Un texte magnifique que marianne a le don de trouver et qui éclaire autant sur la complexité d’une civilisation décrite, celle dite de l’Afghanistan, que sur “la mission civilisatrice” soviétique revue et corrigée par un humble professeur de mathématiques. Une réflexion comme nous les aimons ici où il y a beaucoup de questions laissées à la sagacité et à la bienveillance du lecteur, par exemple celle-ci : Connaissez-vous des cas où les États-Unis ont quitté (décampé de !) quelque part, laissant armes, munitions, etc. aux vainqueurs ? (note de danielle bleitrach et traduction de marianne dunlop pour histoireetsociete)
https://sovross.ru/articles/2178/53846
Un article du journal Russie soviétique
Le modeste poste de conseiller en enseignement des mathématiques auprès du ministère de l’éducation et de la formation de la République démocratique d’Afghanistan, que j’ai occupé il y a quarante ans, ne me qualifie guère pour me considérer comme un expert habilité à tirer des généralisations profondes et des conclusions sérieuses sur les événements qui se déroulent aujourd’hui dans ce pays et aux alentours.
Mais non seulement moi, mais nous tous ne pouvons être indifférents, en nous rappelant qu’environ deux mille citoyens de notre région ont servi là-bas pendant la guerre, qui a coûté la vie à 86 habitants de Tomsk.
Étant un professeur de mathématiques, je n’ai aucune connaissance fondamentale ni de l’histoire de l’Orient, ni de l’ethnographie, ni du déroulement des opérations militaires, ni même de l’essence de l’Islam avec ses nombreuses ramifications. Ce n’est pas pour rien que Kozma Proutkov a affirmé que “l’expert étroit est comme un abcès dentaire, son exhaustivité est unilatérale”. Et en même temps, chaque “abcès ” a ses mérites. Son propriétaire n’est pas lié aux traditions des sciences et des branches du savoir pertinentes, il juge tout seul, et s’il est également curieux et, excusez-moi, manque quelque peu de modestie, ses réflexions peuvent être intéressantes et utiles à d’autres personnes. Je dois ajouter que pendant les années de ma mission en RDA, j’ai visité non seulement les institutions éducatives de Kaboul, mais aussi les petites écoles de nombreuses provinces, rencontré les enseignants et les enfants. Mais surtout, je suis tombé amoureux de ce pays, de son histoire fascinante et de ses habitants merveilleux.
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Aujourd’hui, en Afghanistan, l’un des pays les plus importants d’Asie centrale, il se passe quelque chose d’incompréhensible, et différentes sources d’information et de nombreux spécialistes sérieux ne clarifient pas, mais embrouillent encore plus nos idées sur ce casse-tête.
Et que voudriez-vous qu’on en pense ? C’est une situation réjouissante d’un certain point de vue : les Américains sont dans la merde ! C’est ce que vous pensez aussi ? Ils ont abandonné beaucoup de matériel (d’un coût estimé à 85 milliards de dollars, et les dépenses américaines en Afghanistan au cours des vingt dernières années avoisinent la somme encore plus fantastique de mille milliards de dollars, soit le budget annuel de certains pays qui ne sont pas les plus pauvres). Pour ainsi dire, ils en ont fait cadeau. Le point final – le 30 août 2021, le lieutenant-général Christopher Todd Donahue, commandant du 18e corps aéroporté, est le dernier militaire américain à dire adieu à la république insoumise et ingrate (vingt ans à défendre quelqu’un, à combattre quelqu’un, mais qu’avez-vous obtenu ?). La population des États-Unis n’a pas particulièrement approuvé cette guerre, d’autant plus qu’elle n’a pas été très glorieuse et que près de trois mille jeunes hommes sont morts. D’autres chiffres ont été cités. Je ne me soucie guère du prestige et de l’avenir des dirigeants américains, mais je suis sincèrement désolé pour les mères des jeunes hommes américains. Pour quelle cause ont-elles donné la vie de leurs fils ?
