Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Le point sur les résistances étatiques à l’hégémonie néolibérale en Amérique latine, par Xavier Dupret


Introduction

Ce texte émane d’une association d’éducation populaire belge, joseph jacquemotte, dont nous avons déjà souligné l’excellente documentation et le sérieux des publications. Il présente un panorama très explicatif du rôle criminel joué par les Etats-Unis contre les gouvernements d’Amérique latine et de leurs résistances étatiques voir interétatiques comme on le voit aujourd’hui avec la réunion du CELAC pour en finir avec l’OEA. Nous ne publions que l’introduction et laissons le lien vous documenter plus à fond. La lecture de la seule introduction vous expliquera pourquoi je ne pense pas que l’on puisse parler d’ignorance à propos de l’attitude de la gauche française et plus grave celle du secteur international du PCF dans son refus de dénoncer avec des actions à la hauteur ce crime organisé non seulement contre Cuba mais contre tout un continent. Ce qui s’accompagne logiquement de fait d’un soutien voilé à ces mêmes interventions en Syrie et un silence organisé sur ce qui se passe en Asie centrale, le tout avec des campagnes larmoyantes et indignes sur des “héros” fabriqués de toute pièce par les services occidentaux au nom des droits de l’homme. Ce qui s’accompagne tout aussi logiquement d’une attaque mensongère contre la Chine qui s’avère la seule force capable d’affronter les USA sur le plan économique comme la Russie l’est sur le plan militaire. Cette ignorance dans laquelle tous y compris les communistes sont maintenus a un sens, celui d’un soutien idéologique à la politique néo-libérale assortie de pillages et de torture qui est décrite ici. Mais quand les dirigeants des forces politiques de gauche acceptent une telle complicité que faut-il penser de leur capacité à défendre la souveraineté française et les droits des couches populaires. Je vous laisse en juger mais moi mon choix est fait pour imposer depuis 30 ans une telle cécité aux militants de gauche, il faut des naïfs certes mais aussi pas mal de vendus. (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

Xavier Dupret sur les résistances latino-américaines: https://www.acjj.be/le-point-sur-les-resistances-etatiques-a-lhegemonie-neoliberale-en-amerique-latine/


Lorsque les milieux alternatifs évoquent, chez nous, les résistances à l’hégémonie néolibérale au Sud, il est dorénavant usuel de présenter ces initiatives et pratiques comme émanant fondamentalement de la sacro-sainte « société civile organisée ». L’émergence de ce récit a sans doute beaucoup à voir avec le succès de l’entreprise de délégitimation de l’action publique, même dans des milieux de gauche, depuis la restauration néolibérale des années 1980. En tout état de cause et sans vouloir polémiquer inutilement, ce prisme de lecture ne permet pas de décrire comment et pourquoi des Etats, se voulant, ô comble, par les temps qui courent, de l’infréquentabilité politique, souverains, se signalent, depuis des décennies parfois, à l’attention de l’opinion publique internationale par une opposition farouche à l’hégémonie états-unienne. Cette dernière s’est historiquement manifestée pour la première fois en Amérique latine à la suite de la mise en œuvre de la doctrine Monroe par les autorités états-uniennes en 1823. Jusqu’aux années 1980, l’interventionnisme étatsunien a principalement revêtu la forme de soutien ouvert à des putschs militaires dont le moins célèbre n’est pas le pronunciamiento qui a coûté la vie à Salvador Allende au Chili en 1973.

Ce dernier faisait, au demeurant, partie d’un plan plus vaste pour mater les visées « subversives » au sud du Río Grande plus connu sous le nom d’opération Condor. Au milieu des années 1970, des dirigeants des services secrets chiliens, boliviens, uruguayens et argentins se sont réunis afin de définir les modalités d’une coopération internationale destinée à éliminer les foyers d’agitation et de protestation dans la région. Suite à cette rencontre, des opérations d’assassinats ont été organisées un peu partout dans la région. L’histoire a surtout retenu l’exécution à Buenos Aires du général chilien en exil Carlos Prats, considéré comme un sérieux rival par le général Pinochet, alors au pouvoir à Santiago. En 1975, les polices politiques de six pays (Uruguay, Paraguay, Chili Bolivie, Argentine et Brésil), ainsi que ceux, dans une moindre mesure, du Pérou et du Venezuela ont définitivement formalisé les trois piliers de l’opération Condor. Il s’agissait, tout d’abord, de mettre en œuvre une coopération renforcée afin de surveiller les opposants de gauche.

Cet axe de travail comprenait également un échange permanent d’informations entre services de la région, lesquels partageaient une base de données communes. Ensuite, des interventions internationales étaient programmées entre les différents services précités afin de faire disparaître des militants des organisations politiques et syndicales opposées aux juntes militaires. Enfin, un commando spécial a été créé dans le but d’assassiner des leaders d’opinion susceptibles de conduire des mouvements massifs de protestation. C’est de cette façon que fut éliminé à Buenos Aires en 1976 Juan José Torres, l’ancien président bolivien dont les opinions socialistes étaient, par ailleurs, bien connues.

