Histoire et société

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DECISION TO LEAVE : BASIC INSTINCT À LA CORÉENNE

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Il n’y a de cinéma que s’il conserve en tant que langage universel un rapport étroit à sa culture nationale. J’ai vu hier ce film. je partage certaines appréciations de cet article, en particulier ce qui concerne l’extraordinaire virtuosité de Park Chan wook, une idée à la minute, tant dans le montage, le cadrage, mais l’article fait un peu trop le parallèle entre une telle virtuosité et un cinéma occidental de référence (Basic instinct et surtout vertigo) .
C’est insuffisant pour décrire le cinéma coréen, sa spécificité de classe et celui qui la rendra la plus perceptible, la plus assimilable pour les occidentaux et pour le palmarès des festival.
Cette virtuosité que chacun reconnait à Park Chan Wook n’est pas pastiche gratuit, ni du polar, ni du film de vampire dans un film précédent. Certes utilise les conventions narratives d’un genre cinématographique ici le polar, mieux ou pire il les multiplie qu’il s’agisse de la structure en trois actes, avec la musique de Malher, les références de plan que l’on n’arrive même plus à énumérer, le montage en arabesque et spirale, les jeux géométriques dans lesquels se complaisent les plus grands de Lang à Hitchcock, mais comment oublier Mizoguchi et tant d’autres?
Il y a plus, le spectateur cinéphile occidental, le jury de festival, le critique, croit reconnaitre mais peu à peu il est perdu, parce l’enjeu est autre. Hier j’étais avec deux amies qui ignorent tout de ce cinéma et l’une d’entre elle particulièrement soumise à l’influence des médias m’a déclaré ‘je ne comprend rien à ces chinois, c’est un autre monde’ Paradoxalement, elle voyait plus juste que tous les critiques, elle percevait la familière étrangeté de l’histoire d’amour et de l’enquête parce qu’elle en était resté à l’essentiel ce qui se passait dans le huis clos des personnages. Parce que le film a d’étrangeté dans un genre familier que nous croyons maitriser se révèle essentiellement à travers les personnages qui ouvrent la narration sur des double-sens dont nous n’avons pas toutes les clés et il ne s’agit pas seulement de leur type asiatique. Peut-être justement ce que nous ne maitrisons pas et dont la minutie nous fait voir de la virtuosité là où il y a une tout autre culture que les codes occidentaux enferment dans un carcan mais aussi brisent ou tentent de briser.
Park Chan Wook, il faut le dire, subit dans son pays sous contrainte américaine, une répression liée à son engagement le plus à gauche possible , il a créé les conditions d’une production indépendante et il a donc besoin de l’appui international. Mais il y a plus, les codes de genre sont utilisées par lui comme une transgression. La Corée et la Chine partagent beaucoup de choses et ce sont les pays les plus influencés par le Confucianisme: dans ces sociétés, il est très important que tout le monde joue son rôle, selon sa position dans la société, et respecte les limites de cette position afin qu’aucun problème ne surviennent et sous contrainte occidentale à chaque instant la digue menace de s’effondrer, l’individu en est brisé et il faut recréer un autre sens.
L’histoire d’amour fou mais d’une pudeur extrême est celle d’un policier qui s’identifie totalement à sa fonction avec une rare élégance. Ce dandysme fait partie de la perfection esthétique mais aussi éthique du primat du collectif sur l’individu. L’individu fait plus que suivre une mode, il doit marquer son appartenance de classe, son rôle dirigeant par un apparat suggéré, épuré. Est-ce un hasard si la transgression se joue avec la Chine, plus grande, plus mystérieuse, où s’est faite une révolution, la beauté fascinante est chinoise, en quoi est-elle irresistible ? Ce qui rend hystérique un personnage qui par ailleurs cherche le contrôle de soi et des autres, comme ce qui sert de pivot à la trame de la narration est le sort réservé aux ascendants, bizarrement à chaque fois articulé sur le téléphone portable. Une manière de marquer à la fois la permanence des valeurs et leur abandon, laissé aux soin d’autres. Ainsi une valeur fondamentale de la cohésion collective dans un état de délitement, le respect du aux ascendants, aux ancêtres, crée une trame incontournable, profondément dépaysante. La fin m’est apparue décevante parce qu’elle nous fait sortir de l’incertitude et trancher en faveur de l’amour fou, l’espace en est différent, le huis clos est rompu . Alors que si l’on pense à vertigo, c’est justement parce que le puzzle ne peut pas être élucidé.. parce que nous sommes devant l’inconnu de l’attirance obsessionnelle où le sexe ou plutôt son absence n’est rien face à des rituels de samouraï , le policier a un besoin dévorant de celle qui choisit d’être une affaire non élucidée et qui fait partie de son besoin de meurtres, d’énigmes, mis à distance par une espèce de maitrise esthétique qui choisit l’image pour ne pas avoir à dire les mots. S’il y a vide c’est peut-être dans cette fin qui a voulu nous faire sentir le romantisme de cette rencontre impossible dans ce déchaînement des flots et cet enfouissement volontaire pour préserver le sens, le restituer .
Non, ce n’est pas simplement un virtuose, la cohérence de son oeuvre est pleine et entière si on la réfère à la Corée, “ce royaume ermite aussi mal connu au sud qu’au nord” Bref ce que nous concevons comme une éblouissante virtuosité débouchant sur le vide, signifie peut-être notre incapacité à voir au-delà de nous. (note de danielle Bleitrach pour histoire et societe)