L’agence Reuters s’est permise une analogie plutôt bancale. Le 15 février 1989, le lieutenant-général Boris Vsevolodovich Gromov, commandant de la 40e armée, fut le dernier militaire soviétique à faire ses adieux à la république fraternelle sur le pont enjambant le fleuve Amou Daria près de Termez (dix ans de défense du Parti démocratique populaire d’Afghanistan et des intérêts de l’URSS, y compris la protection de notre peuple contre la drogue, la lutte contre les moudjahidines et leurs amis étrangers, et pour quels résultats ?) Cette guerre n’a pas été très bien accueillie par la population de l’URSS, notamment parce que près de quinze mille jeunes hommes y sont morts. Je dois également noter qu’en quittant la RDA, notre armée n’a pas laissé d’armes derrière elle et n’en a donné à personne – emportant toutes les armes avec elle, et détruisant simplement celles qui étaient hors d’usage.
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Mais que l’on nous dise, s’il vous plaît, à qui et pourquoi les Américains ont fait ce cadeau ? Voici par exemple un détail que comprendront ceux qui sont passés par là. Au début des années 50, l’URSS a construit la base aérienne militaire de Bagram, près de Kaboul, avec tout un complexe d’installations et une piste en béton de trois kilomètres capable de recevoir n’importe quelle type d’avion. Pouvez-vous imaginer combien ces constructions nous ont coûté, et ce n’était pas seulement quelque part dans l’immensité de notre Sibérie natale ou de l’Extrême-Orient, mais dans l’Hindu Kush, dans les montagnes d’Asie centrale, à une altitude de près d’un kilomètre et demi au-dessus du niveau de la mer ? (Les plaisantins disent : “Quelle mer ? Il n’y a pas de mer en Afghanistan !”).
Nous l’avons construite, bien sûr, pour nous-mêmes, pour assurer la sécurité du sud de l’Union soviétique et la tranquillité de l’Asie centrale. La base a bien servi notre armée dans les années 80, puis elle a été cédée, gratuitement, aux Américains, qui avaient initialement commencé sa construction, sans alors avoir eu le temps de faire grand chose. La base servait à l’armée de l’air et à l’aviation de transport. Et il y a un mois, le 15 août 2021, elle a été prise par les talibans (mouvement interdit en Russie). Ce paragraphe peut être remplacé par une seule phrase : les talibans peuvent désormais utiliser l’un des meilleurs aérodromes militaires d’Asie centrale, pour s’en servir contre leurs voisins, notamment l’Iran, la Chine et, bien sûr, les pays de la CEI. Ou de manière plus grandiloquente. Le ciel de l’Asie centrale est aux mains d’une organisation terroriste. Fantastique, Herbert Wells peut aller se rhabiller. Les Talibans, ayant conquis presque tout le pays, ayant reçu Bagram et des dizaines de dépôts d’armes modernes, ont commencé à parler presque d’amitié entre les peuples. Et ça ne nous fait rien ?
On dit que les USA ont eu un second Vietnam en Afghanistan. On affirme également qu’en offrant de tels cadeaux aux talibans, les États-Unis ont trouvé un bon allié pour résoudre leurs différends avec la Chine. Est-ce seulement avec la Chine ? Où est la vérité dans tout cela ? Connaissez-vous des cas où les États-Unis ont quitté (décampé de !) quelque part, laissant armes, munitions, etc. aux vainqueurs ?
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Qui sont-ils, ces talibans ? Il y a peu de temps, un mouvement inconnu a pris le contrôle d’un pays qui avait auparavant été presque entièrement occupé par les troupes américaines. Pourquoi cela s’est-il produit ? Se pourrait-il que le service de renseignement américain ait mal travaillé ? Ou est-il plein de traîtres ? Ou cet empire est-il lui-même sur le point de s’effondrer comme tant d’autres ? Ou peut-être que ce n’est pas le cas, que les dirigeants américains ont exécuté un énième plan pour tirer les marrons du feu avec l’aide des autres ? Les talibans se sont développés et ont gagné en puissance lorsque l’Afghanistan était sous le contrôle de facto des États-Unis. N’ont-ils pas remarqué qu’une puissante organisation terroriste se créait sous leur nez ? ! Ou est-ce que le Taliban est leur propre idée et qu’ils font un bon spectacle ensemble (pour qui ?) ? Quelle que soit l’explication que vous préférez, il n’y aura pas de paix… Qui cela arrange-t-il ? Les pauvres d’un pays multiethnique ? Ou ses voisins ? Les ennemis de la Russie ?
