Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Payer le mal à tempérament (sur Sade & Fourier) (à paraître)

SIMONE DEBOUT

Voici un livre étrange. Si je n’ai jamais pu lire complètement un livre de Sade dont bien des passages m’inspiraient de l’horreur, en revanche Fourier avec son utopie à la description obsessionnelle m’enchantait comme toute une littérature fondant un univers parallèle. Mais ce qui m’a étonné c’est l’importance qu’Aragon continuait à accorder à cet auteur. Au Moulin, où se trouvaient assemblés les matériaux qui l’avaient nourri pour écrire la Semaine sainte, outre un portrait de Géricault et une collection de cartes postales décrivant le nord, là où les pas des chevaux s’enfoncent dans des terrains sablonneux, se trouvait également l’œuvre complète de Charles Fourier. A ce que j’ai compris, cet ensemble participait de sa volonté de ne rien renier alors même qu’un bilan est tenté, en particulier les surréalistes. Il semble que ce livre de Résistance, venu de Forcalquier, nous ouvre des chemins qu’il n’aurait pas non plus reniés, ceux dans lesquels s’obstine hors de la marchandisation, un poète qui tel Milton dans son grenier écrit pour la beauté révolutionnaire du geste. Là où la liberté à laquelle nous aspirions puisse encore s’exprimer et si les réseaux sociaux peuvent encore charrier ces bulles profitons-en. (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

l’illustration concerne un autre livre de cette collection qui me donne lui aussi envie de le lire… Il n’est pas encore publié mais il me fait souvenir de toutes ces découvertes si précieuses de textes qui ont jalonné ma vie; voici sa présentation, outre le livre sur Sade et Fourier. Parfois je rêve de tout quitter et d’aller finir mes jours dans un monastère qui accueille les retraites définitives d’athées impénitents avec leur chat et leur bibliothèque et j’y écrirai enfin quelque message ciselé poli comme les verres de lunette de Spinoza. Ce qui me retient à l’événementiel est quand je ressens cette extraordinaire ténacité à vivre qui fonde la résistance à l’ordre des choses existant (note de Danielle Bleitrach)

Le Diamant de l’herbe (à paraître) – Quiero éditions (free.fr)

Présentation de Emmanuel Loi

Couverture : impression typographique rouge et noire sur papier Keaykolour lin avec une gravure sur bois de Renaud Eymony. Intérieur : impression numérique sur papier bouffant. Dos-carré-collé.

* un tirage de tête de 30 exemplaires imprimé sur beau papier au format 22×30 cm avec une gravure sur bois numérotée de Renaud Eymony est disponible auprès de l’éditeur…

102 pages, format 16 x 22 cm

ISBN : 2-914363-24-9, 20 euros

DOSSIER DE PRESSE


À paraître en librairie en janvier 2022

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Dans ce livre qui rassemble deux articles parus en 1981 dans la revue Topique, la philosophe Simone Debout revient sur l’apport décisif de la pensée de Donatien Alphonse François de Sade dans la construction du système imaginé par l’utopiste Charles Fourier : l’Harmonie.

Dans une langue riche et précise, elle montre comment les deux penseurs en faisant la critique des « moralistes » des Lumières (et de la Révolution française !) ont pointé les limites et les dérives d’une civilisation, la nôtre, où le mouvement passionnel est entravé, suborné par le fétichisme de la marchandise. Dénonçant la misère de la fausse industrie et prônant les richesses partagées d’un nouveau monde amoureux, Fourier établit des plans à partir de sa découverte majeure des lois de l’attraction passionnelle.


« Les philosophes, écrit Fourier, disent que les passions sont trop vives, trop bouillantes ; à la vérité elles sont faibles et languissantes. Ne voit-on pas en tous lieux la masse des hommes endurer sans résistance la persécution de quelques maîtres et le despotisme des préjugés ? » Étonné comme La Boétie par l’endurance des foules soumises aux maîtres et aux préjugés, il en désigne la cause : « Leurs passions sont trop faibles pour comporter du désespoir ; c’est pourquoi le grand nombre est toujours victime du petit nombre qui emploie la ruse pour maîtriser la force ». Contrairement au divin marquis, Fourier ne concentre pas leur puissance en une seule direction. Il ne retourne pas le désir sur lui-même. Il multiplie les divers élans les uns par les autres : centrant tout sur le sentiment le plus puissant de tous, l’amour, « pivot de société ». Il se rattache lui aussi à la tradition chrétienne mais au contraire de Sade, il ne cherche pas à détruire les illusions, il veut — déjà — les réaliser, reprendre leur bien à la religion et à la morale, transférer l’amour et l’énigmatique exigence du ciel ou de l’idéal sur la terre. Pas du tout incapable de penser la violence, « l’audace du désespoir », il vise aussi résolument à en sortir que Sade à s’y enfoncer, à l’aggraver.

Emmanuel Loi qui a dégoté ce texte de Simone Debout fait les présentations : « Pour elle, faire corps, prendre la parole et la plume, consiste à agrandir la brèche. Les idées ne tombent pas du ciel  ; présupposés et résistances font partie du lot. À la croisée de trois disciplines anthropologie philosophie psychanalyse, Simone Debout parvient à orchestrer et à souligner les lignes de force d’un fantastique carambolage linguistique et idéologique. »


Note sur le titre par Emmanuel Loi

Payer à tempérament ne veut pas dire payer selon l’humeur ou ses moyens ; il n’est pas question de tempérance mais d’interroger la dérégulation du lien. Pour Sade qui n’adule pas la gratuité, tout se paie. En cas de désistement ou de fuite devant sa propre jouissance, celui ou celle qui réfute le plaisir (extorqué ou imposé) renforce la domination de la dépravation, du délitement des mœurs majoritaires. Du temps où le manuel était payé à la tâche, à la semaine ou à la dizaine – les loyers des fermages étaient aussi payés à terme tous les quinze jours – la régularité n’était pas toujours assurée. Les échéances ont beau être retardées, la dette non réglée s’accumule. Cela restera dû, un dol dans la mémoire, une trace de la trahison du contrat.

