Merci à Andrei Doultsev qui nous a sélectionné cet article d’une grande importance historique et qui nous permet de mieux connaitre un des très grands dirigeants soviétiques à travers lesquels on peut mieux comprendre les raisons de ce que les Russes définissent de plus en plus comme le coup d’État qui a détruit l’URSS. Andropov demeure en Russie un des dirigeants les plus populaires. Tout a été dit sur ce coup d’État qu’il aurait été initié par le KGB dont Gorbatchev n’aurait fait qu’exécuter le plan mûri par Andropov, cet article qui nous fait suivre la carrière d’Andropov s’inscrit a contrario d’une telle rumeur mais en revanche il nous met au fait de ce qu’en France et en occident nous ignorons sur ceux qui ont réellement servi une puissance étrangère, les Etats-Unis pour provoquer une fin de l’URSS qui ne relevait d’aucune fatalité ni sur le plan économique, ni sur le plan politique. Un communiste français qui a vécu cette époque ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec l’évolution du PCF, en particulier la montée de jeunes intellectuels proches de Marchais et tenant de l’eurocommunisme. Passionnant. ( merci Andrei et Marianne Dunlop qui a traduit ce texte pour histoire et société)
Du 19 au 23 août 1991, le coup d’État contre-révolutionnaire, qui avait commencé pendant la perestroïka de Gorbatchev a connu son dénouement. Ce coup d’État avait été initié par la “cinquième colonne” bourgeoise, incarnée par Boris Eltsine, parachevant l’œuvre de Gorbatchev : la restauration du capitalisme en Russie.
La Pravda, 25 août 2021
https://kprf.ru/history/party/204896.html
Au cours des trente dernières années, de nombreuses versions des causes de la liquidation de l’État soviétique ont vu le jour. Il existe une théorie de la conspiration selon laquelle la perestroïka contre-révolutionnaire a été conçue par les dirigeants du KGB et que, par conséquent, son maître à penser idéologique était Youri Andropov, dirigeant du KGB pendant quinze ans (de mai 1967 à mai 1982). Nous considérons que cette version ne correspond pas à une approche objective et dialectique de l’analyse et de l’évaluation des faits et phénomènes sociaux de l’époque.
Remarques préliminaires
Mais avant de procéder, selon les mots de Nikolaï Gogol, à l’examen de la question, du cas tel qu’il se présente, faisons trois remarques préliminaires. La première est que l’auteur ne prétend pas être exhaustif dans son étude du sujet. Il l’envisage à travers le prisme des publications accessibles à un large éventail de lecteurs. L’auteur de cet article n’analyse pas les documents d’archives, mais en emprunte un certain nombre, avec sa propre interprétation, à des livres dans lesquels le phénomène Andropov est révélé, à notre avis, de manière complète et objective, tels que “Le KGB et le pouvoir” de F.D. Bobkov, Moscou, 1995 ; “Andropov” par Roy Medvedev, Moscou, 2012 ; “Le paradoxe d’Andropov” d’Oleg Khlobustov, Moscou, 2014. L’auteur a également consulté les discours et articles d’Andropov publiés par la Maison d’édition de littérature politique (Moscou, 1983).
Deuxième observation : L’auteur ne mentionne pas les écrits et les noms des auteurs de la version conspirationniste sur les activités prétendument destructrices d’Andropov, qui ont conduit à la formation d’une “cinquième colonne” dirigée par M. Gorbatchev. Dans leurs rangs se trouvent des gens dignes de respect, y compris certains qui sont décédées. L’auteur estime qu’il serait contraire à l’éthique d’entamer un débat avec ceux qui étaient vivants hier et ne peuvent répondre aujourd’hui. Cela ne signifie pas que l’auteur évite les accusations contre Andropov qui sont les plus typiques de ses détracteurs.
Enfin, troisième remarque préliminaire : la tâche principale de cet article n’est pas d’exposer de manière exhaustive – historiquement, politiquement, économiquement et moralement – l’échec de la théorie et de la politique du complot, mais plutôt de présenter Andropov à un large éventail de lecteurs, les jeunes en premier lieu, comme un homme de son époque compliquée, qui a influencé le développement de son talent pour l’État et déterminé (oui) ses limites idéologiques et théoriques. Le présenter tel qu’il est resté dans la mémoire du peuple – comme un dirigeant exceptionnel de l’État soviétique et du PCUS. Le peuple a encore une description concise et précise de lui, résumée dans les mots simples : “Il y avait de l’ordre sous lui”.
Son comportement dans le contexte des événements hongrois de 1956
Nous pensons que les lecteurs âgés de 20 à 40 ans trouveront intéressant de se familiariser avec le début de la biographie politique de Youri Andropov. Nous allons les présenter brièvement. Il a rejoint le parti à l’âge de 25 ans, en 1939. En 1940, il est élu premier secrétaire du comité central du Komsomol de la République socialiste soviétique de Carélie-Finlande. Pendant la Grande Guerre patriotique, de 1941 à 1944, il est impliqué dans l’organisation de la guérilla en Carélie, participe à la création de la Résistance clandestine dans les territoires occupés. En 1944, il est élu deuxième secrétaire du comité municipal du parti communiste de Petrozavodsk, et en 1947, deuxième secrétaire du comité central du parti communiste de la République socialiste soviétique de Carélie-Finlande, tout cela à l’âge de 33 ans ( !). En 1951-1953, il a été inspecteur du Comité central du Parti communiste (bolchevik) de l’URSS.
Pendant toute cette période, depuis son adhésion au parti communiste jusqu’à sa nomination en 1954 en tant qu’ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de l’URSS auprès de la République populaire de Hongrie, on peut dire qu’Andropov a suivi une école préparatoire pour devenir un politicien professionnel. En 1956, une mutinerie contre-révolutionnaire a eu lieu dans la Hongrie socialiste. C’est dans des conditions extrêmes, lorsque l’ambassadeur d’URSS devait se montrer prêt à une action décisive, que Youri Andropov a montré non seulement son exceptionnel talent naturel, mais aussi son intelligence politique, capable de saisir l’essentiel dans la chaîne dialectique des événements – leur essence de classe. C’est ce qui a défini le jeune homme politique de l’époque (il avait 43 ans) comme un homme politique de grande importance nationale.
Il voyait dans la crise politique en Hongrie avant tout la crise de sa direction politique, sous la houlette de Matthias Rakosi, le premier secrétaire du comité central du Parti des travailleurs hongrois (PTH), qui se prenait pour le Staline hongrois. Rakosi avait depuis longtemps oublié les intérêts, les aspirations et les besoins des travailleurs de Hongrie. Les anciens hortistes, les contre-révolutionnaires, en ont profité pour attirer une grande partie des ouvriers et des employés, des éléments déclassés et subversifs envoyés de l’Ouest. Dans le même temps, Imre Nagy, qui était l’un des dirigeants du PTH, avec une bonne renommée dans le peuple, lorsqu’il a été nommé à la tête du gouvernement hongrois, a mené une politique ambivalente et s’est finalement rangé du côté des rebelles, discréditant ainsi le parti dans l’esprit des masses.
Nagy a exigé le retrait de Budapest du corps d’armée soviétique commandé par le général Lachtchenko. Souslov et Mikoïan, membres du Présidium du Comité central du PCUS envoyés par Khrouchtchev à Budapest, ont d’abord exprimé un désaccord catégorique avec Andropov, qui décrivait la mutinerie dans la capitale hongroise comme revêtant un caractère contre-révolutionnaire et antisocialiste. Ils pensaient que l’ambassadeur soviétique exagérait le danger de ce qui s’était passé, que les dirigeants du Partenariat oriental seraient capables de faire face au conflit et que les choses se calmeraient bientôt. Sur la question du retrait de Budapest du corps commandé par le général Lachtchenko, ils hésitaient. Mais ils se sont rapidement convaincus qu’Andropov avait raison.