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Au début des années 80, on n’entendait pas parler des talibans, mais le mouvement existait. Et s’il ne s’agissait pas d’une coïncidence de noms (ce qui est assez courant en Afghanistan), je connaissais assez bien un taliban – Abdul Samad Qayumi, ministre de l’éducation et militant du Parti démocratique populaire d’Afghanistan dirigé par Babrak Karmal (Karmal est mort à Moscou le 3 décembre 1996). Kayumi a maintenant pris le même poste dans le gouvernement taliban. Il est curieux qu’aussi bien dans le Wazarat pro-soviétique que dans le gouvernement terroriste, que nous n’avons pas encore reconnu, l’enseignement le plus important d’un pays presque entièrement analphabète ait été et soit dirigé par la même personne !
Sans évaluer en aucune façon les perspectives de ce fait, je dois cependant noter que mes relations avec Kayumi étaient agréables et intéressantes, principalement parce qu’il parlait couramment le russe ; sa thèse, intitulée “Perspectives de développement de l’éducation scolaire en République d’Afghanistan”, soutenue à Moscou en 1988, était rédigée en russe. Et, franchement, ce n’est pas une mauvaise chose que le ministre considère la perspective d’une issue à une tragédie nationale comme quelque chose qui ne dépend pas toujours du système étatique. Et ce n’est pas un fait unique. On pourrait citer l’exemple des Français, qui ont chassé Napoléon, mais qui ont conservé jusqu’à aujourd’hui l’École polytechnique et l’École normale, les meilleures universités du monde, qui ont été fondées avec son soutien actif. Je me sens, bien sûr, plus proche de Konstantin Ouchinski, à qui, comme à ses compagnons d’armes et d’autres personnalités de la pédagogie d’avant la Révolution d’octobre, on doit énormément pour la meilleure éducation scolaire au monde, l’éducation soviétique. Et ils étaient, au moins formellement, des figures de la pédagogie tsariste !
Il y aurait beaucoup de choses à méditer, notamment le changement de convictions politiques, de “presque communiste” à “nationaliste-terroriste”. Les citoyens de l’ex-URSS peuvent également donner des exemples de leurs propres “virages idéologiques”…
Le prédécesseur de M. Kayumi, F.M. Yakubi, qui avait à une époque dirigé un ministère spécial chargé des questions frontalières et des tribus, parlait lui aussi un excellent russe. Je sais que de nombreux membres de cette famille, formés en URSS, en Allemagne et dans d’autres pays, ont occupé de hautes fonctions dans le pays sous le PDPA et sont maintenant sous le régime des Talibans. Mais je n’ai encore rien pu savoir sur le sort de Fakir Mohammad, l’un des membres les plus instruits de la famille Yakubi. À un moment donné, il m’a présenté à un groupe de dirigeants âgés de plusieurs tribus pachtounes en tant que conseiller pour aider le pays à éradiquer l’analphabétisme et à dispenser un enseignement moderne des mathématiques. Les chefs m’ont dit que je faisais une bonne action pour Allah et m’ont proposé de visiter les écoles de leurs villages.
