Andrey Dultsev, le correspondant de la Pravda pour l’Europe occidentale brosse ici un tableau de ce que l’épidémie a révélé de l’évolution du capitalisme occidental depuis la fin de l’URSS, comment débarrassé de son concurrent, contrepoids, il a détruit des pans entiers de conquis sociaux en matière de santé, il a creusé de formidables inégalités sur lesquelles l’épidémie mord à belles dents ici comme dans le tiers monde. Ce sont des idées qui nous sont familières mais la démonstration appuyée sur des faits est effrayante sur ce que représente réellement l’UE (note de Danielle Bleitrach et traduction de Marianne Dunlop)
# 41 (31101) 20-21 avril 2021
Auteur: Andrey DULTSEV, corr. “Pravda” en Europe occidentale.
Selon de nouvelles données du Fonds monétaire international (FMI) publiées en mars de cette année, la pandémie COVID-19 a conduit à l’appauvrissement de 90 millions de personnes dans le monde. C’est la population des pays du tiers monde qui a le plus souffert, de sorte que le fossé social entre les pays pauvres et la citadelle occidentale de l’impérialisme continue de se creuser. Le FMI estime qu’en 2021, les revenus des «pays en développement» dans leur ensemble seront inférieurs de 22% à ce qu’ils auraient été sans la pandémie et la crise économique. La plupart des gens n’auront accès qu’aux produits de première nécessité, et continueront à vendre leur travail pour une bouchée de pain aux entreprises transnationales occidentales.
Le virus a frappé durement les États membres de l’Union européenne, révélant un abîme social et une crise profonde du capitalisme, mettant des pans entiers de la population au bord de la survie. Ce fossé social ne s’observe pas seulement dans les pays les plus riches d’Europe, d’Allemagne et de France : la pandémie et la crise qui a suivi ont également marqué de leur empreinte les pays de la deuxième (Espagne, Grèce, Italie, Portugal) et de la troisième (Pologne, Croatie, Macédoine du Nord, Bulgarie, Roumanie , Slovaquie) catégorie en termes d’échelons de pauvreté de l’Union européenne.
Travailleurs peu rémunérés et temporaires, entrepreneurs individuels fictifs, mères célibataires, travailleurs migrants et réfugiés – tous étaient et restent les principales cibles de la crise sanitaire et économique dans l’UE, tandis que les entreprises multinationales et les fondations avec la participation de l’Union européenne et des gouvernements nationaux européens sont parfois devenus plus puissants que dans les années précédant la crise.
Les origines des systèmes de santé européens
La première et principale question à se poser est la suivante: pourquoi l’Europe avait-elle un bon système de santé accessible à tous au début des années 90? La politique sociale des pays européens a commencé à prendre forme au milieu du XIXe siècle. C’était le résultat de la lutte de classe du prolétariat et de la réponse des gouvernements bourgeois au défi posé par le mouvement ouvrier. En 1883, le chancelier du Reich Bismarck a introduit une assurance maladie obligatoire en Allemagne et, quelque temps plus tard, une assurance contre les accidents ainsi que les pensions. Ces trois polices d’assurance ciblaient la classe ouvrière.
«Mon idée était de conquérir ou plutôt de soudoyer la classe ouvrière pour qu’elle considère l’État comme une institution sociale qui existe pour lui et veut assurer son bien-être», a rappelé plus tard le «chancelier de fer». D’une part, ces mesures visaient à contrer la menace révolutionnaire; d’autre part, il y avait une volonté de priver de vie les structures naissantes de l’assurance sociale volontaire des syndicats. Bismarck a préconisé une assurance obligatoire pour tous les travailleurs.
Le second tour de ce développement a été donné par la social-démocratie, à partir de 1917: après la Grande Révolution socialiste d’octobre avec l’émergence de la société soviétique, après les premiers succès du socialisme en URSS et la création dans notre pays d’un système gratuit de soins de santé fondés scientifiquement, ce sont les sociaux-démocrates européens qui afin de cimenter les systèmes capitalistes dans leurs pays ont fait un certain nombre de concessions à l’égard de la classe ouvrière.
