Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

A propos d’illusions perdues et de l’impossible restauration: l’irreversible et la nostalgie

Comaguer après lecture de mon article sur les illusions perdues m’envoie ce texte de Jankelevitch. Une manière d’appuyer sur ce qui rend Balzac révolutionnaire quelles que soient ses opinions royalistes. Il a décrit ce que tant de gens refusent de voir, à savoir que le processus révolutionnaire est irréversible… Le djinn ne rentre pas dans la bouteille même avec la contrerévolution. Il faut lire le dernier discours de Poutine c’est cette conscience-là qui est à l’œuvre chez ce conservateur intelligent. Comme Heine considère que Guizot est beaucoup plus perspicace que des figures romantiques, Poutine est beaucoup plus conscient que des gens de “gauche” ou même certains “radicaux”. Il sait que l’on ne revient pas dans un un avant le bolchevisme, peut-être comme Heine a-t-il peur de ce qu’une révolution ferait de la Russie, mais le fait est qu’il est impossible de croire que le capitalisme pourra survivre à l’URSS puis à la Chine, pas plus que la féodalité n’a pu survivre à la révolution française… Il n’y aura aucune force politique a fortiori communiste qui pourra se développer en ignorant cela. (note de Danielle Bleitrach pour histoire et société)

P37 et 38

L’irréversible et la nostalgie

Vladimir Jankelevitch (Editions Champs Essais)

« Même pour les doctrinaires de la réaction, qui sont en réalité des doctrinaires de la rétro­gradation progressive, il ne s’agit pas de ramener Louis XIV en personne sur le trône de Versailles, ni de coiffer d’une perruque poudrée la tête du président de la République, mais de restaurer l’équivalent moderne de la monarchie. Ce que Louis XVIII a « restauré » en 1815, ce n’est pas le statu quo ante, ce n’était déjà plus, ce ne pouvait être la monarchie d’avant la Révolution : 1789 était passé par là, et puis Napoléon et les convulsions terribles qui boulever­sèrent le destin de la France et à jamais modifièrent son visage. En s’intitulant dix-huitième du nom, le restaurateur de la monarchie, renouant avec le passé là même où l’exécution de son prédécesseur l’avait interrompu, a voulu faire comme s’il ne s’était rien passé entre-temps, comme si les vingt-cinq années précédentes étaient nulles et non avenues ; et il a tiré un trait sur tout cela ; tel le duc de Maulévrier, ce personnage comique inventé par de Flers et Caillavet, Louis XVIII estimait sans doute qu’il ne s’est rien passé en France « depuis la chute de la monarchie légitime ». Pourtant la régression que souhaitent les réactionnaires est encore une progression, mais une progression sabotée, boiteuse et ralentie, une progres­sion en perte de vitesse. On ne peut transformer le factum et encore moins le fecisse en infectum et le temps advenu en quelque chose d’inadvenu, nihiliser les faits accomplis. L’empreinte est partout présente, indélé­bile. Et c’est le cas de le dire : il en restera toujours quelque chose… Ducunt fata volentem, nolentem tra­hunt. C’est-à-dire, dans notre langage : l’irréversible conduit par la main ceux qui consentent à la futuri­tion ; il traîne ceux qui se raidissent contre lui et tentent follement, désespérément d’aller à contre-courant et de remonter vers l’origine. De toute façon l’irréversible-irrésistible aura le dernier mot, et l’impuis­sance du rétrograde qui croit marcher à reculons est le simple verso négatif de cette toute-puissance. L’im­puissance devant l’impossible, dont nous parlions en termes généraux, prendrait ici la forme suivante : la conscience régressive, quoi qu’elle fasse, est toujours devancée par l’à priori de la futurition prévenante. Impossible d’échapper à cet à priori ! Le revenir du devenir nous ramène obstinément à un devenir du revenir. Chassez l’irréversible par la porte, il rentre par la fenêtre, ou par la cheminée… Mieux encore : il n’était jamais parti ; nous le retrouvons installé à notre table de travail, dans la familiarité de notre vie quotidienne.

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6 Commentaires

  • marsal
    marsal

    Un article très intéressant et qui fournit une grille de lecture dialectique pour comprendre la régression néo-libérale que nous avons connue depuis plus de 40 ans. Le néolibéralisme a voulu faire comme si la révolution russe, la victoire de 1945, les révolutions chinoise, cubaine, vietnamienne et dans tant de pays dominés n’avaient pas existé. Il a ralenti le développement historique et l’a rendu boiteux. Il a même réussi à grignoter ce qui avait été construit, parvenant notamment à rayer de la carte l’Union Soviétique, le Pacte de Varsovie, et à démanteler partiellement l’état-providence dans la plupart des pays européens.

