Je n’arrive pas à expliquer à Marianne – et elle n’est pas la seule – ce qui non seulement m’aide à supporter les êtres humains mais me plonge dans des fou-rires salvateurs. Comment vous expliquer? C’est exactement le contraire de ce qui est promu avec Zemmour même si on appelle cela parfois l’humour juif …
Certaines scènes des Marx brothers m’arrachent encore et toujours des larmes de joie et ce n’est pas souvent partagé par mes interlocuteurs. Ainsi en est-il du film une nuit à l’opéra, il y a bien sûr l’entassement dans la cabine mais plus encore ce moment où dans l’opéra de Verdi, le Trouvère, les marx brothers dynamitent le génie dramatique du compositeur italien, et avec lui toute référence au sublime. L’histoire: Otis B. Driftwood (groucho marx) est employé au Metropolitan Opera de New York; la grande musique l’indiffère, il ne s’intéresse qu’au fric. Mrs Claypool, riche veuve, aspire à la haute société et Driftwood qui court après son argent lui propose d’investir dans l’opéra. Ils engagent le ténor Lasspari, une belle voix mais un individu immonde, vénal, et vaniteux qui veut trousser Rosa, sa partenaire. Elle comme dans la commedia del arte ou les enfants du paradis ne rêve que de son pierrot, Riccardo Baroni, autre ténor inconnu. L’essentiel de l’histoire se passe dans le bateau dans lequel l’ignoble lasspari vient vers New-York et espère bien “conclure” avec Rosa. Baroni qui suit rosa, trouve deux alliés complètement cinglés Fiorello et Tomasso (harpo et chiquo). Deux clandestins poursuivis par toutes les autorités, qui s’échappent avec des déguisements improbables de russes barbus.. mais sur la terre américaine, c’est la catastrophe Driftwood est renvoyé, comme rosa, il a choisi le mauvais camp, celui des pauvres et des rebelles, des amoureux sincères. Heureusement, il y a le génie destructeur des marx brothers qui s’ingénient à saborder l’opéra alors qu’a lieu la représentation au métropolitain, ils enlèvent lasspari et poussent en avant baroni et rosa qui font un triomphe…
La scène qui me plonge dans l’hilarité se passe dans le feu de camp de Biscaye, la vieille gitane, Azucena revit avec horreur en souvenir le supplice de sa mère, brûlée vive sur ordre du vieux comte de Luna, et elle avoue l’échec de sa vengeance. En proie à un égarement subit, c’est son propre enfant qu’elle a jeté dans les restes du bûcher fumant. Elle fait jurer à Manrico, le trouvère, qu’il vengera enfin sa mère, et sa grand-mère. Nonobstant le génie de Verdi, le livret est du pur délire, cette scène en est l’apothéose. En fait, les Marx brothers, Harpo surtout, qui poursuivent leurs pratiques délinquantes de clandestins vagabonds en pleine représentation, fuient la police qui les traque, les nantis, après de multiples facéties face à un romantisme suspect après les excès wagnériens du IIIe Reich, font tomber des décors des cintres, et la gitane qui vocifère se retrouve avec un étal de légumes devant elle, tandis qu’Harpo rejoue l’épique de la prise du palais d’hiver.
Cette scène fait partie avec quelques autres de ce qui me plonge dans une hilarité totale au point parfois de ne pouvoir expliquer pourquoi je ris à un interlocuteur, un peu gêné, qui lui reste de marbre. C’est la coexistence du pathos avec l’anarchie du vagabond : le grand malentendu de l’impérialisme US.
D’abord disons que les communistes que j’ai connus étaient aussi cinglés que ça, ils étaient tricards à la télévision et une fois pour l’un d’entre eux parce qu’il avait saboté le réveillon de Noël non seulement en ayant montré cameramen et machinistes derrière la féérie offerte au téléspectateur, mais le metteur en scène jouant à sauter à la corde avec un des câbles… l’illusion et le travail… Il me l’avait raconté en riant aux larmes parce que le directeur de l’époque criait: “il a tué l’esprit de Noël”… Et l’a interdit pendant 6 mois…
Dans la vie, dans ma vie, dans votre vie aussi je suis sûre, il y a ainsi tout un répertoire de mésaventures drolatiques qui sauvent du chagrin, des rancunes et libèrent de tas de faux problèmes. quand je ne peux pas les évoquer c’est que la souffrance ou l’indignation sont véritables et exigent qu’on s’y livre sous la forme du deuil ou du conflit assumé. Il faut ce qu’il faut et je ne m’y dérobe pas, mais ces mises au pied du mur sont rares, heureusement.
