Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Ne ratez pas ce film : Gagarine ou le réalisme magique d’une génération

L’aventure du film a commmencé par la production habituelle du duo Fanny Liatard et Jérémy Trouilh un court métrage de 15 minutes à la demande d’amis architectes et urbanistes chargés d’une expertise sur l’ensemble immobilier que la ville d’Ivry voue à la démolition parce qu’il est vétuste, insalubre. Ils sontchargés de produire un court documentaire d’interviews d’habitants de la cité et les deux cinéastes sont conquis et réalisent leur premier long-métrage autour de la démolition de la cité Gagarine d’Ivry-sur-Seine en 2019. Après de longs mois d’attente et sa prestigieuse sélection dans le Label Cannes 2020, ce premier film sort et il faut absolument que vous alliez le voir parce que c’est un des rares films français sur les “immigrés”, les cités qui ne soit pas l’oeuvre de bobos qui nous tartinent tous les lieux communs sur le sujet. Ce n’est pas un film comme les autres parce que d’abord il utilise les deux grands arts du réalisme socialiste que sont l’architecture et le cinéma, mais surtout parce que l’histoire est celle de gens qui “font”, des ouvriers mécaniciens ingénieurs, les forces productives devenus les invalides du capital, mis au rebut et qui vont s’emparer de tout le matériel de récupération à leur portée pour faire de la cité un vaisseau spatial et envoyer au reste du monde un message, nous sommes là et nous voulons aller vers les étoiles.

La première partie du film semble du réalisme social, réalisme et pas naturalisme, c’est-à-dire qu’il est précis, situé historiquement. La démolition envisagée renvoie à son édification. Gagarine, le film, s’ouvre avec de nombreuses images d’archives et notamment celles où le fameux cosmonaute Youri Gagarine inaugure la cité qui portera son nom. Indiscutablement, à cette époque, cet immense bloc de briques rouges contenant plus de 370 logements est un espoir pour toute une population de la banlieue rouge qui accède au confort et qui est militante . En ce mois de septembre 1963, c’est l’incarnation même de leur espoir, du progrès et de l’avenir meilleur qui les attend. Sauf que rapidement, nous atterrissons dans l’actualité de 2015 puis de 2019, et nous sommes à la fois dans la destruction de cette utopie collective et dans sa pouruite parce qu’il s’est créé là un monde réel qui est à la fois misérable et plein de ressources. C’est ça l’originalité de la démarche de Liatard-Trouilh et qui s’impose non plus comme un documentaire mais comme une fiction, une sorte de fable sociale. Je n’ai cessé de penser à la rencontre entre Lang et Brecht dans leur oeuvre que j’ai étudié et la nécessité de la fiction pour raconter plus vrai. Le même intérêt pour la ville, des choix d’architectes qui font du bâtiment un héros à part entière.

Youri, 16 ans, porte le prénom du premier homme dans l’espace en 1961, comme également la cité Gagarine d’Ivry-sur-Seine (1963) où il a grandi. Sa mère partie avec un homme qui ne veut pas de lui l’a abandonné dans la cité. Grand , fort mais avec un visage illuminé par le même sourire que son héros éponyme , il est un bricoleur et plus encore l’ ingénieur, celui qui sait tout faire et qui trouve une complice, amie, amante dans la petite gitane qui comme lui est une mécanicienne de génie. L’histoire commence donc avec le combat de Youri pour sauver la cité, la réparer avec du matériel de récupération qui est entassé dans de grands entrepots. C’est une particularité de ce film de revendiquer ce “faire” des ouvriers, des prolétaires. MIeux ou pires ceux qui ont encore du travail, des prolétaires comme eux qu’il s’agisse des liquidateurs du bâtiment ou des flics, des employés de sécurité ne construisent plus rien non plus. C’est le combat de David Yuri contre Goliath ceux qui veulent les chasser et il y a dans cette tentative de réhabilitation quelque chose de grotesque. On ne peut pas restaurer à l’identique ce qui est mort, il faut en passer par la révolution de l’imaginaire : là oùil y a une volonté il y a un chemin… Gagarine va être aboli pour restaurer l’envol intial ,il va s’arracher au sol.

La banlieue est un satellite et frequement revient l’image du ciel comme dans la merveilleuse ouverture de Bela Tarr dans les Harmonies Werckmeister la fin du socialisme, leretour de l’holocauste dans la plaine hongroise… Mais justement ce temps là est passé, c’était en 2000, et la satellisation où chacun va tisser la lumière de l’espace après une éclipse, s’opère par la volonté d’un ange, un grand adolescent maladroit et bienveillant .

si Lyna Khoudri , la petite gitane est une actrice déjà connue, la plupart des acteurs sont des amateurs, et celui qui joue Yuri, Alsén Bathily, est un lycéen qui s’est présenté au casting pour la première fois, son père a vécu à Gagarine. Et par son regard, qui est aussi celui de fenêtre sur cour de Hitchcock, une longue vue qui nous fait pénétrer dans ce monde, celui de cette créativité jetée au rebut. Et si tout commence avec le réalisme socialiste, celui qui est précision du contexte historique,situation de classe des héros c’est pour mieux grâce à la science, à la force humaine rejoindre la poèsie de l’épopée humaine. Un monde en démolition entouré de métros et de chantiers, avec des entrelacs de cable, qui passe dans un autre univers comme sait le faire le réalisme socialiste celui où le rêve, inscrit dans le FAIRE. S’aimer au sommet d’une grue, vaincre le vertige pour que la banlieue soit un des astres de la ville tel est le moment de rencontre de ces deux enfants, l’esquisse d’un baiser et son éblouissement.