Pendant la guerre froide, l’Europe occidentale était censée servir de vitrine au capitalisme. Après l’effondrement de l’URSS, le besoin de concurrence sociale dans les pays occidentaux a disparu et, à partir de 1991, le secteur social européen a été balayé par une vague de privatisation.
L’effondrement du système de santé s’est produit bien avant la pandémie
«La politique de santé de l’UE est axée sur la protection de la santé, la garantie de soins de santé efficaces et des réponses coordonnées aux menaces sanitaires graves qui affectent plus d’un pays de l’UE. C’est ce que proclame l’UE ». Ces objectifs ambitieux sont-ils traduits en pratique?
Premièrement, l’UE encourage les investisseurs privés à entrer sur le marché intérieur européen. En Allemagne, par exemple, des groupes tels que Asklepios, Ren Kliniken, Helios / Fresenius, Sana, Ameos et le groupe de réadaptation Median ont non seulement formé un vaste réseau de cliniques grâce à la privatisation systématique des hôpitaux publics et des établissements médicaux spécialisés, mais aussi à travers leurs filiales, offrent de nombreux services médicaux payants dans toute l’Europe. Le plus grand hôpital d’Europe, celui de la Charité à Berlin, tout en restant formellement une institution médicale d’État, a en fait été privatisé.
Dans un marché capitaliste, la santé est une marchandise coûteuse. Au cours des trois dernières décennies, tous les pays européens ont fortement réduit les emplois pour soigner les malades, pratiquement aboli les soins à domicile (l’activité de soins à domicile a été déplacée des épaules de l’État vers des organisations bénévoles telles que la Croix-Rouge internationale, etc.), et le nombre de procédures bureaucratiques d’enregistrement et de maintien de l’assurance maladie a été considérablement augmenté. Au moment de la première vague de la pandémie COVID-19, les pays européens n’avaient tout simplement pas de réserves stratégiques pour la combattre. Il n’y avait pas de kits de test rudimentaires, de masques et de blouses, même pour le personnel hospitalier.
Sur l’exemple de la République fédérale d’Allemagne, on sait que le personnel médical est mal payé. Cependant, les travailleurs en sous-traitance sont encore moins payés: «l’externalisation» comprend le transport des patients, le nettoyage, les cuisines d’hôpitaux, les blanchisseries, les entrepôts d’équipements de protection et de médicaments, l’enregistrement des patients et la rééducation postopératoire. Dans le même temps, les sous-traitants mal payés enfreignent parfois gravement les normes sanitaires et hygiéniques: dans des conditions d’économie drastique, ils ne sont tout simplement pas en mesure de les respecter. Il est intéressant que la clinique Charité ait consulté le géant américain du conseil McKinsey & Company sur la question de «l’optimisation économique».
Pendant longtemps, l’irritation des capitalistes a été causée par l’existence même d’un système de santé publique destiné à prévenir les épidémies de masse. Le fait que dans un tel système de soins de santé, par «temps calme», un quart des lits d’hôpitaux étaient vides, était à leurs yeux un gaspillage et un gouffre économique. De 1991 à 2018, le nombre de lits d’hôpitaux en Allemagne a été réduit de 25%, et en France, de 1993 à 2018, 103 000 lits d’hôpitaux ont été supprimés.
En 2011, en France, afin d’économiser de l’espace d’entrepôt, par décision de l’ancienne ministre de la Santé Roseline Bachelot, des réserves stratégiques en cas de pandémie de masques de protection ont été détruites. Dans le même temps, c’est la pandémie qui, au cours des dix dernières années, a été qualifiée de «menace numéro un» dans les livres blancs de la sécurité des pays européens.
