Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

A propos du Cameroun et de la France de Macron, pas la mienne…

Si ma première cellule locale s’appelait Iveton, en souvenir de ce communiste algérien exécuté alors que le ministre de la justice qui a refusé sa grâce était un certain François Mitterrand… Ma première cellule de Fac portait le nom d’Ernest Ouandié, nous n’avions pas besoin de chercher les communautarismes identitaires jusqu’à l’antisémitisme pour nous sentir partie prenante des luttes du peuple algérien ou camerounais. Un jeune qui adhérait au PCF en ce temps-là prenait non seulement sa place au sein des combats de la classe ouvrière française, mais au sein d’une internationale. J’avais 33ans et j’étais assistante en sociologie, nous avions décidé sur proposition de l’un des professeurs de cette cellule de la baptiser Ernst Ouandié en 1971. Je me souviens qu’en tant que secrétaire de cette cellule, mes camarades m’avaient baptisée “Maman Ouandié”… j’en suis fière… Alors qu’il me soit permis de reparler de ce passé que l’on feint d’oublier…

Afficher l’image source

Ernest Ouandié, un des derniers chefs historiques de l’UPC, qui va vers le peloton d’exécution de la soldatesque d’Ahidjo, encadrée par des militaires français le 15 janvier 1971.

Quand Macron va au Cameroun y prononcer un discours arrogant et d’une rare indigence historique dans lequel il ose parler de colonialisme à propos de la Russie et faire la leçon à l’Afrique, on se dit que ces gens-là nous auront tout fait avaler au nom de leurs conception des droits de l’homme réduits à leurs profits.

Fils d’une grande famille du Cameroun, avec un père notable ayant eu maille à partir avec la colonisation. Il est enseignant dans le secteur public ; sa carrière est marquée par d’innombrables affectations dites disciplinaires, en réalité à caractère politique parce qu’il est communiste et surtout se bat pour la libération de son peuple du joug colonial.

19 août 1970 : arrestation à Mbanga, dans le Moungo. Il est aussitôt conduit dans les locaux de la Brigade mixte mobile (BMM) à Kondengui, près de Yaoundé, tristement célèbre pour ses salles de torture et dont le chef, Jean Fochivé, « représentait la terreur » et n’avait de comptes à rendre qu’au chef de l’État. Lors de sa détention dans les locaux de cette police secrète paramilitaire, il partagera la cellule d’Albert Mukong, ancien secrétaire général du One Kamerun de Ndeh NtumazahNote et, en tant que tel, habitué des prisons politiques.
28 décembre 1970 : comparution devant le tribunal militaire de Yaoundé en compagnie de Mgr Albert Ndongmo et de 26 coprévenus.
5 janvier 1971 : condamnation à mort par le tribunal militaire.
En France, la plupart des grands médias (AFP, Le Monde…) diffusent la version présentée par le gouvernement d’Ahmadou Ahidjo sur le complot terroriste et criminel. En revanche, le réseau Solidarité d’Henri Curiel (1) mobilise avocats et intellectuels pour tenter d’organiser la défense juridique et médiatique des accusés, et contacte des diplomates français pour les convaincre d’intervenir. Un comité international de défense d’Ernest Ouandié est constitué, dont la présidence est assurée par le naturaliste Théodore Monod. Malgré le désintérêt des médias, plusieurs personnalités rejoignent le comité : l’ancien ministre Pierre Cot, l’écrivain Michel Leiris, le philosophe Paul Ricœur et le linguiste Noam Chomsky. À l’usine Thomson-CSF de Villacoublay, des dizaines d’ouvriers sont signataires d’une pétition de soutien et je puis témoigner de l’émotion qui fut celle des communistes français.

Lors de son procès, Ernest Ouandié refuse de s’exprimer sinon pour dire que c’est une forfaiture et qu’il ne reconnait pas ce tribunal. Il est condamné à mort avec trois autres compagnons de lutte. Voici le témoignage qui signe par qui il fut exécuté, pas par les représentants du peuple camerounais dont il a été reconnu depuis héros national mais bien par ceux qui en ce temps là comme aujourd’hui trahissaient le peuple français.

Les circonstances qui ont entraîné, voire précipité, son exécution ont été relatées dans des confidences faites en août 1993 (soit presque vingt-deux ans après les faits) par Moussa Yaya Sarkifada, l’un des barons du régime d’Ahmadou Ahidjo :
« C’est Jacques Foccart qui était venu exiger l’exécution d’Ernest Ouandié ; en effet, aussitôt après leur condamnation à mort peu avant Noël, Dongmo avait demandé la grâce présidentielle, mais Ouandié avait refusé de signer le recours en grâce ; presque chaque jour on lui apportait le dossier pour signer et il avait répondu à Ahidjo ” Prenez vos responsabilités ; moi je prends les miennes devant l’Histoire “. Ahidjo était vraiment perplexe et la terrible année 1970 est finie. En début d’année Ahidjo espérait maintenant que l’affaire allait s’enliser et qu’on n’en parle plus, comme ça ils allaient rester vivants. Beaucoup de gens sont condamnés et jamais exécutés.

