Au milieu des sous produits pour bobos des biennales avec leur politiquement correct et leurs stérotypes de la bonne conscience imbécile, il y a un film, un vrai : un bijou finlandais que vous ne devez pas rater. Je n’oserai pas le terme chef d’oeuvre, ce serait indécent pour avoir été dit à tort et à travers et ce film là ne parle pas pour rien dire, il est tout en finesse et en subtilité; son titre compartiment n°6 . Ce cinéma est utopie, pas en tant que programme mais comme désir, il nous introduit dans les deux espaces de l’utopie, l’enfermement le lieux clos, un asile, un compartiment, une ville perdue, et le voyage…La Russie conserve dans son immensité la cloture entre monastère et URSS,l’attente de TCHEKHOV et l’héroÏsme avec le clind’oeil au musée qui le célèbre pour l’édification.
Marianne m’explique que ce titre fait référence à une des oeuvres les plus populaires de TCHEKHOV: La salle no 6, le pavillon des aliénés. la dite salle est la partie la plus délabrée de l’hôpital d’une petite ville de Russie. Russes et Finlandais, en lisant compartiment n°6, savent à quoi il est fait référence puisqu’à l’époque de Tchekhov la Finlande et la Russie appartenaient à l’empire tsariste et partageaient l’univers de l’auteur. Tchekhov, pour un Français, dit la mélancolie de la province russe. Mais il est l’éternel voyageur en Europe, en Italie, l’exil intérieur et la découverte de ce que vit le malheureux peuple russe, l’amitié avec Gorki… Une poésie du déchirement, un humour sagace et qui esquisse à peine un sourire et les paysages qui défilent. Mettre ce voyage sous le parrainage de Tchekhov c’est dire la pudeur à travers laquelle on ose l’émotion… le metteur en scène est fidèle à Tchekhov et au roman dont il s’inspire, celui de Rosa Liksom, mais la fidélité est de passer par les moyens offerts par le cinéma, donc de s’éloigner… lui qui ne parle pas le russe mais trouve ce pays “passionnant”. Obligé de filmer hors du compartiment étroit, laissant la bride sur le cou à ses acteurs pour se comprendre malgré les langages qui ne s’entendent pas tout à fait et exagèrent mêmes les incompréhensions pour mieux cerner la vérité, comme quand je t’aime devient “va te faire foutre”… le comique, le trivial et le tragique du quotidien en déplacement disent l’humanité celle de toutes les épopées, mais dans le ténu, dans ces instants où on en finit avec le mensonge, la parade, ces moment de la survie des petites gens que nous sommes…
Le metteur en scène Juno Kuosmanem a partagé le grand prix du jury avec Un héros de Farhadi et il mérite incontestable ce prix, c’est un travail en finesse, avec une précision d’orfèvre et pourtant il suscite notre émotion comme peu de films savent le faire aujourd’hui…
Une étudiante finlandaise part pour MOURMANSK dans l’immensité russe dans le Grand nord. pourquoi ce long voyage? pour se faire accepter par le milieu snob de Irina l’élégante et cultivée moscovite dont elle est la locataire et l’amante… Elle doit découvrir les pétroglyphes dont elle est sensée rêver mais dont elle se fiche parfaitement et son amante en fait la largue sans le lui dire en renonçant à la dernière minute à l’accompagner et en se montrant de plus en plus distante au téléphone. C’est un long voyage avec dans le même compartiment un russe étrange Ljoha et dès le départ il se montre rustre, brutal, il boit. Pourtant peu à peu le voyage ne débouche pas sur l’histoire d’amour attendue mais sur quelque chose de plus vrai, de plus intense. Non ne croyez pas qu’il s’agit simplement du huis clos entre deux individus opposés, ces deux êtres pudiques et sauvages se ressemblent et acceptent de le reconnaitre. L’histoire attendue aurait été celle qui aurait eu lieu avec un bellâtre compatriote finlandais qui gratte de la guitare un vrai faux jeton qui finit par lui piquer son caméscope. Le Russe lui est maladroit, fermé et vrai et le moment le plus dense, le plus fort dans cette histoire qui n’en manque pas, est le dernier soir du voyage dans le bar restaurant où ils cherchent tous les deux à savoir que faire de ce qu’ils éprouvent et ce qu’ils ont à se donner pour satisfaire l’autre et fuient ce qui pourrait s’épuiser en banalité pour se retrouver dans une expédition folle, enfantine, à la hauteur de ce qu’ils sont et qu’ils découvrent en jouant avec la neige.
