Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Sasha Bergheim : qu’est-ce qu’un article de propagande?

Prenez la peine de lire cet article très bien informé sur “la russification”. En 2015, à Odessa l’atmosphère de la vile était oppressante, un an après le massacre de la maison des syndicats, des croix gammées dessinées sur la chaussée, d’inquiétants voyous vous surveillant, mais le pire était que dans une ville où tout le monde parlait russe et avait autant de mal à parler un ukrainien correct que l’invraisemblable maire de Kiev aujourd’hui, dans tous les lieux publics, à la poste étaient placardées des affiches interdisant de parler russe, de s’adresser à la postière en russe. Une atmosphère d’occupation que nous avons tenté de rendre dans notre livre reportage Marianne et moi. Voici donc les faits historiques et actuels présentés par Sacha Bergheim à partir d’un article de Ouest France, mais peut-être que le pire est de ne pas pouvoir échapper à une telle propagande, pas le moindre espace qui permettrait de la contredire si ce n’est quelques malheureux blogs comme le nôtre… (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

Sacha Bergheim

 · Qu’est-ce qu’un article de propagande? C’est une pièce publiée dans un journal qui offre une version contestable, non vérifiée et orientée d’un événement particulier afin d’assurer la promotion d’une idée ou d’une opinion. Contraire à toute déontologie journalistique, il ne cherche pas à informer mais à orienter, quitte à mentir ou manipuler.

Cela peut être insidieux comme cet article de Ouest-France qui évoque le processus de “russification” de Mariupol.

Guerre en Ukraine. Cours de langue, écrans géants… Comment Moscou met Marioupol au régime russe (ouest-france.fr)

Pour autant, si on en croit le recensement de 2001 cité par Wikipedia, la population est russophone à 90% (https://en.wikipedia.org/wiki/Mariupol#Language_structure), ce qui laisse supposer que la majorité de la population, vingt ans après, n’a pas besoin de se voir imposer une langue qui est sa propre langue maternelle. Cela signifie aussi ne pas avoir mené la moindre recherche sur la politique linguistique en Ukraine et notamment le fait que le processus d’ukrainisation forcée du pays ne répond pas aux obligations de protection des minorités comme le critique l’ONG HRW (https://www.hrw.org/…/new-language-requirement-raises…).

En effet, dans le cadre de la loi de décommunisation du pays de 2015, le russe a progressivement été banni de la vie publique et par exemple, même dans les régions russophones de manière écrasante (9x plus de locuteurs russes qu’ukrainiens à Mariupol), seuls l’ukrainien et l’anglais sont utilisées par exemple dans les gares à compter de décembre 2016. La Commission européenne déplore surtout que les langues maternelles de minorités importantes soient exclues et considérées comme étrangères, bien sûr le russe, mais aussi le biélorusse (pourtant linguistiquement parent de l’ukrainien) ou le yiddish (pourtant dans un pays qu’on nous présente exemplaire à l’égard de sa minorité juive!) (https://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2019)032-e)

En revanche, le tatar est reconnu comme langue autochtone, simplement parce qu’elle représente une infime minorité et que ses locuteurs sont presque tous déjà polyglottes. Il y a depuis l’indépendance un processus forcé d’ukrainisation qui s’est progressivement mué en promotion d’une xénophobie ethno-linguistique, là où l’héritage soviétique faisait du russe non pas une langue allochtone mais une lingua franca partagée par toutes les minorités. Les Grecs de Mariupol notamment étaient généralement bilingues, voire trilingues, maitrisant le grec maternel et le russe communicationnel principalement. Cette xénophobie s’est exprimée par des brimades et des vexations (https://greekcitytimes.com/2022/03/12/greeks-in-mariupol/) envers ceux qui, sans être russes, ne parlaient pas l’ukrainien. Ce sont aussi les Hongrois (https://www.irishtimes.com/…/ukraine-defends-education…), les Bucovènes (parlant roumain) ou même les Ruthènes (parlant le rusyn, qui est un continuum de l’ukrainien mais forme une langue séparée au même titre que le biélorusse, appartenant au même groupe linguistique).

C’est enfin à l’aune de la loi sur l’éducation qui impose l’ukrainien comme seule langue possible d’enseignement, combinée à la loi de 2019 sur le fonctionnement de l’Etat, qui pénalise ceux qui ne maîtrisent pas l’ukrainien. Pour autant, ce gouvernement ukrainien qui prétend aspirer à l’Union Européenne ferait bien de s’inspirer de ses principes et notamment de la protection des langues des minorités. https://www.coe.int/…/european-charter-regional-or…

Si on relit l’article avec un peu de recherche (tout au plus 20 minutes), on peut comprendre:

1-les vacances d’été ne sont pas supprimées pour “formater” les enfants mais parce qu’ils ont été privés de classe à compter de mars, l’objectif était de pouvoir leur faire reprendre les cours fondamentaux et ne pas perdre une année scolaire. Cela concerne autant les enfants de Mariupol que ceux des Républiques de Donetsk ou Lougansk où les hommes sont mobilisés (dont les enseignants) et les cours suspendus jusqu’en juillet, pour reprendre à ce moment.