La conversation a eu lieu à Kaboul, dans un bureau ministériel. Yakubi a fait remarquer plus tard que si je leur rendais visite, pas un seul cheveu ne tomberait de ma tête, puisque que j’étais leur l’invité. Pourtant, il valait mieux ne pas essayer, car il ne s’agissait pas seulement de chefs tribaux, mais de chefs de tribus pachtounes qui s’étaient rebellés contre le gouvernement et étaient en guerre contre les “Chouravi” (les Soviétiques). Voilà la question. Ils auraient pu me kidnapper, m’emmener au Pakistan et demander une rançon. Or juste avant, F.A. Tabeev, notre ambassadeur en RDA, avait déclaré aux épouses des conseillers civils que si nous acceptons aujourd’hui de verser une rançon pour au moins une des personnes récemment capturées, demain la moitié d’entre elles seront dans les prisons pakistanaises en attendant d’être rachetées…
Et d’ailleurs le ministère dont je viens de parler est bien nécessaire là-bas. Il n’y a jamais eu de recensement digne de ce nom dans le pays. Dans les années 80, on pensait qu’environ 12 à 14 millions de personnes vivaient en Afghanistan, mais des informations récentes font état de 32 millions. Qu’y a-t-il à croire ? 42 % d’entre eux sont des Pachtounes, et en général la situation de ce peuple est une conséquence indiscutable d’un acte britannique qui devrait être qualifié de criminel et dont on devrait parler plus souvent.
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En 1893, des négociations ont eu lieu entre l’émir afghan, Abdur Rahman, et Sir Mortimer Durand, le secrétaire britannique de l’autorité coloniale de l’Inde, qui ont abouti à l’annexion illégale d’une grande partie du Pakistan à l’Inde britannique. M. Durand a tracé sur une carte une frontière (de près de trois mille kilomètres) entre l’Afghanistan et la colonie britannique. La ligne Durand, qui n’est marquée d’aucune façon sur le terrain et n’est pas reconnue par l’Afghanistan, a divisé les tribus pachtounes. Ces tribus ne la reconnaissent pas non plus et elles ne savent pas que les civilisateurs européens ont tracé une ligne à travers le corps du peuple, à travers sa patrie, engendrant l’une des causes des affrontements sanglants actuels. On peut imaginer un État du Pachtounistan (il y a une place du Pachtounistan au centre de Kaboul, et la bannière d’un État inexistant plane au-dessus), et au Pakistan, ils promeuvent l’idée que les Pachtounes vivant en Afghanistan devraient quitter cet État, et créer un nouvel État avec les Pachtounes qui habitent au Pakistan. Mais qu’entendez-vous par “habiter” ? Ils n’ont pas un mode de vie sédentaire, mais nomade, les tribus migrent d’un pays à l’autre en fonction de la période de l’année et de la croissance de l’herbe pour les moutons, principale richesse des tribus. Le résultat est plus de cent ans d’effusion de sang. Remarquez que, pour une autre raison, le sang avait déjà été versé là avant…
Le deuxième groupe le plus important est celui des Tadjiks, qui parlent le dari, l’une des plus belles langues de notre planète, la langue d’Omar Khayyam et de nombreux autres poètes de renommée mondiale. Environ le même nombre de Tadjiks qu’en Afghanistan vit au Tadjikistan, une ancienne république soviétique. Naturellement, le dari (autre nom du farsi, le persan) est l’une des deux langues officielles du pays. Ce qui est moins naturel, c’est que les locuteurs de cette langue sont loin d’être toujours amicaux entre eux.
Et puis, il y a la longue liste de nationalités, de tribus, et un ministère de tutelle est vraiment nécessaire. Des conflits sans fin, des petites et des grandes guerres, des détails assez invraisemblables. Lorsque je me suis étonné des yeux bleus de nombreuses personnes dans la province du Nuristan, on m’a expliqué que, lors de la campagne d’Alexandre le Grand en Inde, l’une des légions n’a pas migré vers l’est à partir de Jalalabad le long de la rivière Kaboul, mais est partie vers le nord le long de la rivière Kunar et est restée bloquée à cet endroit. Les descendants de ces Grecs n’ont pas adopté l’islam, et la région a été appelée Kafiristan (terre des infidèles).