La politique frivole des gouvernements de l’UE est devenue l’une des raisons du manque de préparation de l’UE à la pandémie de coronavirus: lors de la première vague du 13 mars au 4 mai 2020, 1,6 million de procédures médicales et d’interventions chirurgicales prévues ont été annulées et reportées en Allemagne. Il n’y a pas de statistiques détaillées sur les patients affectés par les conséquences du report et de l’annulation du traitement à ce jour; les décès dans de tels cas n’ont pas été pris en compte en tant que conséquences de la pandémie COVID-19.
L’exemple des États-Unis
Un exemple de politique d’austérité en matière de soins de santé et de privatisation dans les pays de l’UE est le modèle forfaitaire des groupes américains de diagnostic (DRG). Il a été développé à l’université privée d’élite américaine de Yale et a été introduit pour la première fois dans le système de santé américain en 1983.
Ce montant fixe n’est pas une récompense pour une activité thérapeutique en tant que telle, mais pour un traitement à court terme et technologiquement intensif de maladies individuelles, en tenant compte des économies maximales. Le principe est qu’un lit d’hôpital doit être libéré le plus tôt possible pour le patient suivant. Cette réforme a été intégrée au programme néolibéral du président américain Ronald Reagan. L’ancien acteur hollywoodien a promis de réduire les coûts «inutiles». En conséquence, le système de santé américain est aujourd’hui le plus cher et le plus antisocial du monde. Plus de 27 millions d’Américains n’ont ni assurance maladie ni accès aux soins de santé. Parmi eux, les segments les plus faibles socialement de la population sont les chômeurs, les Afro-Américains et les Indiens.
À l’instar des États-Unis, l’UE a financé le projet EuroDRG: l’Irlande et les Pays-Bas ont été les premiers à adopter le système. En Allemagne, en 1993, le gouvernement du chancelier Helmut Kohl, avec le soutien de la société de conseil McKinsey & Company, a élaboré une loi sur la structure des soins de santé, dans laquelle le principe antérieur de planification budgétaire des fonds publics de santé était remplacé par le principe d’autosuffisance avec paiement du personnel médical sur la base d’une «rémunération basée sur la performance».
De nombreux patients ne vont jamais à l’hôpital
En 2004, le gouvernement allemand dirigé par le chancelier Gerhard Schroeder, à l’instar du Premier ministre britannique Tony Blair, a approuvé une exonération partielle des employeurs des cotisations de sécurité sociale, y compris l’assurance maladie, et a alourdi la charge des employés, ce qui entraînait dans la pratique une surtaxe pour les médicaments, les examens préventifs et les traitement. Cette politique a ensuite été adoptée par presque tous les États membres de l’UE.
Le résultat a été la destruction de la prophylaxie ambulatoire, qui en était auparavant à ses débuts dans les pays capitalistes et était une réponse au défi posé par les soins de santé de l’URSS. De nombreuses maladies sont détectées à des stades très tardifs et l’État refuse en fait de traiter les retraités pauvres, les familles nombreuses pauvres et les chômeurs.
Des statistiques sur commande
Certains politiciens occidentaux ont été véritablement surpris du manque de préparation à une pandémie des systèmes de santé de leur pays, étant donné que, selon l’indice de sécurité sanitaire mondial, qui classe 193 pays de l’ONU, au début de 2020, les systèmes de santé américains et britanniques, «mieux préparés» aux pandémies, étaient en tête. … Suivis par les systèmes de santé de la France, de l’Italie, de l’Espagne et de l’Allemagne, «bien préparés» aux menaces épidémiques.
Il est cependant intéressant de noter que cet indice a été développé par l’Université Johns Hopkins. Les instituts de santé de cette université privée américaine d’élite sont financés par les fonds personnels d’entrepreneurs très riches tels que William Gates, Michael Bloomberg et Stavros Niarchos. Collectivement, cette université est plus financée que l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Croyant aux indicateurs de l’indice, développé avec l’aide financière d’entreprises qui ont participé à la privatisation des soins de santé occidentaux, de l’administration du président américain Trump et des gouvernements de l’UE, dont les ministres de la Santé allemand et français Jens Spahn et Agnès Buzin, en mars 2020, se sont convaincus, ainsi que leur population, et le monde entier, qu’il n’y avait pas de danger.
