Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Bulletin Comaguer 486 : La tête froide

7 septembre 2022

LA TÊTE FROIDE

Le mérite de l’article qui suit est qu’il vient opportunément rappeler qu’il y a dans l’appareil d’état russe des personnalités sérieuses et posées qui savent que l’industrie nucléaire est une industrie dangereuse et qui pendant plusieurs générations depuis Hiroshima et Nagasaki ont su trouver dans l’appareil d’état étasunien les responsables conscients du caractère apocalyptique d’une éventuelle guerre nucléaire, ont su les convaincre de leur bonne foi et ont pu mettre en place des accords de surveillance et de contrôle mutuel efficaces des armes nucléaires. C’est grâce à eux que les chiens fous du Pentagone et du complexe militaro-industriel ont été tenus en laisse jusqu’à aujourd’hui.

Renversant une proposition à la mode il est possible d’affirmer que ces personnalités du temps de l’URSS comme du temps de la Fédération de Russie ont gagné la guerre froide puisqu’elles ont empêché qu’elle se transforme en guerre chaude nucléaire. Viktor Tchernomyrdine premier ministre d’Eltsine pendant 6 ans est du nombre. Ce “fils du peuple” après une carrière brillante dans le secteur de l’énergie soviétique a signé avec le vice président Al Gore cet accord de désarmement remarquable “Mégatonnes contre Mégawatts” présenté dans l’article.

Pour alimenter les centrales nucléaires il est nécessaire d’enrichir l’Uranium 235 fissile c’est à dire de porter sa concentration naturelle de 0,7% à 3 ou 50% mais l’industrie soviétique puis russe a démontré qu’il était possible d’appauvrir l’uranium très enrichi – à plus de 90% d’uranium 235 – des bombes dans de bonnes conditions économiques pour le ramener à la concentration du combustible pour les centrales.

Que l’AIEA et son directeur général après avoir rencontré à Istanbul les dirigeants de ROSATOM aient pu accéder à la centrale d’Energodar (Zaporojie) sous protection de l’armée russe démontre qu’une nouvelle fois “la raison venue du froid” comme aurait pu dire John Le Carré l’a emporté et que le gamin paranoïaque de Kiev n’a pas été autorisé à jouer avec les allumettes.

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Dépendance des Etats-Unis vis-à-vis de l’uranium russe

et politiques de sanctions

Vladimir Danilov, politologue en exclusivité pour le journal en ligne “ New Eastern Outlook ”.

04 septembre 2022

La crise énergétique, exacerbée ces derniers mois par la politique de sanctions anti-russes de Washington, est peut-être la pire crise de ce type depuis 1973, lorsque les pays arabes ont imposé un embargo pétrolier pour protester contre le soutien occidental à Israël dans la guerre du Kippour. Elle a désormais touché tous les États occidentaux. Alors que la recherche de nouvelles sources d’énergie et l’amélioration des moyens existants, relativement respectueux de l’environnement, pour produire de l’électricité à l’échelle industrielle se poursuivent, les centrales nucléaires restent une sorte de bouée de sauvetage pour bon nombre des principaux États du monde. Tout cela a incité les pays à réexaminer la possibilité d’utiliser l’énergie nucléaire pour lutter contre la crise énergétique, à analyser l’état du marché du combustible nucléaire et leurs propres capacités dans ce domaine.

à cet égard Les États-Unis ne font pas exception à la règle. Étant donné que les États-Unis sont le leader mondial de la capacité nucléaire installée, la question a été sérieusement étudiée dans ce pays. En novembre 2021, les États-Unis comptaient 93 réacteurs nucléaires regroupés en 56 centrales nucléaires situées dans 28 États différents (sur 50) avec une capacité combinée de 95,5 GW, qui produisent 19,7 % de l’électricité du pays.

Comme chacun sait, l’uranium est le combustible des réacteurs nucléaires des centrales. Toutefois, contrairement à la Russie, les États-Unis ne produisent ni ne traitent d’uranium, et ne disposent pas non plus de réserves d’uranium, les États-Unis ont pensé à en créer, mais ne l’ont jamais fait. Même à leur apogée, en 1980, les États-Unis n’étaient capables de produire que 40 % des barres nucléaires nécessaires à leur industrie nucléaire. Par conséquent, la Russie, le Kazakhstan et l’Ouzbékistan fournissent environ 50 % de l’uranium destiné à l’industrie américaine, la Russie représentant environ 20 % des besoins en uranium des États-Unis. En 2021, les États-Unis ont importé de Russie pour 670 millions de dollars d’uranium enrichi et d’isotopes radioactifs.

La dépendance des États-Unis à l’égard de l’uranium russe s’est accrue en grande partie parce que la technologie soviétique d’enrichissement par centrifugation était presque 10 fois plus efficace sur le plan énergétique que celle développée aux États-Unis, d’où le coût inférieur des barres nucléaires.

En 1993, la Russie et les États-Unis ont conclu un accord d’”Achat d’Uranium Hautement Enrich” d’une durée de 20 ans, aussi appelé Megatons to Megawatts Program (également appelé accord Gore-Tchernomyrdin, d’après les noms des signataires), qui prévoyait la conversion commerciale d’uranium hautement enrichi en uranium faiblement enrichi dans le but de faire fabriquer par les entreprises de l’industrie nucléaire russe du combustible pour les centrales nucléaires américaines. L’accord stipulait que, dans le cadre du désarmement nucléaire annoncé par les deux parties, 500 tonnes d’ancien uranium de qualité militaire (soit 20 000 anciennes têtes nucléaires russes) seraient utilisées pour la fabrication de barres de combustible pour les réacteurs. Les États-Unis voulaient ajouter la même quantité. En réalité, ils espéraient simplement désarmer la Russie de leurs propres mains et faire un joli bénéfice, tout en obtenant du combustible nucléaire presque gratuitement. Mais le résultat est que la technologie d’enrichissement des États-Unis est restée au niveau du début des années 1990, et qu’il n’y restait pratiquement plus des capacités antérieures.