DAVID SPERANSKI·29 JUIN 2022

Depuis sa Palme d’or manquée de très peu, en 2004, avec son Old boy révéré par Quentin Tarantino, Park Chan-wook est loin d’être resté inactif. Il a pu terminer sa trilogie de la vengeance avec un Lady Vengeance moyennement convaincant, s’attaquer aux films de vampires (Thirst), faire un film dans le système hollywoodien (Stoker), réaliser l’excellent Mademoiselle, autre classique, adapter John Le Carré dans une formidable mini-série avec Florence Pugh (The Little Drummer girl). A chaque fois, il ne s’est jamais départi de son style éblouissant, avec dix idées cinématographiques à la minute. Entre-temps, il a pu assister au sacre cannois puis hollywoodien de son collègue Bong Joon-ho, grâce à l’intouchable Parasite. L’heure de la vengeance est-elle venue pour Park Chan-wook grâce à ce Decision to leave vénéneux?

Hae-Joon, détective chevronné, prend chaque affaire très (trop?) à coeur. La nouvelle affaire qui se présente semble facile à résoudre : il enquête sur la mort suspecte d’un homme survenue au sommet d’une montagne. Soumis à un chantage, cet employé des services de l’immigration a sauté d’une falaise. Sauf que son épouse Sore ne semble éprouver aucun remords, qu’elle est poursuivie en Chine pour la mort de sa mère et qu’elle est d’une beauté fatale si troublante que Hae-Joon finit par la soupçonner, tout en étant déstabilisé par son attirance irrésistible pour elle..

Dans Decision to leave, Park Chan-wook organise avec maestria les jeux de mise en scène auxquels il excelle qui méritent toute notre attention à chaque instant, ainsi que la plus totale de nos admirations.

Park Chan-wook possède un style pharamineux, d’une somptuosité visuelle qui lui permet d’enchaîner les arabesques les plus folles, les volutes les plus originales. Il s’en donne une nouvelle fois à coeur joie dans Decision to leave, au point que, sur le strict point de vue de la mise en scène cinématographique, on peut affirmer sans crainte de se tromper qu’il est en fait un meilleur metteur en scène que Bong Joon-ho. Néanmoins un auteur ne se juge pas seulement à la virtuosité de sa mise en scène mais aussi à l’écriture de ses scénarios, à sa vision globale de la vie, à la cohérence de son oeuvre.

Il est ainsi possible d’admirer les tours de magie permanents et chatoyants de Park Chan-wook de manière presque indépendante de l’histoire elle-même qu’il a souhaité cette fois-ci nous raconter, une romance échevelée sous les atours d’un polar à la manière de Vertigo ou plutôt de Basic Instinct. Car derrière l’histoire classique d’un détective épris d’une femme fatale (sublime Tang Wei, héroïne de Lust, caution ou de Hacker, mante religieuse qui sème le malheur autour d’elle), il n’est pas très difficile de reconnaitre la trame du classique sulfureux de Paul Verhoeven. Park Chan-wook le revisite à la coréenne, c’est-à-dire sans sexe mais avec des idées incessantes de mise en scène et de montage, passant par des surimpressions, des incrustations à l’écran, des reflets impromptus.

La virtuosité stylistique est telle que Park Chan-wook mériterait un prix de la mise en scène. Cependant, Decision to leave s’inscrit peut-être dans un genre trop balisé pour lui donner une profondeur politique ou sociétale, ce que ne recherche d’ailleurs pas Park Chan-wook. N’en demeurent pas moins les jeux de mise en scène auxquels il excelle qui méritent toute notre attention à chaque instant, ainsi que la plus totale de nos admirations.

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