2-Si les cours reprennent en russe, c’est dans le sillage de la loi ukrainienne de 2012 qui permettait l’enseignement possible dans la langue maternelle des minorités ethniques selon leur proportion dans la population. Si la majorité des enfants parlent russe et non ukrainien, il n’est en rien choquant que les enfants reçoivent des fondamentaux dans leur langue maternelle. On peut aussi supposer que la plupart des Ukrainophones sont ceux qui ont fait le choix de rejoindre les régions sous contrôle ukrainien. Que cela soit l’enseignement ou les panneaux, il ne s’agit pas de “détails” mais d’une réponse aux lois discriminantes et contraires à la charte des langues régionales ou minoritaires. Ce serait comme restaurer au Pays Basque les panneaux de ville en langue basque après les avoir bannis.

3-Sur la question de l’endoctrinement, la formulation est stupide: seule l’histoire peut pleinement donner lieu à des manipulations, mais si on s’intéresse au récit national ukrainien des quinze dernières années et aux travaux de l’Institut pour la mémoire nationale fondé sous Yushchenko qui a reconnu comme “héros” de l’Ukraine des collaborateurs nazis et assassins de Juifs ou Polonais, on peut sérieusement se demander quel “endoctrinement” serait le moins nocif sachant qu’on ne sait pas exactement sur quoi juger celui qui serait professé en langue russe (probablement sur la base des manuels scolaires russes).

4-Le nombre d’enseignants disponibles est une question fondamentale dans un pays en guerre mais cela n’infirme ni ne confirme l’idée que cela participerait d’une quelconque politisation de l’enseignement.

5-Concernant la mise à disposition d’écrans d’information, cela répond avant tout à la demande de la population qui, durant la période du siège, n’était précisément pas informée des mesures ou couloirs d’évacuation (la sortie de la ville était minée et contrôlée par des checkpoints tenus par les paramilitaires ukrainiens) par exemple. Qui plus est, comme le président Zelenski a fait fermer tout média d’opposition pour concentrer la production médiatique sous une seule forme, il est plutôt ironique de voir brocardée ce qui serait une “propagande d’Etat” quand ce sont ce que pratiquent les deux pays. L’immense majorité des gens a pour priorité d’abord de reconstituer leur vie, d’avoir un logement, de quoi se nourrir ou s’habiller, trouver un emploi, et c’est ne pas connaître l’humour et l’ironie mordante des “gens de l’est” qui sont habitués de longue date à ne pas prêter plus d’attention à la “propagande”. Qui plus est, la plupart s’informent par internet mobile qui est rétabli dans la plupart des quartiers, et à l’exception des baboushki, les habitants sont parfaitement au courant de ce qui se passe via les réseaux sociaux et leurs contacts ici ou ailleurs.

6-Réalisant qu’elle manque sérieusement de matière pour un article sur la “russification” d’une ville russophone, l’auteure parle des autres villes comme Kherson, où en effet le rouble est introduit à parité avec la monnaie ukrainienne mais où l’administration militaire russe favorise par contre une politique contraire à la majorité de la population qui est, contrairement à Mariupol, ethniquement et linguistiquement ukrainienne. La politique de russification est d’autant plus illégitime – même si le russe est maitrisé par la majorité des habitants – parce qu’elle ne reflète ni la volonté ni la réalité démographique de la population.

7- De fait, l’article se confond en inexactitudes jusqu’à évoquer des “écrans identiques […] à Zaporojia”… ville en réalité située du côté ukrainien! L’auteure n’a apparemment pas pris le temps de vérifier en recopiant des (fausses) informations sur une carte. Rompant avec le principe de déontologie de vérification des sources, notamment contradictoires et non uniques, et de cohérence, on aboutit à une article inepte de propagande ridicule.

Pour autant, on aurait préféré avoir des informations relative à la façon dont se passe l’imposition de la langue russe à Kherson et le fait qu’à la différence des villes occupées en février / mars 2022 dans le nord de l’Ukraine – où l’administration, et même le drapeau ukrainien, étaient maintenues – le choix du rouble ou de la nationalité russe reflèterait plutôt une politique de permanence et ainsi un remodelage des frontières héritées de l’Union Soviétique, posant également avec acuité la question de la définition de l’identité (linguistique ou ethnique) une fois le modèle de l’homo sovieticus remisé au rang de vestige historique. https://www.ouest-france.fr/…/guerre-en-ukraine-les…

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2 Commentaires

  • Daniel Arias
    Daniel Arias

    La langue Ukrainienne est entrée officiellement dans l’éducation nationale ukrainienne grâce aux soviétiques ainsi que dans de nombreuses publications aux côtés des autres langues des minorités comme les hongrois ou les russes majoritaires dans la région NovaRussya, région ainsi nommée bien avant Poutine et même les soviétiques dans la période d’expansion industrielle de l’empire du Tsar qui lui paradoxalement était bien vu des élites françaises anti soviétiques amis des Russes blancs. On voit bien les alliances de circonstance variables qui montrent la fiabilité des occidentaux.

