Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

J’étais prisonnière politique…

Encore une figure de femme qui a consacré sa vie à lalutte contre le nazisme aussi en tant que féministe, enfin le féminisme tel que je le comprends… dans sa dimension la plus révolutionnaire. Andrei Dutslev, le correspondant de la Pravda en Europe tente de créer des ponts entre cette allemagne là et la France grace à Histoire et societe, merci à lui (note de danielle Bleitrach traduction d’Andrei Dutslev)

Ingrid Strobl est née à Innsbruck en 1952. L’auteure indépendante vit à Cologne. Elle était rédactrice du magazine féministe allemand EMMA. Ingrid Strobl a publié plusieurs livres politiques et féministes.En décembre 1987, Ingrid Strobl a été arrêtée en vertu de l’article 129a du Code pénal de la RFA (soutien à une organisation terroriste). Elle a été incriminée pour avoir acheté un réveil qui a servi de fusible horaire lors de l’attaque de RZ sur un bâtiment vide de la Lufthansa en 1986. En 1990, Ingrid Strobl a étélibérée.

Les Cellules révolutionnaires (RZ) était un groupe de gauche dans les années 1970-1990, elles avaient une organisation décentralisée. On parlait d’eux tant que des« terroristes du loisir ». Les Cellules révolutionnaires / Rote Zora effectuaient des attaques sans pertes humaines, qui devaient servir d’exemple contre « le racisme, le sexisme et le patriarcat d’État ».

Andrei Doultsev : Ton livre est un précieux témoignage sur l’histoire contemporaine : il prouve l’existence de la justice politique en RFA. Ta persécution était-elle une mauvaise intention de l’étatallemand ou un jeu politique ?

Ingrid Strobl : Personnellement je n’étais pas particulièrement visé par les autorités. Mon arrestation leura permis de se venger sur lesCellules Révolutionnaires (RZ). Ils ne pouvaient rien prouvé contre les cellules. Seul le réveil que j’ai acheté correspondait à celui qu’utilisaient les RZ pour leur attentat en 1986.

Andrei Doultsev: Ton livre est écrit d’une perspective d’aujourd’hui, à partir de laquelle tu te vois « à l’époque ». Tu décris Ingrid Strobl de l’époque en tant que féministe, docteure en études en lettres allemandes, journaliste de presse et de la télévision, une femme politiquement active… Que reste-t-il d’Ingrid Strobl de cette époque à celle d’aujourd’hui ?

Ingrid Strobl : J’étais et je suis féministe, j’étais et je suis de gauche, je ne tolérais pas l’injustice à l’époque et je ne la tolère toujours pas. Mais à l’époque je détestais, par désespoir pour ainsi dire. En tant que féministes, nous nous sommes battues pour les droits des femmes, y compris le droit à la dignité humaine et à l’autodétermination, qui était refusé aux femmes dans de nombreux pays et domaines de la société. Et en même temps : les femmes d’Asie du Sud-Est étaient achetées comme du bétail par les hommes ouest-allemands et furent gardées ici comme esclaves sexuelles. Pour ne citer qu’un exemple… Il semblait que notre lutte juridique n’apportait rien.Ce n’était pas comme ça, mais à l’époque je ne voyais plus d’alternative.

Andrei Doultsev : Qu’est-ce qui t’as poussé à sympathiser avec les cellules révolutionnaires ?

Ingrid Strobl : Ils n’étaient pas aussi dogmatiques et arrogants que la RAF. Ils n’ont pas agi en clandestinité. Un de leurs principes était qu’aucune personne ne devait être tuée. Leurs attentas avaient pour butd’endommagerles locaux, le matériel etc.

Andrei Doultsev : Pourquoi as-tunomméton livre « VermesseneZeit »  (en français « Le temps mal mésuré »)?

Ingrid Strobl : Avec un ami nous avions selectionné plusieurs titres et l’un d’entre eux était « Le temps perdu », sauf que ce temps passé en prison n’était pas perdu pour moi.J’ai beaucoup appris en prison, sur moi-même, mais surtout sur les conditions de vie, les pensées et les sentiments des autres prisonnières.

Andrei Doultsev : Quelle est la principale raison qui t’as poussé à écrire ou à publier ton livre maintenant ?

