Même si le projet généreux de ma conférence à l’Université populaire parait de plus en plus utopiste au vu de la réalité de l’escalade impulsé par l’OTAN, cette conférence a eu quelques échos. Se comprendre et préciser de quoi nous parlons, ce qui est la base de la diplomatie ne parait pas à l’ordre du jour. Nous sommes en guerre sans que celle-ci ait jamais été déclarée et la propagande qui a submergé ou submerge nos esprits est une sorte de tsunami qui asphyxie tout effort de dialogue, on est sommé de choisir son camps comme la malheureuse Segolen. Voici un ami parmi d’autre qui a fait l’effort d”écouter la conférence et qui prolonge le bref passage où j’ai esquissé les raisons qui font que les Coréens ont refusé les sinogrammes chinois par refus de l’impérialisme japonais.
Il en est des deux Corées comme du reste du monde et ce tourisme planétaire, ces raccourcis abusifs comparables sur le fond au Verbe, au Logos, par lequel Dieu ou l’impérialisme américain, le colonialisme occidental a eu le pouvoir de nommer et donc de “recréer” la réalité à sa convenance. Le terme de royaume ermite pour désigner la Corée mais aussi le Boutan et l’Ethiopie, a été inventé par William Elliot Griffis, un orientaliste, écrivain, enseignant et missionnaire américain qui a été conseiller étranger au Japon pendant l’ère Meiji mais qui n’est jamais allé en Corée, n’en parle pas la langue son livre date de 1882.Un royaume ermite est un pays, une organisation ou une société qui s’isole, métaphoriquement ou physiquement, du reste du monde.La dynastie Joseon, créatrice d’une langue coréenne qui s’oppose déjà au Japon, l’ennemi hériditaire ‘(et ça ne s’est pas amélioré), a fréquemment été décrite comme un « royaume ermite » C’est une pure construction occidentale, anglo-saxonne en particulier qui dénonce en fait la folie des civilisations qui ne s’ouvrent pas à ses bienfaits supposés et la description utilisée par les premiers missionnaires protestants a été interiorisée par les Coréens eux-mêmes pour stigmatiser le refus de la modernité avec bien sur en prime la Corée du Nord. donc voici encore grâce à Jean Luc picker cette précision sur la Corée et son écriture. (note de danielle Bleitrach)
illustration : le palais de GyeongBokKung à Séoul…
Merci mille fois pour ta conférence (regardée par vidéo) sur les courants de pensée qui ont structuré la Chine, j’y ai beaucoup appris.
Je me permets toutefois une petite correction dans la marge sur une mention que tu as faite de la Corée, que je connais un peu, et en particulier au sujet de son alphabet.
L’alphabet Coréen (Hangul -ou Joseongul au nord-), a été créé au milieu du 15ème siècle par l’empereur SeJong, de la dynastie Joseon. On dit, et cela est relativement crédible, qu’il a demandé à ses académiciens de créer un moyen de scripter le Coréen plus simple que les logogrammes chinois que seul les classes supérieures possédaient.
Quand on sait que en Corée, c’était les gens de lettre, et non les militaires, qui tendaient à tenir les rênes du pouvoir, on peut s’étonner que les académiciens aient collaboré à l’aventure, surtout que pour ce faire, ils ont été enfermés dans la grande salle supérieure d’un des bâtiments du palais de GyeongBokKung (1), d’où ils n’ont été ‘libérés’ que une fois complétée leur tâche. Quoiqu’il en soit, ils s’en sont délivrés à merveille, en créant ce qui est probablement le script -syllabique- le plus simple actuellement en usage.
Il y a une petite controverse sur les raisons qui ont poussé SeJeong à introduire ce script. La version habituelle est qu’il cherchait ainsi à permettre l’alphabétisation des classes populaires. On peut en douter un peu quand on sait le niveau très limité d’alphabétisation des masses paysannes coréennes au début du XXème siècle. Une autre hypothèse (et elle ne sont pas forcément exclusives) est que la véritable intention du souverain était d’unifier la prononciation du Coréen entre les différentes provinces (héritées en particulier des 3 royaumes qui formaient la Corée jusqu’au 7ème siècle). En effet le Hangul représenterait les différentes position des organes vocaux (lèvres : le rond, palais : trait horizontal, langue : trait vertical ou ‘chapeau chinois’).
