Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Russie et Chine: coopération géopolitique

“La voie vers un monde multipolaire ne peut être tracée que par la coopération géopolitique”.

Ivan Melnikov, Premier vice-président du comité central du KPRF, premier vice-président de la Douma d’État, s’est exprimé lors de la conférence internationale “Russie et Chine : la coopération dans une nouvelle ère”. Comme en témoigne l’intervention de Melkinov, il s’agit dans un contexte officiel de rappeler la perte de souveraineté russe avec la chute de l’URSS, mais aussi la manière dont tout le continent européen a vu toutes les personnalités indépendantes, les forces politiques allant dans le même sens être remplacées par des individus et des institutions vassalisées. J’ajouterai et ce sera une réflexion que nous prolongerons demain, ce que ne dit pas ce texte mais qui est contenu en filigrane : dans le cadre de cette vassalisation qu’en a-t-il été des grands partis européens, ceux au pouvoir mais aussi ceux dans l’opposition comme les partis communistes italien et français? Qu’en est-il aujourd’hui au plan international et l’évolution positive au plan interne a-t-elle sa correspondance au plan international par rapport aux enjeux de l’heure. Je réponds NON, le PCF est encore vassalisé à l’atlantisme, ce qui bloque son processus de reconstruction stratégique mais celui-ci va de plus en plus exiger un niveau de conscience des militants, et il serait temps de le voir. (note de Danielle Bleitrach et traduction de Marianne Dunlop)

2 juin 2021

Ivan Melnikov

Le 1er juin, le premier vice-président de la Douma d’État de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie, président de la Société d’amitié russo-chinoise, Ivan Melnikov, a participé à la sixième conférence internationale “Russie et Chine : coopération dans la nouvelle ère”. La conférence était organisée par le Conseil russe des affaires internationales (RIAC) et l’Académie chinoise des sciences sociales (CASS).

L’événement a été programmé pour coïncider avec le 20e anniversaire du traité de bon voisinage, d’amitié et de coopération entre la Russie et la RPC, qui a jeté les bases d’un nouveau type de relations entre les deux pays.

Le ministre russe des affaires étrangères, Sergey Lavrov, et le ministre chinois des affaires étrangères, Wang Yi, ont participé à la conférence, ainsi que d’autres hommes d’État, des politiciens, des experts de premier plan et des universitaires des deux pays travaillant sur les relations Russie-Chine. Voici l’intervention d’Ivan Melnikov, au nom de la Douma d’État et de la Société d’amitié russo-chinoise :

“Chers collègues, camarades, amis !

Je suis heureux de voir de nombreux visages familiers. Je remercie les organisateurs des côtés russe et chinois pour l’invitation à participer à cette conférence représentative, informative et vraiment pertinente.

D’une part, l’événement coïncide avec le 20e anniversaire du traité de bon voisinage, d’amitié et de coopération entre la Russie et la Chine – et nous analysons l’expérience accumulée, la brillante ascension de notre partenariat au niveau stratégique global. Il s’agit d’une réalisation commune de la plus haute importance.

D’autre part, l’accent est mis sur la coopération “dans une nouvelle ère”, et nous discutons de l’avenir. En même temps, nous comprenons que beaucoup de choses sur la planète dépendent aussi de l’avenir de nos relations. Il s’agit d’une grande responsabilité partagée.

Le bloc de questions proposé pour notre session parle des “particularités et caractéristiques essentielles” du partenariat entre la Russie et la Chine. Je crois qu’ils sont fondés sur le déroulement même du processus historique. Historique et géopolitique. Et pour avoir une meilleure idée de la dynamique et du ton de nos relations bilatérales, il est utile de revenir un peu sur le contexte général.

Après l’effondrement de l’Union soviétique – 10 ans avant la conclusion du traité – la Russie a rencontré des problèmes dans la mise en œuvre de sa politique souveraine, y compris la politique étrangère. Ce n’est un secret pour personne que dans les années 1990, un nombre important d’institutions publiques étaient dirigées par des conseillers étrangers venus de l’Ouest. Les chacals politiques se sont rués sur le butin : l’économie soviétique. C’était une “période troublée”, difficile.

Au début du XXIe siècle, juste au moment de la signature du traité, la situation a commencé à changer, la Russie moderne a commencé à chercher son chemin vers une nouvelle politique indépendante. Elle se trouvait à un carrefour, tendant avec bienveillance une main vers l’Europe et l’autre vers l’Asie. Notre pays est fortement lié à l’histoire et à la culture européennes. Quant à l’Europe, il y avait beaucoup d’attentes. Il a été question d’un grand projet “de Lisbonne à Vladivostok”.

Il a fallu du temps pour accepter le fait : l’Europe n’est pas indépendante dans ses intentions et ses actions. Ni “celle de l’Ouest”, ni “celle de l’Est”. Aucune.