    Pendant ce temps, comme le disait Marx en 1851 (après que la révolution de 1848 ait été définitivement digérée sous la forme du 2nd empire bonapartiste), la vieille taupe creuse sous les fondation de l’ordre existant. En fait, dialectiquement, les changements qualitatifs sont nécessairement préparés et précédés par des développements quantitatifs. Lorsque ces derniers atteignent un seuil critique, les changements qualitatifs deviennent inévitables.

    1er changement quantitatif des 60 dernières années : la croissance extraordinaire de la population mondiale. La population mondiale à connu son taux de croissance maximum à la fin du siècle dernier, aux alentours des années 1970. Le taux d’accroissement annuel atteignait alors 2,11%, ce qui correspond à un doublement de la population mondiale en 33 ans, à peine plus qu’une génération. C’était un record. La population mondiale avait mis 50 ans pour doubler entre 1920 et 1970 et 120 ans pour doubler entre 1800 et 1920. Ce taux d’accroissement n’ cessé de diminuer depuis, Il est passé en dessous de 1,8 % par an en 1982, en dessous de 1,6 % par an en 1992, en dessous de 1,4 % par an en 1998, en dessous de 1,2 % par an en 2011 et se situe aujourd’hui à environ 1,11 % par an. Et, le doublement suivant de la population mondiale s’est réalisé en 42 ans environ. C’était peut-être le dernier, puisque les projections démographiques ne prévoient plus, dans l’horizon visible de la démographie, de doublement de la population.

    Ce n’est pas le seul changement quantitatif : la structure géopolitique de cette population mondiale a également profondemment changé : Entre 1990 et 2009, la population active mondiale (population en âge de travailler, avec un emploi ou en recherche d’un emploi) augmente de 35 %, ce qui représente le nombre colossal de 830 millions d’individus (c’est environ 30 fois la population active totale de la France …). Or, 90 % de ces nouveaux travailleurs potentiels vivent dans des pays à revenus moyens ou bas. Seulement 10 % d’entre eux vivent dans des pays dits « riches ».

    Troisième changement : les techniques de productions évoluent considérablement. Avec l’apparition del’électronique, de l’informatique, des télécommunications, … ces changements affectent pour la première fois l’ensemble de l’économie mondiale. Le téléphone portable est le premier bien de consommation à être diffusé quasi-simultanément sur l’ensemble du globe, atteignant l’échelle de plusieurs milliards d’utilisateurs en quelques années seulement.

    Quatrième changement : la puissance de production. Comme Marx l’a remarqué dans son analyse du capitalisme, le travailleur outillé et qualifié met à disposition du capitaliste une force de travail décuplée. Depuis le début du capitalisme, le travailleur est un homme augmenté, puisqu’il met en oeuvre une énergie qui dépasse considérablement son énergie propre. Or, non seulement la quantité d’humains au travail s’est considérablement accrue, mais également l’énergie mise en mouvement par ces humains a été démultipliée. De ce fait, la part du travail humain consacrée à la reproduction de la force de travail elle-même (la production des moyens de subsistances) dans le travail total n’a cessé de diminuer, permettant aux capital de lutter pendant un temps efficacement contre la baisse tendancielle de son taux de profit.

    Tout cela a permis un élargissement considérable de l’échelle de la production industrielle et des marchés capitalistes, s’accompagnant d’une croissance des migrations internationales vers les centres capitalistes (chaque stade de développement capitaliste a généré des migrations car le progrès de l’industrie libère de la force de travail de manière diffuse dans les zones rurales qu’il ne peut employer que de manière centralisée. Ces migrations étaient d’abord intra-nationales, puis sont devenues internationales). Et il s’est produit à ce moment un fait complètement nouveau : le développement du capitalisme a, à chacun de ses stades, développé de nouveaux centres économiques. Ce furent tout d’abord l’Italie du Nord et les Pays bas, puis l’Angleterre, puis la France, l’Allemagne jusqu’au tournant du 20ème siècle, durant lequel les USA sont progressivement devenues le centre dominant. Après 1945, sans que les USA perdent leur hégémonie, l’économie s’est développée à nouveau en Europe occidentale, puis au Japon, puis en Corée et dans d’autres pays asiatiques. Mais, à partir de l’an 2000 environ, c’est un pays socialiste qui a commencé à faire converger vers lui les flux économiques, le capital et à se développer comme centre industriel et financier planétaire.