Et lui, malgré le désaccord des deux membres du Présidium du Comité central du PCUS, faisant autorité dans la direction politique de l’URSS, a tenu bon : il a prouvé ses dires dans des notes chiffrées envoyées à Moscou. Il le fait même lorsque Souslov et Mikoïan sont encore hésitants, et que le général Lachtchenko est prêt à retirer ses troupes de Budapest. « Nos troupes, dit-il, doivent être retirées de la ville, car elles sont essentiellement inactives ». Andropov a objecté catégoriquement : « Quoi, laisser le pouvoir du peuple, les communistes et les patriotes aux prises avec la contre-révolution? » La réponse du général n’est pas moins catégorique : “Qu’ils se défendent eux-mêmes et défendent leur pouvoir eux-mêmes. Nous ne devons pas nous battre pour eux. Que ceux qui le souhaitent repartent avec nous.” “Les Soviétiques partiront“, a déclaré Andropov, “et demain les États-Unis et leurs alliés seront ici. Nous devons vaincre les unités armées rebelles à Budapest, et tout se calmera.”
Défendre les intérêts nationaux socialistes de l’Union soviétique et les intérêts du socialisme mondial contre ses ennemis de classe internes et externes, en d’autres termes, contre le socialisme et l’impérialisme – tel était le credo de toute l’activité politique d’Andropov. C’est ce qui définissait l’essence de sa personnalité.
Mais revenons aux événements tragiques de Budapest à l’automne 1956. L’un des leaders faisant autorité dans le Parti et dans le peuple, János Kádár, avec le soutien de ses partisans, a réussi à faire admettre la décision de dissoudre le Parti des travailleurs hongrois le 30 octobre 1956. Le lendemain, il est officiellement annoncé qu’un nouveau parti, le Parti socialiste ouvrier hongrois (PSOH) dirigé par Janos Kádár, va être créé. Cependant, Imre Nagy est inclus dans sa direction, au sein du comité exécutif, ce qui laisse espérer une résolution pacifique de la “question hongroise”. Moscou décide de retirer les troupes soviétiques de Budapest. Ils quittent la capitale de la Hongrie et se positionnent à 15-20 kilomètres de la ville. Imre Nagy jette le masque du champion du socialisme et expose le visage du contre-révolutionnaire – il annonce la dissolution des organes de sécurité de l’État hongrois. Un pogrom commence dans les locaux où les tchékistes hongrois étaient stationnés. Ceux qui n’ont pas eu le temps de partir ont été assassinés. Afin d’intimider les habitants de la capitale, les officiers du KGB sont battus et pendus la tête en bas. Bientôt, les bâtiments du comité du parti de la ville sont saccagés. Au même moment, le personnel du comité du parti et les soldats hongrois qui les gardaient sont brutalement assassinés.
Les monuments aux soldats soviétiques sont détruits. Une bacchanale sanglante a englouti Budapest. Le seul centre de protection et de secours pour toutes les personnes persécutées par les mutins à ce moment terrible était l’ambassade soviétique, gardée par des chars et un détachement de parachutistes. Cependant l’ambassadeur soviétique n’est pas resté enfermé dans son bureau, mais parcourait la ville dans sa voiture, qui avait été mitraillée plus d’une fois, secourant ceux qui pouvaient encore l’être. Andropov a réussi à évacuer le personnel diplomatique tant des pays bourgeois que des pays socialistes,ainsi que leurs familles vers les installations militaires soviétiques.
Il avait raison dans son évaluation des événements survenus en Hongrie en 1956. Il avait raison non seulement dans l’évaluation même de la contre-révolution, mais aussi en prouvant la nécessité d’une action décisive urgente, c’est-à-dire que la direction soviétique devait montrer sa volonté politique sans délai. La détermination et la volonté politique, toujours associées à un haut degré de responsabilité, seront la marque du phénomène Andropov lorsque son rôle dans le destin de l’URSS sera accru. Nous y reviendrons plus tard. Nous nous contenterons de noter que ces caractéristiques apparaîtront au grand jour en 1968 lors des longs événements antisocialistes en Tchécoslovaquie, connus sous le nom de “Printemps de Prague”.
Mais revenons une fois de plus à la question hongroise. Le matin du 1er novembre 1956, le maréchal Konev est convoqué chez Khrouchtchev. Lorsqu’on lui a demandé combien de temps il faudrait aux troupes du Pacte de Varsovie pour vaincre les forces contre-révolutionnaires en Hongrie et y rétablir l’ordre, le maréchal a répondu : “Trois jours, pas plus.” L’hésitation au sein du Présidium du Comité central n’avait plus cours. La décision est prise d’envoyer des troupes en Hongrie. À l’époque, Konev était le commandant en chef des forces armées conjointes des États membres du Pacte de Varsovie. En trois jours, du 4 au 7 novembre, comme avait prédit le maréchal, les principales forces contre-révolutionnaires en Hongrie étaient réduite à néant.
Une touche finale au portrait
L’ambassadeur soviétique en Hongrie, Youri Andropov, a été apprécié par Moscou. En 1957, il est nommé chef du département du Comité central du PCUS chargé des relations avec les partis communistes et ouvriers d’Europe de l’Est, ainsi qu’avec le Parti communiste chinois (PCC), les partis communistes de Corée du Nord, du Nord-Vietnam, du Laos et du Cambodge, et après 1959 – avec le Parti communiste de Cuba. Yuri Vladimirovich a visité tous les pays d’Europe de l’Est. En 1957-1961, nous pouvons dire que seuls les voyages en Tchécoslovaquie et en Bulgarie n’ont posé aucun problème. Il a toujours eu des liens amicaux avec Janos Kadar.
Quant aux autres pays et à leurs partis communistes et socialistes au pouvoir, leurs relations avec l’Union soviétique et le PCUS ont laissé, comme on dit, beaucoup à désirer. En particulier, les relations avec les dirigeants de l’Albanie et de la Roumanie, de plus en plus enclins à soutenir le Parti communiste chinois, étaient compliquées, et ce dernier avait déjà suivi la voie de la confrontation idéologique avec le PCUS, après la “révélation du culte de la personnalité de Staline” lors de son 20e congrès (1956).
La situation socio-politique en RDA, comme on dit dans le langage de la diplomatie politique, n’était pas non plus facile. Tout cela exigeait d’Andropov qu’il fasse preuve de circonspection et de prudence dans son activité politique professionnelle, en particulier vis-à-vis du parti au pouvoir et de l’intelligentsia. Et il n’a pas déçu les attentes.
En témoigne, notamment, sa note au Présidium du Comité central du PCUS sur la question allemande du 25 août 1958. Il déclarait : « Le département du Comité central du PCUS dispose des données selon lesquelles, ces dernières années, le départ d’intellectuels de la RDA vers l’Allemagne de l’Ouest a considérablement augmenté… Le nombre d’intellectuels partant pour l’Occident a augmenté de 50% par rapport à l’année dernière… La république commence déjà à ressentir une pénurie aiguë de divers spécialistes, d’intellectuels techniques et surtout de médecins. Il convient de noter que parmi ceux qui partent pour la RFA, il y a de nombreuses personnes qui étaient auparavant fidèles au système de démocratie populaire et à la politique du SED (Parti socialiste unifié d’Allemagne – Y.B.).La direction du SED explique les raisons pour lesquelles les intellectuels ont quitté la RDA par le niveau de vie plus élevé en Allemagne de l’Ouest. Cependant, il ressort clairement des déclarations des transfuges eux-mêmes que leur départ n’est pas tant motivé par des raisons matérielles que par des raisons politiques. De nombreux spécialistes, qui étaient payés 4 à 5 000 marks chacun, bénéficiaient de bonnes conditions de logement et avaient parfois leur propre voiture, ont quitté la RDA … Comme le montrent un certain nombre de rapports allemands, la principale raison du départ des intellectuels vers l’Ouest est que de nombreuses organisations du SED ne traitent pas correctement les travailleurs intellectuels, ne prennent pas en compte leurs besoins et leurs demandes, ce qui accroît leur mécontentement … Au lieu d’un travail constant et minutieux avec les intellectuels, les organisations de base du parti, notamment dans les universités de Rostock, Berlin, Iéna, Halle et Leipzig, se permettent d’édicter des ordres grossiers et d’élever la voix. Des distorsions et des erreurs particulièrement inacceptables existent dans l’attitude des organisations de base du parti vis-à-vis de l’ancienne intelligentsia, dont la strate est très importante en RDA. De nombreux travailleurs du SED ont tendance à considérer tous les membres de l’ancienne intelligentsia comme des conservateurs, peu désireux de participer à la construction socialiste… Étant donné que la question des travailleurs intellectuels quittant la RDA pour l’Ouest est devenue particulièrement aiguë, il serait souhaitable d’avoir une discussion avec le camarade Ulbricht, profitant de son séjour en URSS, pour lui exprimer nos craintes sur la question… ».
