Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Sacha Bergheim : Défendre la mémoire juive en Ukraine, se serait faire preuve de racisme.” Controverse

C’est avec intérêt que souvent partage et je relaie les analyses de Sacha Bergheim alors qu’à son inverse je n’ai jamais vu dans Israël une solution pour le peuple juif, mais Israël existe et ma position politique demeure la nécessité de deux États: refuser l’existence d’une Palestine viable c’est la véritable manière de refuser le droit à l’existence d’Israël. Comme tous les positionnements fascistes, ce refus aboutit chez ces tenants à la destruction de leur propre nation. Mais ce choix anti-fasciste que j’ai poussé dans toutes ses conséquences ne m’a jamais rendu l’antisémitisme supportable, au contraire. Et à ce titre j’approuve l’analyse de Sacha Bergheim ci-dessous sur le refus de tout négationnisme. Aujourd’hui il nous faut à la fois soutenir le mouvement de libération des peuples contre le néo-colonialisme et le faire en tant que communistes, c’est-à-dire refuser les positionnement d’extrême-droite, antisémites, racistes, homophobes, antisémites, misogynes des forces conservatrices. En serons-nous capables? Je l’ignore et parfois j’en doute, pourtant c’est à ce prix-là que nous pouvons avancer et combattre aux côtés de ceux qui n’acceptent pas par exemple que l’on puisse cautionner le néo-nazisme en Ukraine et nier le rôle de la Russie dans la deuxième guerre mondiale au nom de la défense de l’occident et du capitalisme. C’est un des garde-fous de l’Histoire. C’est ce que dit ici Sacha Bergheim dans un débat (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

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Telle est la thèse avancée par mon contradicteur, Alex de Torres.


Pour rendre justice à sa “position”, je vais la résumer: l’occident mène une guerre salvatrice quasi eschatologique contre la Russie qui incarne le mal politique absolu sous la direction de son président éternellement réélu. La puissance économique, militaire de l’occident ainsi que la justification légale et morale des actions des pays occidentaux autorisent de mettre à sa “juste” place les massacres des juifs, je cite, “aussi tragiques soient-ils”, en leur assignant un rôle secondaire et mineur dans l’histoire ukrainienne. Par conséquent, pour ne pas chercher à “démoraliser” l’opinion publique, ni semer le doute sur l’engagement total envers Zelenski, il ne faudrait pas s’aligner sur la politique du Kremlin. Puisque ce dernier a parlé de “dénazification”, ce ne serait qu’un alibi et donner crédit à une page secondaire de la longue quête d’indépendance de l’Ukraine, c’est soutenir une invasion. Parler du passé antisémite de l’Ukraine mais aussi de la persistance du paradigme xénophobe dans son nationalisme contemporain ne serait qu’une entreprise de manipulation et un suivisme à n’en pas douter dûment rétribué en faveur de l’ambassade de Russie.
Toute position assumée comme partisane est légitime, chacun en est libre, mais la prétention à l’objectivité ne peut pas s’accompagner d’un négationnisme acharné, sous prétexte que toute critique même historiquement fondée serait un moyen détourné de “salir” l’Ukraine et mettre en question l’engagement in(dé)fini dans la croisade politico-morale du 21e siècle.


