J.Cl. Delaunay nous envoie la deuxième partie de son texte important sur le crédit social, une troisième partie suivra. J’en profite pour préciser deux ou trois choses sur le fonctionnement de ce blog. Nous avons pris la position de soutenir la candidature de Fabien Roussel, elle-même ayant donné lieu à une consultation démocratique proche de ce qui nous paraît être cet engagement communiste que nous avons connu. Ceci dans la perspective d’une refonte d’un parti communiste français, pour redevenir un parti révolutionnaire, de classe, discipliné mais où chacun compte pour un. C’est un possible et il a d’autant plus de chance de réussir qu’il reçoit l’aide de ceux qui pour autant ne doivent pas faire baisser leur exigence. Il n’est pas dit qu’il réussira mais sans parti communiste il n’y aura pas de socialisme et c’est ce qui nous réunit ici. Cela dit le blog conserve son souci premier : être un lieu de rencontre entre tous ceux qui ont besoin d’approfondir cette question. C’est notre contribution essentielle et elle ne se confond pas avec une discipline de parti. Donc voici ce texte important parce qu’à travers les “crédits sociaux” nous sommes confrontés non seulement à la propagande occidentale mais également aux différences de socialisme tels que peuvent le souhaiter différentes nations, civilisations, avec leurs traditions et leur histoire. Il y a là une “méthode” qui mérite toute notre attention. (note de Danielle Bleitrach histoire et société)
(Deuxième partie)
J’ai procédé, dans la première partie de ce texte, à une présentation factuelle rapide du SCS chinois et j’en suis arrivé à la conclusion que le phénomène SCS était un phénomène général, observable non seulement en Chine mais dans l’ensemble des pays développés. Ce caractère général est explicable par le niveau actuellement atteint par la révolution numérique et par le degré de complexité des sociétés contemporaines, mais il est néanmoins différencié par les rapports sociaux de production propres à chacune d’elles.
Je me propose, dans cette seconde partie, d’approfondir cette approche, de façon à mieux comprendre d’une part les réserves que les chercheurs occidentaux éprouvent le plus souvent devant le système chinois de crédit social et d’autre part la rationalité de ce système. Est-il généralisable ou pas? Comment pourrait-il évoluer? Pour essayer de répondre à ces questions, il m’a semblé nécessaire de procéder à deux catégories successives d’analyses.
La première consiste à analyser le SCS chinois «dans son contexte», celui de ses rapports sociaux de production véritables et non dans un contexte imaginaire ou tronqué, comme le font généralement les analystes occidentaux.
La deuxième consiste, en mettant en œuvre une conceptualisation de référence marxiste, à analyser les SCS chinois et occidentaux «dans leurs contenus économiques comparé» et d’en déduire un certain nombre de conséquences politiques. Je pense que ce niveau est celui qui convient le mieux pour rendre compte du SCS chinois comme de l’ensemble des SCS.
SCS ET CONTEXTE DES RAPPORTS SOCIAUX
A PROBLÉMATIQUE ET CONCEPTS D’UNE SOCIÉTÉ COMPLEXE
Je propose ci-après un schéma censé représenter, à l’aide de 3 vecteurs, une société (une économie) complexe moderne. Elle comprendrait le vecteur de la décision et de sa forme politique (vecteur ②), le vecteur de la production (vecteur ③), le vecteur de la consommation (vecteur ①). Le fonctionnement de cette société résulterait de la dialectique de ① et ③ sous la responsabilité de ②.
Chaque vecteur peut être considéré comme la somme de deux vecteurs. Il s’agit d’une somme dialectique, si je puis dire. Ainsi, la démocratie, ou moyen du développement (vecteur ②), est la somme dialectique des composantes Peuple et Etat. En Chine, cette sommation est réalisée par le Parti communiste chinois et se confond avec lui. Le PCC n’est pas la finalité du développement chinois mais il en est le moyen principal.
La finalité du développement chinois, ou vecteur ①, est la somme des finalités relatives à la société chinoise (les Chinois) et des finalités relatives à la Nation chinoise (la Chine). Il y a la Chine et les Chinois. Les instances de décision opèrent des arbitrages entre les parts de consommation de ces deux catégories de besoins. La société désigne ici la population chinoise. Le fonctionnement social désigne le fonctionnement de l’ensemble de ces 3 pôles.
Le résultat du développement, ou vecteur ③, exprime à quoi ont abouti, au plan de la production, les décisions prises par les instances démocratiques pour répondre aux finalités poursuivies par la Chine et les Chinois. Ce résultat, c’est l’économie sous l’angle de la production effectuée pour le marché et donc le marché intérieur ainsi que le marché extérieur et leurs relations dialectiques.