La conversation avec le camarade Ulbricht sur cette question a eu lieu, mais aucune mesure concrète n’a été prise. La négligence des travailleurs intellectuels a eu des conséquences très fâcheuses. La plupart d’entre eux ont salué la destruction du mur de Berlin en 1989…
A notre avis, dans la note citée adressée au Présidium du Comité central du Parti, Andropov a soulevé une question dans un sens plus large que celui de l’attitude du SED envers l’intelligentsia allemande. C’était et c’est toujours une question d’attitude des communistes envers l’intelligentsia, y compris l’intelligentsia active de la production scientifique et technologique moderne. Dans sa note, Youri a exprimé la nécessité de la circonspection et de la prudence que Lénine avait à l’esprit lorsqu’il a dit que les masses devaient être approchées avec une patience particulière, « pour atteindre avec le minimum de friction l’élévation des masses à une étape supérieure dans la relation culturelle et politique. »
L’intelligentsia est la partie la plus sensible et la plus hésitante des masses ouvrières, avec des tendances petite-bourgeoisies. À cet égard, l’avertissement cité de Lénine est plus pertinent que jamais. Il présuppose, en particulier, l’intellectualité de la direction du Parti elle-même. Yuri Vladimirovich Andropov la possédait-il ? Sans aucun doute, et autant qu’il était possible. Il était l’exemple classique de l’intellectuel soviétique, qui avait hérité de générations de révolutionnaires prolétariens russes le désir incessant d’auto-formation selon Marx et Lénine, de sacrifice de soi au nom de la cause commune – la reconstruction révolutionnaire socialiste de la société.
Il a éduqué en lui sa conscience,son sens du devoir, de sa responsabilité envers le parti qui lui a confié la tâche d’accomplir le destin de la Patrie socialiste, jusqu’aux derniers jours de sa vie. Il n’est pas exagéré de le dire. Déjà la mort lui faisait ses grimaces, et lui, incapable de se lever de son lit d’hôpital, dictait le texte de son discours au Plénum du Comité central du Parti. La thèse principale de son discours était la responsabilité des membres du Comité central envers le parti et le peuple.
Érudit, possédant une culture générale immensément riche et une excellente connaissance de la théorie marxiste-léniniste, Youri Andropov connaissait et comprenait bien la littérature classique russe et mondiale, ainsi que la littérature moderne soviétique et étrangère. Il était musicien et composait librement des poèmes d’un niveau poétique assez élevé.
Mais le plus important, c’est qu’il connaissait les besoins et les aspirations des travailleurs soviétiques ordinaires et qu’il n’a pas ménagé ses efforts pour répondre à ces besoins et à ces aspirations. Il a travaillé pour le bien commun, sans épargner sa vie. Il était un ascète, ne permettant ni à lui-même, ni à sa famille de posséder plus que le salaire du poste qu’il occupait. À cet égard, il était extrêmement scrupuleux.
“C’est une véritable image d’Epinal, toute une hagiographie d’Andropov que vous peignez là ! Une sorte d’absolu intellectuel et moral”, nous diront probablement ses détracteurs. Et les critiques de l’ultra-gauche et des ultra-patriotes vont inévitablement ajouter : “N’a-t-il pas formé, dans le département du Comité central qu’il dirigeait, la cohorte des jeunes libéraux qui se sont fait connaître pendant l’ignoble perestroïka de Gorbatchev et au-delà ?”. “N’était-il pas le parrain du traître Gorbatchev ? “.
En fait, à la fin des années 1950 et au début des années 1960, Andropov a invité un groupe de jeunes intellectuels : philosophes, économistes, avocats, politologues dans son département. C’est dans son département que les futurs collaborateurs de Gorbatchev, Yakovlev puis Eltsine – Arbatov, Bovine, Chakhnazarov, Burlatsky et d’autres – ont commencé leur carrière au sein du parti en tant que conseillers et consultants. Tous étaient des enfants du “dégel” de Khrouchtchev, des enfants du 20e congrès du PCUS, qui a retiré de l’ordre du jour l’idée principale du marxisme – l’idée de la dictature du prolétariat, ce qui a essentiellement poussé le PCUS sur la voie du révisionnisme, et donc, de l’opportunisme.
La proclamation de l’URSS en tant qu’État-nation et, par conséquent, de la démocratie soviétique en tant que démocratie d’État-nation a représenté un rejet de la nature de classe de l’État et du rôle dirigeant, au sens de révolutionnaire, de la classe ouvrière dans l’achèvement de la construction du socialisme en URSS, jusqu’au communisme. Khrouchtchev et Brejnev ont continué à parler de ce rôle, mais de moins en moins fréquemment.
Les jeunes intellectuels dans l’appareil du Comité central du PCUS
Comment Yu. V. Andropov a-t-il adopté le nouveau credo idéologique du PCUS ? En tant que soldat discipliné du parti. Comme, à quelques exceptions près (Molotov et un cercle étroit de ses associés), elle a été acceptée par l’écrasante majorité du Parti – en silence et presque sans réticence. Pendant l’ère Khrouchtchev, des changements importants ont eu lieu dans la vie idéologique et culturelle de la société soviétique. Les bureaucraties soviétiques et du parti, ainsi que la petite bourgeoisie soviétique avec sa demi-intelligence et sa psychologie de la propriété privée, n’étaient plus considérées comme des classes étrangères au socialisme. Ils étaient décrits comme de simples reliques du passé, qui allaient disparaître au fil du temps. La réflexion idéologique n’a pas été orientée vers la découverte des raisons de leur persistance et du danger pour la société découlant de leur simple présence.
Oui, la vie avançait. Il y a eu des projets de construction grandioses du siècle. Il y avait les terres vierges et le dévouement des jeunes dans les équipes de construction étudiantes. De jeunes physiciens se sont également sacrifiés pour la science. Cependant, la bourgeoisie de l’intelligentsia sous la forme du Komsomol et le carriérisme du parti sont devenus de plus en plus évidents parmi les jeunes. Il était particulièrement actif dans la sphère des sciences humaines : dans les sciences sociales, le journalisme, et en partie dans l’art. Là-bas, l’époque du “dégel” de Khrouchtchev a donné naissance à toute une armée de “héros” de la perfide perestroïka – des noms odieux de démocrates libéraux. C’est compréhensible : l’idée même qui a été annoncée au monde entier comme un mot nouveau dans le marxisme – l’idée d’un État du peuple tout entier et d’une démocratie du peuple tout entier – était libérale. Le 22e congrès du parti communiste de l’Union soviétique a donné le feu vert au libéralisme. Stimulé par l’antistalinisme, il ne tarde pas à se manifester : il trouve une forme d’expression dans la dissidence antisoviétique.