On aurait pensé que le monde n’était plus divisé en “deux camps”. Mais les Européens ont se sont débarrassés de tous les dirigeants plus ou moins indépendants – et, sous l’impulsion d’une nouvelle génération de politiciens, n’ont fait qu’accroître leur dépendance à l’égard de Washington et de son quartier général à Bruxelles. En cours de route, ils ont provoqué une avalanche de crises : de la démocratie, de l’identité nationale, de l’orientation spirituelle. Il est devenu plus difficile de parler de quelque chose d'”équitable” et de “mutuellement bénéfique”.  

Cependant, au cours de ces mêmes années, le dicton “tout s’apprend par comparaison” s’est avéré efficace. Ces circonstances ont permis de voir encore mieux en Chine, par contraste, les caractéristiques que nous recherchions dans un partenariat. Solidité, cohérence, prévisibilité.

Après une certaine période d’éloignement l’un de l’autre, l’interaction pratique sur des questions spécifiques et la communication basée sur la confiance nous ont rapprochés, étape par étape. Les dirigeants de nos États et leurs relations personnelles ont joué un rôle important à cet égard. Les circonstances historiques ont également joué un rôle important. Et, le plus important de tous : la confluence des valeurs nationales et des approches à long terme. La paix, pas la guerre. Le collectivisme, pas l’égoïsme. La prise en compte mutuelle des intérêts de chacun, et non leur opposition. Indépendance et traditions distinctives plutôt que des modèles universels étrangers et souvent inadaptés.

Sur la scène internationale – aux yeux des autres acteurs – nous ne sommes pas seulement de grands pays. La civilisation russe, avec ses milliers d’années d’existence en tant qu’État et son expérience soviétique unique, et la civilisation chinoise, l’une des plus anciennes de l’histoire de l’humanité, ont un grand potentiel pour équilibrer l’agenda international dans le cadre de relations alliées. De plus, à long terme, ils peuvent jouer un rôle décisif dans la progression du développement économique et technologique de la planète.

Cela est de plus en plus évident pour ceux qui n’aiment pas un tel scénario. C’est pourquoi des informations sur les plans prétendument insidieux de la Chine concernant la Russie sont lancées de plus en plus fréquemment. On s’efforce de créer l’image d’une menace venue de l’Est aux yeux des Russes.

Nous connaissons de tels “bienfaiteurs”. Ils aiment les schémas bien rôdés. Peut-être veulent-ils répéter le coup de Nixon-Kissinger de la fin des années 60 et du début des années 70 pour saper les relations entre nos deux puissances. Et en faisant cela, ils veulent maintenir leur position dominante.

Mais cette leçon a été apprise. Nous avons été “vaccinés” contre ces astuces. Ce n’est pas un hasard si un slogan a été choisi lors de la signature de notre traité il y a vingt ans : “Amis pour toujours, ennemis jamais”.

Bien sûr, la politique et la géopolitique ne sont ni des paroles ni des romances. Il n’y a aucun doute : chaque pays a ses propres intérêts. La Russie et la Chine pensent avant tout à leur bien-être, à leurs tâches nationales, à leurs peuples et à la protection de leurs frontières et de leurs “lignes rouges”. Mais la vie prouve un autre fait irréfutable : il est très difficile, dans les conditions du monde unipolaire imposé, de s’isoler chacun dans son coin et de résoudre ses propres problèmes. Ceux qui revendiquent l’exclusivité et l’hégémonie ne laisseront personne faire cela.

Nous le comprenons. Et dans ce contexte, il était agréable d’entendre les récents propos de Wang Wenbin, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, selon lesquels les autorités chinoises ont l’intention de commencer à renforcer leur soutien à la Russie dans un contexte de durcissement des sanctions occidentales contre Moscou. Ce langage de référence est important non pas tant pour les politiciens que pour la société russe. La solidarité est un concept très spécial pour le peuple russe ; il connaît son prix.

Nos dirigeants ont répété à plusieurs reprises que nous ne construisons aucun type de blocs ou d’alliances militaires. C’est vrai, c’est notre position. Mais il est également vrai que la voie vers un monde multipolaire ne peut être tracée que par la coopération géopolitique de ceux qui sont en faveur d’un tel monde. Il n’y a aucune réticence à avoir.

Trois “cycles de sept ans” de la lutte de la Russie pour la multipolarité, résistant à l’expansion militaire et culturelle du mondialisme à l’américaine, se sont déjà écoulés au XXIe siècle.

En 2007, le président Vladimir Poutine a explicitement et clairement exposé les problèmes existants dans son discours de Munich. En 2014, avec les faucons aiguisant leur bec de prédateur aux frontières mêmes de la Russie, il n’y avait plus de temps pour les bavardages. Nous avons été contraints d’agir de manière décisive lorsque l’élite occidentale a trahi l’accord signé à Kiev par ses hauts représentants. Aujourd’hui, en 2021, alors que le niveau d’escalade et d’accusations débiles a atteint son paroxysme, le leader russe, d’habitude toujours poli, a utilisé l’expression “nous vous casserons les dents”. Ah, que pouvez-vous faire s’ils ne veulent pas entendre d’autres mots. 