L’économie, c’est la dialectique de ① et de ③. Le fonctionnement social, c’est la dialectique de ① et de ③ sous la responsabilité de ②.
Le fonctionnement de cet ensemble, tripolaire dans le schéma présent, est totalement différent selon que le pays considéré fonctionne avec des rapports sociaux capitalistes ou socialistes. Il s’en suit qu’un système de crédit social n’a, selon moi, pas le même sens dans l’un et l’autre cas, malgré des similitudes techniques.
SCS ET RAPPORTS SOCIAUX : APPROCHE GLOBALE
Dans un pays capitaliste développé actuel, la démocratie est fracturée et l’Etat en est accaparé par la grande bourgeoisie. L’objectif du fonctionnement global est d’optimiser le résultat économique (la production) pour la finalité du capital, qui est mondialisé. La production est elle-même mondialisée. La nation, et la société qui lui correspond, ne sont plus désormais que des habits sans corps. Ces pays sont traversés de contradictions antagoniques de plus en plus évidentes. Les SCS qui y sont implantés sont surtout partiels et privés, et, en tant que systèmes globaux, ils ont déjà et auront de plus en plus le contenu d’un contrôle politique, inflexible et peu visible, pesant sur la majorité de la population.
Dans un pays socialiste tel que la Chine, nation et société sont les points d’appui du régime, qui est à leur service, grâce à une organisation démocratique particulière, inévitable dans un pays sous-développé industriellement. En effet, jusqu’à ce jour, les pays socialistes n’ont pas pour origine le mode de production capitaliste développé mais des modes de production totalement ruraux et industriellement sous-développés. Dans ce contexte, le rôle directeur incontesté d’un Parti communiste est inévitable. Si l’on conteste ce point, cela veut dire que l’on conteste aux pays sous-développés le droit d’accéder au socialisme, sous le prétexte que la classe ouvrière qui n’existait pas et qui en pleine création, n’est pas au pouvoir, ou ne l’est que de manière jugée insuffisante.
Cela dit, la finalité explicite d’un tel régime, qui est d’assurer le bien-être du peuple et la force de la nation, fait que les contradictions le traversant peuvent être résolues selon le principe gagnant-gagnant. Il n’existe pas de contradiction antagonique entre la production et la consommation. Évidemment, les ennemis de ce régime, qui sont une fraction négligeable de la population, doivent s’y soumettre, le quitter ou périr. Les SCS qui y sont implantés sont globaux, de plus en plus publics, et sont en accord avec le déroulement non antagonique de l’ensemble, à l’exception près des anciennes classes dirigeantes, comme à Hong Kong ou des restes de l’époque où la Grande-Bretagne parsemait son parcours impérialiste de captures de territoires, et, parfois, d’octrois d’indépendances, histoire de semer la zizanie «pour plus tard». .
On observe, chez de nombreux chercheurs occidentaux, l’absence totale de prise en compte des rapports sociaux et de leurs différences radicales, entre capitalisme et socialisme, pour juger des pays qu’ils analysent, de la Chine en particulier, et de l’application qui y est faite des sous-systèmes de crédit social. Ils traitent des SCS sans indiquer leur contexte véritable et raisonnent dans le cadre d’un contexte unilatéral, partiel, tronqué. Le contexte global de l’application des SCS dans un pays socialiste comme la Chine, c’est la mise en oeuvre de la dictature du prolétariat de façon à produire pour le bien-être du peuple et la puissance de la nation.
Quel horrible concept!!! Quelle terrible réalité sous-jacente à ce concept maudit!!! La technique et l’intériorisation des valeurs de la bourgeoisie occidentale absorbent l’attention de nombre de chercheurs occidentaux en sciences sociales. En général, les auteurs américains participent de cette idéologie. Très rares sont ceux qui établissent une distinction entre ces deux catégories de de SCS. Je cite néanmoins ce texte d’un américain, Gregory Hood. Il écrit, à propos des SCS des Etats-Unis et de la Chine : «The Chinese system tries to build social trust. Ours destroy trust. The Chinese system defends the interest of the Hans, the ethnic group that build and sustains Chinese civilization. Our system hurts Whites. The Chinese system encourages charity, good citizenship and patriotism. Our incites hatred and spread bitterness and division»[1].
On l’aura noté, le texte de Hood présente d’énormes défauts. Comme bien souvent, aux Etats-Unis, les contradictions de classe y sont perçues comme contradictions ethniques ou raciales. En parlant des Hans, Hood fait sans doute référence au contrôle que les SCS devraient permettre d’exercer sur certains ennemis de la Chine, par exemple le petit nombre des Ouighurs d’extrême-droite, entraînés et financés par les Etats-Unis pour semer le trouble en Chine. Ce que Hood n’a notamment pas compris est que le gouvernement de la Chine ne défend pas les Hans. Il défend les Chinois, et parmi ceux-ci figurent la très grande majorité des Ouighurs, des habitants de Hong-Kong, et de toutes les minorités qui vivent paisiblement en Chine.