Stratification sociale des pays de l’UE suite à la crise financière de 2007
Les systèmes de santé de l’Italie, de l’Espagne et de la Grèce, quant à eux, se sont révélés beaucoup moins préparés au défi épidémique que la France et l’Allemagne. Au lendemain de la crise financière de 2007, ces pays, dont les économies se sont le plus contractées, ont été régentés par la fameuse «troïka» – un Conseil comprenant des représentants de la Commission européenne, du Fonds monétaire international et de la Banque centrale européenne. Ce conseila exigé des réductions drastiques du budget social pour sauver les banques et rembourser la dette publique.
La Troïka a également exigé une réduction de 63% des dépenses de santé de l’Italie, de l’Espagne et de la Grèce entre 2011 et 2018. Les mesures d’austérité ont frappé les services d’incendie, les hôpitaux et les écoles. Des dizaines d’hôpitaux ont été vendus et des milliers de médecins et d’infirmières se sont retrouvés sans emploi. La troïka a également demandé d’abandonner la convention tarifaire collective sur les salaires des médecins et du personnel médical, et de réduire les pensions et les allocations de chômage.
Le troisième échelon de l’Union européenne : les pays d’Europe centrale et orientale
L’Occident, qui a jadis attiré la Pologne dans le giron capitaliste avec les slogans de «Solidarité», a rapidement indiqué aux Polonais leur place dans la construction de la «maison commune européenne»: les anciens pays socialistes ont subi le sort de la plus forte stratification, leurs habitants sont devenus une main-d’œuvre bon marché pour les grandes entreprises occidentales. Un système de santé à deux vitesses est fermement implanté en Hongrie, en Croatie, en Slovaquie, en Macédoine du Nord et en Roumanie: alors que les nouveaux riches et la bourgeoisie compradore sont traités dans des cliniques privées, le système de santé public est en déclin et sous-financé.
Les salaires mensuels des médecins et des infirmières dans ces pays varient de 400 à 1 200 euros. Dans le même temps, le niveau des frais de subsistance et du loyer est pratiquement égal à celui des pays riches de l’UE. Les jeunes émigrent en masse tandis que des salariés approchant de l’âge de la retraite et surchargés de travail exercent dans les hôpitaux et les établissements médicaux. Les grèves fréquentes de médecins et d’infirmières en Pologne et en Croatie dans l’UE ne sont pas entendues.
Une épidémiologie socialement aveugle
Les épidémiologistes européens partent de l’axiome erroné de la propagation uniforme du virus dans la population. Que ce soit dans un hôpital public sous-financé ou une clinique privée bien équipée, dans un quartier luxueux de Munich ou dans une usine de transformation de viande en Pologne … L’indice de propagation du virus est calculé par pays, par région, sans la moindre considération du facteur social.
C’est pourquoi les mesures de lutte contre la pandémie sont de nature générale et touchent tous les citoyens de la même manière. L’UE a complètement ignoré l’expérience de la Corée du Sud et de la Chine en matière de protection spéciale, de dépistage et de traitement prioritaires, principalement à ceux qui se trouvent dans des situations particulièrement vulnérables. Presque depuis le tout début de la pandémie, on savait que les personnes âgées de plus de 80 ans sont l’un des principaux groupes à risque. Mais dans les maisons de retraite aussi bien en France qu’en Allemagne les tests PCR n’ont été introduits qu’à la fin de l’été 2020.
La classe ouvrière est un groupe à haut risque
L’âge n’est qu’un des facteurs de risque. Les maladies cardiaques, l’obésité, le diabète et le cancer augmentent considérablement le risque de maladie grave et de décès lié au COVID-19. Mais ces maladies chroniques sont-elles uniformément réparties entre les riches et les pauvres? Les virologues européens ne se posent pas cette question. Une tentative des sociologues médicaux allemands de transmettre des informations au gouvernement l’automne dernier est passée inaperçue.