    Balayer devant sa porte.

    En France combien de cours de langue étrangères sont dispensés en Arabe, Turc, Portugais, Chinois et pourquoi pas en Russe ? Pourtant si l’on cumule les locuteurs de ces langues ils sont des millions dans des pays à fort potentiel et pour certains dont une forte population immigrée habite chez nous.
    Notre éducation nationale n’investit que dans le globish, exception pour le Castillan parlé dans la majeure partie de l’Amérique Latine.
    Même au sein de l’Europe l’Allemand est en perte de vitesse vertigineuse, l’Italien anecdotique ; deux langues utilisées par les parents avertis (profs) pour les filières de sélection de leurs enfants.

    On se prive ainsi de la compréhension de cultures importantes pour l’Europe celles de nos voisins de la méditerranée du Moyen Orient et de l’Asie.

    La propagande des capitalistes n’a qu’une fonction servir les mythes bourgeois produits par une caste d’intellectuels hors sol à miles lieues des réalités matérielle, seuls habilités par le régime à s’exprimer en public, plus ils sont incompétents et racontent d’idioties plus ils sont promus.

    Encore un exemple quotidien de nullité: ce matin sur une chaîne publique concernant le transport du blé russe par voie ferroviaire l’experte disait que l’UE était trop bureaucratique et “qu’une chose aussi idiote que normaliser l’écartement des voies de chemins de fer pourrait être faite rapidement” ; il faudrait faire faire dévisser, à cette idiote, les tire-fonds sur quelques kilomètres de rails pour les repositionner au bon écart; elle comprendra vite que c’est un peu plus compliqué que de pondre un texte et le faire signer.

    Un rail de 18 mètres pèse 900 kg auquel il faut ajouter le changement des traverses, refaire le balast, les ponts ferroviaires, les tunnels, les ponts routiers, les voitures, wagons et motrices, modifier les chaînes de production des véhicules ferroviaires, adapter les gares et tous les centres de triage et trouver le personnel qualifié pour ces menus détails.

    L’Espagne a un écartement particulier et l’effort de standardisation de l’écartement de 1668 mm à 1435 mm est produit depuis 1980, 42 ans d’efforts madame l’experte qui n’a pas pris le soin de se renseigner un minimum. L’écartement espagnol représente encore 11 829 km sur un réseau de 15 233 km. Même si seuls quelques axes seraient à modifier il s’agit d’un travail considérable en tenant compte que l’on ne peut pas couper la circulation ferroviaire aussi facilement que pour les voies routières.

    Une page magnifique et détaillée faite par un historien amateur qui a vu travailler les cheminots depuis sa maisonnette de PN (passage à niveau), il vaut bien mieux que bien de ces clowns de plateau:
    http://andre.croguennec.pagesperso-orange.fr/cheminots.htm

    Réseau ferré espagnol:
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Transport_ferroviaire_en_Espagne

    Nos experts si préoccupés par les conséquences des crises ont été incapables d’anticiper celles-ci et ont au contraire renforcé les dépendances comme nous l’avons vu déjà pendant la pandémie et la crise des semi-conducteurs, ici le blé produit pour un tiers dans deux pays dont nous avons provoqué une confrontation depuis au moins 1990, quel manque d’anticipation.
    Aujourd’hui certes tardivement l’Égypte augmente ses surfaces emblavées. Ces dépendances extérieures à l’alimentation ont été organisées par les colonisateurs au dépends de la paysannerie locale ruinée et forcée à l’exode pour venir se faire exploiter dans les métropoles occidentales. Où sont les résultats des projets de développement agricoles des ces pays depuis tant de dizaines d’années et les grandes déclarations dans messes internationales ?
    La Chine parmi d’autres pays du Sud a agit: Yuan Longping, père du riz hybride a sauver des millions de personnes y compris en dehors de la Chine.

    Nos experts ne critiquent que du bout des lèvres les spéculateurs qui font de la mort un marché fructueux, vente d’armes, de nourriture, de médicaments; mais ils sont prompts à critiquer tout pays qui organise son émancipation et développe des relations internationales sans l’aval du régime des USA et à soutenir tous les blocus contre le progrès.

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    • etoilerouge
      etoilerouge

      Bien vu. Une partie des élites est à éliminer. En effet c’est cette part de cadres inculte et choisie pour son inculture qui participe objectivement avec les classes possédants à enfoncer notre pays sa culture qui est aux antipodes des usa et des anglo saxons blancs racistes hypocrites exterminateurs ds le meltong pot dit occidental de droite voire extrême droite. Les anglo saxons se cachent derrière le concept faux d’occident et méprisent les latins français italiens espagnols. La déclaration anticommuniste de la soi disant assemblée européenne pue Lee racisme en traitant les russes d’asiates comme ds mein kamf. Nos enseignants st murs pour valider le banderisme nazi.

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