Dans les pays capitalistes, les SCR sont surtout partiels et ils sont fortement orientés vers la satisfaction des besoins du capital. Il n’est pas question dans ces pays de contrôler sérieusement les entreprises. En France, l’expérience montre que celles-ci sont, par exemple, libres de recevoir de l’argent public pour accomplir telle ou telle mission et de ne rien faire de cette mission. Mais aucun gouvernement de la bourgeoisie ne va leur demander des comptes et le remboursement de ces sommes, par exemple[2].
Certains SCS présentent une utilité pour les individus. Ils ont trait, par exemple, aux infractions routières ou aux dépenses médicales. Toutefois, on observe, simultanément, que le fonctionnement des activités concernées peut être mis en difficulté par suite de réductions budgétaires fortes et répétées. A quoi sert une carte Vitale pour les individus si le service de santé est privatisé, négligé ou réduit, si le personnel hospitalier est maltraité, si le but de cette carte est de limiter sans autre raison que l’intérêt du capital, les dépenses de santé de chacun? Un SCS n’a de sens que dans le contexte d’une politique régulière de développement et d’amélioration des activités auxquelles il s’applique, et d’amélioration du système lui-même.
Dans les pays capitalistes, la démocratie est confisquée par la grande bourgeoisie. Cette dernière tient en main l’appareil d’Etat. Les institutions démocratiques ne sont que des défouloirs populaires, sans efficacité pour le peuple. Les finalités relatives à la nation et à la société ne visent pas, autrement qu’en paroles, à assurer le bien-être des populations et la solidité de la nation. Elles visent, en réalité, à rentabiliser le capital et à donner aux bourgeoisies dirigeantes respectives des moyens de lutter globalement contre le socialisme et de s’opposer entre elles. Dans la phase actuelle de mondialisation capitaliste, ces exigences sont exacerbées.
Dans les pays socialistes, la démocratie n’est pas radieuse. Elle présente des défauts et des insuffisances. Mais elle est strictement orientée, en Chine, vers le bien-être de la collectivité et donc des individus qui la composent. La contrainte n’a de sens politique que pour les ennemis du régime, qui sont des ennemis du peuple chinois et de la nation chinoise, et non des ennemis du Parti communiste chinois. Pour l’essentiel, la contrainte qui s’y exerce est de nature et de finalité économique. Les résultats économiques atteints par la Chine au plan de la production sont réinjectés dans l’économie nationale pour en développer les infrastructures ainsi que la consommation, productive et finale, et non pas appropriés par quelques uns. Les SCS dans un tel régime sont globaux et visent le bien-être du peuple.
L’ÉVACUATION DU CONTEXTE RÉEL : «TOUS PAREILS»
Selon quels procédés théoriques est obtenue, chez les auteurs occidentaux, l’absence de différenciation dans les contextes des SCS, en Chine et dans les pays capitalistes développés? La réponse générale à cette question est simple : ces pays seraient «tous pareils».
Il existe plusieurs raisons concrètes avancées par les analystes du capitalisme nord-américain (ou européen) et du socialisme chinois, visant à placer ces deux systèmes sur le même plan. Mais elles ont un dénominateur commun : Ils seraient «tous pareils», ces pays qui, en apparence, sont différents.
«Tous Pareils» est, dans le travail intellectuel occidental, l’équivalent du «Tous Pourris» des slogans de l’extrême-droite politique. J’ai répertorié trois raisons selon lesquelles ces régimes seraient identiques, ce qui conduit à analyser le SCS actuellement élaboré en Chine dans les mêmes termes que les SCS américains ou européens.
- La première cause de confusion est celle consistant à mettre en avant le contrôle des «personnes physiques» comme définition du SCS chinois.
«The massive national infrastructure will be designed to integrate each citizen’s on line data in a «social credit score» used to generate privileges …or punishment for those citizens who exhibit informational behavior that are calculated by algorithm as acceptable or unacceptable», écrit Ramon Sahim Diab[3]. Dans l’article que je cite, il fait référence à d’autres auteurs (Creemers, Hodson, qui développent une approche du même type). Je reprends ci-après la citation qu’il donne d’une partie d’un texte de Hal Hodson : «China’s Social Credit System will come up with these ratings by linking up personal data held by banks, e-commerce sites and social media…how many points are on your driving licence. These are just a few of details that the Chinese government will track to give scores to all citizen»[4].