L’opération Condor s’est surtout caractérisée par un niveau de planification, de coordination et d’organisation qualitativement très supérieur aux opérations de déstabilisation conduites auparavant. Ces dernières consistaient, pour l’essentiel, en une pression bilatérale directe de Washington à l’encontre d’un Etat particulier. Par exemple, lorsque les intérêts de la United Fruit Company furent ébranlés en 1954 par la présidence de Jacobo Árbenz, la CIA a organisé une armée rebelle au Guatemala sans passer par le développement de stratégies régionales de coopération. La « gestion » des tensions avec des gouvernements progressistes opposés aux intérêts états-uniens dans la région relevait donc, à cette époque, du cas par cas sans intégration, au préalable, d’une « gouvernance » de la répression.

De ce point de vue, l’opération Condor a représenté une rupture majeure tant et si bien, et c’est le cœur de l’hypothèse que nous exposerons, que le retrait des juntes militaires, durant les années 1980, n’a pas marqué, loin de là, la fin de l’ingérence états-unienne en Amérique latine. Au contraire, il conviendrait de définir les régimes latino-américains contemporains comme des démocraties post-Condor profondément contestées par les mouvements sociaux se voulant porteurs d’une alternative politique. Le niveau de subtilité stratégique et de qualité de la « gouvernance » manifestée, à l’occasion de l’opération Condor, a, une fois passée l’étape de normalisation forcée, permis de mettre en œuvre un système d’asservissement volontaire parfaitement compatible avec les formes de la démocratie libérale.

Les liens de subordination dont il est ici question revêtent tantôt la forme de la dépendance économique (comme la dette extérieure), tantôt celle de mécanismes de sanctions de nature économique mais à visée intrinsèquement politique destinée à isoler un pays et, par conséquent, mettre sous pression son gouvernement. Pour terminer, on relèvera le cas très intéressant de l’organisation de démocraties libérales oligarchiques dont l’ordre constitutionnel empêche l’élaboration de projets de sociétés alternatifs en rupture avec le néolibéralisme. Très schématiquement, l’Argentine appartient assez clairement au premier groupe de pays dont la position périphérique repose sur un ensemble de liens de dépendance, notamment financiers, rendant difficilement concevable, sauf circonstances exceptionnelles, la mise en œuvre d’un contrôle un tant soit peu effectif de l’économique par le politique.
Parallèlement, des Etats comme le Venezuela ou Cuba constituent très nettement, pour leur part, des cibles de choix pour la politique de sanctions des Etats-Unis. Le but de la manœuvre dans le chef de Washington consiste à couper ces pays de débouchés extérieurs pour leurs exportations et/ou compromettre leurs bonnes relations avec des investisseurs potentiels. Les décideurs américains, qu’ils soient démocrates ou républicains, misent sur le fait que les déséquilibres économiques et sociaux résultant de cette mise sous pression seront, in fine, propices à un changement de régime. Enfin, le Chili ou le Pérou appartiendraient davantage au troisième groupe de pays se caractérisant par une forme de constitutionnalisation du néolibéralisme. Voilà pourquoi tant l’émergence du mouvement social chilien d’octobre 2019 que la victoire des forces de gauche au Pérou se sont accompagnées de revendications visant à modifier le droit constitutionnel en vigueur de façon à mettre fin au cycle d’alternances sans alternatives inauguré à la fin des années 1980 et donc, ce faisant, élargir le champ des possibles pour la mise en œuvre de politiques socioéconomiques novatrices et plus inclusives.

Le reflux des gauches en Amérique latine qui avait commencé avec l’élection de Mauricio Macri à la présidence argentine en 2015 semble, pour partie, derrière nous. C’est ainsi qu’au Brésil, Lula fait, pour l’heure, figure de grand favori des sondages pour la présidentielle de 2022. Pour autant, on ne sortira pas trop vite les trompettes thébaines. En effet, résister à l’ordre néolibéral du monde qui s’est imposé à la surface du globe depuis le début des années 1990 implique, dans certains cas, une bonne dose d’isolement, de tensions internes et/ou de sacrifices. C’est le cas des trois pays que cette étude a choisis de passer en revue, à savoir l’Argentine, Cuba et le Pérou.

