Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Poutine invoque l’héritage de Castro, par M. K. Bhadrakumar

Tandis que la France et l’Europe semblent incapables de voir ce qui bouge dans le monde, en revanche se multiplient, comme ici en Inde les constats d’une histoire qui semble avoir repris sa marche en avant et dans laquelle la prescience de Fidel Castro est saluée par tous. (note de Danielle Bleitrach, traduction de Catherine Winch qui nous a proposé ce texte).

https://www.indianpunchline.com/putin-invokes-castros-legacy/

LE 24 NOVEMBRE 2022

Une statue de Fidel Castro, la première du genre dans le monde, a été inaugurée par le président Vladimir Poutine à Moscou, le 22 novembre 2022.

La statue en bronze de Fidel Castro, haute de trois mètres, a été inaugurée mardi sur la place Fidel Castro, dans le quartier de Sokol à Moscou, par le président russe Vladimir Poutine et le président cubain Miguel Diaz-Canel, en mémoire du leader historique de la révolution cubaine.

Fidel lui-même était farouchement opposé à la création d’un culte de la personnalité et, à Cuba, aucune rue, aucun bâtiment, aucune institution ni aucune localité ne porte son nom. Dans un discours prononcé en 2003, Fidel a déclaré : “Il n’y a pas de culte de la personnalité autour d’un révolutionnaire vivant, sous forme de statues, de photographies officielles ou de noms de rues ou d’institutions. Les dirigeants de ce pays sont des êtres humains, pas des dieux.”

Ainsi, les seules choses nommées en l’honneur du grand révolutionnaire sont situées en dehors de Cuba – un parc au Vietnam, plusieurs rues en Afrique du Sud, en Namibie, en Angola, en Tanzanie, au Mozambique, etc.

L’événement organisé à Moscou pour saluer l’héritage de Fidel est hautement symbolique. Après avoir été un État partisan du “statu quo”, la Russie assume rapidement un rôle “révolutionnaire” dans la politique mondiale, remettant en question le prétendu “ordre fondé sur des règles” imposé par l’Occident, et se trouve au cœur de l’une des crises les plus graves de l’après-guerre froide.

L’année 2022 correspond au 60e anniversaire de la crise des missiles de Cuba, qui a marqué le point culminant de la guerre froide, lorsque Moscou s’est retrouvé au centre d’une épreuve de force avec Washington. La discorde qui régnait à l’époque ressemble étrangement à celle d’aujourd’hui : les tentatives des États-Unis pour imposer des déploiements stratégiques dans le voisinage immédiat de la Russie menacent sa défense et sa sécurité nationales.

La crise de 1962 a éclaté lorsque les États-Unis ont détecté la construction de sites de lancement soviétiques à Cuba en représailles au déploiement américain de missiles Jupiter en Turquie. Des négociations par voie détournée ont permis de conclure un accord aux termes duquel les missiles soviétiques ont finalement été démantelés et retirés de Cuba. De leur côté, les États-Unis ont mis fin à leur mise en quarantaine de Cuba en octobre 1962 et ont retiré leurs missiles Jupiter de Turquie en avril 1963.

Hélas, le président Biden, contrairement au président Kennedy, a refuse de négocier avec la Russie, et une guerre par procuration s’en est suivie en Ukraine. La guerre aurait pu être évitée et la destruction de l’Ukraine évitée si seulement des négociations avaient eu lieu pour ressusciter les accords de Minsk qui prévoyaient une certaine forme d’autonomie régionale pour la région du Donbass au sein d’un pays fédéré gouverné depuis Kiev. Le président Biden a choisi de ne pas emprunter cette voie (et, bien sûr, les dirigeants ukrainiens pro-occidentaux de Kiev se sont sentis encouragés à saper les accords de Minsk en tant que tels).

Mardi, Poutine a rappelé de manière poignante que lors de sa dernière conversation avec Fidel en juillet 2015, “il a parlé des choses qui étaient étonnamment en accord avec l’époque – l’époque du développement d’un monde multipolaire – en disant que l’indépendance et la dignité ne sont pas des choses qui se vendent, et que chaque nation a le droit de se développer comme elle l’entend et de choisir sa propre voie, et qu’un monde vraiment juste n’a pas de place pour la dictature, le pillage ou le néocolonialisme.”

Poutine a ensuite attiré l’attention de Diaz-Canel sur le style de la statue “Je ne sais pas si elle vous a plu ou non, mais il me semble que l’on ne peut s’empêcher de l’aimer”, a déclaré Poutine en souriant, ajoutant qu’il s’agissait d’un hommage approprié à la mémoire de Fidel et d’une véritable œuvre d’art. “Il est dynamique, en mouvement, tourné vers l’avenir. Une image parfaite d’un vrai combattant”. Diaz-Canel a abondé dans le même sens : “C’est un monument en mouvement. Je pense qu’il reflète la personnalité de Fidel au milieu de la lutte, tout comme nous sommes au milieu de la lutte aujourd’hui.” Cet échange significatif était porteur d’un message d’une grande portée.

