Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Face à la Chine, comment la France a redéfini sa politique en Asie-Pacifique

Comme nous ne cessons de le dire ici, cet interview d’un chercheur du CNRS, que nous envoie Baran, témoigne du fait que pour comprendre la plupart des événements aujourd’hui il faut à la fois les resituer dans le temps long de l’histoire et en même temps dans l’accélération de la remise en cause du temps court l’hégémonie des puissances impérialistes pas plus de 300 ans et même une centaine d’années pour les USA. Dans cette chute de l’empire US, chacun tente d’étendre sa propre influence tout en participant à une tentative d’endiguement de la Chine. Les gouvernants français veulent faire jouer à l’UE une politique gaullienne qui ne repose sur rien sur le plan des intérêts des monopoles financiarisés et encore moins des peuples et de surcroit elle joue comme Macron et ses prédécesseurs cette option d’une manière largement occulte et la campagne présidentielle ne cesse d’en témoigner. (note de Danielle Bleitrach pour histoire et société)

13.12.2021, par Philippe Testard-Vaillant

À partir d’entretiens, de documents déclassifiés et de télégrammes diplomatiques fuités, Hugo Meijer analyse le tournant stratégique de la politique indopacifique de la France face à la montée de la Chine. Explications avec le chercheur qui a publié ses travaux dans la revue Journal of Strategic Studies.

photo d’illustration Le sous-marin nucléaire d’attaque Émeraude, déployé en Indopacifique en 2020/21, a permis à la France de réaffirmer son intérêt pour cette zone stratégique. Marine nationale

L’Asie-Pacifique est incontournable sur l’échiquier mondial : est-elle devenue le centre de gravité de la planète ? Quel y est le « poids » de la France aujourd’hui ? 
Hugo Meijer1. En effet, que ce soit sur les plans politique, démographique, économique, diplomatique ou stratégique, l’Asie-Pacifique joue un rôle de plus en plus important sur la scène internationale. Cette macrorégion regroupe les deux tiers de l’humanité, représente 45 % du PIB mondial et concentre un tiers du commerce planétaire, les lignes de communication maritimes qui passent par les océans Indien et Pacifique étant devenues centrales dans le commerce mondial.
 
En 2018, le périmètre géographique de la politique régionale de la France a été élargi et recadré autour de l’ensemble « indopacifique » englobant l’océan Indien et l’océan Pacifique. La France est notamment présente au sud de l’océan Indien avec les îles de Mayotte et de La Réunion, les îles Éparses et les terres australes et antarctiques françaises, et dans le Pacifique avec ses territoires en Nouvelle-Calédonie, à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française et à Clipperton. La France possède la deuxième plus grande zone économique exclusive (ZEE) au monde (après celle des États-Unis) dont 93 % se situent dans ces deux océans, et 7 000 militaires français sont déployés dans la région où vivent 1,6 million de ressortissants français.Le port de Shanghai, en octobre 2021. Premier du monde en tonnage depuis une quinzaine d’années, il constitue la principale porte du commerce extérieur de la Chine. Costfoto / Barcroft Media via Getty Images

Vous assurez pourtant que la politique de sécurité française en Asie-Pacifique a longtemps été – et reste dans une large mesure – un « angle mort de la recherche ». Comment expliquer ce désintérêt ?
H. M. La raison la plus probable est que la région, depuis la décolonisation et la fin de la guerre froide, a été considérée par de nombreux spécialistes comme ne faisant pas partie des principaux intérêts stratégiques de la France. Les travaux universitaires se sont davantage concentrés sur le rôle de l’Hexagone dans les relations transatlantiques ou sur la politique étrangère de la France au Moyen-Orient et en Afrique.
 
Pour étudier les évolutions de la stratégie indopacifique de la France, vous avez travaillé à partir d’entretiens de hauts responsables mais aussi de documents fuités…
H. M.  J’ai en effet mobilisé un large éventail de sources primaires, orales et écrites pour mon article, paru dans la revue Journal of Strategic Studies, ainsi que le livre dont il constitue un chapitre. Entre 2013 et 2021, j’ai mené une campagne d’entretiens (80 pour l’article, 223 pour le livre) avec de hauts responsables politiques, des diplomates et des fonctionnaires du ministère de la Défense à Paris, Berlin, Londres, Bruxelles, New Delhi, Pékin, Séoul et Washington DC. J’ai également utilisé, outre des documents déclassifiés conservés au Centre des Archives diplomatiques de Nantes, dans les archives du ministère des Affaires étrangères allemand et dans les archives nationales britanniques, des câbles diplomatiques fuités par WikiLeaks, des rapports gouvernementaux et des données sur les déploiements navals provenant de la revue de la Marine nationale française (Cols Bleus).
 
Quel est l’argument central de votre article ? 
H. M. La thèse défendue par cet article soutient que, parmi les différents défis sécuritaires auxquels la France est confrontée en Asie-Pacifique (programme nucléaire de la Corée du Nord, prolifération des armes de destruction massive, piraterie, terrorisme…), la montée en puissance de la Chine – et la perception qu’en ont eue les décideurs nationaux – a constitué le principal moteur de changement de la politique française dans la région.
 

Plus précisément, l’assertivité croissante de la Chine depuis le début des années 2010, couplée à des intérêts économiques de plus en plus marqués dans la région, a conduit Paris à forger une politique plus cohérente (la « stratégie indopacifique »), en renforçant la dimension diplomatique et militaire de sa présence dans la région.