Sergey Kiriyenko, lorsqu’il était à la tête de Rosatom, a déclaré un jour qu’une ampoule sur dix aux États-Unis brûlait de l’énergie dérivée de l’uranium russe. Au cours des dix années du programme “Megatons to Megawatts”, la Russie a envoyé aux États-Unis 14 440 000 tonnes d’uranium retraité provenant de 500 tonnes d’anciennes charges d’ogives nucléaires. Cet uranium a été utilisé pour produire plus de 7 trillions de kWh d’électricité par les centrales nucléaires américaines, ce qui représente, soit dit en passant, près de sept fois la production annuelle totale de la Russie (en 2021, par exemple, la Russie a produit 1,13 trillion de kWh d’électricité). Bien que le programme “Megatons to Megawatts” ait expiré en 2013, la Russie a néanmoins continué à exporter des barres nucléaires vers les États-Unis, bien qu’elle n’ait depuis lors plus utilisé d’anciennes ogives comme matière première.

La situation critique que connaissent actuellement les États-Unis en termes d’approvisionnement en combustible pour les centrales nucléaires américaines oblige particulièrement Washington à stimuler les possibilités d’enrichissement de l’uranium sur son sol. Il ne sera pas possible de remplacer les approvisionnements en provenance de Russie par des sources provenant d’un autre pays, a rapporté le Washington Examiner, citant la secrétaire adjointe à l’énergie américaine Kathryn Hoff. A cette fin, en juin dernier, les députés républicains américains Dan Newhouse et August Pfluger ont proposé de reconnaître l’uranium comme une matière première stratégique. Dans leur note explicative, les membres du Congrès ont souligné que les États-Unis sont actuellement dépendants de la Russie et de ses alliés pour l’approvisionnement en uranium, qui est une matière première essentielle pour un certain nombre de secteurs de l’économie américaine, notamment l’énergie et les soins de santé. Parallèlement, les législateurs soulignent que ce sont les politiques malavisées de l’administration Biden qui ont considérablement aggravé la situation énergétique désastreuse actuelle du pays en permettant à des gouvernements étrangers, et même à des concurrents stratégiques tels que le Venezuela, la Chine et l’Iran, de dominer l’industrie énergétique et en forçant les gens à dépendre d’importations coûteuses au lieu de la production nationale. (ndt : pour le Venezuela et l’Iran il s’agirait de mettre fin à l’embargo sur le pétrole , pour la Chine dominante dans l’industrie mondiale des éoliennes et des panneaux solaires d’ouvrir le marché étasunien

The Hill (ndt :quotidien washingtonien fondé en 1994 et qui passe pour être le plus lu dans le monde politique de Washington) a déjà exprimé son inquiétude quant à une éventuelle interruption de l’approvisionnement en uranium enrichi en provenance de Russie. Selon la publication, une telle mesure entraînerait l’arrêt de la plupart des unités de production des centrales nucléaires américaines et l’effondrement de l’ensemble du système énergétique du pays. Pendant ce temps, les médias américains, dans leur frénésie russophobe, ont effrayé leur public avec des informations selon lesquelles la Russie pourrait infliger des dommages substantiels aux États-Unis en réduisant de moitié ses approvisionnements en combustible nucléaire. Cela pourrait à son tour déclencher une hausse immédiate et très importante des prix de l’électricité aux États-Unis, ce qui pourrait porter un coup très grave aux Américains et à l’économie américaine, en raison de la hausse des prix du pétrole et du gaz due à la politique de sanctions de Washington.

Cette intimidation par le croquemitaine russe est assez remarquable si l’on considère les actions des États-Unis eux-mêmes, qui ont imposé le 8 mars une interdiction des importations d’énergie en provenance de Russie – pétrole et produits pétroliers, GNL et charbon. L’uranium russe n’a pas été sanctionné, manifestement en raison des préoccupations de la Maison Blanche, qui estime que la sécurité énergétique de l’Amérique dépend directement de l’uranium russe.

Par ailleurs, alors que Washington intensifie l’hystérie des sanctions illégales contre la Russie, le vice-premier ministre russe Alexandre Novak a déclaré le 21 mars que le gouvernement russe envisageait d’interdire les livraisons d’uranium aux États-Unis en réponse à la politique russophobe de Washington et à l’embargo sur les ressources énergétiques russes…

Traduction Comaguer

Sur l’accord MEGATONS MEGAWATTS :

https://str.llnl.gov/content/pages/april-2013/pdf/4.13.3.pdf

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2 Commentaires

  • Michel BEYER
    Michel BEYER

    Merci Comaguer, c’est un texte éclairant à la lumière du nucléaire.
    C’est une démonstration de plus. On comprend mieux l’acharnement des Etats-Unis à mettre la Russie plus bas que terre. Leur rêve: ne plus être dépendant de la Russie dans les domaines essentiels. La mondialisation se retourne contre eux.

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    • Taliondachille
      Taliondachille

      Et pour ne plus être dépendant de la Russie la solution envisagée (depuis fort longtemps) est sa balkanisation. On rêve de l’effet inverse : la balkanisation des USA..

      Répondre

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