Ainsi, les jeunes intellectuels engagés par Andropov dans son département étaient typiques de leur époque. Des jeunes carriéristes partageant les mêmes idées ont également été engagés comme conseillers et consultants dans l’appareil des départements dirigés par B. Ponomariov et L. Illichov, secrétaire du Comité central du PCUS et président de la Commission idéologique du Comité central du PCUS. C’est là qu’interviennent les célèbres Y. Krasin et Y. Karyakin. Bientôt, les mêmes G. Arbatov, A. Bovine, F. Burlatsky et d’autres sont allés travailler comme conseillers du secrétaire général du Comité central du PCUS, Léonid Brejnev. Il les appelait affectueusement : “mes sociaux-démocrates”.
Ce n’est pas la volonté d’Andropov, mais le processus objectif de recrutement de jeunes intellectuels carriéristes dans l’appareil du Comité central qui a commencé à former la génération libérale qui a servi les hauts dirigeants du parti dans le pays. Quant à Andropov, il a utilisé de jeunes philosophes, économistes, politologues et journalistes pour injecter de la créativité dans la rédaction des documents du Parti. Il leur a donné un vote consultatif, en gardant pour lui le vote décisif. Ils savaient que travailler avec lui, c’était reconnaître de plein gré sa dictature.
C’est ainsi que Fiodor Burlatsky, de qui Andropov s’est séparé de manière assez brutale, décrit son style de direction du travail collectif : « J’ai rapidement acquis la conviction que quel que soit le texte que vous apportiez, il le réécrirait toujours du début à la fin de sa propre main, en soupesant chaque mot par lui-même. Tout ce dont il avait besoin, c’était d’un matériau primaire solide avec un ensemble de toutes les composantes nécessaires, tant sur le fond que sur la forme. Andropov convoquait alors plusieurs personnes dans son bureau, nous faisait asseoir à une longue table, enlevait sa veste, s’asseyait lui-même sur une chaise et prenait un stylo dans ses mains. Il lisait le document à haute voix, essayant chaque mot, invitant chacun d’entre nous à participer à l’édition, ou plutôt à la réécriture, du texte. Cela se faisait de manière collective et plutôt chaotique, comme une vente aux enchères. Chacun pouvait proposer son propre mot, une nouvelle phrase ou une pensée. Y.V. acceptait ou rejetait les propositions…. Il aimait le travail politique intellectuel. Il aimait tout simplement participer personnellement à la rédaction des discours et diriger le processus de maturation de la pensée et de la parole politiques ».
Après le 28e congrès du PCUS (1966), Andropov quitte le groupe des jeunes intellectuels.
L’émergence d’une crise au sein du PCUS
En mai 1967, le Politburo du Comité central du PCUS nomme Youri Andropov président du KGB auprès du Conseil des ministres de l’URSS. Plus tard, Yuri Vladimirovich obtiendra un statut plus élevé pour son agence – le KGB de toute l’URSS. Il occupera ce poste à haute responsabilité pendant 15 ans, jusqu’en mai 1982. Aucun de ses prédécesseurs n’avait dirigé la principale agence de sécurité du pays aussi longtemps, et c’est sa nomination à un statut politique plus élevé, celui de secrétaire du comité central du PCUS pour l’idéologie, qui a mis fin à sa carrière dans les services de sécurité.
Andropov y est parvenu principalement parce qu’il ne faisait partie d’aucune des factions qui existaient au sein du Comité central et du Politburo et qui se disputaient l’influence sur le Secrétaire général du Comité central du Parti. Brejnev, qui lui avait offert le rôle de chef du KGB, en était parfaitement conscient, tout comme le fait qu’Andropov était intelligent, honnête et un excellent organisateur, et non un carriériste.
Nous ne parlerons pas des opérations spéciales de renseignement et de contre-espionnage menées par le KGB sous la direction d’Andropov, car nous sommes incompétents en la matière. Nous ne pouvons que constater que Youri, avec son grand talent politique, saisissait rapidement l’essentiel des dossiers qui lui étaient confiés et, montrait une capacité à être proactif dans sa nouvelle fonction. C’est lui qui, en 1974, est à l’origine de la création d’une unité antiterroriste ultra secrète, baptisée “Alpha”. Quelques années plus tard, sur proposition du major-général Drozdov, soutenu par Andropov, le groupe de sabotage et de reconnaissance “Vympel” a été créé, qui n’avait pas d’égal.
Il convient de noter que le premier commandant du groupe “Alpha”, V. Bubenin, a déclaré à propos d’Andropov dans une interview : « Yuri Vladimirovich Andropov, en tant que président du KGB, avait à plusieurs reprises averti les dirigeants du pays que les attaques et les groupes terroristes n’étaient pas seulement une caractéristique de l’Occident. Nos citoyens peuvent également être affectés. Mais à cette époque, vous savez, je n’y croyais pas ». La réalité a prouvé le point de vue d’Andropov. Mais il y avait déjà “Alpha”… A la question “quelle est votre impression de cet homme ?” – V. Bubenin a répondu : « Bien sûr, c’est une personnalité. C’est un homme de grande connaissance et de haute culture ».
C’est précisément parce que Yuri Vladimirovich Andropov était un homme de haute culture (il s’est distingué dans la direction du pays) qu’il était prêt à prendre les devants pour aborder une question bien plus complexe et difficile que le terrorisme – la confrontation idéologique entre le socialisme international dirigé par l’URSS et l’impérialisme international dirigé par les États-Unis. Une confrontation à la vie à la mort, dans le vrai sens du terme.
Soyons francs : Andropov parlait de la confrontation de classe entre le Travail et le Capital, bien qu’il ne fonctionnait pas avec de telles notions. Mais ce dont il parlait était en conflit avec la définition de l’URSS en tant qu’État-nation, car ce qu’il disait exigeait une politique inhérente à l’État de la dictature de la classe ouvrière, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Nous pensons que cette circonstance ne pouvait que constituer un drame intellectuel pour l’esprit dialectique du président du KGB de l’URSS.
Pour prouver qu’il était guidé par une approche strictement orientée vers les classes (sans aucune illusion abstraitement humanitaire ou pan-démocratique) dans l’analyse et l’évaluation de la confrontation entre les deux systèmes sociaux, nous citerons plusieurs extraits du rapport d’Andropov du 27 avril 1973 au Plénum du Comité central du PCUS qui l’a élu au Politburo du Comité central du Parti.
Nous citons : « Les forces impérialistes fondent de grands espoirs sur les activités subversives menées par les patrons impérialistes par le biais de leurs services spéciaux. L’une des instructions secrètes des services secrets américains à ce sujet dit expressément : “Nous ne nous contenterons pas de prêcher l’antisoviétisme et l’anticommunisme à long terme, mais nous nous occuperons de promouvoir des changements constructifs dans les pays du socialisme. De quel genre de “changements constructifs” parlons-nous ? La réponse à cette question se trouve dans la déclaration d’un officier de renseignement américain, l’un des responsables du Comité Radio Liberty. Il y a peu de temps, lors d’une conversation avec notre source, cette personne a déclaré : “Nous ne sommes pas en mesure de prendre le contrôle du Kremlin, mais nous pouvons former des personnes capables de le faire et préparer les conditions dans lesquelles cela sera possible… .
…Les impérialistes sont très contrariés par l’absence d’opposition dans le pays, de sorte que divers centres de subversion et de propagande de l’Occident tentent par tous les moyens d’en créer une…
…Les subversions idéologiques (c’est le point principal du rapport. – Y.B.) sont menées sous diverses formes : des tentatives de création de groupes clandestins antisoviétiques et des appels directs à renverser le pouvoir soviétique (il y en a aussi) aux actions subversives menées sous la bannière de “l’amélioration du socialisme”, pour parler franchement “à la limite du légal”.