De nombreuses victimes du coronavirus sont jeunes. Sur l’exemple de la République fédérale d’Allemagne, cela est évident: les Bulgares et les Roumains travaillant en Allemagne en tant que travailleurs invités sont beaucoup plus susceptibles de souffrir de maladies chroniques, de vivre dans des conditions exiguës, de recevoir des soins médicaux limités et leur destin est de servir leurs maîtres allemands. Avec des handicaps physiques et mentaux, ils sont beaucoup moins susceptibles d’être testés et vaccinés que les Allemands natifs.
Allemagne: refusé en raison de circonstances infectieuses
Si la lutte contre la pandémie dans l’UE était scientifiquement fondée, il serait alors nécessaire d’identifier d’abord les groupes à risque présentant des problèmes de santé, la dépendance de l’évolution de la pandémie vis-à-vis des conditions de travail, de la vie, de l’environnement et de l’âge; tester les groupes à risque aussi complètement que possible; déployer des hôpitaux temporaires et isoler les patients; convenir de mesures à l’échelle nationale pour la fourniture d’équipements de protection et leur distribution gratuite, établir la durée et les conditions de la quarantaine. Cette approche est d’autant plus nécessaire dans les cas où le système de santé est mal préparé et les ressources sont limitées.
Mais c’est précisément ce qui n’a pas été fait. Dans les maisons de retraite, les grandes entreprises, les chantiers de construction, les usines de transformation de la viande, dans les points chauds sociaux, aucun des pays de l’UE n’a effectué de tests PCR, à l’exception de cas très catastrophiques de propagation de l’infection, comme dans l’immeuble de bureaux abandonné «Iduna» à Göttingen, qui est devenu un foyer d’infection, car plus de 700 migrants, chômeurs et sans-abri y vivaient dans des conditions exiguës.
Un exemple frappant est également un foyer d’infection dans la ville bavaroise de Mitterteich avec une population de 6500 personnes et avec le plus grand nombre de personnes infectées (1136 personnes) et de décès (134 personnes) dans la première vague de la pandémie (chiffres à la date du 25/05/2020). La verrerie Shot AG qui s’y trouve, qui emploie 1 250 travailleurs, est la plus grande usine de la région, émettant de la poussière de verre invisible dans l’atmosphère, qui peut se déposer dans les poumons. Les accusations portées par les médecins sur une situation écologiquement nuisible pour la population de la région, conduisant à une forte propagation du virus, sont restées inconnues des autorités.
Une situation similaire s’est développée avec les chômeurs allemands: une étude menée par la compagnie d’assurance allemande AOK et l’hôpital universitaire de Düsseldorf a montré que les chômeurs ont un risque 84% plus élevé de contracter le COVID-19 que la population moyenne.
Les conditions de travail dans les abattoirs – principal foyer du COVID-19
Il y a eu une grande surprise en France et en Allemagne lorsqu’un groupe à risque a été identifié (en dehors des maisons de retraite médicalisées) dans l’industrie de la transformation de la viande.
À l’été 2020, en quelques jours, on a découvert un niveau élevé d’infection dans les usines de Westfleisch, Müller Fleisch et Vion en Allemagne et en France. Le 24 juin, 1 500 travailleurs ont été infectés dans plus grande ferme porcine d’Europe de Tönnis, à Rhede-Wiedenbrück. L’audit a révélé qu’ils étaient contraints de travailler sans équipement de protection. Clemens Tönnis, le propriétaire de l’entreprise, avait déclaré fièrement dans une interview deux semaines avant l’inspection: «Mes travailleurs effectuent volontairement des durées de travail de 16 heures le week-end».
