Grand échiquier.
Ce que l’article ne note pas c’est la manière dont les politiques chinoises et russes se complètent actuellement mais il illustre bien l’originalité de la politique chinoise qui non seulement refuse de prendre partie mais apporte du développement et pas des armes. (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)
En Afrique comme au Moyen-Orient, la Chine ajoute désormais à son expansionnisme économique un activisme diplomatique certain. Proposer sa médiation active dans des conflits latents est aussi l’assurance pour Pékin de sécuriser ses investissements, notamment dans le cadre des nouvelles routes de la soie.South China Morning PostTraduit de l’anglais
La Chine a entamé des manœuvres diplomatiques pour tenter de mettre un terme aux conflits qui durent depuis longtemps au Moyen-Orient et dans la Corne de l’Afrique. Cela passe notamment par une conférence de presse en Afrique de l’Est, avec des représentants de huit pays.
[En mars], l’émissaire spécial de la Chine pour la Corne de l’Afrique, Xue Bing, a visité six pays dans la région, tandis que Zhai Jun, l’émissaire spécial pour le Moyen-Orient, voyageait d’une capitale à l’autre.
Sécuriser les intérêts chinois
Ces deux régions ont reçu d’importants investissements dans le cadre des nouvelles routes de la soie, projet d’infrastructure transcontinentale, mais la détérioration de la situation en matière de sécurité fait peser une menace sur les ambitions chinoises
Depuis quelque temps, le Moyen-Orient est l’une des principales destinations des prêts chinois pour le développement, une bonne partie de l’argent allant à la reconstruction des infrastructures ayant été détruites au cours des années de guerre.
L’argent chinois a servi à financer des ports, des routes et des chemins de fer dans la Corne de l’Afrique, et Djibouti héberge la première base militaire chinoise de l’étranger.
Pékin prévoit sa première conférence de paix dans la région, afin de permettre aux huit pays concernés de résoudre leurs conflits et de remédier à l’instabilité chronique dans la région. La Chine a annoncé le week-end dernier [19-20 mars] que l’Éthiopie et le Kenya avaient accepté d’accueillir des pourparlers.
Au Kenya, Xue a promis que la Chine enverrait “des ingénieurs et des scientifiques, et non des armes, pour contribuer à venir à bout de la pauvreté et à résoudre les problèmes d’infrastructures” – manifestement une pique adressée aux États-Unis, que Pékin accuse de s’immiscer dans les affaires intérieures d’autres pays comme l’Éthiopie.
La Corne de l’Afrique est depuis longtemps en proie à des guerres civiles, des insurrections islamistes et des coups d’État militaires. Une situation qui menace les investissements chinois, en particulier tout récemment en Éthiopie, en Érythrée et en Somalie. Ces trois pays étaient sur la liste des destinations de Xue, ainsi que Djibouti, le Kenya, l’Ouganda et le Soudan du Sud.
“Cette région connaît de nombreuses difficultés, qu’il s’agisse de différends frontaliers, de conflits ethniques ou religieux, note Xue. Nous pensons que ces problèmes doivent être résolus, sans quoi il ne saurait y avoir véritablement de développement”.
“La Chine veut jouer un rôle dans cette zone, y promouvoir la sécurité, le développement et la bonne gouvernance”, poursuit-il.
D’après certains observateurs, la Chine a tendance à éviter une approche directe, préférant jouer les seconds rôles pour amener la paix en créant un environnement favorable. En cela, elle est convaincue de la nécessité de respecter la souveraineté des États. Elle estime que les acteurs locaux doivent être à l’origine de solutions locales, si l’on en croit Benjamin Barton, maître assistant au Malaysia Campus de l’université de Nottingham (Semenyih).
Il affirme que Pékin a toujours tendance à soutenir le gouvernement au pouvoir quel que soit le conflit – même si, dans certains cas, il a pu sembler que la Chine se soit mise du côté de l’opposition –, tandis que les pays occidentaux tendent à prendre parti pour le camp dont les droits humains et démocratiques sont bafoués.
“Vers l’Orient compliqué”
Zhai s’est rendu en Israël, en Jordanie, en Égypte, en Arabie Saoudite, en Palestine et au Soudan, où il a évoqué “les relations bilatérales, la situation au Moyen-Orient, la question palestinienne, ainsi que le problème syrien et d’autres thématiques liées à des points chauds internationaux et régionaux”.
Il a rencontré le secrétaire général de la Ligue arabe, Ahmed Aboul Gheit, et le président palestinien Mahmoud Abbas, à Ramallah.
Le 9 mars, lors d’une réunion avec Tzachi Hanegbi, le président du groupe d’amitié parlementaire Israël-Chine, il a exhorté Israéliens et Palestiniens à reprendre les négociations afin de s’entendre sur une solution à deux États, ajoutant que, faute d’accord, Israël aurait du mal à faire la paix avec les pays arabes.
Traditionnellement, d’après Barton, la Chine évite de se mettre en avant, préférant jouer un rôle relativement discret dans la gestion des conflits des pays du Sud [c’est-à-dire du Tiers-Monde]
“Elle restait d’une certaine façon en retrait par rapport aux organisations régionales et aux États d’Afrique et du Moyen-Orient, elle appelait par exemple à une trêve entre les parties en présence, évoquait la nécessité de régler les problèmes politiques et sociaux en y apportant des solutions de développement”, commente Barton.