 
Dans les années 1990 et 2000, quels éléments caractérisaient l’attitude française à l’égard de la Chine ?
H. M. Tout au long de cette période, la politique étrangère de la France vis-à-vis de la Chine s’est articulée autour de trois objectifs centraux : d’abord, accroître ses intérêts économiques au sein de ce vaste marché émergent ; ensuite, intensifier sa coopération diplomatique avec Pékin afin d’intégrer la Chine dans le système international ; et enfin, encourager par ce biais des réformes politiques et économiques en Chine dans l’espoir que celles-ci conduisent à une libéralisation interne et une certaine « occidentalisation » du pays.Image satellite du récif de Fiery Cross ou Yongshu Jiao, mer de Chine méridionale, en 2018. Une partie du rocher a été transformée en île artificielle militarisée contrôlée par Pékin. DigitalGlobe via Getty Images

Que s’est-il passé à la fin des années 2000 et au début des années 2010 pour qu’un changement radical de ces options s’opère ?
H. M. La politique de Pékin en Asie-Pacifique s’est considérablement musclée. Entre autres exemples, la Chine a présenté en 2009 à l’ONU ses revendications sur la « ligne des neuf traits », une zone qui couvre 80 % de l’espace maritime de la mer de Chine méridionale et sur laquelle Pékin cherche à étendre sa souveraineté. Des contentieux territoriaux et maritimes entre la Chine et d’autres puissances riveraines du Pacifique, dont le Vietnam, se sont intensifiés. La Chine a rejeté la décision de 2016 de la Cour permanente d’arbitrage de La Haye à propos du différend territorial qui l’oppose aux Philippines. Et elle a accéléré la construction et la militarisation d’îles artificielles en mer de Chine méridionale.

Quelle stratégie globale la France a-t-elle formulée pour répondre aux défis de sécurité posés par la Chine en Asie-Pacifique ?
H. M. Contrebalancer la Chine était un objectif non viable pour la France compte tenu de la « tyrannie de la distance », de ses lacunes capacitaires et de sa volonté de continuer à entretenir de bonnes relations avec Pékin. La principale préoccupation des décideurs français a donc plutôt été de défendre les normes fondamentales de l’ordre régional (souveraineté, liberté de navigation, règlement pacifique des différends), de contribuer à la stabilité régionale en réduisant les risques d’escalade et de conflit et, ainsi, de favoriser également ses intérêts économiques dans la région.
 
En d’autres termes, l’ambition de la politique française en Asie-Pacifique a été de façonner l’environnement régional dans lequel la montée de la Chine se déploie tout en ménageant une position distincte pour la France – et pour l’Union européenne (UE) – dans le contexte de la rivalité croissante entre les États-Unis et la Chine.
 
Quelles mesures concrètes la France a-t-elle prises à cette fin ?
H. M. Elle a multiplié les déploiements navals dans la région et a renforcé ses relations bilatérales avec l’Inde, le Japon, l’Australie, Singapour et la Malaisie, ainsi que, dans une moindre mesure, avec le Vietnam et la Corée du Sud, entre autres. Ces coopérations bilatérales ont reposé sur un dialogue diplomatique accru, mais également sur des ventes de matériel militaire, le partage de technologies de défense et des exercices militaires conjoints. L’annulation, en septembre dernier, du contrat prévoyant la vente de douze sous-marins à l’Australie a incontestablement affaibli l’un des piliers de la politique française en Asie-Pacifique, du moins à court terme.
 
La France a par ailleurs cherché à renforcer sa participation dans certaines structures multilatérales régionales comme l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (Asean) et notamment son enceinte sur les questions de défense (ADMM+), le Shangri-La Dialogue (réunion annuelle des experts et responsables sécuritaires d’Asie à Singapour), le Raisina Dialogue (rendez-vous annuel de diplomatie régionale sous l’égide de New Delhi), la réunion des ministres de la Défense et des chefs d’état-major du Pacifique Sud…Sommet à Pékin pour les 30 ans de relation entre la Chine et l’Asean (Association des nations de l’Asie du Sud-Est), structure avec laquelle la France a notamment cherché à renforcer les liens. Huang Jingwen / Xinhua via AFP

Existe-t-il une politique européenne commune vis-à-vis de l’Asie-Pacifique ?
H. M. La France a joué un rôle moteur, au sein de l’UE, pour renforcer la coopération intra-européenne dans l’Indopacifique, tant sur le plan militaire/opérationnel que diplomatique. Paris a par exemple promu le concept de « présence maritime coordonnée » européenne dans la région, mais cette initiative fait face à une certaine résistance de la part d’autres États-membres. De même, la France, l’Allemagne et les Pays-Bas ont poussé pour le développement d’une stratégie de l’UE dans l’Indopacifique.
 
Celle-ci, cependant, demeure modeste sur le plan des initiatives de défense et de sécurité. La raison en est non seulement le manque de capacités militaires de bon nombre d’États-membres mais aussi le fait que les priorités stratégiques de différents pays ne sont pas la Chine et l’Indopacifique, mais plutôt la région baltique, la mer Noire ou la Méditerranée. Enfin, en raison d’étroites relations économiques avec Pékin, plusieurs pays sont réticents au développement d’initiatives de l’UE qui pourraient irriter la Chine et nuire à leurs relations bilatérales avec Pékin. ♦

À Lire 
Awakening to China’s Rise. European Foreign and Security Policies toward the People’s Republic of China, Hugo Meijer, Oxford University Press, à paraître en 2022.Notes

  • 1.Hugo Meijer est chargé de recherche au Centre de recherches internationales (Ceri) de Sciences Po (CNRS/IEP Paris) et directeur de l’European Initiative for Security Studies (EISS), un réseau paneuropéen d’universitaires partageant l’objectif de consolider les études de sécurité en Europe.

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