La Russie est un pays qui aime la paix. Rappelons-nous : ce n’est pas notre pays qui a déclenché la “guerre froide” au milieu du XXe siècle. Au contraire, forte d’un pouvoir et d’une influence énormes dans le monde après la Seconde Guerre mondiale, lors de toutes les conférences liées à la création de l’ONU, la délégation soviétique a plaidé de manière cohérente et décisive pour que les activités de cette organisation soient fondées sur des principes démocratiques dès le départ. Nous y sommes toujours attachés, même aujourd’hui.

Les membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU ont un droit de veto, et ces droits sont égaux. Quel système incroyable : un seul vote contre, et tout le monde devra l’accepter ! Et on nous impose un cadre où un seul cri, un seul commandement américain “attaque” [mot utilisé uniquement pour donner un ordre au chien, NdT] suffit pour que des dizaines de petits satellites détruisent de grands projets économiques, retirent du marché des innovations technologiques non désirées, imposent des sanctions et arrachent les drapeaux des États. Et tout cela vise à la destruction, à la division, au conflit. Les peuples du monde, fatigués des pandémies, ont déjà accumulé la fatigue d’une telle atmosphère tendue et agressive.

La Russie et la Chine, quant à elles, peuvent donner l’exemple d’un programme positif et créatif. Je suis plongé dans les relations entre la Russie et la Chine depuis de nombreuses années, mais auparavant je n’en voyais qu’une seule composante – interétatique, interparlementaire et interpartis. Ayant dirigé la Société d’amitié russo-chinoise, j’ai discerné, au cours des deux dernières années, une énorme strate de personnes, tant en Russie qu’en Chine, qui, avec un immense enthousiasme et un intérêt sincère pour l’autre, organisent des événements et popularisent les traditions et les réalisations des deux pays. Cette énergie vive est le carburant le plus sérieux pour les contacts de haut niveau. Il existe un sentiment absolument sincère qu’à travers tout cela, en rassemblant les gens, à travers des projets communs, il est possible de surmonter non seulement les difficultés de communication linguistique, mais aussi tous les autres obstacles possibles.

Il ne s’agit pas de s’intéresser aux beautés de la Place Rouge ou à la calligraphie chinoise. Ce qui est important, c’est l’amitié des scientifiques, des entrepreneurs, des étudiants, des sportifs, des médecins, etc., etc. – de tous les tissus de la société, de toutes les catégories professionnelles et d’âge.

De cette manière, nous pouvons élargir et renforcer la base sociale de nos relations. En outre, les systèmes de communication modernes permettent aujourd’hui aux citoyens d’être plus proches les uns des autres, quelle que soit la distance géographique. Si l’intérêt mutuel et l’ouverture de nos citoyens les uns envers les autres deviennent un courant favorable, notre navire de partenariat interétatique voguera plus vite et plus régulièrement sur une telle rivière. La qualité du navire dépend des politiciens. La vitesse de la navigation dépend des peuples.

En conclusion, je voudrais souligner l’importance du mot “bon voisinage” dans le libellé de notre traité. La première partie de ce mot est très forte. Que nos relations continuent à se développer sous le signe du mot “bon” pour la Russie et la Chine, et pour le monde entier !

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1 Commentaire

  • Xuan

    Bonjour, en écho au commentaire de Danielle, je signale deux articles récents :

    Le 100e anniversaire du PCC est l’occasion de tirer quelques bilans de son passé, des épreuves, des erreurs et des succès.

    Dans une série deux articles de Global Times, on lit dans le second intitulé « Le PCC émerge plus fort, plus ferme dans son aspiration originale, à travers la brume des années 1980 »

    … « De la fin des années 1980 au début des années 1990, non seulement la Chine, mais l’ensemble du bloc socialiste, y compris l’Union soviétique et de nombreux pays d’Europe centrale et orientale, ont connu une énorme vague de « libéralisation» ou de «démocratisation» , qui était en fait une occidentalisation.

    Encore une fois, la Chine était à la croisée des chemins de l’histoire. Les dirigeants du PCC, tout comme leurs camarades en Europe, étaient confrontés à une décision : insister sur la voie du socialisme aux caractéristiques chinoises et garder l’aspiration originelle du Parti ; ou renoncer au socialisme comme l’ont fait les camarades européens et embrasser l’occidentalisation. »

    Michel Aymeric publie aussi la traduction de  « Xi Jinping convoque 58 partis marxistes face à la nouvelle guerre froide »

    Et cite « Ce qui manque, et auquel Xi Jinping a expressément fait appel, c’est une collaboration plus étroite entre les partis communistes, le renforcement du dialogue et des échanges, et à cet égard – a confirmé le dirigeant chinois – le PCC est prêt à promouvoir conjointement la cause du progrès humain et la construction d’une communauté avec un avenir partagé pour l’humanité avec les partis politiques marxistes du monde entier. »

    Il ne s’agit pas d’une nouvelle internationale, mais d’une communauté de pensée et d’action face à la nouvelle guerre froide de l’hégémonie US pour sa survie, et face à l’atlantisme.

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