Il se trouve que depuis le début de la guerre qui a pris de court intellectuellement tout le monde, on a plus ou moins pataugé entre deux positions: s’aligner docilement sur la totalité du discours de nos dirigeants – ce que fait sans discuter Alex – en accordant créance à tout ce qui est dit, et interroger les dogmes médiatiques sans nécessairement avoir tous les tenants et aboutissants.
Ce sont deux logiques d’analyse qui s’affrontent puisque l’une s’efforce de colmater les brèches des contradictions en accusant ad absurdum toute critique de complicité envers le Kremlin (encore un peu et on a trinqué la semaine passée avec Poutine), tandis que l’autre a pour finalité de déconstruire l’ordre discursif par lequel les instances dirigeantes entendent justifier des politiques qui peuvent se montrer contraires à notre intérêt collectif ou simplement à la vérité historique.
1 concernant l’arme économique et les sanctions. Si son principe est intéressant (contraindre sans force kinétique), tous les experts reconnaissent aujourd’hui que la résilience économique russe n’était pas anticipée et que le coût pour l’Europe des sanctions contribue à saper toute l’industrie européenne au point qu’officiellement, l’Angleterre est par exemple en récession. Si la liste des dizaines de milliers de sanctions contre la Russie (plus encore que contre l’Iran!) avait rapidement réussi à déstabiliser le régime russe et poussé les gens à renverser le pouvoir, cela aurait trouvé son dénouement rapide et sa propre justification.
Mais ce n’est pas le cas, et les pays non-alignés comme l’Inde y ont trouvé leur compte, sans compter que la Chine s’est prudemment mise en retrait tout en soutenant à plein régime son voisin, dans le but de tester et affaiblir l’occident.
C’est une inversion causale de croire qu’il faudrait s’engager (se sacrifier) pour l’Ukraine contre l’alliance des dictateurs (poutine / xi) parce que c’est à la suite de la co-belligérance occidentale totale en Ukraine que la Chine a pris le parti de jouer la carte de la confrontation avec un occident qu’elle estime fragile.
Qui plus est, l’économie réelle (par exemple qui fournit au marché les minerais ou les hydrocarbures pour toute industrie) montre la dépendance absolue de l’occident envers les pays qu’il cherche à contraindre, et s’oppose à l’économie financière qui crée l’illusion de richesses mais rend les pays entièrement soumis aux contraintes du marché. De fait, nos dirigeants ont fait preuve soit d’incompétence soit de manipulation en faisant croire que les sanctions seraient efficaces. On peut toujours croire au Père Noël, et prétendre que si c’est pas pour demain mais pour après-demain que les sanctions auront l’effet recherché. Mais entre-temps, notre économie sera tellement affectée qu’elle ne s’en remettra certainement pas.
2-Cela pose la question de l’objectif réel de la guerre en Ukraine. Comme l’administration américaine l’a annoncé récemment, même en cas de paix, les USA maintiendront un ensemble de sanctions contre la Russie. Ce n’est pas sans rappeler comment l’administration Clinton avait refusé de valider les rapports des experts suédois mandatés par l’ONU et qui énonçaient que l’Iraq n’avait aucun programme actif de fabrication d’armes de destruction massive dès 1997.
Sauf les idiots, personne n’ira dire que l’Iraq possédait autre chose que le stock fourni par les occidentaux et utilisés contre l’Iran ou les populations kurdes, et qu’on doit à Israel la destruction de la centrale d’Osirak (avec condamnation onusienne en prime, quelle ironie!). Les sanctions visaient simplement à accroître la pression sur Baghdad afin de procéder à un changement de régime en plaçant un autre client que Saddam, l’ancien protégé de Paris et Washington devenu trop encombrant.
Ce sera fait en 2003, mais au prix d’une invasion illégale, illégitime, fondée sur un mensonge et coûtant la vie à des centaines de milliers de civils, sans compter la destruction d’infrastructures essentielles, l’accentuation des clivages ethniques et confessionnels et l’appauvrissement de la population d’un pays riche en hydrocarbures. Il faudrait manquer de la moindre moralité pour faire croire que les USA avaient pour objectif réel l’exportation de la démocratie et que l’engagement militaire occidental est dénué de toute autre finalité.
De fait, maintenir les sanctions, c’est bien l’indice que le but de la guerre est le changement de régime à Moscou. Si bien sûr, on peut en droit considérer que le régime russe n’est pas démocratique, on peut tout aussi bien estimer que les velléités néo-conservatrices ne procèdent d’aucun respect ni pour la vie humaine ni pour les sociétés ni encore moins pour l’environnement, et qu’à ce titre, l’establishment américain sait très bien trouver un arrangement avec les pires dictateurs tant que son intérêt est assuré.
A-t-on jamais entendu de plan américain pour envahir l’arabie saoudite pour y placer une démocratie? Que dire de la junte birmane? et de tous les régimes répressifs soutenus par différentes américaines dès lors que cela sert les intérêts corporatistes? C’est là où la question est infiniment plus complexe qu’une approche puérile consistant à prendre au premier degré des effets d’annonce destinés uniquement à tromper l’opinion publique (n’est-ce pas Collin Powel?).
Donc la guerre en Ukraine repose sur la croyance qu’en affaiblissant économiquement et militairement la Russie, on obtiendrait un gain politique et stratégique (le changement de régime et le contrôle de l’hinterland occidental de la Chine et ses ressources).