Payer en tant que contre-don implique le payeur. Sa contribution est soit un dû, elle est dite rétribution ou réversion d’un droit, d’une terre à cultiver ou de jouir d’un toit qui n’est pas sien, soit une garantie, ayant fait l’objet d’une convention ou d’un pacte énoncé. Mais donner un prix au mal causé, estimer l’offense et l’affliction dans les atteintes à la personne, relève d’un tribunal moral trans-historique, celui de la neurasthénie. Payer le mal, payer pour le mal causé, ne l’efface pas pour autant ; en parlant ainsi, la philosophe insiste sur le contrat intenable qui lie le marquis de Sade aux protagonistes victimes ou partenaires de ses ébats. Quant à la domination et à la soumission, elles concourent selon Charles Fourier à l’individualisation des peines dans l’affliction générale. Les profiteurs de la domination spéculent toujours sur un retard à l’allumage, en modernisant le marché du travail, ils visent à la coopération tacite, à la reconnaissance de l’emprise. Donnant du travail, (se) donnant de la peine, ils accordent une paie. Le sale air. Le tribut à la paix ordinaire de la conciliation. Artaud a tenté de « toucher le langage pour toucher la vie ». Ce que Fourier fait de la langue rejoint cette volonté acharnée de forer l’intériorité (le règlement interne du psychisme) et d’attaquer le linceul linguistique. Tout être actif est une unité dans l’Unité. Monade qui clive le sujet dans son être et, ce faisant, le relie aux autres. En poussant à la prolifération du partage intensif (des couches, des habits, des terres et maisons, animaux, femmes, enfants), le compagnonnage se transforme en opération salutaire d’affranchissement de l’idée de propriété. Le lieu de vie est une lice, un foirail où chaque un n’a pas toute liberté de la concevoir et de l’articuler cette dite liberté (de même que la vérité ne peut pas se dire toute ou encore moins unique) mais a l’opportunité et quasiment le devoir de s’en passer ou de la sacrifier. L’aspiration à être libre ne peut avoir de cesse. Donc plus d’héritage, plus de cumul. Les richesses ne sont plus accaparées par quelques uns mais ventilées comme « soufflées ».

Afin d’augmenter la capacité de production de miel de la pensée collective, le cadastre des rêves ne suffit pas. Arriver à se départir du réflexe de protection du premier cercle, décupler la passion sous toutes ses formes, se déprendre de la pauvreté, piocher toujours plus loin dans les résistances mutuelles, cet ensemble d’exigences a coûté autant à Fourier qu’à Sade. Leur absence de complaisance envers les modèles établis ne pouvait que passionner Simone Debout qui a combattu l’occupant et résisté tant qu’elle a pu à l’hégémonie managériale et à l’imposition des canons sociétaux liés au profit.


Quiero éditions c/o Marginales, Les Billardes, 04300 Forcalquier.

Chèque à l’ordre de « Marginales – propos périphériques ».

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1 Commentaire

  • SMILEY
    SMILEY

    Lire un texte qu on ne comprend pas est toujours salutaire, cela vous remet à votre place et vous dégonfle un peu l’égo . Ainsi que veut dire  ‘ volonté acharnée de forer l’intériorité (le règlement interne du psychisme) et d’attaquer le linceul linguistique. Tout être actif est une unité dans l’Unité. Monade qui clive le sujet dans son être et, ce faisant, le relie aux autres ‘ 
    Même à le lire à l envers je n y arrive pas.
    Mais parlons de Sade . Il y a je pense quatre façons de l’ appréhender.
    D abord le révolutionnaire opposé à  l absolutisme, à la superstition, aux pouvoir exorbitant  des cléricaux ( l’atroce  supplice du Chevalier de la Barre n’est pas si ancien ), imprégné des Lumières paraphrasant Rousseau sur la nature quitte à dévoyer sa  pensée.  Ce Marquis de Sade là est audible et sujet à étude  même s il dérive souvent.
    Ensuite l érotomane prisonnier dont les figures imaginaires  scandalisaient à l époque et étaient redevables du bûcher, mais qui  aujourd hui avec internet n effarouchent personne et surtout pas Madeleine  Schiappa
    Puis au delà de cet érotisme blasphématoire,  la cruauté noire, le nœud  m^me du sadisme, insupportable et lassant à la lecture, infanticide et éventrations,  le sang coule, les os craquent comme on le chante dans l Opéra de 4 sous
    Et au final Donatien  criminel de droit commun . C est la partie la plus occultée créant la légende de l embastillé pour raison politique alors que ce qu il a osé commettre aurait du doubler son temps d incarcération qui n a cessé d être allégé par l argent et les interventions à haut niveau de sa famille. Qu’ on en juge :  l affaire Keller, l affaire de la domestique et comble d’ignominie  les petite filles engagées comme servantes et sur qui dans les orgies il jouait du canif. Cela renvoie hulot ppda et epstein à des postures de premier communiant. Qui sérieusement aujourd hui  éditerait  un pédophile tortionnaire et n exigerait pas pour lui la perpertuité ?

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