    Donc, cette phase néo-libérale, désormais épuisée, comporte effectivement une part de régression, mais elle recèle en elle aussi les ressources pour une formidable accélération des changements dans les rapports sociaux et mondiaux. D’ailleurs, si l’on disposait d’un critère statistique fiable permettant de mesurer le taux de socialisation de l’économie mondiale, il n’est pas certain que celui-ci aurait reculé depuis 1950 ou 1960. Dans les pays dominants comme la France, le néo-libéralisme débridé a écorné le modèle des “jours heureux”, mais il est très loin de l’avoir totalement démantelé. La Sécurité Sociale (dont on dit souvent que grâce à elle, chaque français a dans sur lui sa carte du PCF) a été réduite, mais elle est toujours le coeur de notre système social. S’il a perdu se capacité de planification économique, l’Etat intervient grandement dans l’économie et c’est encore RTE, descendante de l’EdF construite par Marcel Paul qui nous aide à y voir clair dans la préparation de notre avenir énergétique.

    En contrepartie de ces reculs ou stagnations, il faut afficher au côté positif la progression économique de la Chine et d’autres pays (Vietnam par exemple), dont le taux de socialisation de l’économie est très nettement au dessus de la moyenne. Surtout, comme le disait Marx, le capitalisme n’a pu résoudre sa crise transitoirement que par des moyens qui préparent pour demain une crise bien plus large et bien plus profonde. La transition vers le socialisme n’est pas interrompue, elle s’est préparée elle aussi à une phase plus large et plus profonde.

    L’épuisement de la phase néo-libérale est manifeste. L’issue socialiste n’est pas gagnée pour autant. Nous sommes au devant de puissants bouleversements, mais le risque fasciste et le risque d’une guerre généralisée précipitant l’humanité dans l’hiver nucléaire sont loin d’être écartés. . Nous avons du pain sur la planche, tant se le plan pratique que sur le plan théorique, pour analyser dialectiquement toute la phase qui vient de s’écouler et en tirer les conclusions programmatiques qui s’imposent. Le programme des “jours heureux” du 21ème siècle doit nous mener à une socialisation plus large, plus profonde et plus ambitieuse, qui intègre, comme les chinois nous incitent à le faire tous les enseignements à notre disposition, notamment sur le pilotage socialiste des institutions de marché.

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    • Danielle Bleitrach

      SI TU ES D’ACCORD JE LE REPRENDDEMAIN DANS LES ARTICLES A LA UNE

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      • marsal
        marsal

        Oui, bien sûr
        Merci

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        • Danielle Bleitrach

          ilme vientune autreidée, demain je publie l’intervention de Poutine,elle peut selon moi donner lieu à un travail qui prolongerait tes remarques etj’aimerais que cetteintervention doit réellement “travaillée”, elle le mérite àla fois par son apport et ce qu’elle a aussi de “conservateur”… MAIS comme tu le verras, elle se situe dans le cadre de ce texte…

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  • Daniel Arias
    Daniel Arias

    La puissance symbolique de l’Union Soviétique me semble ressurgir, essentiellement dans les ex pays socialistes, mais pas uniquement .
    Le symbole d’une Révolution et de la résistance à l’occupant.
    L’expérience de la restauration brutale du capitalisme dans ces pays ainsi que la révélation de l’inefficacité du capitalisme à résoudre les problèmes des peuples mais au contraire à aggraver la vie des gens est perceptible y compris dans les métropoles capitalistes les plus riches.
    Les USA étant le comble de la barbarie pour les peuples qu’ils dominent et leur propre population.
    Dans le “monde numérique” chaque évocation du socialisme suscite l’approbation de milliers de personnes, d’origines très diverses, nostalgie du socialisme, attente impatiente de son retour.
    Les résistances culturelles à l’Empire sont de plus en plus fortes.
    En Turquie comme en Russie des groupes de musique réussissent à remplir des grandes salles de concert et des stades avec des chansons en faveur du socialisme, de l’URSS, des héros et contre l’agresseur américain.
    Faut-il qu’ils aient peur pour incarcérer un Chanteur isolé qui chante le communisme, la misère du peuple, son égarement et sa foi dans le socialisme futur et la lutte, un chanteur qui dénonce la réalité d’un régime corrompu, d’institutions issues d’un coup d’État et les trahisons de la gauche parlementaire au pouvoir, qui d’ailleurs ne fait rien pour le libérer.