C’est malvenu, mal calculé, et particulièrement malsain puisque cela ne peut que se faire qu’au prix de milliers de morts et de la dévastation d’un pays, et a-t-on seulement la garantie de réussir? C’est CNN qui précise que les USA n’ont ni la capacité industrielle ni les quantités requises pour tenir le rythme des opérations en Ukraine. Oui, CNN, la voix de la Maison Blanche. Mais certains comme Alex diront encore que c’est faux, et que tout va pour le mieux du monde.
3 Défendre l’Ukraine oui, bien sûr, l’illégalité de la saisie de territoires reconnus internationalement et l’illégalité de l’établissement de nouveaux régimes. Mais nous avons nous-mêmes créé une jurisprudence Kosovo où nous récusons l’intangibilité des frontières et nous employons la force massivement, et détruisons des infrastructures civiles, afin de contraindre un adversaire à renoncer à sa politique pour en accepter une autre. C’est l’ironie tragique de l’histoire, puisque la Russie, cyniquement ou de manière froidement calculée, reprend à son compte les mêmes justifications occidentales utilisées en Serbie – ajustées au contexte local bien sûr – d’une population en danger et de la nécessité d’utiliser la force pour protéger cette population. Mais d’aucuns diront que les Kosovars étaient aussi menacés par Milosevic. Mais peut-on à l’inverse prétendre de bonne foi que les milices notamment d’extrême droite ukrainienne n’ont pas menacé également des gens qui ne veulent pas être dirigés par un gouvernement nationaliste? C’est là où il ne reste plus que tourner le débat en question morale, le bien contre le mal, la justice contre l’injustice. Il me semble douteux que cela soit ce qui s’enseigne en science politique…
Non, l’occident ne mène pas uniquement des guerres nobles, non l’occident n’utilise pas la force militaire de manière uniquement “chirurgicale” dans le respect des vies civiles, non l’occident ne sélectionne pas les causes à défendre selon ses intérêts économiques ou stratégiques, et non, tout adversaire du monde occidental n’est pas de ce fait même moralement condamnable. Croire que l’engagement armé inconditionnel en Ukraine est un devoir moral n’est que le symptôme premier d’une radicale cécité intellectuelle.
4 De fait, mettre en perspective les dogmes médiatiques ne revient pas à donner raison à l’adversaire mais à questionner les soubassements intellectuels, culturels, politiques et stratégiques qui président à la formulation de ces énoncés doctrinaux auxquels il faut se soumettre sous peine d’ostracisme et de se voir vilipendé (au demeurant on remarquera le manque pathétique d’originalité de ces agents volontaires de propagande qui accusent les autres de leurs propres pratiques). Pourquoi est-il dans ce contexte important de ne pas mettre de côté l’histoire des Juifs, et hélas, des persécutions et massacres subis?
5 Il ne s’agit pas de l’expression d’un sentiment d’exclusivisme tribal où l’indignation face au négationnisme serait un déni des autres victimes. Si on va au-delà d’une telle mesquinerie intellectuelle, on remarquera que l’occident, par là s’entend l’expression en occident d’une doxa collective reprise par les politiques ou les médias, s’attribue l’exclusivité d’un devoir de mémoire associé à un devoir affirmé (est-il sincère, réel ou efficace est une autre question) de rupture à l’égard de l’idéologie nazie, conclusion d’une longue tradition antisémite.
C’est précisément parce que l’occident revendique ce rôle que le négationnisme du nationalisme ukrainien paraît d’autant plus choquant, puisque, en toute logique, la lutte contre le négationnisme ou le révisionnisme ne devrait pas être sélective.
Au nom de l’anticommunisme, les USA ont financé, soutenu et encouragé le père intellectuel du nationalisme ukrainien, Slava Stetsko qui n’hésitait pas à revendiquer dans son autobiographie que la solution à la présence juive en Ukraine (où par exemple un habitant sur trois de Lviv était juif) était la solution finale allemande. Et il n’est pas un hasard si aujourd’hui, il n’existe que deux pays au monde où on trouve des restaurants “juifs” où s’étalent les préjugés antisémites les plus crasseux, la Pologne et l’Ukraine, qui a le privilège de détenir deux restaurants de ce type, dont un à Lviv précisément, portant le nom de l’ancienne synagogue de la rose d’or. Restaurant dénoncé jusque dans la presse américaine.
Repousser d’un revers de main le devoir de dénoncer toute forme d’antisémitisme, et refuser qu’il y ait certaines plus acceptables que d’autres au nom d’alibis douteux (l’antisémitisme ne qualifie pas mieux pour lutter contre les russes…) n’est pas faire preuve d’esprit de caste, mais d’exigence morale, parce que les mêmes qui ont tué des Juifs ont massacré des dizaines de milliers de Polonais, mais aussi des milliers d’Ukrainiens parce qu’ils n’étaient pas assez radicaux dans la dénonciation de l’ennemi intérieur, obstacle à la restauration de la pureté de la race ukrainienne, telle que Bandera lui-même l’envisageait, en se considérant comme le Führer ukrainien. En ne renonçant pas à rendre public les pages sombres de l’histoire de l’Ukraine, on ne rend pas service à la Russie, mais on honore et respecte la mémoire de toutes les autres victimes des idéologies xénophobes.
Au final, Alex, en disant que si un juif défend la mémoire juive, il ne le fait que par racisme et supposé sentiment de supériorité, tu n’as fait que démontrer la profondeur de tes préjugés antisémites. Tu comprendras donc clairement que je ne vois plus aucun intérêt d’échanger avec quelqu’un qui troque l’exigence morale pour une mauvaise foi et un parti pris idéologiques, puisque en définitive, tu ne défends aucune victime, tu ne mets en exergue que celles qui te servent. Je n’ai pas dégainé l’accusation d’antisémitisme, j’ai démontré la structure de tes préjugés raciaux notamment envers les juifs.
Ce post est dédié à toutes les victimes de la guerre et des idéologies xénophobes.

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