Ces citations (elles pourraient être très nombreuses) illustrent le point que je cherche à expliquer. En définissant le SCS chinois comme un système de contrôle des individus, et non des firmes, il s’agit de conclure au caractère inévitablement et massivement autoritaire du socialisme chinois relativement aux personnes. Cette conclusion paraît d’autant plus évidente que l’idéologie occidentale est profondément hostile au contrôle des personnes. Donc la Chine et les Etats-Unis, ou la France, c’est pareil.
- Une deuxième cause de confusion entre les pays capitalistes et socialistes consiste à situer le SCS chinois comme étant la conséquence passive des inégalités qui caractériseraient la société chinoise. Les travaux de Picketty, Li et Zucman, dont on ignore les faiblesses méthodologiques, sont évidemment cités en renfort[5].
Mais je ne m’intéresse pas ici à cette publication. Je prends seulement en compte l’idéologie du «Tous Pareils» qu’elle alimente et les conséquences de cette idéologie sur la compréhension du SCS chinois.
Dans le chapitre «Automatiser le Contrôle Social» de son livre sur le Techno-Féodalisme, Cédric Durand écrit : «De fait, les détournements de fonds, la violation des règles environnementales, le non-respect des normes de sécurité alimentaire, sont des problèmes endémiques dans la société chinoise. Fraude et corruption participent d’un climat de défiance généralisée qui doit être mis en rapport avec les privatisations et la libéralisation de larges pans de l’économie. Ces réformes ont participé à la hausse brutale des inégalités depuis les années 1980. Or plus les sociétés sont inégales, moins les individus peuvent espérer un comportement coopératif des autres et moins la confiance est répandue. Le leadership du Parti communiste chinois entend donc s’attaquer à la détérioration de la confiance. Et la méthode, c’est surveiller et punir».
Il est clair que la Chine, pays rural et sous-développé industriellement, portait en lui, lorsqu’il a accédé au socialisme, dès 1949, la gangrène de ces comportements très anciens que sont la corruption et le non respect de la loi. Pendant la période maoïste du socialisme chinois, le faible niveau du développement économique se traduisait par une certaine égalité dans la pénurie. Mais il lui faisait aussi courir de grands risques, comme en ont témoigné les événements de Tian’anmen. Après 1990, la Chine s’est fortement développée. Le niveau moyen de la richesse s’est accru. En même temps sont apparues de fortes inégalités. J’ai traité de ces aspects de la société chinoise dans mon livre sur la Chine et je me suis efforcé d’en indiquer l’ampleur.
Ce qui est naïf, dans le propos de Durand, est notamment cette façon de caractériser ces phénomènes à l’aide d’un langage mondain, tout à fait dans le style du maintream dont par ailleurs j’ai cru comprendre qu’il cherchait à se différencier (les individus, la confiance). En réalité, l’ouverture de la Chine aux grands courants d’échanges a plongé ce pays dans le fleuve immense du business mondial. La grande bourgeoisie américaine a certainement pensé qu’elle n’allait faire qu’une bouchée du socialisme chinois, car la corruption, qui antérieurement portait sur des oeufs et des poulets, a pris soudainement une ampleur industrielle.
C’est la volonté même des dirigeants de ce pays d’en faire un Etat de droit qui s’est trouvée mise en cause. Car un pays n’est pas un Etat de droit si l’argent permet d’en corrompre les juges et d’en libérer les criminels. Un pays est en danger si ses cadres militaires, au plus haut niveau, peuvent accepter contre rétribution conséquente, de conclure des contrats avec n’importe quelle puissance. L’économie d’un pays en développement est soumise à la stagnation et à de pertes considérables d’énergie et d’efficacité si ses équipes dirigeantes tolèrent cette gangrène, voire même en bénéficient. Car la corruption n’a évidemment pas épargné le PCC.
C’est pour lutter contre ces fléaux que Xi Jimping et son équipe ont été portés au pouvoir suprême. Ces derniers n’ont pas réalisé un coup d’Etat. Ils ont été mandaté au moins par la majorité des membres dirigeants du PCC, pour agit en ce sens.
La mise en place, dans ces conditions, d’un SCS en Chine ne vise pas à rétablir la confiance entre les individus. Elle vise à mettre en oeuvre la dictature du prolétariat à l’encontre des entreprises qui ne respectent pas la loi chinoise. Elle vise à emprisonner, parfois même à exécuter, les individus qui, dans ce pays, bénéficient de cette corruption. Elle vise à faire que Hong-Kong cesse d’en être le point d’entrée et cesse d’assurer l’impunité des criminels.