En effet, la guerre en Ukraine a été un moment de vérité pour la Russie. D’une politique étrangère étroitement axée sur les intérêts nationaux, la Russie est en train de reconquérir son rôle régional et mondial ces derniers temps. Fidel aurait hoché la tête d’un air approbateur, car Cuba, sous sa direction, avait une vision internationaliste et a fait d’immenses sacrifices pour défier l’hégémonie américaine.

L’héritage de Fidel revêt une importance exceptionnelle pour la Russie d’aujourd’hui. M. Poutine a décrit l’amitié entre la Russie et Cuba comme leur “héritage commun”. Il a souligné : “Ensemble, nous continuerons à renforcer notre union et à défendre les grandes valeurs de liberté, d’égalité et de justice.”

M. Poutine a ajouté : “Sur cette base solide d’amitié, nous devons bien sûr, en tenant compte des réalités actuelles, aller de l’avant et renforcer notre coopération. Je suis très heureux que nous ayons une telle opportunité.”

M. Diaz-Canel a été plus direct et sans détour. Il a déclaré à M. Poutine : “Nous apprécions tout le travail accompli par la Fédération de Russie pour faire en sorte que le monde évolue vers la multipolarité et progresse dans cette direction. En ce sens, vous avez un leadership très fort.

“La Russie et Cuba ont été soumis à des sanctions unilatérales injustes et ont un ennemi commun, une source commune qui est l’empire yankee, qui manipule une grande partie de l’humanité… Et notre premier engagement est de continuer à défendre la position de la Fédération de Russie dans ce conflit qui, selon nous, trouve son origine, malheureusement, dans le fait que les États-Unis manipulent la communauté internationale… Nous apprécions tous les efforts de la Fédération de Russie et votre rôle pour orienter le monde vers la multipolarité, pour l’encourager à aller dans cette direction. En ce sens, vous avez un rôle de leader très fort.”

Il conviendra d’observer comment ce dynamisme dans les relations russo-cubaines s’inscrit dans un contexte géopolitique complexe. La commission intergouvernementale russo-cubaine a tenu une session à Moscou pendant la visite de M. Diaz-Canel, au cours de laquelle, semble-t-il, “un certain nombre de décisions importantes sur des questions clés” ont été prises pour faire progresser les relations bilatérales. M. Diaz-Canel a déclaré à M. Poutine : “Nous avons des approches et des points de vue identiques sur les questions mondiales. Je tiens à répéter que la Russie peut toujours compter sur Cuba.”

Quel que soit le dénouement de la guerre en Ukraine, la Russie sera toujours confrontée à la dure réalité de la présence militaire des États-Unis et de l’OTAN à ses portes. Il n’est pas question d’un retour de l’OTAN à la position de 1998 en Europe. Les mercenaires occidentaux se battent par milliers en Ukraine et des personnalités comme le général David Petraeus exigent une intervention militaire occidentale ouverte en Ukraine pour vaincre la Russie.

En effet, l’initiative américaine visant à faire entrer la Finlande dans l’OTAN en tant que membre – bien que ce pays ne soit pas menacé par la Russie – vise à “encercler” la Russie. Et l’Occident renforce agressivement sa présence tout autour de la Russie. Il est inconcevable que la Russie puisse se permettre de rester passive.

Il suffit de dire que Poutine joue la “carte cubaine” à un point d’inflexion. Il est intéressant de noter que l’itinéraire de visite de Diaz-Canel comprend également la Chine. Díaz-Canel sera le premier chef d’État d’un pays d’Amérique latine que Xi Jinping recevra après le 20e Congrès national du Parti communiste chinois.

Le ministère chinois des affaires étrangères note que “malgré les vicissitudes internationales, la Chine et Cuba ont avancé ensemble sur la voie de la construction du socialisme avec des caractéristiques nationales, se sont soutenus mutuellement sur les questions concernant les intérêts fondamentaux et ont eu une coordination étroite sur les questions internationales et régionales, établissant un modèle exemplaire de solidarité et de coopération entre les pays socialistes et d’assistance mutuelle sincère entre les pays en développement.”

Dans un commentaire sur la prochaine visite de M. Díaz-Canel, le Global Times note que “malgré la répression constante des États-Unis à l’encontre des gouvernements de gauche dans la région, l’Amérique latine connaît aujourd’hui une résurgence de la “marée rose”, les principaux pays de la région “se tournant vers la gauche”. L’Amérique latine est fatiguée de l’hégémonie et de la coercition des États-Unis, et les dirigeants dont le programme est axé sur le développement national gagnent le soutien du public.”

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1 Commentaire

  • Anike
    Anike

    Magnifique. Merci à monsieur Poutine qui me paraît en effet fidèle, lui, à la pensée de F. Castro! À noter aussi celle de Che Guevara où il tient un bébé assis sur son bras, à Santa Clara .

    Répondre

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