Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

ZOOM sur : la santé du peuple sous Sankara, selon le témoignage de Abdul Salam Kaboré

Thomas Sankara, assassiné par l’impérialisme français parce qu’il faisait partie de ces cadres marxistes, tiersmondiste qui proliféraient et étaient non corruptibles. Son premier geste en matière de santé a été une vaccination massive de la population. (note de Danielle Bleitrach pour histoire et société)

PAR NOEL ZALLA · PUBLIÉ 15/10/2019 · MIS À JOUR 15/10/2019


Par Idrissa Barry


Nous sommes en 1973, le jeune Thomas Sankara (24 ans) est de retour au pays après quatre années passées à Madagascar pour sa formation d’officier à l’Académie militaire d’Antsirabé. Dans la cour familiale à Paspanga, il échange avec sa mère et sa sœur Marie. Le sujet de la conversation, c’est la situation de la Haute Volta (l’ancien nom du Burkina Faso). Le jeune sous officier s’exclame : ” Oh la la ! Pauvre Haute Volta ! Toujours la même chose, les mêmes murs, les mêmes visages, les mêmes problèmes. Si un jour, je deviens Président de la République, je changerai tout ça. ” Dans un ton ironique, sa mère lui demande : ” Qu’est-ce que tu pourras faire de mieux que les autres ? ” Il répond tout simplement : ” On verra bien. ” Cette anecdote est racontée par Bruno Jaffré, dans son livre ” Biographie de Thomas Sankara. La patrie ou la mort… “, page 85. Et à l’auteur de s’interroger également : ” A-t-il déjà des projets [pour son pays] ? ” Dix ans plus tard, Thomas Sankara devient président et il a hâte de changer la face de sa ”pauvre Haute Volta “. Pour lui, le pays tout entier doit devenir un chantier. Aucun secteur ne doit être laissé de côté. La Révolution veut toucher à tous les domaines de la vie nationale. A-t-elle réussi à transformer ” la face du pays ” ? Vingt ans après la disparition de cette Révolution et de son leader, chacun peut se faire une idée de ce qui a été réalisé en quatre ans. Dans cette page, nous faisons le point avec certains acteurs de l’époque, sur ce qui a été fait dans le domaine de la santé.

La première grande action du Conseil national de la Révolution (CNR) en matière de santé, c’est l’opération ” Vaccination commando “. Elle s’est déroulée en novembre 1984, un an après le déclenchement de la Révolution. Le Pharmacien Commandant Abdoul Salam Kaboré, ministre de la Santé sous la Révolution, se souvient : ” Pour nous, il n’y avait pas de temps à perdre. Il fallait faire vite. On ne pouvait plus laisser mourir nos enfants de maladies qu’on peut éviter. ” Cette opération a permis d’immuniser plus de deux millions d’enfants contre des maladies comme la rougeole, la polio, la méningite, etc. Elle a mobilisé non seulement le personnel de la santé, mais aussi les instituteurs et les militants CDR. Cette mobilisation communautaire a permis de minimiser le coût de l’opération. Selon Alain Zoubga, secrétaire général du ministère de la Santé pendant ce temps, l’Etat a dépensé moins de 40 millions. Il se rappelle qu’au début, ” l’OMS n’y a pas cru, elle n’a pas voulu nous accompagner, mais à la fin de l’opération, elle nous a félicités. Elle a dit que c’était formidable, exceptionnel “.

Tentative de corruption…

Sur le plan du matériel roulant, la Révolution va doter toutes les province d’au moins une ambulance. Cela grâce à l’EPI (Effort populaire d’investissement), un volet du premier Programme populaire de développement (PPD) exécuté entre octobre 1984 et décembre 1985. Sur ces ambulances, Abdoul Salam Kaboré raconte : ” Un jour, le DG de la CICA a demandé à me voir. Il avait appris que mon véhicule a fait tonneau et était dans un état irrécupérable. Il m’a proposé de m’octroyer un véhicule tout neuf si on achetait des ambulances chez lui. En effet, il avait appris que le gouvernement voulait commander des ambulances. Immédiatement, j’ai appelé ” Gringo ” [le surnom de Sankara] pour lui dire qu’il y a le DG de CICA qui tente de me corrompre. On a rigolé et puis Sankara a dit que si le DG peut diminuer le coût des véhicules, on va prendre 30. Le DG a accepté et c’est comme ça que nous avons pu doter les provinces en ambulances. ” L’objectif du PPD était d’améliorer les conditions de vie des populations et d’augmenter les infrastructures du pays. C’est dans ce cadre qu’il faut situer la politique ” un village un PSP “. Dans chaque village est créé un Poste de santé primaire. Son personnel se compose d’un agent de santé villageois et d’une accoucheuse traditionnelle, tous deux formés pour assurer les soins primaires. Il fallait pallier la faible disponibilité en personnel dans les structures de premier contact qui n’existait que dans les départements. La création de ces PSP s’insérait aussi dans la vision de la Conférence internationale d’Alma Ata qui proclamait l’accès universel des soins de santé primaires (SSP). L’engagement avait été pris de garantir l’équité en matière de santé dans le cadre d’un développement orienté vers la justice sociale.