C’est un sacrée différence avec les pays capitalistes développés, où la mondialisation capitaliste a donné à ce phénomène des ailes puissantes, et le fait s’épanouir dans des paradis de toutes sortes, où l’on joue en permanence, en même temps que pètent les bouchons de champagne, du Mozart et du Bach.
- Un troisième facteur de confusion entre les pays capitalistes et le socialisme chinois, avec pour conséquence, une interprétation péjorative du SCS chinois, est celui qui consiste à conceptualiser la Chine comme un pays capitaliste. Si la Chine est capitaliste, alors la nature socialiste des rapports sociaux sociaux de ce pays n’est qu’une illusion. Les gouvernants de la Chine seraient aussi autoritaires et despotiques à l’égard de la population chinoise que les représentants des classes capitalistes le sont en Europe ou aux Etats-Unis.
Pour donner du tonus à ce type d’analyse, il est recommandé de citer Boukharine et son concept de «Capitalisme d’Etat». En 1920, ce dernier pense en effet, que la formation économique qui fait la charnière entre le capitalisme et le socialisme est le capitalisme d’Etat[6]. Ce concept est accepté pour la Chine pour la raison que ce pays a donné une place importantes aux entreprises capitalistes dans sa stratégie de développement[7]. J’ai défendu la thèse selon laquelle la présence d’entreprises capitalistes en Chine ne signifiait pas l’existence dans ce pays d’un mode de production capitaliste. En revanche, le concept de Capitalisme d’Etat porte en lui cette interprétation et ce contenu.
Cette conceptualisation donne notamment du SCS chinois une image redoutable. Non seulement ce type de SCS serait marqué par les défauts des SCS capitalistes mais s’y ajouteraient l’autoritarisme et l’arbitraire supposés caractériser les régimes socialistes. Comme l’explique Samantha Hoffman, le SCS chinois se comprend si l’on a en tête ce que Mao Zedong disait de «la ligne de masse»[8]. Il faut partir des masses et retourner aux masses. « Social managementon, describes a «scientific» Leninist machinery for shaping, managing and responding». J’ai beaucoup de peine à comprendre quel peut être le rapport entre la ligne de masse de Mao Zedong et le SCS chinois, si ce n’est que la référence à Mao Zedong permet d’introduire les masses dans le raisonnement et que les masses sont, par nature, redoutables.
Ce qui semble toujours surprendre ces auteurs, sans les faire réfléchir davantage, est le résultat d’une enquête d’opinion menée récemment en Chine, sur le SCR, par un organisme indépendant du gouvernement chinois. Cette enquête contredit «le pessimisme digital» dont je viens de faire état. Voici le résumé qu’en donne l’Ambassade de France à Beijing. «L’opinion semble être largement favorable au SCS comme le montrent les conclusions d’une étude du MERICS, parue en 2018. D’après ce sondage, 80% des personnes interrogées disent être favorables au SCS alors que seulement 1% en ont une opinion défavorable. Parmi les raisons identifiées de ce soutien de la population, les personnes sondées citent notamment la responsabilisation des entreprises, en particulier concernant les règlementations environnementales et phytosanitaires, ainsi que l’identification des escroqueries sur internet»[9].
J’espère avoir montré que, pour analyser un pays, ses institutions, ses projets, mieux vaut prendre appui sur ses rapports sociaux réels, qui en sont le contexte, que sur les préjugés que l’on en a.
Pour conclure cette partie, je vais faire trois remarques :
- La littérature occidentale sur le SCS chinois exprime le plus souvent l’anxiété ou l’agressivité de ses auteurs par rapport à la Chine et au socialisme chinois plus qu’une analyse sereine du système en question. Ce système, «une machinerie léniniste», menacerait les individus, leurs libertés fondamentales. Les ambassades étrangères, les cabinets de conseils ne s’y trompent pas. Ce sont les entreprises, chinoises et étrangères, qui sont d’abord concernées. La population chinoise, dans son grand nombre, n’a pas peur du SCS. Les Chinois savent que, parmi les entreprises, il y a de la fraude et du non respect des lois. Ils savent que dans la population chinoise, il y a des voleurs, des escrocs, des corrompus. Mettre un terme à ces comportements, comme le fait le gouvernement chinois actuel, c’est protéger les individus, c’est défendre leurs libertés et non y porter atteinte. Les Chinois lui en sont reconnaissants et lui font confiance.