Brusquement Foccart est venu et a tout précipité.
Foccart était arrivé par avion un matin vers le 11 ou 12 janvier je ne me souviens plus exactement ; il s’est d’abord rendu à l’Ambassade de France ; puis à 11 H le Président Ahidjo l’a reçu au Palais. Quand Foccart est parti, j’ai retrouvé Ahidjo pour déjeuner. Foccart a dit à Ahidjo que le cas Ouandié est l’objet de son aller et retour : ” le Président Pompidou va entamer prochainement son tout premier voyage en Afrique et le Cameroun est l’une des étapes. Il faut que cette affaire soit réglée avant l’arrivée du Président Pompidou, qui est imminente. Je pars à Libreville l’attendre.

Qui attendait Macron et pourquoi faire ?

Aux côtés de Paul Biya, président du Cameroun, un de ces dirigeants qui depuis plus de quarante ans a vécu toutes les péripéties de la corruption et des liens de la françafrique… Emmanuel Macron a dépeint sous un mauvais jours les intentions de la Russie en Afrique : “La Russie a un agenda africain qui n’est pas pour le bien-être de l’Afrique et des africains mais qui est un agenda qui se nourrit des déstabilisations et qui cherchent à fracturer le monde […] parce que la Russie est heureuse partout où le pouvoir est capturé. ” Lors de son discours, Emmanuel Macron a aussi dénoncé l'”hypocrisie” vue “en particulier sur le continent africain” qui pousse selon lui certains pays à “ne pas savoir qualifier une guerre qui en est une et ne pas savoir dire qui l’a lancée”. Pointant une nouvelle fois la responsabilité de la Russie.

Comme l’a souligné Regis de Castelneau : “Une fois de plus Macron est venu donner des leçons. D’abord en traitant ses hôtes « d’hypocrites » pour ne pas partir en guerre comme Biden et von der Leyen contre la Russie. Merci, trop aimable. Puis en dispensant un cours de morale sur la corruption africaine. En s’affichant ostensiblement avec les dirigeants les plus corrompus d’Afrique.” et de conclure que Lavrov en tournée en Afrique et qui est nettement plus subtil et sait jouer sur la filiation diplomatique avec l’ex-URSS en matière de respect des peuples africains, n’a pas de souci à se faire.

Et pour que la tableau des “élites” parisiennes soit complet, Yannick Noah très people a jugé bon d’accompagner cette vision mémorielle des mérites comparées de l’Afrique, de la Russie (héritière des mauvaises moeurs de l’Urss) et de la France… Les bobos à la rescousse des bonnes oeuvres de l’OTAN, de la France néocoloniale et des USA… Ce n’est pas la première fois et en France ils se dépensent également.

Mais qu’en est-il du fond et même des protagonistes:

Il est clair que le Cameroun et ses intellectuels, ont encore des liens déjà linguistiques avec la France et continuent à espérer, de la visite du président français, Emmanuel Macron. Mais celle-ci « ne changera rien » à la vie des Camerounais, frappés de plein fouet par la hausse des prix des denrées alimentaires et par la rareté de l’essence, estime Philippe Nanga, coordinateur de l’ONG Un Monde avenir. Pour le militant, elle n’aura pas non plus permis d’avancer sur les dossiers les plus douloureux : le conflit en cours depuis 2017 dans les deux régions anglophones, la répression frappant certains défenseurs des droits humains et journalistes, la libération des nombreux prisonniers politiques qui croupissent dans les geôles surpeuplées du pays.

En ce qui concerne l’Histoire et les promesses de déclassifier les dossiers de la colonisation, même déception que dit l’historien, Tayou Kamgue en dénonçant le fait que de nombreux acteurs de ces périodes de l’histoire soient encore vivants complique le travail. Paul Biya faisait partie du gouvernement en 1962, lors de la sanglante guerre d’indépendance qui fit des dizaines de milliers de morts entre 1955 et 1971, d’après Thomas Deltombe, Jacob Tatsitsa et Manuel Domergue, auteurs de l’ouvrage Kamerun ! Une guerre aux origines de la Françafrique (éd. La Découverte, 2011). « La France est reconnaissante et ne peut pas exposer les personnes qui ont travaillé pour elle, sinon ceux qui travaillent pour elle aujourd’hui auront peur », a expliqué Tayou Kamgue sur Equinoxe TV, une chaîne camerounaise privée.

L’alignement de la France depuis Sarkozy sur l’atlantisme paraît avoir libéré certains dossiers Foccart, en fait elle a de plus en plus recours aux mêmes acteurs, aux mêmes réseaux et hommes de paille et la nécessité de mener une nouvelle guerre froide contre la Russie et la Chine pour l’hégémonie occidentale va à l’encontre de toutes les belles paroles.

Danielle Bleitrach

(1) Henri Curiel, ce juif égyptien communiste, proche de l’URSS, qui a œuvré pour la solution de paix et de justice entre Israël et la Palestine, a été lui même assassiné à la suite d’une campagne infâme du POINT, de Georges Suffert, qui l’a désigné comme terroriste ce qui était totalement faux.

Vues : 157

Suite de l'article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

La modération des commentaires est activée. Votre commentaire peut prendre un certain temps avant d’apparaître.