Cela dit, les conditions de travail difficiles dans l’industrie européenne de la transformation de la viande ne sont pas nouvelles. Les produits à base de viande allemands, connus dans tous les pays de l’UE pour leur bon marché, nécessitent des coûts minimes: les travailleurs immigrés d’Europe de l’Est travaillent dans des conditions exiguës, l’air refroidi contribue à la propagation des infections, le travail est dur et épuisant et les quarts de travail durent 16 heures ou plus, et cela sans interruption. Tout cela affecte la santé.
En 2017, une étude virologique a été publiée, selon laquelle les abattoirs sont des «points chauds» pour les épidémies: les bioaérosols utilisés ici pour traiter la viande endommagent les poumons des travailleurs et facilitent la transmission de bactéries et de virus. Mais comme cette étude a été réalisée par des scientifiques de l’Université de Shiraz, c’est-à-dire de l’Iran hostile à l’Occident, l’Europe ne s’est intéressée à ses résultats qu’en juin 2020, alors qu’il était trop tard.
Le risque d’infection est combiné à d’autres facteurs. Les travailleurs des usines de transformation de la viande sont généralement logés dans des dortoirs exigus: six à huit personnes par 30 mètres carrés, avec une cuisine et une salle de bain communes. Puisque les sous-traitants de location veulent gagner le plus possible, le niveau de conditions de vie et d’hygiène reste minime.
Ainsi, une combinaison d’un certain nombre de facteurs constitue une menace pour la santé de ce groupe à risque. Une situation similaire de surexploitation dans l’industrie de la transformation de la viande s’est développée en Irlande, aux Pays-Bas, en Pologne, en Italie et en France.
Les mesures de lutte contre la pandémie montrent à la fois la nature de classe et anti-populaire de l’UE: la migration de main-d’œuvre se fait au détriment des pays pauvres dont l’économie est détruite par l’Occident, et dont les pays fondateurs de l’UE ont profité.
Les règles ne sont pas pour tout le monde
La police, qui en Allemagne surveille très attentivement les exigences en matière d’observation de la distance sociale et de mise en quarantaine dans les parcs, dans les rues, les terrains de jeux et dans les magasins, n’est venue vérifier aucun abattoir. Ni les douanes, ni l’inspection du commerce (chargée de la protection du travail), ni les autorités sanitaires – personne n’est venu en aide aux travailleurs. Aucune des douzaines d’agences de défense des droits du travail de l’UE n’a prêté attention aux violations. Au contraire, elles ont veillé à ce que la migration de main-d’œuvre vers l’UE se poursuive même dans les conditions du COVID-19. De plus, cela s’applique non seulement à l’industrie de la viande, mais aussi à l’industrie de la construction, au transport de marchandises, aux soins aux personnes âgées et aux travaux agricoles saisonniers.
Malgré la pression publique et les demandes des organisations syndicales, le ministère allemand du Travail n’a préparé qu’en septembre 2020 le premier paquet de normes de protection du travail en situation de pandémie et de quarantaine. Le lobby des entreprises de l’Union industrielle allemande a insisté pour «réduire les exigences en matière de documentation». Des publications et des syndicats allemands rapportent que localement de nombreux employeurs résistent à l’application des règles, découragent la création de conditions de distanciation sociale et refusent de distribuer gratuitement les équipements de protection nécessaires.
Avec le déclenchement de la première vague de la pandémie, cependant, le gouvernement allemand n’a pas été trop paresseux et n’a pas hésité à prendre soin de sa propre image: il a signé un contrat avec l’agence de publicité Scholz & Friends pour 22 millions d’euros afin de populariser la politique de l’État pour lutter contre la pandémie. Le contrat est valable jusqu’en 2024.