Photo Lyna Khoudri, Alséni Bathily

Donc cette histoire de Gagarine inaugurée en plein espoir de 1963, alors qu’il est question de sa démolition en 2015, trouve son épilogue en 2019 parce Yuri poursuit son rêve et va jusqu’au bout en transformant la cité en vaisseau spatial. La fiction et la réalité s’interpénètrent parce que la cité n’est jamais un simple décor d’ailleurs elle est filmée de bas en haut pour lui donner son envol. Elle envoie des messages en morse parce que la banlieue ne renonce pas à communiquer, à dire sa force, son rêve, celui de Gagarine un prolétaire accédant aux étoiles dans un monde où les humains étaient frères et où les tours et les bidonvilles des roms trouvaient un langage commun dans le FAIRE.

Pour donner toute sa réalité au rêve de Youri les deux réalisateurs ont fait un stage dans un centre d’aérospatial. Là encore, nous ne sommes pas dans l’idéologie de la banlieue mais bien dans cette rélation du rêve de l’expace avec le savoir scientifique et quand la cité au lieu de tomber s’illumine et que la petite gitane part à la recherche de son ami, amour, complice d’atelier elle le trouve sur le toit dans une tenue d’astronaute rouge sur un amas de cable cordon ombilical de Gagarine son vaisseau spatial.

Photo Alséni Bathily

Comment dire lamanière dont ce film m’a envahie, la salle obscure dont j’ai besoin est une agora silencieuse, l’émotion est perceptible et la fin a été saluée par des applaudissements, les miens se sont mêlés aux autres en disant en quoi la fiction rejoignait ma subjectivité, l’histoire témoignage… j’ai vécu dans deux de ces cités, l’une à Aubervilliers, à la porte et l’autre à Ivry à Gagarine, deux aisseaux de guerre cimentés aux couloirs et aux ascenceurs obscurs. Entant que rédactrice en chef adjointe de Révolution, en 1988, je bénéficiais du logement d’un camarade représentant de l’humanité à Moscou, c’était le temps d’un terrible deuil. Ce n’était pas encore la démolition de 2019 mais déjà la fin des années quatre vingt et l’assaut des couches moyennes pour prendre la direction du parti.

Je voyais ce film le 20 juin 2021, en sachant – je l’ai écrit- que nous allions perdre la présidence du conseil départemental du Val de Marne. Les petits bourgeois à la Clémentine Autain ignoraient tout de ces jeunes qui veulent faire… c’était du moins mon interprétation de ce qui se passait tant dans l’île de France que dans la région PACA. La fin d’une course …. mais aussi l’espoir d’un renouveau…

Photo Alséni Bathily

Toute une jeunesse qui s’abstient parce qu’elle n’a plus la possibilité peut-être d’aller jusqu’au bout de ses rêves et ce film se veut la parole envoyée à toute la société parce qu’elle est contrainte à être inventée alors qu’elle vibre à l’unisson du temps où l’être humain repart vers les étoiles. J’ai pensé à cette nouvelle de la Chine créant son premier relais spatial en orbite et les trois astronautes fondant une section du parti communiste chinois intergalactique…

Danielle Bleitrach

Je suis d’accord avec ce constat d’un critique :

Gagarine laisse présager un beau renouveau du film social français, et nous laisse apercevoir les prémisses d’un cinéma plus polyphonique et égalitaire.

Mais pas que il laisse aussi présager un nouveau regard plus proche de celui des communistes que j’ai connus et que je croyais disparus. Alors dans ces temps d’élections régionales où s’esquisse ce renouveau partiellement masqué par la perte du département du Val de Marne et l’opération parallèle en PACA, je veux penser que ce que nous disent ces deux cinéastes et leur équipe va peu à peu être entendu. Vous savez pourquoi j’aime tant Cuba parce que c’est dans le fond le rêve de ces enfants, avec des objets de rebut ils ont réussi à faire un vaisseau spatial qui emmène toute l’humanité vers les étoiles.

C’est dire si ce film m’a boulversé et je suis sûre qu’il en sera autant pour vous…

Gagarine laisse présager un beau renouveau du film social français, et nous laisse apercevoir les prémisses d’un cinéma plus polyphonique et égalitaire. Son ingéniosité et sa beauté signent des débuts encourageants pour ses deux réalisateurs, et s’il y a bien une chose dont on peut être certain, c’est qu’il n’a pas fini de faire parler de lui.4

RÉALISATEUR :  Fanny Liatard et Jérémy Trouilh 
NATIONALITÉ : française 
AVEC :  Alséni Bathily, Lyna Khoudri, Jamil McCraven, Finnegan Oldfield 
GENRE : Drame 
DURÉE : 1h38 
DISTRIBUTEUR : Haut et Court 
SORTIE LE 23 juin 2021 
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