    La restauration capitaliste a elle aussi échoué, elle ne peut réussir, ils le savent et préparent le fascisme. Il ne peuvent faire autrement, comme on le voit avec le triste Biden implorant les riches à payer leur “juste part” tout en se disant lui même capitaliste et qu’il n’empêchera personne de devenir millionnaire ou milliardaire. NON on ne devient pas millionnaire par son seul talent sans l’exploitation d’un travail collectif, que ce soit aux USA en France ou même en Chine, ce sont tous des exploiteurs. La simple étude de la comptabilité et des conditions de vie des salariés le démontre. Ceci explique peut être la force symbolique de l’URSS qui perdure dans les cœurs sans grands milliardaires ils ont développé cet immense territoire et doté le peuple d’une immense culture. Ah ! les sales traitres !

    Les verrous se préparent sur le cyber monde, là où se mènent aujourd’hui les batailles symboliques. Ils doivent à la fois laisser cet espace ouvert et le contrôler par une armée de trolls mercenaires et des armées régulières. Comme le disait récemment un général il faut préparer l’armée française à un conflit de haute intensité et la guerre hybride de l’information dans le cyber espace. La guerre de l’information n’a jamais été séparée de la guerre menée armes au poing, rien de nouveau si ce n’est la technologie, la rapidité et l’impact de masse possible.
    Ici il sera possible par des moyens matériels d’attaquer les sites opposants, bloquer des comptes, noyer l’information, repérer les tendances et les acteurs.

    Les techniques progressent mais n’effacent totalement pas les anciennes. La communication directe en porte à porte, avec les amis, les collègues est toujours possible. Elle demande aussi plus de moyens pour la mener.
    Avec les nouvelles technologies de l’Internet il existe aussi des moyens non centralisés, basés sur l’informatique distribuée, sans centre, donc difficilement contrôlable par un pouvoir central.
    Pour faire simple ça ressemble au contact direct tout en étant à distance.

    Les Partis Communistes de masse, forts, organisés peuvent être une parade au néo fascisme et à la propagande capitaliste. Pour cela il me semble qu’il faut revenir au contact direct et maîtriser les techniques de communications modernes et sécurisées.
    Les batailles électorales deviennent secondaires en ces temps nouveaux.
    Il faut gagner la bataille des masses, un Parti avec 1 à 2 millions d’adhérents est une vraie force.
    L’URSS ne sera pas non plus restaurée ce sera un socialisme nouveau qui a appris de ses luttes et de ses combats, connaissant mieux son ennemi et ses pratiques.

    Un peu de musique du groupe Любэ (quel drôle de nom: “lubrifiant”):
    https://youtu.be/ANhM2qWrFjs

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    • Renaud Bernard
      Renaud Bernard

      Il est difficile d’évaluer une puissance symbolique, fût-ce celle dont l’ex-URSS pourrait être créditée. Il vaut mieux raisonner sur la puissance réelle : celle de la Chine. Là est l’avenir du socialisme, les dirigeants du parti communiste chinois sont exemplaires. Le PCC est un parti de masse, avec plus de 91 millions de membres. Soit, sur 1,4 milliards d’habitants, 0,65 % : c’est dire que le PCC est à la fois un parti de l’élite et un parti du peuple.

      En Chine n’est pas communiste qui veut. L’adhésion au PCC est soumise à examen, sinon à concours : ne sont acceptés que les meilleurs, les plus compétents, les plus intelligents, en général issus de filières académiques prestigieuses. En face d’un tel parti, les autres se trouveraient démunis si on adoptait les mêmes règles de sélection pour toute gouvernance. Il n’y aurait plus besoin de recourir à la force pour les réduire à quia. Et, comme en Chine, on aurait une assemblée nationale populaire entièrement, ou presque, composée de membres du parti communiste, c’est à dire de représentants du peuple qui seraient donc à la fois les plus marxistes et les plus compétents, les plus cultivés, des citoyens.

      L’avenir est à l’intelligence. Pour qu’il soit aussi celui du socialisme, il faut lier les deux notions, entre lesquelles il n’y a pas d’antagonisme. La politique ne gagne rien à recruter des médiocres et des anticommunistes, toutes choses égales par ailleurs. La victoire finale sera pour ceux qui savent, qui auront appris, qui auront su apprendre. En cela la Chine montre la voie. Il faut s’en inspirer, il faut la soutenir.

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