Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Néo-impérialisme et édification mondiale du socialisme, par Franck Marsal

Nous vous avions parlé hier de l’intervention de Franck Marsal à Vénissieux, la voici. Comme d’habitude, Franck a le don de faire la synthèse entre toutes nos discussions, et de les rendre intelligibles. Il faut souligner le plaisir que nous avons tous éprouvé à nous retrouver “en vrai”, il faudra que nous nous organisions la prochaine fois, en sachant le rôle joué par cette ouverture du blog aux débat internationaux, l’effort de traduction. En faisant ce point, Franck traduisait aussi ce qui cherchait à naître collectivement à Vénissieux. S’il y a un esprit Vénissieux, il est bien là : chacun y intervient non pas, comme c’est trop souvent le cas, pour étaler un “savoir” personnel, oubliant de se soucier de ce que chacun dans son organisation pourra en faire concrètement. C’est pour cela que nous ressentons tous, quel que soit notre âge, notre profession, à Vénissieux, la présence de ce que nous avons connu et ce que Thorez appelait “l’esprit de parti”, le contraire de ce qui sévit dans les réseaux sociaux et malheureusement dans le parti lui-même. Donc voici l’intervention de Franck telle qu’elle traduit cette étape de notre conscience politique des temps à venir et dans lesquels nous sommes déjà. Ceux où le monde travaillé par la taupe de la révolution d’octobre poursuit sa décolonisation anti-impérialiste et dans lequel la contrerévolution dite “néo-libérale” n’est pas un simple retour en arrière mais un murissement des contradictions, avec la nécessité de mesurer le rôle que doit jouer le mouvement communiste pour que paix et émancipation l’emportent, le socialisme. Merci aux organisateurs de Vénissieux (photo de l’intervention de Michèle Picard, maire de Vénissieux) (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

sur cette photo on voit non seulement Fabienne Lefebvre au premier plan mais aussi Franck Marsal (chemise à carreaux)

Néo-impérialisme et édification mondiale du socialisme

Il y a un siècle et un peu plus, le monde entrait dans la première guerre mondiale, la première guerre impérialiste. Nous nous référons souvent à cette période et aux analyses qui l’ont caractérisée, sans toujours mesurer à quel point le monde a évolué et la roue de l’histoire avancé depuis.


Il y a un siècle, le monde était divisé en empires concurrents : les états européens dominent le monde. A son apogée, l’empire d’Angleterre gouverne directement par le système colonial environ 20% des terres émergées et 400 millions de personnes, plus du quart de la population mondiale. L’empire Français gouverne environ 110 millions de personnes et 12 millions de km². Mais ce n’est pas tout : de nombreux autres pays comme la Chine, sans être colonisés ouvertement, sont soumis aux diktats des grandes puissances. L’industrie capitaliste, comme les infrastructures sont développés essentiellement dans les métropoles. Les rares lignes de chemins de fer africaines servent exclusivement à relier les ports aux centres de production de matières premières, à amener les troupes et le matériel militaire et à piller les ressources. Les populations des colonies n’ont strictement aucun droit.


La logique d’accumulation du capital, d’innovation technique et d’élargissement des échelles de production a poussé à la constitution dans chaque pays développé de cartels et de monopoles, à la fusion du capital industriel et du capital bancaire, à la monopolisation des sources de matières premières et à l’articulation étroite de la politique coloniale et de ces monopoles. C’est cela (donc, un état du monde très différent du monde actuel) que Lénine a appelé l’impérialisme, qu’il a caractérisé comme le stade suprême du capitalisme. La nécessité pour chaque pays capitaliste développé de résoudre ses contradictions internes par l’agrandissement de leur zone d’influence a abouti à la guerre impérialiste, la première guerre mondiale.
Avant la guerre, on pensait généralement que c’était dans les pays les plus développés que la classe ouvrière était la plus forte et que donc le socialisme pourrait se réaliser en premier. Le développement de puissants partis socialistes, comme le parti social-démocrate allemand confortait cette idée. S’agissant d’un pays arriéré comme la Russie tsariste (a fortiori les pays colonisés), l’idée dominante dans la social-démocratie européenne était que la Russie devait connaître d’abord une révolution bourgeoisie, puis un développement économique capitaliste avant d’envisager une révolution socialiste. Lénine, s’appuyant sur son analyse de l’impérialisme, défendait la thèse opposée : les conditions internationales de l’impérialisme et du colonialisme ne permettait plus à la Russie de connaître un développement capitaliste autonome. Il fallait entreprendre directement une révolution socialiste.