Une quarantaine éternelle mal conçue
La fermeture des frontières intra-européennes en réponse à la pandémie, la fermeture complète et mal conçue de magasins, restaurants, écoles, jardins d’enfants, universités et institutions culturelles a conduit à l’effondrement de l’industrie des services et du secteur du tourisme. En fait, les étudiants salariés, travailleurs temporaires et mal payés, ainsi que de nombreux travailleurs indépendants se sont retrouvés au chômage. Dans le domaine de la restauration, du commerce de détail, de l’aviation, des transports publics et du tourisme, les mesures économiques restrictives prises dans les pays de l’UE ont entraîné une réaction en chaîne sous forme de faillites de petits propriétaires privés et une redistribution du marché en faveur des grands investisseurs.
Simultanément, plusieurs millions de salariés européens ont été envoyés travailler à distance. En février 2020, le gouvernement allemand, suivi par d’autres pays de l’UE, a annoncé des dédommagements temporaires pour les employés des entreprises touchées par la pandémie COVID-19 à hauteur de 60% des salaires. Les entreprises allemandes ont demandé des prestations pour plus de 10 millions d’employés en mai 2020, alors qu’en fait, seulement 1,06 million d’entre eux étaient effectivement sans travail.
La plupart des employés d’entreprise, lorsqu’ils étaient à la maison, étaient en fait contraints de travailler à distance, et les entreprises recevaient des prestations compensatoires pour eux: « Les entreprises ont reçu des allocations publiques pour incapacité temporaire pour certains de leurs employés et, ce faisant, il s’est avéré que tous les employés travaillaient », a noté la bourse du travail allemande, soulignant en même temps qu’elle manque d’employés capables de contrôler la plupart des plaintes anonymes. Le représentant de l ‘”Union industrielle allemande” a, à son tour, annoncé que d’un point de vue juridique, cette allocation est devenue un profit tout à fait légal pour les entrepreneurs.
L’Union européenne est le royaume du cash
Dans la société bourgeoise, l’État est le capitaliste idéal: si cette société est atteinte par une crise, alors l’État soutient sa propre classe –les propriétaires et entrepreneurs. Les actions des pays européens pendant la pandémie en sont un bon exemple. En Allemagne, un «plan de relance économique» de 130 milliards d’euros a été approuvé dès que possible et un «fonds de stabilisation économique» de 600 milliards a été créé pour les entreprises: des paiements ponctuels d’un montant de 2 à 15 000 euros pour les entrepreneurs individuels et jusqu’à 150 000 euros pour les petites et moyennes entreprises,mais rien la classe ouvrière. Au lieu d’un soutien financier direct aux travailleurs, portant le salaire minimum à 12 euros de l’heure, comme le réclament les syndicats, au lieu d’investir dans les infrastructures, l’argent s’est retrouvé dans la poche des capitalistes et des spéculateurs.
Par ailleurs, l’Etat a annoncé le soutien des grandes entreprises: 9 milliards d’euros ont été alloués pour sauver l’entreprise aéronautique Lufthansa, tandis que dans le même temps 29 000 emplois étaient supprimés. Et les nouveaux actionnaires de Lufthansa – le multimilliardaire Heinz Hermann Thiele et la banque d’investissement Morgan Stanley, qui a acquis une participation dans la société à un prix inférieur au début de la pandémie, se sont vu offrir des garanties gouvernementales pluriannuelles.
La privatisation des soins de santé se poursuit
Quelle est la réponse du gouvernement allemand à l’effondrement du système de santé lors de la pandémie? Ni les médecins ni les infirmières qui se sont retrouvés en première ligne n’ont été augmentés de leur salaire. Le ministre allemand de la Santé Spahn a canalisé plusieurs milliards d’euros du budget pour la numérisation, invitant le géant américain de l’Internet Google à participer à l’appel d’offres.
Selon l’Institut viennois de recherche économique internationale, l’UE aura besoin d’environ 500 milliards d’euros d’ici 2030 pour maintenir la sécurité sanitaire. Mais le programme d’aide de l’UE pour la restauration de l’économie européenne ne prévoit pas de fonds à cet effet.
