur mère et à leurs enfants, il arrive que ni l’un ni l’autre ne puisse retenir ses larmes.

Pour notre part, nous avons donné notre parole d’officier aux parents des prisonniers que rien n’arriverait à leur fils ou mari en captivité. Ils nous ont cru. Cela aussi a eu son effet. La confiance est un capital que l’on ne gagne pas facilement. Et il ne faut pas non plus le perdre. Le succès de toute notre opération en dépendait. Au fait, certains prisonniers ont pu faire venir leurs femmes au camp. Nous leur avons offert un séjour d’une semaine dans une chambre séparée.

“SP : Vous escomptiez un résultat concret ?

– J’étais juste intéressé par le fait de travailler avec les gens, de changer le paradigme de leur vision du monde. Il n’y a rien de plus passionnant que ce processus. À un moment donné, nous avons travaillé un peu avec une prisonnière de guerre – la repéreuse d’artillerie Nadia Savtchenko. Je ne dirais pas que nous avons obtenu des résultats impressionnants avec elle. Son appareil conceptuel est trop chaotique. Purement féminin. Elle était submergée par ses émotions. Et elle a quitté la Russie dans un désarroi total.

Sa conviction d’être dans son bon droit a été mise en lambeaux. Et elle n’est jamais retournée au front. Bien qu’elle aurait pu le faire de manière triomphante. Nous avons également travaillé avec un contingent féminin – principalement des infirmières des unités nationalistes. Puis elles ont toutes été échangés. Mais quatre filles ont refusé de retourner dans leur pays. Elles sont restées en Russie, où elles avaient de la famille. L’une d’elles, pour autant que je sache, a épousé un agent de sécurité du Service fédéral des pénitenciers. Un coup du destin inattendu. Avec les femmes, à cet égard, c’est à la fois plus facile et plus difficile. Vous devez faire en sorte qu’elles aient de l’empathie avec vous. Alors seulement, elles vous croiront. Et tout le monde ne suscite pas d’empathie. Ça ne se commande pas.

“SP : Y a-t-il eu des situations extrêmes dans votre travail ?

– Beaucoup. Ça n’arrêtait pas. Ce sont des personnes vivantes, même si elles sont imbibées de propagande.

” SP : – Par exemple.

– Par exemple, l’un des prisonniers a perdu sa mère dans sa ville natale de Dnipropetrovsk. Il s’est replié sur lui-même. Ses compagnons d’armes nous l’ont raconté. Nous avons fait une demande au sommet avec la requête de le laisser retourner dans sa patrie – pour enterrer sa mère. Nous savions tous qu’il ne reviendrait jamais. Et même le service de sécurité de l’Ukraine ne voudrait pas le laisser partir. Néanmoins, nous avons décidé de tenter notre chance, d’autant plus que nos supérieurs ont donné leur feu vert. Et lors de l’assemblée générale dans le gymnase, nous avons déclaré qu’au vu des circonstances familiales radicalement changées, nous laissions le bidasse rentrer chez lui, pour se rendre aux funérailles. Sans aucun engagement préalable. Je me souviens qu’une vague d’émotion a parcouru tous les rangs. Et Nikita (comme nous l’appelions) est resté presque sans voix.

“SP : – Et il a vraiment réussi à se rendre à l’enterrement ?

– Non. Il a compris que les villageois informeraient le SBU de son retour et qu’ils le “cueilleraient”. Après cela, il serait soit envoyé en prison, soit fusillé, soit renvoyé au front. Mais à un autre titre. Et il a décidé de rester. Il a changé d’avis au dernier moment. Mais nous lui avons alloué de l’argent – pour qu’il puisse payer les funérailles. Et maintenant ce gars se bat dans le “bataillon russe”. Bien qu’il soit lui-même d’origine ukrainienne.

“SP : – Et que faisaient les captifs pendant leur temps libre ? Ont-ils reconstruit ce qu’ils ont détruit ?

– Nous avons également trouvé des emplois pour eux à l’intérieur du camp. D’abord, ils ont changé l’intérieur du camp de façon méconnaissable. Ils ont construit deux chapelles à l’intérieur du camp – une pour les orthodoxes et une pour les catholiques (il y avait quelques dizaines de Polonais ethniques de l’ouest de l’Ukraine). Nous leur avons donné tous les matériaux de construction dont ils avaient besoin.

Et non seulement ça. Nous leur avons permis, dans le camp, de célébrer leurs fêtes, de fêter leurs anniversaires et d’écouter leurs chansons le soir. Sur le territoire même du camp, les prisonniers ont construit un fumoir avec les moyens du bord, un four avec des briques et de l’argile, et un brasero. Ils faisaient leur propre pain, fumaient du poisson et de la viande, préparaient une sorte de bacon, des saucisses sèches, du lard salé, des bocaux pour l’hiver… Ils faisaient des mets très savoureux, d’ailleurs.

On pouvait reconnaître la cuisine du camp à son odeur – il y avait toujours un arôme qui flottait à l’intérieur. Les Ukrainiens sont tous habiles de leurs mains, il excellent à créer une atmosphère de confort domestique. Mais les Anglo-Saxons ont d’abord lavé le cerveau de ces personnes, leur ont injecté l’idéologie fasciste, les ont transformées en nazis et les ont jetées dans la fournaise de la guerre fratricide. Bien que l’histoire connaisse d’autres exemples. Le “docteur diabolique” – Joseph Goebbels – a mis huit ans à transformer une nation européenne absolument normale – les Allemands – en bêtes-fascistes. Et les “Goebbels-Anglo-Saxons” ont travaillé avec les Ukrainiens depuis trente ans au total. Le résultat est évident.

“SP” : – Vous n’avez pas eu peur lorsque vous leur avez donné des armes pour la première fois ?

– Bien sûr, j’avais peur. Ça se passait encore dans le camp. Nous avons emmené tout le “bataillon russe” (c’était notre nom) au champ de tir. Chacun d’entre eux avait un fusil automatique et deux magasins chargés. C’étaient de très bons tireurs, d’ailleurs. L’un d’eux a même apposé sa signature sur une cible avec un fusil automatique. Les combattants tiraient sur des cibles thoraciques depuis une position couchée, tandis que je me tenais derrière eux et que j’avais des sueurs froides. Théoriquement, ils auraient pu tourner les canons dans ma direction et me transformer en passoire en une fraction de seconde. Mais il était impossible de faire autrement – la pureté de l’expérience aurait été compromise. Mais ça s’est bien passé. On pouvait lire dans leurs yeux que cette fois-ci, ils avaient fait un choix conscient – contrairement au choix qu’ils avaient fait auparavant.

“SP : – Comment se sont passés les adieux ?

– Dans un silence total. Certains m’ont étreint, d’autres m’ont simplement serré la main, d’autres encore m’ont salué, d’autres encore ont laissé une photo en souvenir. Nous avons tous réalisé que ce jour-là, chacun d’entre eux avait acheté un billet sans retour. Si quelque chose arrivait, personne ne les ferait prisonniers de l’autre côté. Ils se battront donc jusqu’au bout. On ne peut que leur souhaiter bonne chance.

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