Nous avons rencontré cette dernière version dans la perestroïka de Gorbatchev : “Plus de démocratie – plus de socialisme ».
Il est important de mentionner que deux mois après la nomination d’Andropov à la présidence du KGB, le 17 juillet 1967, à son initiative, le Bureau politique du Comité central du Parti communiste de l’Union soviétique a décidé de créer un 5e département indépendant sur la lutte contre le sabotage idéologique de l’ennemi au sein du KGB. Ce fait prouve que l’organe suprême de la sécurité de l’État était dirigé par un homme à la pensée étatique de grande envergure. Le danger du sabotage idéologique en tant que principal instrument de destruction de l’URSS de l’intérieur était perçu par Yuri Vladimirovich de manière plus aiguë et plus forte que par de nombreux membres du Comité central et du Politburo. On pourrait dire que dans un certain nombre de ses appels à ces organes de la direction politique du pays, on pouvait entendre le cri du cœur.
Voici un court résumé de l’un d’eux, daté du 24 janvier 1977, qui a été rendu public en juillet 1991 lors d’une session à huis clos du Soviet suprême de l’URSS, alors qu’il était trop tard – ceux dont on parlait étaient au pouvoir :
« Sur les plans de la CIA pour acquérir des agents d’influence parmi les citoyens soviétiques.
Selon des informations fiables reçues par le Comité de sécurité de l’État, la CIA américaine, sur la base des analyses et des prévisions de ses experts sur la voie future de l’URSS, a récemment élaboré des plans pour intensifier les activités hostiles visant à dégrader la société soviétique et à désorganiser l’économie socialiste. À cette fin, les services de renseignement américains étaient chargés de recruter des agents d’influence parmi les citoyens soviétiques, de les former et de les promouvoir ultérieurement à la direction politique, économique et scientifique de l’Union soviétique.
La CIA a développé des programmes pour la formation individuelle des agents d’influence, prévoyant l’acquisition de compétences d’espionnage, ainsi que leur traitement politique et idéologique ciblé. En outre, l’un des aspects les plus importants de la préparation de ces agents est l’enseignement des méthodes de gestion dans la direction de l’économie nationale …
… Selon les responsables du renseignement américain appelés à traiter directement avec de tels agents parmi les citoyens soviétiques, le programme actuellement mis en œuvre par les agences de renseignement américaines favorisera des changements qualitatifs dans différentes sphères de la vie de notre société, et surtout dans l’économie, ce qui conduira finalement à l’adoption de nombreux idéaux occidentaux par l’Union soviétique ».
Oleg Khlobustov, l’auteur d’une biographie importante d’Andropov, a noté à juste titre : « Le clairvoyant Andropov amenait la direction du parti, avec cette lettre, à prendre la décision de lever les interdits concernant la gestion des cadres dirigeants. Mais le “syndrome de 1937” a fermement retenu les dirigeants du parti… Le Comité central du Parti n’a pas tenu compte de l’avertissement, pas plus que beaucoup d’autres. Le processus d’émergence d’une “cinquième colonne” en URSS a alors commencé à plein. Hélas, l’espoir du président du KGB que les hauts dirigeants du parti comprendraient son appel comme une mise en garde contre la menace de nourrir des agents d’influence bourgeoise en Union soviétique et dans le PCUS et obligeraient le Comité de sécurité de l’État à prendre en considération les dirigeants du parti dont le comportement indiquait depuis longtemps qu’ils étaient déshonorants et malhonnêtes n’a pas été exaucé ».
Naturellement, cela se ferait dans le strict respect de la légalité socialiste. A cela s’ajoute la stagnation complète de la sphère idéologique. La crise du PCUS était sur le point de se produire..
…Cependant, le Politburo vieillissant s’accroche au pouvoir, exploitant le penchant de Brejnev, malade, pour l’équilibre politique et la paix. Le cher Leonid Ilyich, qui n’est plus l’homme politique énergique et réfléchi qu’il avait été lors de la signature de l’Acte final de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (août 1975), a été enveloppé dans une flatterie débridée, imposant un culte de la personnalité caricatural et le protégeant des informations sur l’état réel des affaires dans le pays et les menaces réelles pour l’État soviétique.
La guerre froide n’était pas perçue comme une menace pour l’existence du système soviétique : l’essentiel est que nous ayons la parité militaire avec les États-Unis, et qu’il n’y ait donc pas de guerre ” chaude “. C’était la logique des personnes qui occupaient une position très élevée dans l’État et le parti. Non seulement les dirigeants, mais l’ensemble de la société soviétique, étaient convaincus que le pouvoir soviétique avait été conquis pour toujours en 1917.
Comprendre ce qu’il faut faire et comment le faire pour éloigner le pays du désastre, être prêt à protéger l’État soviétique de la menace d’un sapement de l’intérieur s’il était au sommet de la direction politique, et son incapacité à prendre les mesures nécessaires pour y parvenir, voilà le drame de Yuri Andropov. Il a été, malgré lui, le témoin et le complice de la désinvolture politique des autorités du Parti sur l’Olympe, ainsi que le témoin involontaire de la décadence due à cette désinvolture aux échelons supérieurs (Comité central et Politburo) et moyens (au niveau des oblasts, des villes et des districts) de ce pouvoir.
Oui, tout le monde n’a pas succombé à la tentation de la cupidité et du copinage de la bureaucratie bourgeoise, mais, inutile de le dire, beaucoup n’ont pas tenu le choc. Lors de la perestroïka frauduleuse, la trahison dans les rangs de l’élite du parti n’était pas un cas isolé, mais un phénomène de masse. Les renégats du parti ont rapidement rejoint les rangs de l’avant-garde de la “cinquième colonne”. Aujourd’hui, ils sont dans les rangs de Russie unie.
Andropov, mieux que quiconque, était en mesure de voir le principal signe de la décomposition (ou de la mutation) de l'”élite” soviétique et du parti, tant au niveau supérieur que local. A ne pas confondre avec la véritable élite du parti et de la société, qui avait créé avec les masses et pour les masses de travailleurs la grande civilisation soviétique. Et ce signe était la rupture avec les masses, avec les besoins et les intérêts des masses laborieuses en premier lieu, dont l’humeur sociale décide de tout en politique.
Tous les six mois, Andropov envoyait des notes au Comité central du PCUS, comme celle qu’il a adressée aux membres du Comité central le 6 mai 1968. Elle disait : « Selon les informations dont dispose le Comité de sécurité de l’État, en 1967 et au début de 1968, il y a eu des cas d’absentéisme collectif et de refus de travailler de groupes individuels, de brigades et d’équipes de travailleurs dans certaines régions du pays… .
…Les enquêtes montrent que les causes d’une telle série de manifestations sont principalement de graves lacunes dans la gestion du travail, l’attitude désinvolte de certains directeurs d’usine et des organisations syndicales face aux besoins et aux demandes des travailleurs…..
…Comme le montrent les faits, les mesures prises sur le terrain sont encore insuffisantes pour éliminer les causes de ces phénomènes, qui ont un effet négatif sur la discipline du travail, donnent lieu à des situations indésirables et peuvent être utilisés par des éléments provocateurs et hostiles à des fins criminelles.
Le Comité de sécurité de l’État jugerait opportun, après avoir étudié cette question, de l’examiner au sein du Comité central du PCUS ».
Cependant, ces grèves spontanées dans diverses régions du pays n’ont pas suscité d’inquiétude sérieuse au Politburo et au Comité central du PCUS. Elles n’ont pas non été l’objet de réflexion au sein du Comité central du PCUS.
