Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Comment le cyber-yuan va remodeler la finance internationale

On notera que quand les États-Unis sont prêts à mettre à feu et à sang la planète pour imposer l’hégémonie du dollar ils sont pour les “experts” occidentaux dans leur droit, mais quand la Chine défend sa souveraineté dans un tel contexte, elle est soupçonnée de “totalitarisme”. Mais en dehors de ce biais idéologique auquel on n’échappe pas sous nos climats, l’article apporte un certain nombre de descriptions utiles pour comprendre la stratégie chinoise. Notons que la traçabilité de la monnaie a moins de chance de gêner le citoyen ordinaire surtout dans un système socialiste où le consumérisme n’est pas le moteur des relations sociales, en revanche il est un instrument de contrôle du crime organisé et de son alter ego le blanchiment et les paradis fiscaux. (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

OPINION. En annonçant la création d’un e-yuan, la Chine s’inscrit à son tour dans le développement des crypto-monnaies. Mais quelles seront les conséquences d’une telle émission et quelles sont les intentions des autorités de Pékin? (*) Par Jean-Jacques Handali, directeur et administrateur de Cosmopolis Conseil (Genève). Jean-Jacques Handali (*)08 Juin 2021, 12:09

16 mn

Hong Kong a commencé à tester la possibilité de paiements via un yuan digital.
Hong Kong a commencé à tester la possibilité de paiements via un yuan digital. (Crédits : Reuters)

Dans une conférence récente pour la Nixon Foundation, Peter Thiel affirmait que « le e-yuan n’est pas une crypto-monnaie, mais une mesure totalitaire. » Qu’en est-il ?

La Chine a inventé la poudre à canon quand le reste du monde ferraillait encore avec des lames, la musique quand il faisait encore du bruit, le papier monnaie quand il frappait encore des pièces métalliques. Aujourd’hui, le politburo de l’Empire du Milieu s’attaque à l’émission d’une monnaie numérique. Cette transformation de la devise légale en code informatique a le potentiel de remodeler l’ensemble du système financier et de bouleverser l’accès à notre épargne individuelle.

L’objectif du gouvernement chinois est quadruple :

– Saper l’un des piliers de la puissance américaine

– Contrôler l’économie et surveiller la population

– Enrayer la montée des crypto-monnaies

– Internationaliser sa devise.

Fuir le dollar avant qu’il ne s’effrite

Avec la prépondérance du dollar, les États-Unis contrôlent une large partie du circuit financier mondial. Ils peuvent ainsi sceller le sort économique d’une entreprise, d’une banque ou même d’un pays tout entier par simple décret. Leur hégémonie est telle qu’ils ne se satisfont pas d’interdire aux entreprises américaines de commercer avec le pays honni, mais empêchent toute entité, quelle que soit sa nationalité, d’utiliser des dollars dans les transactions avec ledit pays. Or, au lieu de réagir, la communauté internationale détourne le regard pour ne pas déranger ses principes, heureuse de ne pas être la cible de la colère américaine. Pour cette fois…

Plus spécifiquement, ces derniers mois ont témoigné d’une tension commerciale sino-américaine grandissante. Rappelons les sanctions économiques contre la Chine et Hong Kong en 2020, et la menace répétée d’exclusion du système de paiement en dollars US ; une attitude peu convenable pour une monnaie de réserve internationale. Outre ces menaces politiques, le niveau d’endettement économique des États-Unis pousse la Chine à réduire son assujettissement vis-à-vis du système SWIFT et de la devise américaine.

L’objectif consiste à établir un structure monétaire internationale capable d’exister en parallèle de la monnaie de réserve. Ainsi, biens et services pourront être échangés en dehors des circuits financiers traditionnels, et contourner la surveillance et les sanctions américaines. Tous les damnés de l’Oncle Sam (Iran, Corée du Nord, etc.) pourront alors utiliser ce moyen de paiement, mais pas seulement… il y aurait aussi tous ceux qui souhaitent se soustraire au contrôle américain et à l’impact de sa politique de gabegie économique sur sa propre monnaie (22.500 milliards de dollars de dettes attendus en 2021).

Nouvel outil à l’arsenal de la surveillance d’État

Après la reconnaissance faciale, voici venir le temps de la monnaie programmable…

La première caractéristique de cette cyber-monnaie sera sa traçabilité en temps réel. Chaque transaction effectuée par un consommateur chinois pourra ainsi être suivie à la trace par la banque centrale, qui en sera informée dans l’instant. À quand le contrôle des intentions d’achat ?