- Ma deuxième remarque porte sur le phénomène SCS en général. Il est clair que ce phénomène n’est pas uniquement chinois. On en observe les manifestations dans tous les pays développés, capitalistes et socialistes. Or il vient de loin. L’Union soviétique avait essayé d’informatiser son système de planification mais n’y a pas réussi. Au début des années 1970, on note, au Chili, alors qu’Allende vient d’être élu, la mise en place d’un système de ce genre, Cybersyn. C’est tout à fait inattendu et pourtant cela s’est produit[10]. L’expérience fut, cela va de soi, balayée par l’action hautement civilisatrice entreprise à l’époque par les Etats-Unis et leur ami Pinochet.
Mais ce rappel, aussi triste soit-il, montre que la mise place d’un SCS en Chine relève d’une tendance longue. Cette forme d’aide à la gestion sociale dispose aujourd’hui, 50 ans plus tard, des outils scientifiques et techniques ainsi que des compétences indispensables à l’implantation d’un tel système à grande échelle.
La Chine sera, en toute vraisemblance, le premier pays socialiste, en même temps que le premier pays, à lui donner une dimension globale, détachée du service du capital. Cela ne dispense pas, au contraire, d’en explorer encore la dimension politique et philosophique. C’est bien de mettre en place des instruments puissants de contrôle social, ou de surveillance sociale[11]. Mais la question, aussi classique qu’attendue, demeure : «Qui va contrôler les contrôleurs ?».
- Je n’en sais rien. Bien sûr, j’ai mon joker dans la poche et dessus, il est écrit «Le peuple». Je le mets sur la table. Le peuple chinois, ce n’est pas rien, ce n’est pas n’importe quoi, contrairement à ce que pensent certains auteurs occidentaux. Le peuple chinois, c’est celui qui a mis la branlée aux samouraïs de l’Empire du Soleil Levant. Ils n’en revenaient pas, les manieurs de sabres, les amoureux des chrysanthèmes. Et beaucoup d’ailleurs, n’en sont pas revenus.
Mais, en évitant la croyance, comment caractériser ce système dont on peut penser qu’il se développera, en Chine et ailleurs? A ma connaissance, les chercheurs chinois ont peu réfléchi à cette question. L’un d’eux, Dai Xin, avance l’idée que se produit aujourd’hui «une révolution de la réputation» et que l’Etat chinois tend à s’affirmer comme un Etat de la réputation (a reputation State)[12]. Cela voudrait-il dire que la «contrainte forte», traditionnellement exercée par l’Etat sur l’ensemble des agents de la société, serait remplacée par une «contrainte douce», celle de la réputation? Cela signifierait-il que la dictature du prolétariat, les automates remplaçant les policiers, pourrait désormais s’exercer par l’intermédiaire de la réputation et que cette dernière serait une étape dans le processus de disparition de l’Etat en tant que vecteur de la contrainte sociale?
Plutôt que de poursuivre ans cette voie, je me suis cantonné à la question suivante : «Comment, sous l’angle économique, et en référence à la théorie de Marx, analyser le phénomène SCS ?».
SCS : PERSPECTIVES, ESSAI D’ANALYSE MARXISTE
Tant que les hommes vivront dans des sociétés de rareté, les potentialités du marxisme demeureront intactes même si cette théorie doit prendre en compte des situations inconnues au XIXe siècle. Dans la mesure où la révolution numérique intervient au niveau de la production, de la consommation et de la distribution et contribue à réduire tout un ensemble de faux frais, une analyse économique marxiste de son fonctionnement et de son incidence est justifiée.
Cela dit, il existe bien des façons d’être marxiste. Je vais tout d’abord rendre compte de l’analyse qu’un auteur américain fait du SCS chinois en référence au marxisme. Je développerai ensuite à très grands traits, en utilisant la même référence, ma propre interprétation de ces phénomènes, en Chine et dans les pays développés.
RAMON SALIM DIAL : LE CYBER-CAPITALISME D’ETAT
Il existe aux Etats-Unis une littérature marxiste abondante sur les nouvelles technologies et tout ce qui rime avec «cyber». R. S. Dial fait partie du petit nombre de ceux ayant à théoriser le régime chinois en tenant compte du SCS qui s’y implante, tout en se réclamant du marxisme[13]. Le texte de lui que j’utilise n’est pas élaboré et ce qu’il appelle le marxisme me semble très spécial. Il présente, à mon avis, de graves insuffisances, même du point de vue de l’auteur. Cela dit, chacun est en droit de trouver que le marxisme des autres est vraiment très spécial.
Les idées de R.S. Dial sont surtout centrées sur une représentation de la politique et du pouvoir dans ce type de formation sociale, qu’il appelle le cyber-capitalisme (ou cyber-capitalisme d’Etat), et non sur son économie. Il m’a semblé cependant qu’il pouvait être pris comme un point de départ, fût-il très critiquable et très insuffisant, d’une réflexion économique marxiste sur le phénomène SCS. Les paragraphes ci-après visent uniquement à en rendre compte. Ce sont les idées de l’auteur que j’ai essayé de formuler et non les miennes, sauf indication contraire.