Tout d’abord, on évoquera la situation, ô combien problématique, de l’Argentine qui subit les affres d’une nouvelle situation de surendettement avec les complications qu’un épisode de ce type occasionne habituellement (rupture avec des sources de financement extérieur, fuite des capitaux, dépréciation de la devise nationale et inflation). Après la victoire de Macri, l’idéologie dominante semblait avoir trouvé une solution aux problèmes de déséquilibres structurels de la balance des paiements du pays. Puisqu’il manquait des dollars sur les comptes de la Banque Centrale de la République d’Argentine (BCRA), il suffisait de retourner sur les marchés pour s’endetter. Afin de rassurer les investisseurs, l’Administration Macri s’est empressée de conclure un accord avec les fonds vautours qui n’avaient cessé de harceler le gouvernement argentin devant les tribunaux depuis 2009. Pour rappel, les fonds vautours désignent des investisseurs d’un genre particulier qui rachètent les dettes de débiteurs en cessation de paiement pour un prix discount. Une fois l’opération réalisée, les fonds vautours se tournent vers les tribunaux dans le but de forcer l’emprunteur défaillant à rembourser la totalité de sa créance en plus d’importants intérêts de retard. L’affaire avait trouvé un dénouement à tout le moins fâcheux, en ce qui concerne Buenos Aires, lorsqu’en 2014, la Cour Suprême des Etats-Unis confirmait la décision d’un juge new-yorkais qui condamnait l’Argentine à devoir capituler devant les exigences des vautours. Pour faire pression sur le gouvernement Kirchner, la justice américaine a alors empêché que les créanciers ayant auparavant accepté les termes de la restructuration puissent être payés. Par ordre de justice, les paiements du gouvernement argentin ont donc été bloqués.

Il est toujours loisible d’affirmer que l’Argentine n’avait pas d’autre choix en 2015 que revenir sur les marchés, vu le profond délabrement de la balance des paiements et la chute vertigineuse des réserves de change du pays. Il n’en reste cependant moins que le démantèlement trop rapide des mécanismes de contrôle des changes opéré sous la présidence de Mauricio Macri a conduit à une accentuation dramatique de la crise économique que traversait, à cette époque, l’Argentine de telle sorte que l’endettement extérieur en dollars est devenu incontrôlable puisqu’il a, en bonne partie, servi à financer l’évasion des capitaux. La laisse de la dette extérieure a, comme c’était fort prévisible, fini par étrangler complètement l’économie argentine. Aujourd’hui, le nouveau gouvernement de centre-gauche s’attèle à se défaire de cet encombrant héritage. Il a déjà réussi à restructurer sa dette auprès des créanciers privés. En revanche, aucun compromis satisfaisant n’a été défini de commun accord avec le Fonds monétaire international (FMI) de telle sorte que la relation de dépendance aux pays centraux est appelée à se maintenir.

De son côté, Cuba vit à l’heure de la pression maximale. Cette dernière, décidée par Donald
Trump, a été récemment renforcée par l’Administration Biden. Le but de cet approfondissement du blocus économique, dénoncé à maintes reprises par les autorités cubaines, vise, comme nous le verrons, à renforcer les effets délétères de la pandémie de Covid-19 sur l’économie du pays qui dépend fortement des rentrées liées au tourisme pour accumuler des réserves de change. Ces sanctions, et le gouvernement américain ne s’en est, d’ailleurs, jamais caché, visent à jeter les bases d’un changement de régime en attisant les frustrations et le mécontentement de manière à éventuellement justifier, en cas de besoin, une
intervention militaire en cas de débordements trop importants. Si ce cas de figures se concrétisait à l’avenir, Washington pourrait alors abattre un important symbole de la résistance à son agenda dans la région. Sur le plan idéologique, cette opération équivaudrait à un profond bouleversement des imaginaires politiques en Amérique latine, ce qui, bien sûr, prédisposera davantage les gouvernements locaux à se montrer plus accommodants envers les revendications des Etats-Unis.

Enfin, dans le cas du Pérou, l’étau qui limite les marges de manœuvre de la coalition de gauche ayant remporté les élections présidentielles de juin 2021 ne tient pas à une coercition directe ni à l’exploitation de déséquilibres économiques. Au contraire, le gouvernement péruvien, bien qu’il soit surveillé de près par Washington, n’a pas (encore ?) eu à subir les affres d’un programme de sanctions. De surcroît, l’économie du pays permet au nouveau gouvernement de compter sur de fort appréciables marges de manœuvre, à commencer par un niveau élevé des réserves de change, qui pourraient, le cas échéant, lui permettre de faire pleinement face aux conséquences de la pandémie.L’utilisation de cette manne nécessite toutefois que la constitution soit modifiée car cette dernière garantit l’indépendance de la banque centrale mais une telle hypothèse n’est pas concevable dans, au préalable, passer par le parlement monocaméral du pays dans lequel les partis de droite détiennent une majorité de siège. En réalité, la constitution péruvienne fonctionne comme une machine à reproduire à l’intérieur de l’enceinte du parlement les mécanismes de domination caractéristiques de la société péruvienne. Les notables achètent les voix des fractions les plus marginalisées du monde populaire et s’assurent du contrôle ad vitam aeternam du pouvoir législatif. Or, comme la constitution accorde un poids important au parlement, la possibilité de procéder à des changements substantiels, notamment en matière de répartition des richesses ou de promotion du rôle de l’Etat dans le développement du pays, à partir du pouvoir exécutif s’en trouve limitée. Pour l’heure, on commencera ce tour
d’horizon des mille et une manières d’encadrer de près la souveraineté des peuples, et aussi des résistances que cette entreprise ne manque heureusement pas de susciter, par l’Argentine et le boulet de son endettement extérieur.

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