Au milieu du XIXe siècle, le gouvernement central a décidé de remettre de l’ordre. Une grande partie des kafirs sont exterminés, les autres deviennent de fidèles musulmans et la terre reçoit un nouveau nom (“nur” signifie “lumière”). Au pays de la lumière, sur la rivière Kunar, les spécialistes soviétiques ont construit une petite centrale électrique, exploitée par des soldats soviétiques. Avec des écoliers d’Asad Abad, le centre du Nuristan, ils ont été invités à la cérémonie d’ouverture d’un canal de dérivation. Il se trouve que j’ai pris part aux festivités…
Les Nuristanais ont donné naissance à des enfants qui conservent dans leurs traits certains traits génétiques grecs, et la génétique n’obéit pas à la politique.
Ce n’est peut-être pas tout à fait vrai, mais l’histoire d’un autre groupe de la population du pays, les Hazaras, est authentique. Un millier de guerriers mongols (du persan “Hazara” qui signifie mille) sont restés et se sont établis dans l’actuel Afghanistan. Environ deux millions de leurs descendants constituent le troisième groupe national le plus important qui a souhaité créer une république ou un émirat du Hazaristan. Mais le même Abdur Rahman n’aimait pas trop cela et, en 1892, soutenu par les Pachtounes, il noie dans le sang les “Mongols iranisés”. C’est l’une des sources de l’attitude semi-méprisante des Pachtounes à l’égard des Hazaras, mais ces derniers semblent s’être ressaisis et tentent soit de se lier d’amitié avec les Talibans, soit d’espérer tirer les marrons des Khazaras du feu afghan dans les nouvelles circonstances. Mais il est hasardeux d’être ironique, il y a à nouveau une odeur de sang.
Comme c’est souvent le cas avec les peuples opprimés, il y a des personnes exceptionnelles parmi les Hazaras. J’ai eu l’occasion de rencontrer l’un d’entre eux, Sultan Ali Keshtmand, secrétaire et membre du Politburo du comité central du PDPA et premier ministre du gouvernement de la république, qui a été emprisonné à plusieurs reprises et même condamné à mort. Je ne sais pas ce qu’il est devenu maintenant (il est né en 1935, a rejoint le PDPA en 1960 alors qu’il était étudiant à l’université de Kaboul). En 1991, il s’est retiré de la vie politique, en 2003 il a publié à Londres en anglais un livre en trois volumes intitulé “Political Records and Historical Events“.
Dans ce livre, il écrit, entre autres, que l’invasion soviétique de la RDA était la bonne chose à faire. Certains de mes amis, poursuivant cette réflexion, pensent que le camarade Keshtmand a raison, mais que le retrait de nos troupes de la RDA était erroné, comme l’ont prouvé les événements ultérieurs. Certaines personnes à Kaboul semblent le penser aussi. Les troupes ne doivent pas quitter les territoires qu’elles ont occupés. Ou s’agit-il d’une conception dépassée du rôle de l’armée en politique ? Ou cette notion dépend-elle de l’appartenance de l’armée à un État particulier ? Par exemple, les unités de l’armée soviétique devaient être retirées d’Allemagne, ce que les derniers dirigeants soviétiques ont fait. Tandis que certaines parties de l’armée des États-Unis ne doivent pas être retirées, même si l’on dit qu’ils ne sont que cinquante mille et qu’ils ont tous les droits…
Bien sûr, Keshtmand n’a pas été impliqué dans les récents événements, mais le triangle Taliban-Pachtoune-Khazar est une autre source d’instabilité dans la république.
Quelques mots sur le rôle de l’Islam dans tout ce qui se passe seraient utiles. L’unité est ce qui fait le plus défaut ici, et c’est précisément l’Islam qui pourrait jouer un rôle dans les circonstances actuelles. Je ne peux pas spéculer sur la manière dont les sunnites et les chiites peuvent servir la cause de la paix et de la tranquillité dans le pays, mais il existe une autre condition : les Afghans eux-mêmes.
Il y avait des éducateurs afghans dans le département de mathématiques du service des manuels et de la traduction et un vieux bobo-Attik, qui servait cérémonieusement du thé à chacun d’entre nous et tentait d’essuyer la poussière de nos bureaux, une cause désespérée à Kaboul. Le pauvre grand-père analphabète Atticullah était universellement respecté en raison de son grand âge !