La révolution russe ayant triomphé, la question se posa sous une forme légèrement modifiée : le socialisme pouvait-il être construit à l’échelle d’un pays arriéré comme la Russie, devenue URSS, ou fallait-il nécessairement que la révolution triomphe également dans les pays développés afin que ceux-ci aident le développement technique et industriel de la Russie ?

La question finalement était celle du rapport entre des révolutions, menées dans un cadre national, et celle d’une économie de plus en plus internationalisée, donc des tâches et contradictions à résoudre qui se situent sur le plan mondial. Cette question se pose encore aujourd’hui, car tout pays qui fait le moindre pas vers l’autonomie, le socialisme subit immédiatement attaques et menaces, véritablement guerre économique et parfois guerre tout court. Cuba en est l’exemple vivant et courageux.

En effet, la révolution mondiale n’est pas advenue : beaucoup de pays ont connu des tentatives révolutionnaires, mais les révolutions socialistes n’ont pleinement réussi que dans une poignée de pays, chacun isolé dans son environnement proche, tous issus du monde colonial ou semi-colonial, aucun pays développé ou dominant.

En revanche, sous l’impulsion de l’URSS d’abord et de la Chine aujourd’hui, les rapports internationaux ont été profondément transformés.


1ère transformation : fin de la première guerre mondiale : c’est la révolution russe, gagnant l’Allemagne et l’Empire Austro-hongrois sous forme de mutineries et d’insurrection qui convainquent les empereurs d’abdiquer et de demander l’armistice. Les classes dirigeantes allemandes et autrichiennes préfèrent la soumission et la capitulation à la révolution socialiste ;


2ème transformation : le développement de l’URSS et de l’Internationale Communiste confirme la possibilité du socialisme, organisation de partis communistes dans tous les pays, industrialisés ou colonisés avec pour tâche immédiate la préparation de la révolution. La plupart de ces partis auront un rôle politique et social décisif et original dans leurs pays respectifs ;


3ème transformation : Victoire contre le nazisme, libération de la Chine ; l’URSS devient la seconde puissance mondiale sur les plans militaire, industriel, scientifique, diplomatique… et fournit une nouvelle impulsion décisive aux conquêtes démocratiques et sociales ;


4ème transformation : les luttes et guerres de décolonisation vont permettre la liquidation du système colonial dans la quasi-totalité du pays et particulièrement la libération de l’Algérie, de Cuba, du Vietnam…
Il n’y a donc pas eu de possibilité à ce stade de révolution mondiale, ni d’ailleurs de révolution dans un seul pays développé. Il y a eu en revanche confirmation à plusieurs reprises de la possibilité de révolution socialiste dans des pays dominés ou arriérés et transformation profonde en plusieurs étapes des rapports internationaux sous l’effet de la lutte de classe.

Face à cela, le capitalisme n’a pas été éradiqué et demeure le système économique dominant en termes de forces productives. Il va réagir et s’adapter à cette nouvelle situation. Il va donc se transformer à son tour sous la pression révolutionnaire. C’est pour cela que la caractérisation de Lénine, de l’impérialisme comme stade suprême est correcte. Mais le stade suprême n’est pas le stade final. Le capitalisme demeure, se transforme, s’hybride pour résister et pour durer.