Par parenthèse, j’ai découvert que certains de mes détracteurs me définissent parfois comme la “gardienne du temple de l’orthodoxie stalinienne”. Comment ai-je pu supporter sans perdre la foi dans le communisme que tant de ceux qui se prétendent communistes se conduisent comme de haineux imbéciles et me poursuivent par exemple d’une volonté de censure et de diffamation sans faille? C’est parce que je les ai transformés en protagonistes éternels de l’absurdité et qu’ils ont fini par me réjouir, je crois qu’ils me manqueraient s’ils changeaient et j’éprouve envers eux une sorte de reconnaissance à les voir en rajouter à mon encontre. Cette mansuétude s’assortit il est vrai d’un art de la caricature qu’ils peuvent considérer comme de la méchanceté, il n’en est rien c’est le goût du croquis instantané, oublié sitôt esquissé. Infiniment plus proche des frères Marx que quoi que ce soit d’autre.
Ce que je reproche aux anti-staliniens de profession c’est non seulement de tronquer l’histoire et de chanter la chansonnette qu’on leur impose, mais d’avoir transformé l’insolence et l’anti conformisme qui restait à l’œuvre dans le stalinisme quoi qu’on en dise, en adhésion au confusionnisme petit bourgeois qui a perdu toute décence, parce que le réalisme socialiste n’était pas un naturalisme, il a complètement été renié par eux incapable d’en voir le caractère novateur. La manière dont ils en usent avec Aragon en est une preuve, le cinéma et l’art pompier et anecdotique qu’ils défendent, le conformisme petit bourgeois qui est le leur n’a rien à voir avec ce que nous a apporté le bolchevisme et pas seulement dans les années Maïakovski auxquelles ils croient se référer et qu’ils émasculent. Ils ont perdu à la fois le sens de l’histoire et celui du prolétariat et se croient investis des fausses audaces tolérées. Et ce faisant il nous ont privé de l’antidote au fascisme.
Il y a des choses comme ça qui me mettent hors de moi et elles touchent en général à la compréhension de l’Histoire, et à ce en quoi elle transcende et sublime l’absurde du quotidien. Mais cet absurde quotidien, cette indulgence nécessaire à tout ce que le cerveau fertile de l’espèce est capable d’inventer pour tenter de s’en sortir en accumulant les catastrophes de l’intime me plonge dans la joie, me secoue de rire, me sauve de l’amertume. Certes il y a quelque injustice dans le traitement du Trouvère et Verdi par les marx brothers, mais il y a aussi une mise en garde qu’aurait pu entendre Visconti lui-même et a fortiori bien d’autres qui nous ressortent les afféteries de l’exotisme et du nihilisme petit bourgeois, sans parler des romans intimistes et décadents du début du siècle dernier. Il y a dans la trivialité et la dérision quelque chose qui peut peut-être aider à sortir d’une telle mélasse sur le plan politique comme celui des mœurs. Dans ce domaine, comme dans d’autres, on a besoin d’une alternative révolutionnaire et elle ne se décrète pas, elle est ou n’est pas.
Si je vous dis tout cela c’est que je suis inquiète devant une société où le nouveau Coluche – qui déjà ne m’a jamais réellement séduite – peut être incarné par un Zemmour, comment en est-on arrivé là? De l’humour juif à cette ignominie dans le stéréotype des beaux quartiers : un juif qui trahit tout humour autant qu’une conception salvatrice de l’anti-racisme qui blanchit Pétain en se disant gaulliste pour dévoyer la colère … IL y a la colère populaire, mais l’anticommunisme devenu idée préconçue des élites. Tout a commencé avec Mitterrand, ce pompeux cornichon qui a transformé artistes et intellectuels en courtisans derrière le spécialiste des “événements” paillettes et strass boulevardier, Jack Lang; la culture devenue almanach Vermot des citations, c’est ça qui nous a conduits à ces posts où l’on défend une méchante cause en 20 mots empruntés à un “génie” reconnu.
Si l’on prenait la peine de fouiller tout ça je suis sûre que l’on pourrait approfondir ce qui occupe si fort les esprits comme par exemple l’immoralité de facebook, les effets des médias informatiques sur la jeunesse, et l’exemple de la manière dont on traite Einstein, à la manière d’un oracle chargé de nous délivrer des banalités, nous aiderait à mieux percevoir les différents niveaux de l’appropriation de l’autre.
Je ne suis pas plus que le reste de l’humanité capable de réellement comprendre ce que les calculs d’Einstein ont apporté au monde mais je crois savoir pourquoi comme il le dénonçait il déclenchait de telles adhésions à la plus banale de ses déclarations. Il constatait que comme le roi Midas transformait en or tout ce qu’il touchait, lui avait le don de transformer tout ce qu’il disait en déclaration médiatique.
