voici un article d’un “professionnel” russe sur un autre professionnel et si le ton est impertinent la description est tout à fait pertinente.. (note de danielle Bleitrach et traduction de Marianne Dunlop)
https://vz.ru/opinions/2022/9/14/1177446.html
Alexei Zenzinov
scénariste, dramaturge
14 septembre 2022, 11:56
Un politicien, une reine, un réalisateur de films… Jean-Luc Godard s’est rajouté à la liste des personnes décédées à la fin de l’été ou au début de l’automne 2022. Lui aussi est allé voir au-delà de la barre des 90 ans.
Il a changé le cinéma aussi radicalement que Gorbatchev a changé l’Union soviétique, mais, contrairement à Mikhail Sergeievitch, il a créé plus qu’il n’a détruit. À l’instar d’Elizabeth II, il est devenu un mythe de son vivant, une autorité vénérée par ses sujets cinéphiles, dont la plupart n’ont vu qu’un film ou deux de lui, mais sont convaincus que Godard est génial. Il appartenait au vingtième siècle – avec toutes les guerres et les révolutions, la dictature du visuel et la dévalorisation du verbal, les assassinats politiques et les expériences sexuelles, les dopages divers et les chemins détournés vers le mystère de la conscience de soi.
C’est lui qui a inventé l’expression “professionnels de notre profession”, fixant une niche permanente pour cette caste dans notre société fluide. Un homme brutal à lunettes qui a fait dérailler le Festival de Cannes, participant aux bagarres et aux provocations. Le hooligan intellectuel qui a filmé le cul objet du rêve des érotomanes de la Française Brigitte Bardot, recouvert par un livre du légendaire cinéaste allemand Fritz Lang – voilà comment l’Europe était unie bien avant l’actuelle Union européenne archi-libérale.
Un maoïste sensible, un bosseur d’origine bourgeoise. Un génie ? Eh bien, oui, un génie. Suivant la formule de Pouchkine “Oh, combien de découvertes merveilleuses…”, non seulement un ami des paradoxes, mais aussi leur compagnon de boisson. Alexandre Sergueïevitch, qui, à une certaine période de sa vie, était follement amoureux d’un “esprit gaulois vif” (pour rappeler les mots d’un autre poète), aurait pu se lier d’amitié avec ce mi-français mi-suisse.
Mon camarade de classe au VGIK [institut du cinéma, NdT], Vladimir Vinogradov, a écrit un livre sur Godard. À mon avis, c’est l’un des meilleurs textes en russe sur l’idéologue de la Nouvelle Vague. À la fin du livre se trouve une filmographie : quatre-vingt-treize titres. Au cours des neuf années qui ont suivi sa publication, la liste s’est allongée – elle compte désormais cent trente ou cent cinquante-huit films. Jean-Luc ne travaillait comme deux, mais comme quatre.
Qu’avons-nous à apprendre de lui ? Son amour pour la Russie et le cinéma russe soviétique. Il a été appelé “le dernier cinéaste soviétique”, il a poursuivi le travail sur l’image et le son commencé par Dziga Vertov et Eisenstein. “La Russie est un pays où j’ai toujours voulu aller”, a déclaré Godard. Et puis il a ajouté. – Mais pas en tant que touriste et pas à un festival de cinéma”.
Renverseur du stable, négateur du durable, combattant et défenseur de l’inimitable individu humain manipulé par les forces de l’argent et des médias de masse. En cela, Godard est notre allié aujourd’hui contre l’empire mondial du mensonge. Il était convaincu que Saddam Hussein avait perdu la guerre uniquement parce que le film préféré du dictateur était Le Parrain.
Jean-Luc Godard est mort en exerçant son droit à l’euthanasie selon la loi suisse. Selon la famille, la raison de cette décision n’était pas la maladie – il était “simplement fatigué”. Il est impossible d’approuver ce choix, mais notre approbation est bien la dernière chose dont a besoin l’esprit autrefois tourmenté du grand maître de l’art qui porte la vérité “vingt-quatre images par seconde”.
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