Sous cette réserve, son texte peut être résumé comme suit. Une formation sociale étant la combinaison d’une superstructure et d’une infrastructure, il existe plusieurs façons d’en interpréter le rapport. Une approche idéaliste de la société sépare totalement ces deux instances. Une approche économiciste établit un lien de dépendance stricte de la superstructure envers l’infrastructure. Une approche matérialiste (celle de l’auteur) suppose qu’existe une relation dialectique (une relation «stratégico-relationnelle») entre les deux. La superstructure s’autonomise de l’infrastructure par la mise en oeuvre de stratégies spécifiques. Elle n’en est pas indépendante mais elle ne lui est pas subordonnée.
Notre époque serait particulièrement favorable à un tel processus d’autonomisation de la superstructure. Car elle serait celle de la «datification» (de l’anglais «data», ou «donnée»). Tout peut être repéré par un grand nombre d’informations et celles-ci, à leur tour, peuvent être traduites dans un certain langage pour donner lieu, à l’aide de logiciels et de technologies appropriées, à des calculs. Car tout est nombre, disait déjà Pythagore. Nous y sommes. De ce fait, la différence entre infrastructure et superstructure tendrait à s’estomper. Le Cyber-capitalisme se transformerait progressivement en Cyber-capitalisme d’Etat. L’infrastructure serait le lieu de la valeur, de la production marchande, du pouvoir économique, alors que la superstructure serait le lieu de la bureaucratie, de la production non marchande, du pouvoir politique, ce qui expliquerait leur complémentarité nécessaire, faite d’unité et d’opposition.
J’ai été conduit à supposer ce que pouvait signifier une telle construction et donc ce qui suit relève en partie de mes hypothèses. Mais je crois que mon interprétation est cohérente. Puisque le société considérée est capitaliste, cela veut dire qu’elle fonctionne sur la base de la production de la valeur et de sa reproduction. L’infrastructure produirait la valeur alors que la superstructure produirait la monnaie, qui en permet la circulation. Il y aurait donc complémentarité entre ces deux niveaux de la société.
Toutefois la superstructure, qui aide la valeur à circuler et à se reproduire, ne produirait pas elle-même de valeur. La classe des bureaucrates chercherait donc à s’approprier une partie de la valeur produite par la classe des capitalistes, plus exactement sous son commandement. Son arme pour obtenir ce résultat serait la population. En rationalisant le système, la classe des bureaucrates fournirait à la population «un service», qui ainsi justifierait qu’elle puisse s’opposer à la classe des producteurs.
Mais elle ne chercherait pas pour autant à supprimer la production de valeur. Si elle cherchait une telle suppression, elle se détruirait comme classe bureaucratique, tirant son revenu de la production de valeur effectuée par l’infrastructure ou de l’émission monétaire justifiée par cette production. Il existerait donc une relation conflictuelle entre la superstructure et l’infrastructure mais celle-ci ne se transformerait jamais en relation antagonique.
Le SCS chinois, dans ce contexte, serait la forme cybernétique et datifiée de cette relation dite «strategico-relationnelle» entre l’Etat (le PCC) et l’infrastructure des producteurs. Le SCS viserait à intégrer les propres SCS des intérêts privés (les grandes compagnies d’information), mais sans les remplacer.
Cette interprétation du SCS chinois est donc différente de celles que j’ai déjà présentées. Ce n’est pas une interprétation descriptive, c’est une interprétation à prétention théorique. Son insertion dans un schéma supposé explicatif de la formation sociale chinoise contemporaine le représente comme un instrument de lutte entre catégories sociales dominantes, un instrument d’orientation en même temps que de manipulation de la population, accompagné, cependant, d’un certain service de «rationalisation» fourni à cette population.
Tout cela est une mauvaise caricature d’une interprétation marxiste du SCS et de la réalité chinoise. Le texte de R.S. Dial, aussi insuffisant soit-il, a toutefois le mérite de montrer qu’on ne peut se contenter d’une description instantanée du SCS. Il faut en étudier en dynamique, et pour ce faire, l’étudier sous l’angle économique.
Dans le moment présent, c’est certainement un instrument de contrôle des entreprises et d’élimination ou de contrôle des comportements individuels insupportables. Mais n’est que cela? De plus, quelles réflexions complémentaires doivent accompagner et imprégner un tel système pour qu’il ne soit pas substitué aux populations dont il censé assurer le bien-être?