Je crois que l’humanité à travers Einstein a failli découvrir ce qui caractérise l’humour juif. Comment expliquer sinon en me référant à cette manière dont partis à la recherche du “génie juif”, les tenants d’une certaine génétique ont découvert la prolifération de maladies rares liées à la consanguinité y compris le crétinisme. Je résumerai la situation en disant que tout juif nait avec l’hypothèse maternelle de l’enfantement d’un génie et se retrouve dans des emmerdements pas possibles avec lesquels il n’arrête pas de bricoler. Avoir conscience de ce vertigineux possible et de la triviale réalité dans laquelle vous vous débattez est l’essence même de l’humour juif et ce qui en fait le caractère universel. Plus vous rêvez d’absolu et plus vous chutez dans le prosaïque plus le rire vous secoue. Mais il faut conserver le rire et le chérir comme garde-fou à la croyance, la foi, le complot… Savoir parce qu’on s’en est pris plein la gueule quand on vous prend pour un imbécile et que la vie ce n’est pas ça!!!
Voilà un texte que je viens de découvrir dans lequel une femme qui ne manque pas de cette humour-là tente de nous faire comprendre ces seuils de la réalité dont on peut jouir en plaisantant pour mieux respecter là ce que nous sommes et percevons, notre commune réalité qui n’est pas dénuée de grandeur parce qu’affronter la maladie, la mort, non pas dans la grandeur mais dans les emmerdements quotidiens, est une vraie dignité.
Vers la fin des années 1940, Albert Einstein a eu besoin d’une intervention chirurgicale et a décidé de la faire faire à l’hôpital juif de Brooklyn. Ma famille a utilisé Brooklyn Jewish parce que le frère aîné de mon père, Will, était médecin traitant en obstétrique / gynécologie là-bas. Il nous a accouchées, ma sœur et moi. Mon père était là pour une hémorroïdectomie. À cette époque, les hôpitaux avaient un couloir, des chambres de chaque côté, pas de salles de bains dans les chambres. Vous aviez des portes battantes de bar au lieu de portes ordinaires. La chambre de Pop était en diagonale en face de la chambre d’Einstein. Il faut que vous imaginiez le chaos : Einstein est là ! Il est arrivé dans un peignoir qu’il a dû apporter d’Allemagne en 1943. Le peignoir le plus râpé que l’on ait jamais vu. Assez râpé pour que les médecins se cotisent et lui achètent un nouveau peignoir jaune.
À côté de mon père se trouvait un homme âgé qui venait d’être opéré, qui pleurait toute la nuit. Et les médecins ont dit à Einstein qu’ils déplaceraient cet homme à un autre étage, et Einstein a dit: « Vous ne le déplacerez pas! C’est un vieil homme, il souffre, et vous ne pouvez pas le déplacer en m’attribuant à moi une telle action. »
Ces jours-là, quand vous deviez aller aux toilettes, une infirmière devait vous amener dans le couloir jusqu’à la pièce des hommes. Par pur hasard un jour, mon père et le Dr Einstein ont dû aller aux toilettes simultanément. Ils sont descendus dans le couloir, chacun avec leurs infirmières respectives, ils font leurs affaires, et ils reviennent, et Einstein se tourne vers mon père, il est fatigué avec des poches sous les yeux, et il dit quelque chose d’urgent. Mais son accent allemand est épais. Et mon père est tellement excité à l’idée qu’Einstein prend la peine de lui parler, alors qu’il ne peut pas comprendre un mot de ce qu’il dit. Ils retournent dans la pièce et mon père demande à l’infirmière : « Qu’est-ce qu’Einstein m’a dit ? » L’infirmière était très occupée, et il lui a fallu beaucoup de temps avant de s’entretenir avec Einstein. Et pendant cet intervalle, mon Pop imaginait une grande déclaration révélatrice qu’il aurait manquée. L’infirmière enfin revient vers mon père. « Einstein a dit que vous ne devriez pas aller avec une robe ouverte dans le dos. Vous allez attrapez un rhume. »
Voilà c’est comme l’étal de fruits et légumes qui tombe devant la gitane en train de vociférer ses malédictions dans cet invraisemblable histoire du Trouvère. C’est du bon sens ! Il faut remettre votre savoir, votre importance au niveau trivial de votre apport réel en sachant néanmoins que tant que vous avez de la force il faut la partager avec d’autres parce que c’est cela qui l’entretient…
DANIELLE BLEITRACH
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Lelouch ancien jeune cinéaste rebelle vite dépassé par l argent la notoriété et le succès devint populiste et réactionnaire jusqu à faire dire à Lino Ventura de sa grosse voix : je suis marxiste. .. tendance groucho . Depuis cette réplique fait le bonheur de tous les anti communistes qui n hésitent pas à utiliser ainsi les trois frères alsaciens qui n en demandaient pas tant .
Personnellement ma tendresse va à Chico pour son amour récurrent des italiens qui lui semblent sans doute par leur joie de vivre plus fréquentables que les WASP coincés de la haute bourgeoisie U S . A cette epoque les immigrés italiens étaient accusés de tous les crimes par les zemmour locaux et même si certains ont choisi la mafia celle ci a accueilli Meier Lansky Mickey Cohen et Siegel ce qui prouve que la tolérance ne se trouve pas toujours on l on pense ..