Jusqu’à la seconde guerre mondiale, le monde capitaliste est divisé en puissances coloniales concurrentes se partageant le monde. Après la seconde guerre mondiale, un vainqueur émerge, les USA. Les USA sont la seule puissance dont le territoire est sorti indemne (à l’exception du bombardement de Pearl Harbour en 1941). Ces pertes humaines dans la guerre sont inférieures à 500 000 hommes (contre 26 millions pour l’URSS, environ 20 millions pour la Chine, plus de 7 millions pour l’Allemagne, presque 6 millions pour la Pologne et plus de 3 millions pour le Japon). Au sortir de la guerre, les USA détiennent 2/3 du stock d’or mondial. Ils assurent la moitié de la production mondiale. La production industrielle des USA en 1945 est le double de la production de 1939 et représente 43 % de la production mondiale. En 1950, les USA produisent 60% des produits manufacturés dans le monde. L’Allemagne est occupée et gouvernée par les alliés. Le Japon est occupé et placé sous administration américaine. Les troupes américaines sont présentes dans toute l’Europe occidentale et dans une large partie de l’Asie et aucun pays – sinon l’URSS – ne peut plus s’opposer à la volonté américaine.

L’ancien monde capitaliste divisé n’est plus. Un vaste marché est ouvert. Les technologies ont progressé sous l’effet de la guerre. Une source d’énergie nouvelle, le pétrole, plus pratique et moins chère va irriguer l’économie et se déployer (grâce au moteur à explosion) dans presque tous les secteurs. Les USA en sont le premier producteur mondial : sur une production mondiale de pétrole de 469 000 tonnes en 1949, les USA produisent 255 000 tonnes. L’Amérique latine (notamment Mexique et Venezuela) produisent environ 90 000 tonnes. En signant un accord d’assistance avec l’Arabie Saoudite sur le croiseur Quincy, les USA s’assurent sur le long terme du contrôle de l’approvisionnement en pétrole. Les USA disposent aussi en 1949 de 70 % des capacités mondiales de raffinage. Bref, le monde capitaliste de 1945 change d’échelle et dispose d’un leader unique. Même si les anciennes puissances sont formellement maintenues intactes, elles ne peuvent qu’accepter un rôle subalterne. Elles vont être progressivement intégrées au système de domination américain, qui va construire un système économique et industriel multinational, gouverné depuis Washington, bien plus puissant et efficace que l’économie des empires anglais ou français.

Fort de ce système, et de la reconstruction, le capitalisme va mettre au point une formidable contre-offensive et un nouveau système de domination mondiale : le colonialisme est remplacé par le néo colonialisme. La contre offensive s’appelle le néo-libéralisme. la lutte contre l’édification du socialisme devient une guerre froide, mais aussi une guerre psychologique et économique.


L’opération de reconquête commence au Chili et en Amérique Latine, quelques années seulement après l’assassinat de Che Guevara, ce sera l’opération Condor, l’établissement du fascisme et l’expérimentation du néo-libéralisme. Le néo-colonialisme combine les méthodes du fascisme et les méthodes de guerre économique et psychologique. Il vise à gouverner les pays de l’extérieur, non pas en s’appuyant sur des gouverneurs occidentaux mais en sélectionnant des dirigeants favorables à l’impérialisme et en éliminant toute opposition radicale. La liste est très longue des assassinats politiques : Che Guevara, Lumumba, Sankara sont les plus connus, mais ils sont seulement le symbole de centaines de milliers d’assassinats de dirigeants et de militants. La corruption et la manipulation de l’opinion sont aussi pratiquées massivement. Cela se prolongera dans la déstabilisation de l’URSS et du mouvement communiste international, attaqué partout. Sur le plan économique, le néo-colonialisme vise à empêcher, à ralentir au maximum le développement des anciennes colonies, pour les maintenir dans cet état de pays dominés. Il permet la guerre économique menée contre tout pays qui ne “rentre pas dans le rang”, qui veut simplement (quelle qu’en soit la raison historique) son autonomie de développement. Cuba en est l’exemple le plus frappant. Cuba, ce pays paisible et pacifique subit, depuis qu’il a osé affronter la domination américaine, une véritable guerre économique. 60 ans de blocus, de déstabilisation permanente, de pressions et de mesures que les USA prennent non seulement pour eux-mêmes mais imposent également aux autres pays en les menaçant de représailles.