Sur la dissidence, les dissidents et les intellectuels
En considérant la question du sabotage idéologique contre l’URSS, on ne peut ignorer la question de l’attitude d’Andropov envers les dissidents et la dissidence. Il considérait la dissidence comme un phénomène étranger et nuisible au système soviétique qui devait être combattu de front. Le chef du KGB considérait chaque dissident individuellement en se basant sur le type de personne qui devenait dissident : était-il honnête et correct ? A-t-il accepté les idées dissidentes par délire ou par conviction ? Était-ce dû à l’indifférence, voire la grossièreté, de ses supérieurs face aux critiques qu’il formulait sur ses lacunes, ou leur indifférence face à l’injustice qu’il avait commise envers lui et ses proches ? Et ainsi de suite.
Yuri Vladimirovich a enseigné aux tchékistes une approche concrète pour évaluer une personne spécifique. Il leur a appris à travailler avec les dissidents, guidés exclusivement par les intérêts de la sécurité de l’État. Si une personne s’oppose consciemment à ces intérêts, il ne peut y avoir aucune indulgence dans les mesures prises à son encontre (dans les limites de la légalité socialiste).
Un exemple de l’attitude politique de principe d’Andropov à l’égard de certains dissidents est sa réponse à l’appel de l’académicien Piotr Kapitsa, qui avait pris la défense de l’académicien Sakharov et de son associé Orlov.
En particulier, Piotr Kapitsa écrit à Yuri Andropov : « En réalité, l’activité créative est généralement mal accueillie, car dans sa masse, les gens sont conservateurs et aspirent à une vie tranquille. En conséquence, la dialectique du développement culturel humain est en proie à une contradiction entre le conservatisme et la dissidence… Nous n’avons rien obtenu en renforçant la pression sur Sakharov et Orlov. En conséquence, leur dissidence ne fait qu’augmenter… N’est-il pas préférable de simplement faire machine arrière ? »
Réponse du président du KGB à l’académicien : « La première question est de principe. Elle concerne l’évaluation de la dissidence… Si je comprends bien, vous soulevez une question philosophique sur le rôle des idées dans le développement de la société. Si tel est le cas, il serait évidemment plus correct de parler du rôle des idées avancées et réactionnaires… En tant que communiste, je n’accepte naturellement qu’une approche concrète de toute idée et de tout phénomène politique ou culturel et je ne peux les évaluer qu’en fonction de leur caractère progressiste ou réactionnaire…
…Depuis 1968, l’académicien Sakharov a systématiquement mené un travail subversif contre l’Etat soviétique. Il a préparé et diffusé à l’Ouest plus de 200 documents différents, qui contiennent des falsifications et des calomnies flagrantes sur la politique intérieure et extérieure de l’Union soviétique … Comme vous pouvez le constater, il ne s’agit pas d’une “dissidence”, mais d’une action qui porte atteinte à la sécurité et à la capacité de défense de l’Union soviétique … La question de savoir s’il est nécessaire de faire, comme vous le dites, “machine arrière” en la matière, ressort de ce qui a été dit plus haut. »
L’attitude d’Andropov envers les dissidents est souvent confondue avec son attitude envers l’intelligentsia soviétique, ce qui est fondamentalement faux. Les dissidents étaient pour la plupart antisoviétiques, ce que l’on ne peut pas dire de la majeure partie de l’intelligentsia soviétique : personnalités de premier plan dans le domaine de la science et de la culture, ingénieurs industriels, enseignants des écoles et des universités, bibliothécaires, travailleurs culturels et travailleurs médicaux. Un signe d’égalité entre les dissidents et les intellectuels a commencé à être posé après la “perestroïka”, dans laquelle les intellectuels, à quelques exceptions près, ont joué le rôle d’antagoniste par rapport au PCUS et au pouvoir soviétique. Cela s’est produit parce que, entre autres raisons, le Parti, à partir de la période d’après-guerre, n’a pas inscrit à son ordre du jour la question du travail avec l’intelligentsia et n’a pas du tout tenu compte de son hétérogénéité.
Andropov a-t-il compris ce problème ? Très certainement. En tant que président du KGB, il avait des contacts avec les représentants des différents groupes et couches de l’intelligentsia, connaissait ses besoins et ses humeurs, y compris les plus critiques. Selon les années, son cercle de communication comprenait les académiciens Khariton et Sakharov, les écrivains Julian Semionov et Georgy Markov, les poètes Evgeny Evtouchenko et Andrey Voznessenski, le philosophe Richard Kosolapov, le critique littéraire et historien Vadim Kozhinov, le diplomate Oleg Troyanovsky, le chanteur Muslim Magomaïev. La liste des noms avec lesquels Andropov a interagi (parfois une fois, parfois pendant des années) pourrait être poursuivie. C’était son travail professionnel. Dans les milieux de l’intelligentsia, il était à la fois craint, eu égardà sa position, et respecté, connaissant l’ampleur de sa personnalité. Il était accessible. Il était possible de se tourner vers lui pour obtenir de l’aide dans les situations difficiles de la vie. Par exemple, Andropov n’a pas tardé à répondre à la demande des écrivains russes de faire revenir à Moscou Mikhaïl Bakhtine malade, un érudit littéraire et théoricien de l’art russe majeur qui avait été exilé à Saransk suite à une calomnie. Il a non seulement facilité le retour de ce classique de la culture russe dans la capitale (en lui fournissant un appartement), mais aussi son traitement à l’hôpital du Kremlin. Il y a eu de nombreux cas de ce genre.
“Nous n’avons pas encore étudié suffisamment la société dans laquelle nous vivons”.
Le 10 novembre 1982, Leonid Brejnev meurt. Le 12 novembre, le Plénum du Comité central du Parti communiste de l’Union soviétique élit Youri V. Andropov comme secrétaire général. Une partie considérable, sinon la plus grande, de la société soviétique a accueilli ce changement dans l’espoir d’une amélioration et, surtout, d’un retour à l’ordre dans le pays. À l’Ouest, l’élite politique américaine a surtout considéré l’élection d’Andropov au poste de secrétaire général du Parti communiste de l’Union soviétique avec un intérêt pragmatique : le nouveau dirigeant soviétique serait-il capable de surmonter les tendances négatives de l’économie soviétique qui s’étaient installées sous Brejnev ? Le Comité économique conjoint du Congrès américain demande à la CIA un rapport sur l’état de l’économie soviétique.
Le sénateur William Proxmire, vice-président de la sous-commission du commerce international, des finances et de la défense des intérêts économiques des États-Unis, a présenté au Congrès les conclusions suivantes du rapport de la CIA :
« La croissance économique de l’URSS a connu un déclin constant, mais cette croissance restera positive dans un avenir prévisible.
L’économie est peu performante et s’écarte fréquemment des exigences de l’efficacité économique. Toutefois, cela ne signifie pas que l’économie soviétique perd sa vitalité ou son dynamisme.
Bien qu’il existe des divergences entre les plans économiques et leur mise en œuvre en URSS, l’effondrement économique de ce pays n’est pas une possibilité même lointaine…
…Il faut savoir que l’Union soviétique, bien qu’affaiblie par l’inefficacité de son secteur agricole et accablée par des dépenses élevées en matière de défense, est économiquement le deuxième producteur mondial de produit national brut, avec une force productive abondante et bien formée et un secteur industriel hautement développé…
… Nous devons regarder les choses sérieusement et penser à ce qui peut arriver si les tendances de l’économie soviétique passent du négatif au positif. »
Il semble que notre principal ennemi de classe ait été guidé par une analyse objective de l’économie soviétique et ait été conscient que nous ne pouvons pas compter sur son effondrement supposé inévitable. Que parallèlement à la guerre économique (imposer des sanctions et forcer ses alliés à abandonner les projets communs avec l’URSS qui étaient économiquement rentables pour eux), il était nécessaire de renforcer la guerre idéologique, psychologique, qui impliquait la formation d’une “cinquième colonne” dans la société soviétique en promouvant la restauration de la psychologie et de la moralité individualistes. Tout d’abord, dans l’intelligentsia et dans les rangs de la direction du Parti.