Dans certains cas, assure-t-il, la Chine a dévié de cette position, comme dans le conflit du Darfour, entre 2003 et 2006, mais il s’agissait alors pour l’essentiel d’une réaction à la pression de la communauté internationale face à l’inertie réelle ou supposée de Pékin.
Barton ajoute qu’à partir de la présidence de Xi Jinping, la Chine a commencé à prendre davantage l’initiative, notamment en proposant d’organiser et de présider des pourparlers de paix, principalement en Afrique.
Cela a été le cas pendant la guerre civile au Soudan du Sud, en 2013, au cours de laquelle les négociateurs chinois ont largement contribué à l’accord de cessez-le-feu initial. La Chine a proposé une médiation analogue dans le conflit de longue date opposant l’Éthiopie et l’Érythrée.
Profiter du retrait américain
Pékin a récemment effectué un “fort changement d’orientation” vers le Moyen-Orient et le monde arabe, tandis que les États-Unis y réduisaient leur présence. La Chine a notamment investi des milliards de dollars dans la reconstruction.
L’année dernière, les investissements chinois au Moyen-Orient ont augmenté d’environ 360 % et les contrats dans le bâtiment ont été multipliés par 116 % par rapport à 2020, ce qui a fait de la région l’une des plus importantes destinations de l’argent chinois en 2021, selon un récent rapport du Centre de financement et développement verts de l’université Fudan (Shanghai).
Ibrahim Al-Assil, du Middle East Institute [groupe de réflexion établi à Washington], estime que pour la Chine, l’implication au Moyen-Orient, source de 45 % de ses importations de pétrole, est une nécessité. Sans parler des débouchés [commerciaux] de cette région du monde.
“La tendance est évidente, cette région va prendre une place de plus en plus importante dans les ambitions chinoises”, assure Al-Assil.
“Pour verrouiller ces importations [de pétrole], la Chine doit avoir davantage d’influence dans la région et disposer d’un meilleur maillage de contacts, tant sur le plan économique que politique.”
Pékin importe l’essentiel de son pétrole d’Arabie Saoudite et de Russie – et en obtient une partie d’Iran, malgré les sanctions que les États-Unis imposent à ce pays.
John Calabrese, chef du projet Moyen-Orient Asie à l’American University de Washington, fait valoir que la diplomatie chinoise est d’ordinaire axée sur la gestion des conflits, et non sur leur résolution.
Il explique que la gestion des conflits reflète “l’attitude prudente de Pékin face aux conflits entre des pays avec lesquels [la Chine] cherche à entretenir des relations constructives”, tandis que la résolution des conflits relèverait d’une démarche plus offensive, qui exposerait la Chine à l’accusation de prendre parti ou de faire échouer les négociations.
La “fiction” d’une non-ingérence
Liselotte Odgaard, professeur à l’Institut norvégien d’études de défense et membre du Hudson Institute [centre de recherche situé dans l’État de New York], rappelle que la Chine s’en tient officiellement à une politique de non-ingérence et qu’elle laisse les Africains suivre leur cheminement historique.
“En réalité, la Chine soutient des régimes autoritaires et pratique l’ingérence, mais elle le fait en coulisse et non pas ouvertement, précise Odgaard, si bien que la non-ingérence chinoise est une fiction qui ne date pas d’hier.”
Et d’ajouter que la Chine avait essayé de jouer les intermédiaires dans des conflits en Afrique, mais que par ailleurs elle participait à l’équipe qui négociait un nouvel accord sur le nucléaire avec l’Iran, sans grand succès.
Pour Odgaard, si la Chine ne s’engage pas suffisamment, c’est parce qu’elle craint de se salir les mains. “La conception chinoise de la non-ingérence consiste souvent à ne pas s’engager sérieusement en prenant clairement parti pour l’un ou l’autre camp, ce qui fait que Pékin n’a pas une bonne stratégie de résolution des conflits”, renchérit-elle.
De son côté, Benjamin Barton estime que la Chine n’a pas fait ses preuves comme médiatrice dans aucune des deux régions, du fait principalement de son attachement au principe de non-ingérence.
Même si Xi souhaite que la Chine joue un rôle plus affirmé dans la médiation des conflits, il lui reste encore du chemin à parcourir dans ce domaine, d’après Barton.
Il donne l’exemple du Moyen-Orient, où en 2013 Xi avait présenté un “plan en quatre points”, avec “trois arrêts” et “trois explorations”, pour mettre fin au conflit entre les Israéliens et les Palestiniens.
“Cette initiative, dont je ne pense pas qu’elle ait jamais éveillé un grand intérêt, est tombée à plat, conclut Barton. Non pas par manque de volonté politique, mais parce que Israël estime que la Chine a un parti pris, qu’elle soutient la cause palestinienne depuis les années de Mao Zedong.” Et de rappeler à cet égard que la Chine fête le Jour de la Palestine depuis 1965.
Jevans Nyabiage
Lire l’article originalSur le même sujetVentes d’armes. ilSource de l’article South China Morning Post (Hong Kong)
Le grand quotidien de langue anglaise de Hong Kong est depuis avril 2016 la propriété de Jack Ma (Ma Yun), patron du géant du commerce électronique chinois Alibaba. La première initiative de Jack Ma a été de rendre le site web du journal gratuit, avec la prétention d’ouvrir “le site d’informations le plus complet et le plus fiable sur la Grande Chine au reste du monde”. Cette stratégie de capitalisation sur la réputation du titre plus que centenaire concorde avec les efforts faits par Pékin pour développer son réseau de médias dans le monde.
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