La situation de la Russie ne peut se comprendre autrement. Sous l’égide de Gorbatchev / Eltsine, l’URSS s’est dissoute, a dissout le pacte de Varsovie et le COMECON. Mais cela ne suffisait pas. Il fallait que chacune des anciennes républiques soviétiques accepte d’intégrer le système de domination américain : entrée dans l’OTAN, perte de souveraineté… La plupart y ont accédé, mais la Russie a refusé et ce refus est inacceptable pour les USA qui ont mené toute leur politique de pression : élargissement de l’OTAN, révolutions “oranges” pour déstabiliser les alliés de la Russie, pressions économiques et diplomatiques notamment sur l’Europe pour empêcher et limiter les achats de gaz russe.

Cette stratégie va réussir : la tendance s’inverse. Après le Vietnam, non seulement quasiment aucun pays ne parviendra plus à atteindre la voie socialiste mais même des pays socialistes reprendront le chemin de l’économie de marché et du capitalisme, se soumettant au passage à la domination impérialiste. Les anciennes colonies sont confrontées à des crises permanentes, à la dette, aux agressions, à l’élimination de toute tentative d’émancipation. Sous couvert d’aide au développement, on met en place un plafond au développement.

Nous avons ici un cycle complet, révolution / contre révolution. Comme nous l’avons débattu sur www.histoireetsociete.com, la contre révolution ne fait pas tourner la roue de l’histoire à l’envers. Comme l’avait noté Marx, elle consiste au contraire à faire mûrir de nouvelles contradictions. Tout comme le capitalisme n’a pas été détruit après la seconde guerre mondiale, le socialisme n’est pas détruit à l’issue actuelle et les rapports de classe internationaux continuent à mûrir :

1) Profitant de sa taille et de son positionnement, et en faisant le choix audacieux de l’économie socialiste de marché, la Chine socialiste a réussi à contourner les obstacles au développement autonome posé par le néo-colonialisme. Elle menace le leadership américain et propose aux pays en développement à la fois des outils, des méthodes, des capitaux pour leur développement. Elle menace donc radicalement le système de domination américain, au moment où celui-ci est en difficulté de part sa dynamique propre.

2) Le marché mondial sur lequel se déploie le système économique, financier et industriel américain est à son tour limité. L’agrandissement de la sphère économique américaine a cessé et ne peut donc plus contrebalancer la baisse tendancielle du taux de profit. Le capitalisme américain doit attaquer agressivement le niveau de vie des travailleurs. Il se raidit vers le fascisme. Il développe des bulles spéculatives immenses pour tenter de le maintenir. Il doit tenter d’élargir autant que possible son aire de domination, pour conquérir de nouveaux débouchés et de nouvelles sources de matières premières. Cela explique l”ensemble des conflits militaires de ces dernières années : au Moyen Orient, en Afrique, en Europe (Yougoslavie …).

Les contradictions de ce système de domination néo-colonial sont également poussées à leur paroxysme par l’évolution démographique, économique et sociale mondiale. La population active mondiale, les travailleurs de tous les pays sont aujourd’hui 3 milliards 450 millions de personnes. Parmi eux, seulement 850 millions environ vivent dans les pays riches (OCDE) et 2 milliards et demi vivent dans les pays dits “à revenus faibles et intermédiaires”. Ces milliards de prolétaires ont un destin commun, l’édification du socialisme.

Nous avons vécu un cycle révolution / contre-révolution, qui n’a pas annulé mais qui a, au contraire, modifié favorablement les conditions sociales mondiales, les rapports internationaux et préparé les conditions pour un nouveau cycle révolutionnaire. Ce nouveau cycle, tout l’indique, permettra l’édification socialiste dans la plupart des pays du monde, permettra de remplacer les rapports de domination mondiaux par des rapports de coopération fraternels entre pays égaux.

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