En tant qu’alphabet (ou de support de prononciation), il semble que le Hangul n’ait pas connu l’engouement que pouvait en espérer le grand SeJeong. La classe des érudits a continué à utiliser le HanJa chinois (sauf curieusement pour la poésie), et aujourd’hui encore, la maîtrise du Hanja est un signe extérieur d’érudition très flatteur.
Le plus intéressant est sans doute de comprendre comment le Hangul a finalement remplacé au XXème siècle, 500 ans après sa création, le HanJa. Après la mise sous tutelle distante de la Corée par la France et l’Angleterre qui s’étaient rendus maîtres de leur suzerain millénaire : la Chine (comme tu le montres dans ton exposé), les premiers nationalistes ont commencé à apparaître vers la fin du XIXème. Ces nationalistes ‘bourgeois’ et éduqués regardaient le Japon Meiji comme une source d’inspiration révolutionnaire, et ont cherché à se distancier de la suzeraineté chinoise qui avaient failli en s’écroulant comme un château de carte devant les européens. Ils ont commencé à faire paraitre des tracts et pamphlets en Hangul. En même temps, les ‘missionnaires’ promouvaient l’enseignement du Hangul dans leurs écoles, vus qu’ils ne maitrisaient pas le Hanja, et aussi comme un moyen d’affaiblir l’influence chinoise dans le pays. Finalement, le gouvernement lui donna droit de cité en 1894 (je crois). La guerre nippo-chinoise puis nippo-russe qui scella la vassalisation de la Corée par le Japon en 1905 mit fin d’une certaine manière aux espoirs des nationalistes (qui finirent d’ailleurs par se retrouver sous les verrous*) et des missionnaires qui durent quitter le pays. Mais cela ne mit pas fin pour autant à l’expansion du Hangul qui était enseigné dans les écoles publiques obligatoires mises en place par l’occupant, de plus en plus présent. La militarisation fasciste du Japon dans les années 30 conduisit à une annexation pure et simple de la Corée (absorbée dans la fameuse ‘province’ du Komanchou) et à la négation de la Coréanité (que d’aucun qualifièrent à postériori de génocide culturel). L’enseignement du Hangul -et du Coréen tout court- fut banni des écoles au profit du Japonais et les publications en Hangul comme en Hanja interdites.
Lors du retrait de l’occupant en 45, il devint tout naturel pour la Corée (pas encore officiellement partagée et dans l’attente, sous les deux administrations provisoires russes et états-unienne, d’un processus constituant qui n’arriva jamais, car bloqué par les USA au sud) d’adopter le Hangul comme script national.
*Le dictateur fou et sanglant mis en place par l’administration provisoire des USA (le fameux SingManRhee) était d’ailleurs un de ces nationalistes, réfugié aux USA au sortir des geôles japonaises.
Pas sûr que tu aies trouvé ce résumé très intéressant, mais, si tu es arrivée jusque-là, je te souhaite une bonne nuit, et encore merci !
Jean-luc
(1) l’idée d’enfermer des lettrés pour qu’ils s’entendent enfin me fait irresistiblement songer à la pièce de Brecht Turandot ou le congrès des blanchisseurs. Dans une Chine imaginaire, les Tuis (les intellectuels) ont été ainsi rassemblés par un empereur excédé des querelles entre idéalistes (l’esprit du Yan tsé précède la réalité du grand fleuve) ou matérialisme (la réalité du fleuve Yang tsé précède le mot et l’esprit du fleuve). ils ne sortirons pas sans avoir tranché. Et au paysan qui s’interroge sur les résultats de cet enfermement studieux il est répondu : on ne le saura jamais, le fleuve a débordé et les a tous noyés… La pièce se déroule sur un fond de révolte, l’empereur ayant brulé la récolte de coton pour spéculer et faire monter les prix, le peuple gronde devant la pénurie…Les tuis sont rassemblés pour trouver un argument mais à un moment ils finissent tous par révéler une part de la vérité, celui qui gagne le concours est un espèce de nazi qui interrompt toute discussion en sortant censure et revolver… Le paysan trouve qu’il y a du bon chez les Tuis et il part rejoindre le Tui en chef Mao Tse Tong qui a pris la tête de la longue marche et a armé les paysans… Je suis assez proche de cet état d’esprit… (note de Danielle Bleitrach)
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