Andropov en était bien conscient et utilisait comme antidote à cette subversion politique la lutte pour une discipline consciente, qu’il considérait dans son sens large comme une discipline d’État, de planification et de production. Mais surtout, il la considérait comme un phénomène moral et politique. S’adressant aux constructeurs de machines-outils de Moscou, il a souligné l’idée que « la question du renforcement de la discipline ne concerne pas seulement les ouvriers, les ingénieurs et les techniciens. Elle s’applique à tous, à commencer par les ministres »(janvier 1983).
Plus tôt encore, dans son discours lors du plénum de novembre (1982) du Comité central du PCUS, Yuri Andropov a mis au premier plan le renforcement de la discipline du parti, en commençant par le Comité central du parti. Il a déclaré : De nombreuses décisions ont été prises par le Comité central et le Conseil des ministres, mais elles n’ont pas été appliquées. Par exemple, l’augmentation des prix d’achat des produits agricoles de 30 % en moyenne le 1er janvier 1983 a été l’application d’une décision prise antérieurement. De plus, des primes supplémentaires ont été établies pour les exploitations non rentables et déficitaires pour l’achat de produits agricoles. Pour la plupart des exploitations collectives et d’État, les prêts en cours ont été annulés ou prolongés.
Sous Andropov, les paroles et les actes ne différaient pas. Le renforcement de la discipline dans le pays, notamment au niveau de la production, a permis de stopper certains processus négatifs dans l’économie et même d’obtenir une légère augmentation de la productivité du travail, a déclaré Roy Medvedev, l’un des dissidents qui s’efforce d’être objectif. Les résultats ne se sont pas fait attendre. En janvier 1983, la production industrielle en Union soviétique a augmenté de 6,3 % et la production agricole de 4 % par rapport à l’année précédente.
Andropov s’est empressé de donner au peuple une perspective de développement social du pays, d’améliorer le bien-être des travailleurs.
Le 26 février, une résolution du Comité central “sur les mesures visant à assurer la mise en œuvre des plans de construction de logements et d’équipements sociaux” a été adoptée. Le 30 mars, la Pravda a publié la résolution du Comité central et du Conseil des ministres “Sur la poursuite de l’amélioration et du développement des services aux consommateurs”. Le 10 avril, les règlements du Comité central et du Conseil des ministres “Sur les mesures visant à améliorer le niveau technique et la qualité des machines et des équipements pour l’agriculture, à améliorer leur utilisation, à augmenter leur production et leur fourniture en 1983-1990” ont été publiés. Le 7 mai, la Pravda a publié la résolution du Comité central et du Conseil des ministres “Sur les mesures supplémentaires pour améliorer l’approvisionnement en biens de consommation en 1983-1985”.
V. Andropov souhaitait passionnément que les travailleurs croient en eux-mêmes, en leur capacité à gérer les affaires de la production sociale et donc de l’État. Il a souhaité qu’ils réalisent que la réalité des résolutions du Parti dépendait d’eux, de leur contrôle de l’application de ces résolutions dans leur collectif de travail et dans l’ensemble du pays. À cette fin, un projet de loi “sur les collectifs de travail et le renforcement de leur rôle dans la gestion des entreprises, institutions et organisations” a été proposé pour une discussion nationale. Après la discussion, le projet avec un certain nombre d’amendements a été promulgué en loi lors de la session suivante du Soviet suprême de l’URSS.
Mais il y avait un autre problème que la société et le peuple attendaient d’Andropov qu’il résolve d’urgence, à savoir l’éradication de la corruption, des pots-de-vin et de l’abus de pouvoir à des fins d’enrichissement personnel. La résolution de cette question était extrêmement importante pour rétablir la confiance du peuple dans le Parti, car elle avait été considérablement ébranlée, puisque des membres de haut rang du PCUS avaient été impliqués dans les crimes susmentionnés. Andropov a compris que ses actions envers eux devaient être décisives, urgentes, avec toute la sévérité de la loi et de l’ordre soviétiques. Et elles l’ont été : ni Chtchelokov – ministre de l’intérieur de l’URSS, membre du Comité central du PCUS, ni Medounov – premier secrétaire de l’organisation régionale de Krasnodar et membre du Comité central, ni Rachidov – premier secrétaire du Parti communiste d’Ouzbékistan, candidat membre du Politburo, ni leur nombreux entourage n’ont échappé à l’enquête sur leurs actes illicites.
C’est un fait indéniable qu’Andropov, plus que tout autre dirigeant du pays à l’époque, était populaire et avait une grande crédibilité auprès d’une partie très importante de la société soviétique. À cet égard, il ne peut être comparé qu’à Alexeï Kossyguine. C’est également un fait incontestable que Youri Andropov, le premier et le seul après la mort de Staline, a examiné les perspectives de développement futur de l’URSS, guidé par la méthode de la dialectique matérialiste, s’élevant à des généralisations philosophiques dans l’analyse de l’état réel des choses. Cela lui a permis d’affirmer : « Nous n’avons pas encore étudié de manière adéquate la société dans laquelle nous vivons et travaillons, nous n’avons pas entièrement dévoilé ses modèles inhérents, notamment économiques. »
Hélas, on entend parfois une déformation de cette phrase : au lieu de “nous n’avons pas encore suffisamment étudié…”, on dit “nous ne connaissons pas la société dans laquelle nous vivons”. Puis vient l’accusation absurde de Youri Vladimirovitch de ne pas savoir ce qu’il savait mieux que quiconque – la véritable réalité de la société socialiste soviétique. L’étudier correctement supposait, tout d’abord, la découverte de nouvelles potentialités pour un développement plus dynamique de l’URSS. Elle impliquait aussi, en second lieu, une exploration plus approfondie de ses contradictions.
Selon la logique dialectique de la pensée de Lénine, “l’antagonisme et la contradiction, écrit-il, ne sont pas du tout la même chose. Les premiers disparaîtront, les seconds subsisteront sous le socialisme”. Y.V. Andropov a formulé l’acuité et l’exigence principale du moment : « Nous devons imaginer sobrement où nous en sommes…. Voir notre société dans sa dynamique réelle, avec toutes ses possibilités et ses besoins – c’est ce qu’il faut maintenant… Oui, nous avons des contradictions et des difficultés. Penser qu’une autre voie de développement est possible, c’est se détourner du terrain fiable, mais parfois difficile, de la réalité… ».
Avant Andropov, sous Khrouchtchev et Brejnev, s’il était question de contradictions, c’était entre les bons et les meilleurs. Trois mois après son élection au poste de secrétaire général du Comité central du parti, Andropov écrit un article intitulé “La doctrine de Marx et quelques questions de construction du socialisme en URSS”, où il parle d’abord des contradictions socio-psychologiques entre le “mien” et “nôtre” dans la société soviétique. Soulignant que les graves problèmes et difficultés qui en découlent ne sont jamais liés à la propriété publique, collective, il observe : « La révolution des rapports de propriété n’est en aucun cas un acte ponctuel […]. Le peuple qui a réalisé la révolution socialiste a besoin de beaucoup de temps pour maîtriser sa nouvelle position de propriétaire suprême et indivis de toute la richesse sociale…. En parlant de la transformation de “mien” en “nôtre”, nous ne devons pas oublier qu’il s’agit d’un long processus multidimensionnel qui ne doit pas être simplifié à l’extrême. »
Ce n’est pas pour faire des théories abstraites qu’Andropov a écrit à ce sujet. L’oubli de l’avertissement de Lénine concernant la vitalité du pouvoir de la psychologie de la propriété privée au sein des masses lors de la transition du capitalisme au socialisme a conduit à une forte augmentation du vol des biens de l’État et des biens publics dans les années 1970 (de 1975 à 1980, il a augmenté de 30 %), et de la corruption de près de la moitié. Le plus inquiétant est qu’en 1980, parmi toutes les personnes condamnées pour corruption, près de 30 % étaient des membres ou des candidats à l’adhésion au parti communiste.