Ingrid Strobl : L’âge ? Je n’y avaistout simplement pas pensé. La prison n’était pas un sujet pour moi. Mon thème principal avant mon arrestation,en prison ou à nouveau en liberté était la résistance des femmes et principalement des femmes juives, contre l’occupation allemande et la Shoa. Ce n’est que maintenant, des décennies plus tard, que l’idée m’est venu d’écrire sur la prison.

Andrei Doultsev : Dans un de tes monologues intérieurs, tu te demandes si tu es devenu sentimentaleen prison.Qu’est ce qui t’a aidé à surmonter l’idée que la prison allait te briser.

Ingrid Strobl : Avant tout le comportement respectueux et ensuite amical des agents pénitentiaires et du directeur de la prison de Munich (idem pour la prison d’Essen). Je ne pense pas que quelqu’un ait voulu me « briser ». Je pense que la police allemande était heureuse d’avoir enfin porté un coup contre les Cellules Révolutionnaires : ils les intéressés plus que ma petite personne. Et l’isolement cellulaire fait partie du §129a, qui détermine la manière dont les prisonniers politiques sont traités. Ce paragraphe a été inventé pour briser les prisonniers de la RAF et les torturer, il me fut également appliqué car j’étais prisonnière politique. Cela concerne tout le monde, pas seulement les prisonniers de la RAF.

Andrei Doultsev : Dans ton livre, tu racontes ta lecture de « L’esthétique de la résistance » de Peter Weiss, de « Est-ce un homme » de Primo Levi, ton travail sur le livre sur les femmes dans la résistance, ta correspondance avec la résistante juive ChaikaGroßmann – tout cela pendant ton emprisonnement… Leurs pensées et leurs destins te sont-ils devenus proches en prison ? As-tu senti une continuité entre le sort de ces personnes et tes motivations ? Avait-il pour toides continuités entre la justice nazie et la justice ouest-allemande ?

Ingrid Strobl : Autant je rejette le §129a et les méthodes avec lesquelles les prisonniers de la RAF et parfois moi avons également été maltraités en prison : on ne peut pas le comparer avec la justice nazie et les méthodes des national-socialistes. Ce sont des mondes différents. Les opposants politiques sont punis et traités plus durement que les autres prisonniers dans la plupart des pays. Le §129a et les conditions spéciales de détention des prisonniers de la RAF et de la gauche armée en général, qui sont légitimées par elle, violent la dignité humaine et le droit à l’intégrité. Mais elles ne peuvent être comparées aux conditions de détention des prisonniers politiques dans l’État nazi.  

Andrei Doultsev : Le militantisme des cellules révolutionnaires de l’époque,a-t-il été absorbé par l’actionnisme politique aujourd’hui ?

Ingrid Strobl : L’actionnisme politique n’est pas seulement une action armée. Je suis l’une des femmes qui ont lancé le nouveau mouvement des femmes, et nos revendications étaient assez radicales à l’époque. Nous n’étions pas militants au sens où on l’entend aujourd’hui, nous avons manifesté, nous avons organisé des événements, des cours, des sit-in, nous avons fondé des centres pour femmes, des maisons pour femmes battues, des centres de conseil … et nous accomplissions beaucoup de choses, même si cela prenait pas mal de temps. De temps en temps, nous nous livrions à de petites actions illégales, mais notre souci était d’atteindre TOUTES les femmes, de changer la situation de toutes les femmes, de les motiver à lutter pour leurs droits, leur dignité humaine, leur égalité. C’était fondamental. Si on compare les femmes et leur vie dans les années 50 et 60 à celle d’aujourd’hui, on peut constater l’ampleur des changements pour lesquels nous nous sommes battus. Même si nous sommes encore loin d’avoir tout réalisé et toutes les femmes. 

Andrei Doultsev : Tu décris des femmes de ton milieu carcéral, une réalité que tu n’as jamais affrontée auparavant : soumission, addiction et douleur… Peut-il y avoir un féminisme sans base sociale ? Que signifie la solidarité pour toi ? Quelles formes de solidarité féministe sont, selon toi, actuelles et importantes ?

Ingrid Strobl : Il ne peut y avoir de féminisme qui ne soit pas lié à la poursuite de l’égalité et de la justice sociale. Pour moi, la solidarité féministe signifie aussi se tenir debout en solidarité avec les femmes qui sont opprimées, abusées, méprisées et exploitées en raison de leur origine sociale et/ou de la couleur de leur peau et cela au même niveau. Cela signifie : sans les considérer comme des victimes et nous comme des sauveurs.

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