Les scientifiques du ministère discutaient souvent et se disputaient, c’est inhérent au processus de création. Mais au final, nous (deux Tadjiks, quatre Pachtounes, un Russe) trouvions toujours un optimum. J’aimerais qu’il en soit ainsi en politique et dans les relations entre les peuples !
Pourquoi tout cela est-il écrit ? Non, je ne peux pas donner une évaluation de ce qui se passe, et encore moins faire des prédictions. Mais il y a du sang qui coule. Et au moins nous, peuple russe, devrions mieux comprendre ce qui s’ensuit et mieux connaître notre propre histoire et celle de nos voisins. Et il est très utile de savoir que lorsque la petite mère Catherine a pris les premières mesures pour établir des contacts avec l’Afghanistan (elle a régné à partir de 1762), les États-Unis en tant qu’État n’existaient pas encore, ils ne sont apparus comme tels qu’en 1776. Maître M. Noderi, l’un des membres de notre équipe, diplômé d’une université en Syrie et participant à de nombreuses conférences internationales sur l’enseignement des mathématiques, a comparé à sa manière les États-Unis et l’Afghanistan. Lors d’une rencontre avec des collégiens américains, on lui a demandé : « Monsieur le maître, les Afghans sont-ils apprivoisés depuis longtemps ? ». Nodery ne s’est pas laissé déconcerter et a répondu que « lorsque vos ancêtres analphabètes s’habillaient encore avec des peaux de bêtes, nous avions déjà Omar Khayyam, le grand poète, dont vous ne savez probablement rien. » Il y a beaucoup de choses à penser, et pour commencer – essayer de comprendre ce qui se passe, d’autant plus que “l’Orient est une affaire délicate”. Malheureusement, même certains citoyens de notre pays sont encore convaincus d’un très faible niveau de culture des anciens Pachtounes. Oui, ils n’étaient pas alphabétisés. Mais ils étaient guidés par des normes et des principes éthiques et humains uniques et élevés, et c’est une erreur dangereuse de ne pas le comprendre.
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Et une association d’idée extérieurement inattendue. En septembre 1943, Julius Fučík, un humaniste exceptionnel, un brillant publiciste, l’un des dirigeants du parti communiste tchécoslovaque, un ami de notre pays, a été pendu par les nazis dans la prison de Plötzensee à Berlin. En juillet 1943, alors qu’il est encore dans la prison de Pankrác à Prague, il rédige “Ecrits sous la potence”, dont le monde entier connaît la dernière ligne :
“Les gens, je vous aimais. Soyez vigilants !” (Lidé, mělj sem vás rád. Bděte !).
Il me semble que cela s’adresse aussi à nous, les gens d’aujourd’hui. Il faut toujours être vigilant, mais surtout lorsque quelque chose d’inquiétant et de sanglant se produit près de nos frontières.
Leo PITCHOURINE
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marsal
Quel texte ! Merci !!!
Papadopoulos G
De moi aussi. Quel texte magnifique!
Bernard Malfon
Cet article est très intéressant.
Etant donné les mensonges dont on nous abreuve, est-ce que les propos de Brzezinski concernant le piège tendu à l’URSS sont sincères ?
Ils ont été donnés après-coup.
Ils ont l’avantage de faire l’impasse de la trahison de la part de Gorbatchev, Eltsine et consorts.
Est- ce que les démocrates afghans n’ont pas fait eux-aussi les frais de cette trahison ?
Qu’en état-il du soutien de la population au gouvernement progressiste ?
Il serait peut-être bon de revenir sur cette façon dont on écrit l’histoire
Il serait bon de relire les reportages de Francis Crémieux publiés dans l’Huma à l’époque. Etait-il trop optimiste ?
La classe politique du PS à l’extrême droite fasciste soutenait des réactionnaires, le féodalisme, le fascisme et ne se repentent pas. Pourtant ce qui s’est passé depuis leur donne tort.