La deuxième caractéristique de la devise sera sa date d’expiration que les autorités auront loisir d’établir selon leur perspective économique. Une faiblesse passagère du PIB et vos yuans numériques seront caducs à partir du… 28 février prochain, par exemple. Une incitation à la dépense encore plus stimulante qu’une hyperinflation !

La troisième caractéristique de la monnaie virtuelle résidera dans sa disponibilité ou, plus précisément, celle que les autorités voudront bien concéder à ses récipiendaires. Elle sera considérée et distribuée tel un accessit : qui a droit d’en disposer, qui n’y a pas droit et qui devra attendre le bon vouloir du palais.

L’Occident songe également à introduire ses propres monnaies numériques (e-dollar et e-euro) fondées sur le même postulat que le e-yuan et renfermant le potentiel des mêmes dérapages…

L’anti-Bitcoin chinois

En lançant le e-yuan, la Chine n’émet pas une autre monnaie blockchain décentralisée, comme le ferait un protagoniste privé. Elle soutient le rôle des banques nationales en les gardant dans le circuit. En cela, elle n’opère pas une désintermédiation de leur fonction, mais au contraire, leur permet d’élargir et de compléter l’éventail de leurs prestations.

Le yuan numérique sera réglementé et « garanti » par l’état, ce qui n’est le cas d’aucune devise virtuelle.

Partant, la Chine a commencé à peser sur la circulation du Bitcoin et de ses semblables. Il n’est plus possible d’acheter quoi que ce soit en crypto-monnaie dans le pays. Le Bitcoin est toléré uniquement en tant que crypto-actif ; un actif non-échangeable en yuan ou futur e-yuan !

Les obligations d’État chinoises à la manœuvre

Cette dernière décennie, l’Empire du milieu s’est évertué à faire du yuan une valeur crédible. Il a maintenu sur les marchés une devise forte et stable et des taux réels positifs (nets d’inflation). Cette combinaison a permis à la Chine de générer les meilleurs rendements en matière de devises et en matière d’obligations, ajustées en fonction des devises. Le pays dispose de deux atouts décisifs : la taille de son marché intérieur (représentant le cinquième de l’humanité) et la capacité de mobiliser sa population.

Durant la parenthèse Bretton Woods (1945 à 1971), les obligations d’État et l’or étaient les placements de prédilection. Les premières parce qu’elles offraient du rendement, le deuxième parce qu’il résistait aux dévaluations. Aujourd’hui, l’or a perdu un peu de son éclat en Occident, où les investisseurs lui préfèrent les crypto-monnaies. En tout cas, pour le moment. Toutefois, il est encore des pays très attachés à cette vieille relique (Russie, Arabie Saoudite, Inde, Malaisie, Indonésie…), des pays où précisément la Chine essaie de promouvoir sa devise.

L’idée de la Chine serait de combiner ces deux instruments : des obligations d’État adossées à des réserves d’or. Une sorte de retour à l’époque rigoriste de Bretton Woods qui offrirait une crédibilité au marché national chinois des taux fixes. Cette crédibilité était l’apanage des États-Unis jusqu’à ce que l’expansion monétaire et les politiques fiscales ne mettent le dollar face à un probable risque de dévaluation et une éventuelle poussée de l’inflation.

À force de faire tourner la planche à billets à vide, de gonfler le prix des actions sur de faibles taux de croissance, de museler les taux d’intérêt par désordre, les États-Unis risquent de rendre factice la valeur de leur dollar. Alors, le yuan numérique et les obligations chinoises ressembleront peut-être à des alternatives séduisantes, aux yeux des investisseurs du monde entier.

Jean-Jacques Handali (*)

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3 Commentaires

  • Daniel Arias
    Daniel Arias

    Vers la fin de l’hégémonie américaine sur les systèmes d’exploitation ?
    Les sanctions américaines ont amené une réaction puissante des géants du numérique.
    Huawei lance HarmonyOS 2, un système d’exploitation pour tous les appareils smartphones, tablettes, télés, écouteurs, montres, électroménager, voiture,…
    Ce nouveau système d’exploitation est soutenu par les grandes marques chinoises d’électro ménager; Xiaomi, Oppo et Vivo pourraient l’installer sur leurs smartphones.
    L’objectif de Huawei est de fournir un système d’exploitation unique et modulaire permettant de tout faire communiquer sans effort. Ce système est en open-source et mis à disposition des développeurs ainsi que son environnement de développement.
    Par exemple ouvrir votre voiture ou votre bureau avec votre montre, filmer un événements depuis plusieurs appareils et les contrôler avec un seul, régler votre four depuis une recette trouvée sur internet, commencer une visio conférence sur votre smartphone et afficher votre correspondant sur une télé, faire un copier coller entre des appareils différents. Pour associer deux appareils il suffira de les faire se toucher et ensuite choisir celui qui servira de commande.