Le plus grand groupe de médias privés de l’UE, Bertelsmann, conseillant le gouvernement de l’État allemand de Rhénanie du Nord-Westphalie, a annoncé à son tour à la fin de 2020 que les 1900 hôpitaux d’État et municipaux restants dans le pays devraient être réduits à 600-400 «super hôpitaux» privés et semi-privés. Ce plan, élaboré en 2019, est actuellement approuvé. Il recoupe le plan du Charite Institute for Global Health, de la Bill Gates Foundation et du Boston Consulting Group, qui conseille le gouvernement fédéral allemand. Dans le même temps, ils croient sérieusement qu’en raison de l’accélération de la privatisation du système de santé, l’Allemagne devrait devenir le leader mondial de la santé.
La numérisation sous les auspices des États-Unis
Ayant échoué dans le processus de création de leurs propres entreprises numériques, les pays de l’UE, dans les conditions de la numérisation accélérée forcée pendant la pandémie, se sont retrouvés désarmés. Les gouvernements ont utilisé le système de conférence Microsoft Teams pour éduquer les enfants à la maison dans toute l’Europe, donnant aux agences de renseignement américaines l’accès à des données complètes sur les élèves, les enseignants et les parents. Dans le même temps, Microsoft est obligé de transférer les données des utilisateurs au gouvernement américain en vertu de la FISA (Foreign Intelligence Surveillance Act) et du Cloud Storage Act. Il en va de même pour le fournisseur de vidéoconférence Zoom, utilisé par des centaines de millions d’utilisateurs professionnels en Europe.
Le journal économique allemand Handelsblat a annoncé un «colonialisme numérique», accusant les géants américains de l’Internet Google, Amazon, Microsoft, Facebook et Apple (formant les cinq GAMFA) de consolider le pouvoir mondial en raison de leurs énormes ressources financières. Les principaux actionnaires de GAMFA sont les fonds d’investissement transnationaux américains Blackrock, Vengard et la société financière américaine State Street.
La crise provoquée par la pandémie a permis aux GAMFA et à Blackrock d’établir un contrôle numérique total sur les pays de l’UE. Dans le même temps, l’ancien chef de la Commission européenne Jean-Claude Juncker avait préparé un sol fertile pour ces entreprises en Europe bien avant cela, transformant le Luxembourg, les Pays-Bas et l’Irlande en zones offshore, que les cinq GAMFA utilisent activement.
L’UE coopère activement avec les services spéciaux et les départements militaires américains, tout en incitant à la haine contre la Russie, l’Iran, le Venezuela, Cuba, la Syrie et, surtout, la République populaire de Chine – des pays qui ne mettent en aucun cas en danger la sécurité de l’information de la population d’Europe..
“Blackrock”: l’offensive des “shadow banks”
Blackrock, le plus grand fonds d’investissement américain, officiellement reconnu comme une «banque parallèle» dont le siège est à New York, ne conseille pas seulement l’UE et la BCE. Il approuve la désindustrialisation des économies des États membres de l’UE par le biais de rachats et de fusions. Depuis 2010, Blackrock est devenu le plus grand monopole du secteur allemand du logement social, privatisant les coopératives d’habitation municipales avec l’accord du gouvernement allemand, ce qui a entraîné une augmentation de 40% des loyers et des factures de services publics.
L’un des principaux objectifs de ce fonds est d’américaniser les relations de travail dans l’UE: en 2018, Blackrock a conseillé le gouvernement français du président Macron sur la mise en place de retraites privées. La réforme des retraites a déclenché des protestations sociales massives. Dans la crise économique et sanitaire causée par la pandémie de COVID-19, le conseil d’administration de Blackrock voit «une formidable opportunité».
Il est clair que la contre-révolution sociale qui a commencé en Europe occidentale et aux États-Unis peu de temps après l’effondrement de l’URSS a reçu un élan puissant pendant la pandémie et se poursuivra dans un proche avenir. Il ne peut être arrêté que par la résistance politique massive des travailleurs de ces pays, principalement de la classe ouvrière.
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