La menace de voir le PCUS perdre son rôle d’avant-garde de la classe ouvrière et de force dirigeante de la société soviétique était à l’ordre du jour. Non, ce n’est pas une coïncidence si Andropov a commencé son travail en tant que leader du Parti et de l’Etat soviétique en renforçant la discipline et en ramenant l’ordre dans le pays.
Dans son article sur les enseignements de Marx, son auteur n’a pas ignoré une autre des principales contradictions non antagonistes – entre la nécessité aiguë d’un développement intensif de la production soviétique, en d’autres termes, des forces productives du pays, et le retard intolérable (par rapport aux principaux pays capitalistes) dans l’introduction des dernières réalisations de la révolution scientifique et technologique dans la production socialiste. M. Andropov a soulevé la question de l’inadmissibilité économique du “maintien d’une part importante de travail manuel et non mécanisé, qui atteint 40 % dans la seule industrie”.
Dans le même temps, Youri Vladimirovitch n’a pas oublié la nécessité de surmonter la bureaucratisation du système de gestion de l’économie nationale. Sur sa suggestion, le Politburo a décidé de réduire l’appareil administratif de 20 %. Andropov a également proposé de réduire considérablement la présence des ministres au Soviet suprême de l’URSS en y augmentant la représentation des ouvriers, des kolkhoziens et des employés.
A qui profite la légende noire du KGB ?
Le 4 janvier 1984, la Pravda a publié pour discussion le projet “Les principales orientations de la réforme de l’enseignement général et de l’école professionnelle”. C’est ainsi qu’Andropov a décidé d’amorcer l’accélération du progrès scientifique et technologique en URSS. Il était plein d’idées créatives. Il a lancé une expérience de restructuration de la gestion industrielle qui devait accroître la responsabilité et les droits des entreprises, parmi lesquels le droit de décider de nombreuses questions de manière indépendante…
Mais tout ce qu’Andropov a conçu, comme on dit, s’est effondré après sa mort prématurée. En juillet et août 1983 déjà, la santé de Youri Vladimirovitch s’était gravement détériorée. Le 1er septembre, il a tenu la dernière réunion du Politburo de sa vie. Le 7 novembre 1983, il n’était pas sur la tribune du Mausolée.
Par son intelligence, son talent politique, sa culture éthique et son expérience de l’activité étatique à grande échelle, Youri Andropov était certainement bien placé pour remplir le rôle de leader du PCUS et du peuple soviétique. Et il l’a été pendant sa brève période à la tête du parti et du pays. Mais sa santé s’est avérée compromise : la goutte dont il souffrait depuis des décennies avait provoqué l’arrêt complet de ses reins.
Il était conscient de sa maladie, mais espérait durer encore 2 ou 3 ans, pour mener le parti au XXVIIe Congrès afin de consolider ses efforts dans un nouveau programme de parti. Cependant, cela n’était pas destiné à se réaliser, ce qui fut le plus grand drame de Youri Andropov… Le 9 février 1984, son cœur s’est arrêté. S’il avait vécu cinq ans de plus, il aurait évité la crise du Parti et l’effondrement de l’URSS.
Nous n’avons même pas abordé les problèmes de politique étrangère (la politique de détente, la guerre en Afghanistan, la complexité des relations soviéto-chinoises), dans l’élaboration desquels le rôle d’Andropov était tout à fait significatif. Nous ne l’avons pas fait car cela n’entrait pas dans le cadre de ce document.
Cependant, nous ne pouvons pas éluder la question de M. Gorbatchev comme étant un soi-disant continuateur d’Andropov. Oui, M. Gorbatchev a été distingué par Youri Vladimirovich parmi la cohorte des candidats aux postes de commandement du parti. Mais les autres dirigeants qu’il avait mis en avant possédaient également de grands mérites intellectuels, politiques et moraux : Heydar Aliyev, Vitaly Vorotnikov, Yegor Ligachev, Grigory Romanov, Nikolaï Ryjkov. Quant à la disposition de Y.V. Andropov en faveur M. Gorbatchev, nous pensons que c’est parce que ce dernier avait un talent sans pareil pour paraître ce qu’il n’était pas, un intellectuel audacieux. Et comme l’intellectualité était une denrée rare dans les cercles dirigeants du parti, même les politiciens les plus sophistiqués étaient prêts à prendre l’imitation de l’intellectualité pour argent comptant.
Cela est arrivé même aux génies de l’histoire politique. Lénine, qui avait grand besoin de théoriciens dans le parti, a pendant un certain temps pris Boukharine pour un théoricien marxiste sérieux. Ce n’est qu’avant sa mort, dans une lettre adressée au 12e congrès du PCUS (b), qu’il a écrit que Boukharine n’avait jamais compris la dialectique de Marx. Sachant cela, Staline a néanmoins, pendant longtemps, ouvertement sympathisé avec Boukharine et l’a défendu contre les attaques de Kamenev et de Zinoviev au XIVe Congrès du Parti communiste de l’Union (b). Mais aucune personne saine d’esprit n’irait imputer à Joseph Staline la trahison par Boukharine du Parti et de l’État soviétique.
Quant à Gorbatchev, il a trompé non seulement Andropov, mais aussi le vieux loup de mer de la politique qu’était Gromyko. Il va sans dire qu’il en a été de même la plupart des membres de l’intelligentsia et de la société soviétique. Non, ce n’est pas un hasard si cet imitateur n’a jamais évoqué Andropov. Il ne s’est permis qu’une seule fois de demander : “Qu’est-ce qu’Andropov a fait de spécial pour le pays ?” Sans commentaires.
Et pourtant : quelle est la raison principale de l’évaluation de Youri Vladimirovich Andropov comme l’idéologue en chef présumé de la perestroïka contre-révolutionnaire, le mentor idéologique de Mikhail Gorbachev ? Notez que certains le font par ignorance, d’autres le font tout à fait délibérément. Ceux qui le font délibérément, poursuivent un objectif compréhensible – c’est notre conviction – pour détourner l’attention du véritable principal idéologue de la perestroïka antisocialiste – Yakovlev.
Nous soulignons le fait qu’Andropov a fermement rejeté la proposition de Gorbatchev de ramener Yakovlev à un travail responsable au sein du Comité central du PCUS, malgré le fait qu’il ait occupé différentes positions au sein du Comité central de 1960 à 1973. Cependant, Andropov s’est souvenu d’une chose très importante dans sa biographie : de 1973 à 1983, Yakovlev avait été ambassadeur soviétique au Canada et avait suivi un cours d’un an à l’Université de Harvard aux Etats-Unis. Andropov n’a pas manqué de le noter : Yakovlev avait vécu trop longtemps dans un pays capitaliste et y a ” retourné sa veste “. Youri Vladimirovich ne lançait jamais des paroles au hasard.
C’est Alexandre Yakovlev, et non le bavard Mikhaïl Gorbatchev, qui a été le principal idéologue de la perestroïka destructrice. C’est lui qui était l’agent d’influence numéro un, formé aux États-Unis et au Canada. C’est pourquoi les développeurs américains de la subversion idéologique contre nous avaient besoin de blasphémer Andropov afin de détourner l’attention de leur agent principal. Implanter dans la conscience de la masse le mythe noir selon lequel les dirigeants du KGB avaient préparé l’effondrement de l’Union soviétique et que les forces extérieures n’avaient fait qu’en profiter.
Emboîter le pas à nos adversaires idéologiques revient à leur abandonner pour le salir notre grand passé soviétique, dans lequel le nom de Youri Andropov figure parmi les plus glorieux.
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