    Une présentation rapide des fonctionnalités:
    https://youtu.be/bjmj1eDikLk
    Les raisons du développement d’HarmonyOS
    https://youtu.be/gWZRVUUnCM4
    Le lancement d’HarmonyOS
    https://youtu.be/PBfxS_ke0iE?t=1750

    Par ailleurs l’application WeChat a ouvert aux développeurs la possibilité d’écrire des miniprogrammes qui s’exécutent dans l’application WeChat. Cette ouverture permet à plus d’un million de programmeur de développer leur miniprogramme et d’enrichir l’environnement WeChat.

    Deepin un linux élégant pour tout le monde est soutenu par une entreprise chinoise.

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  • etoilerouge commune
    etoilerouge commune

    ce n’est pas pour saper la puissance américaine pour l’essentiel le privilège du dollar car c’est un privilège est aujourd’hui un frein au développement multinational des économies. L’euro idem bien que ce ne soit pas une monnaie privilège mais un masque de l’impérialisme germanique. il empeche le développement économique des sociétés nationales européennes. Donc réduire le rôle du dollar est une nécessité progressiste.

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  • marsal
    marsal

    Je crois qu’il ne s’agit pas que de réduire le rôle du dollar. Il me semble que la stratégie de la Chine est d’élargir son développement économique et social en direction des 5 continents, là où la politique américaine fut essentiellement de contenir le développement d’éventuels rivaux par différents moyens. La politique que Xi appelle ouverture économique n’est pas une pure rhétorique diplomatique, comme la pratique les pays occidentaux. La Chine représente plus d’un milliard de personnes, en voie de développement économiques. Le bloc occidental, que Biden tente de réanimer et de consolider représentent sensiblement autant, voire un peu plus, mais avec un niveau d’intensité économique (mesuré aujourd’hui par le PIB en dollars, ce qui mériterait une analyse approfondie, mais bon …) nettement supérieure. Même considéré en parité de pouvoir d’achat, le pib par habitant de la Chine est sensiblement inférieur à la plupart des pays occidentaux.

    La Chine pourrait se contenter de viser de rejoindre un niveau de PIB par habitant moyennement développé et serait déjà très bien placée au niveau mondial. Il me semble que ce n’est pas ce qui est visé. L’objectif de la stratégie One Belt – One Road ou nouvelle route de la soie, c’est de permettre le développement et la réduction de la pauvreté sur les 5 continents, là où la politique occidentale l’empêche.
    Pour cela, il s’agit, au sens propre, de libérer les forces productives de tous ces pays, quelle que soit leur situation politique, économique, sociale … en proposant un cadre ouvert d’échange commercial, l’accès aux investissements, le développement des infrastructures clés, …
    Ce faisant, la Chine se place au coeur d’un système mondial de non pas 1 milliard d’habitants, mais plutôt de 6 milliards de personnes, majoritairement jeunes, de cultures et histoires diverses mais aspirant toutes à un développement économique et social. C’est pour cela que Huawei conserve son ambition face aux sanctions américaines : l’enjeu n’est pas de vendre des smartphones dans l’occident qui se referme, mais de fournir dans le reste du monde les outils du développement technologique.

    Les américains l’ont bien compris, quoique tardivement. Il est très intéressant de noter que cela conduit l’administration Biden à renoncer assez radicalement à la dogmatique néo-libérale : fini le “moins d’état”, place au grand retour de l’état (qui reste un état totalement pro-capitaliste). Les multinationales sont à nouveau invitées à payer l’impôt (bon bien sûr, il y aura des exemptions), car, pour contrer la Chine, le libre marché ne suffit pas. Trump avait inauguré cette évolution au niveau commercial, en taillant en pièces la liberté du commerce afin de freiner l’ascension des compagnies chinoises. Biden poursuit et amplifie : désormais, c’est l’état qui prend les commandes du bloc capitaliste, qui va mobiliser, dans une sorte de capitalisme de guerre, les ressources économiques nécessaires à la compétition avec la Chine. L’Europe, qui avait déjà suivi Trump sans mot dire, est assignée à faire bloc et à soutenir, quitte à faire quelques compromis ça et là.

    Dernier mot : le développement économique, social, technologique de la Chine est impressionnant. Il ne faut pas pour autant sous-estimer la violence et la puissance de la réaction capitaliste qui se prépare.

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