Décentraliser le système de santé

L’existence des PSP allait par ailleurs induire une nouvelle organisation au niveau du système sanitaire du pays. La Révolution voulait faire des PSP, la porte d’entrée du système sanitaire. Cette idée n’était pas très partagée parmi les spécialiste car, ces postes de santé n’étaient pas animés par un personnel de santé formé à ” bonne école ” et relevant de la Fonction publique. Cette querelle entre techniciens de santé ajoutée au problème de gestion de ces PSP feront qu’ils ne survivront pas à la Révolution. Mais l’esprit qui a prévalu à leur création, à savoir la prise en charge par les communautés elles-mêmes de leurs problèmes de santé va faire son chemin pour être consacré par l’Initiative de Bamako (IB). Le Burkina renforcera aussi le système pyramidal de sa politique sanitaire initié sous le CNR. C’est à cette époque également que le problème de répartition géographique du personnel va trouver un début de solution. Concentrés dans les deux principales villes du pays (Ouagadougou et Bobo-Dioulasso), beaucoup d’agents seront affectés dans les provinces pour pallier l’absence criarde de personnel à leur niveau. De l’avis de l’ancien ministre Kaboré, c’est surtout dans la profession des sages-femmes et celle des pharmaciens que la concentration était très forte. Après concertation avec leur associations respectives, le ministère a décidé d’affecter au moins deux sages-femmes et un pharmacien dans chaque province. Bousculer les habitudes étant un principe révolutionnaire, il a fallu faire face aux réticences qui n’ont pas manqué de se manifester : “On nous a accusé de vouloir séparer les couples, de diviser les familles. Des plaintes ont été déposées à la présidence et le président Sankara nous a convoqués pour nous entendre. Il a trouvé notre décision juste et nous a encouragés à poursuivre, tout en tenant compte des cas de couples fonctionnaires. Il nous a demandé d’expliquer davantage cette décision pour que les gens comprennent. C’est ce que nous avons fait. Beaucoup ont compris parce qu’ils ont vu que nous-mêmes (ministre, SG), on ne se reposait pas dans les bureaux climatisés de Ouaga. Nous étions constamment en tournée et je vous dis que Abdoul Salam et moi avons dormi à belle étoile dans la Gnagna et dans d’autres localités du pays.”, confie Alain Zoubga, l’ancien SG du ministère de la Santé.
Pour assurer la disponibilité des médicaments le CNR a créé la SONAPHARM (Société nationale pharmaceutique). L’achat et la vente des médicaments revenaient à cette structure. A chaque échelon sanitaire, il est défini les médicaments à déposer. Elle a été déclarée en faillite après la révolution et aujourd’hui, c’est la CAMEG qui assume à peu près les missions qui lui étaient assignées. D’autres structures sanitaires ont vu le jour à la faveur du PPD et du Plan quinquennal, notamment l’OST (Office de santé des travailleurs), le CMA du secteur 30, dans chaque département, un centre de santé avec un personnel acceptable. Conscients de la faible fréquentation des structures sanitaires par les populations, les responsables du ministère ont entrepris la valorisation de la médecine traditionnelle, en regroupant et en formant les tradi-praticiens.

Les limites de la politique sanitaire

Pour l’Allemand Helmut Asche, auteur du livre “Le Burkina Faso contemporain. L’expérience d’un auto développement”, un ouvrage qui analyse les politiques économique et sociale du CNR, “ces acquis [dans le domaine de la santé] reposent beaucoup plus sur la mobilisation très efficace des efforts de la population et des apports de l’aide internationale que sur un appui de l’Etat qui était en régression assez dramatique”. Les dépenses de l’Etat pour la santé ont connu en effet, une baisse considérable. Elles sont descendues de 7, 4 milliards de f CFA en 1982 à 5, 7 milliards en 1987. Ce qui n’a pas permis d’équiper les nombreux centres construits en personnel suffisant. Pour le ministre de l’époque, cette baisse n’était pas spécifique à la santé. Cela entrait dans la politique de la réduction du train de vie de l’Etat prônée par la Révolution. Qu’en est-il de l’activité syndicale ? Nous n’avons pu avoir l’avis du principal syndicat de la santé, le SYNTSHA (Syndicat national des travailleurs de la santé humaine et animale). Ses premiers responsables préparaient leur Conseil syndical quand nous les avons contactés. On peut estimer néanmoins que les rapports n’étaient pas très bons entre ce syndicat et le CNR au regard du climat conflictuel entre les CDR et les syndicats. Ces derniers n’acceptaient pas être substitués par les CDR dans les services. Aussi, de par sa proximité supposée avec le PCRV (Parti communiste révolutionnaire voltaïque) qui ne soutenait pas le CNR, le SYNTSHA était plus ou moins marginalisé. Durant cette période, il n’y a eu aucune grève dans le domaine de la santé. Des tentatives n’ont pas cependant manqué. Sankara aurait voulu, pour minimiser ces conflits syndicaux, créer une structure réunissant tous les syndicats pour les associer à la gestion du pouvoir. Il n’aurait pas été suivi ni par les responsables syndicaux ni par ses compagnons du CNR.

Source l’Evènement http://www.evenement-bf.net N°123 du 10 septembre 2007

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