Je savais que Marianne aimerait ce film, samedi en rentrant je lui ai téléphoné en lui expliquant que ce film nous parlait des Russes tels que nous les aimions elle-moi c’est une ode à ce peuple russe, à la manière dont l’URSS est là toujours présente une civilisation où la Russie et le communisme se sont échangés au point d’être unis, inséparables, dans le don de soi et un peu de gaucherie. Quand j’ai découvert cela grâce à Marianne, plus encore que tous mes voyages précédents parce qu’elle m’expliquait ce que la langue recelait et que je n’entendais pas? J’ai plus encore détesté la manière dont on traite les Russes, leur poésie naturelle, leur relation à la violence de la nature, leur courage et leur manière de ne pas rire pour rien mais d’aller à l’essentiel.
Elle cela lui a rappelé notre voyage en Moldavie, tous les instants cocasses confrontés à ce besoin d’amitié, de don que nul n’aurait pu soupçonner. Nous avons elle et moi longuement parlé de ces portraits de femmes, nous avions rencontré les mêmes, des vraies femmes, la contrôleuse du train, plus soviétique qu’il n’est possible et qui comprend tout et accorde à chacun ce dont il a réellement besoin parce que la vie n’est facile pour personne. La vieille femme chez qui les deux voyageurs encore hostiles l’un à l’autre passent la nuit et qui est dans son isba et est un peu magicienne, qui lui explique que les femmes sont des êtres sensés et qu’elles ont un petit poussin en elles qu’il faut toujours écouter, exactement ce que j’ai toujours ressenti et qui fait que je sais ceux en qui je peux avoir confiance et ne pas perdre mon temps. L’héroîne qui a de plus en plus la carrure des fortes femmes du nord et qui a perdu ses souvenirs moscovites avec le vol du caméscope accepte ainsi délestée de vivre ce moment d’une adolescence. Ceux qui vous marquent à jamais et qui ont fait de votre vie ce que vous êtes même si n’est pas celui de cette initiation à vous-mêmes et aux autres…
Quand est-ce que s’est passé ce voyage: en 1996. Dans le roman qui l’a inspiré c’est encore l’Union soviétique, là c’est peu de temps après la débâcle. 1996. Pourquoi? parce qu’elle n’a pas de portable et utilise un caméscope. Parceque le film joue entre plusieurs dimensions de l’utopie. Il y a l’appartement des intellectuels moscovites et de l’amante de Laura, Marianne me fait remarquer que l’auteur cité par ce groupe est Pelevine. Saturés de références multiples et baignant dans l’absurde, les textes de Pelevine sont satiriques, le satirique accompagne toujours la rupture et là il s’agit d’un regard new age, esotérique sur la société contemporaine ou ex-soviétique; L’art pour l’art de l’auteur du maitre et la marguerite qu’aimait staline pour son réalisme magique. Pelevine s’abstient pourtant bien d’éclairer ses lecteurs sur le sens à donner à son œuvre et Marianne me rappelle une de ses citations de son dernier ouvrage de 2020, où la Russe, qui pourrait être Irina, qui ne s’attache à personne et se retrouve à Cuba,à Varadero et elle dit à un dissident cubain: “laisse tomber l’idée d’enfinir avec le socialisme parce que quand ce sera fait ce sera toi qu’ils détruiront. ” C’est donc l’époque du choc de la fin de l’URSS dont on tente de recycler les fragments dans une utopie new âge à Moscou. On bricole les restes comme dans le post moderne.
Mais cette utopie là n’est pas celle de Laura etLjoha qui sont des prolétaires et leur errance est une manière d’abandonner ces jeux qui ne mènent nulle part, en perdant son camescope elle se lave de ce que Bloch définirait comme la fausse utopie, pour revendiquer l’élan utopique, celui du désir, de l’élan à exister réellement, c’est aussi une manière de revendiquer un ailleurs mais comme pouvait le faire TCHEKHOV en étant très attentif aux faits, par le voyage, l’ailleurs du désir.
En fait c’est le moment où Poutine va les sauver de l’anéantissement que représente la fin de l’URSS et Ljoha se la joue très Poutine auquel il ressemble un peu, il explique que eux les Russes ils ont sauvé tout le monde du fascisme et il lui demande en la croyant balte ce qu’elle croit avoir de plus que les Russes? et il l’incite à l’essentiel, en échangeant seulement un baiser et en mobilisant tout son chantier aussi délirant que lui pour que malgré la tempête ils aillent voir les petroglyphes, en fait ils vont jouer sur un bateau échoué là au milieu de nulle part toujours blottis dans des brouillards neigeux et des couleurs délicates d’un train qui emporte la rêverie dont le cinéma peut nous offrir les instants les plus ténus et pourtant si dense comme les images qui restent d’une vie, ces instants où on a été en accord avec soi-même, le paysage et celui à qui nous faisons confiance…
Je vais relire thomas More et le principe espérance…
DANIELLE BLEITRACH
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