Il montre aussi, sans le vouloir, que de telles interprétations ont d’autant plus de chances d’être lues qu’elles ne trouvent en face d’elles aucune analyse marxiste sérieuse des phénomènes considérés. Je n’ai eu connaissance d’aucun texte théorique de chercheurs marxistes chinois sur ce sujet. C’est une très grosse lacune.
[1]Gregory Hood, «America’s Social Credit System is Worse than China’s», The UNZ Review, 18/11/2020, en ligne. (Le système chinois cherche à établir la confiance dans la société. Le nôtre détruit cette confiance. Le système chinois défend les intérêts des Hans, le groupe ethnique qui a construit et qui est au cœur de la civilisation chinoise. Le nôtre heurte les Blancs. Le système chinois encourage la charité, la bonne citoyenneté, le patriotisme. Le nôtre incite à la haine et répand l’amertume et la division».
[2]Cf. Economie et Politique, Revue marxiste d’Economie, les nombreux articles et vidéos illustrant ce point, en particulier ceux de Denis Durand sur «Le coût du Capital».
[3]Ramon Salim Diab, «Becoming-Infrastructure : Datification, Deactivation, and The Social Credit System», Journal of Critical Library and Information Studies, Volume 1, n°1, 2017. «Des infrastructures informationnelles énormes seront conçues en vue d’intégrer les données internet relatives à chaque citoyen dans un total de crédit social, lequel servira à distribuer soit des récompenses…soit des punitions, en fonction de comportements calculés par algorithme et selon lesquels il sera jugé de ce qui acceptable ou de ce qui ne l’est pas».
[4]Hal Hodson, «Inside China’s Plan to Give Every Citizen a Character Ccore», New Scientist, October 9, 2015, cité par Ramon Salim Diab, op. cit. «Le SCS de la Chine produira ces évaluations en liant les données personnelles détenues dans les banques, les sociétés de e-commerce, les entreprises de communication… combien y-a-t-il de points sur votre permis de conduire? Cet énoncé ne reprend que quelques uns des items que le gouvernement chinois va rassembler pour noter chaque citoyen»
[5]Thomas Picketty, Li Yang, Gabriel Zucman, «Capital Accumulation, Private Property and Rising Inequality in China (1978-2019)», NBER Working Paper, n°23368, 2017.
[6]Maurice Andreu, «Nilolaï I. Boukharine sur les Intellectuels et le Communisme», Nouvelles Fondations, 2006/3-4, n°3-4, p.142-149.
[7]Nathan Sperber, «La Planification chinoise à l’ombre du capitalisme d’Etat», Actuel Marx, 2019/1, n°65, p.35-53, Presses Universitaires de France. Marie-Claire Bergère, «Chine : Le Nouveau Capitalisme d’Etat», 2013, Fayard, Paris.
[8]Samantha Hoffman, «Managing the State : Social Credit, Surveillance and the CCP’s Plan for China», China Brief, Vol.17, n°11, August 2017. «Le management social est une machinerie léniniste, «scientifique», pour donner forme, gérer et réagir».
[9]Ambassade de France à Beijing, note sur le SCS, 2019. MERICS est l’acronyme pour Mercator Institute for China Studies, un think-tank européen. Voir également Simina Mistreanu, «Life Inside China’s Social Credit Laboratory», Foreign Policy, April 2018.
[10]Eden Medina, Cybernetic Revolutionaries, Technology and Politics in Allende Chile, 2011, MIT Press, Cambridge, Massachusetts.
[11]Fan Liang, Vishnupriya Das, Nadya Kostyuk and Muzamil M. Hussein, «Constructing a Data-Driven Society : China’s Social Credit System as a State Surveillance», Policy Internet, vol.10, n°4, 2018, p.415-453.
[12]Dai, Xin, «Toward a Reputation State: The Social Credit System Project of China», (June 10, 2018). Disponible à : https://ssrn.com/abstract=3193577 or http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.3193577, Peking University Law School.
[13]Ramon Salim Diab, «Cybernetic Capitalism and the Social Credit System», 16 p., en ligne.
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pam
merci jean-claude pour ce travail théorique sur des questions nouvelles mais qui commencent à peser dans le débat politique.
Je ne sais pas si tu as vu cet article
https://lepcf.fr/De-l-usage-de-la-blockchain-en-Chine-comme-outil-de-surveillance-Un-modele?
repris d’une revue technique, mais qui me semble utile. Merci de ton avis
Daniel Arias
L’année 2007 de l’article est intéressante, c’est aussi une année où dans un grand silence pour le grand public, se met en place un contrôle des risques bancaire beaucoup plus fin.
Autre fois les banques étaient surveillées sur leurs encours de crédit.
Après 2007, j’ai travaillé pendant 2 ans et demi pour une banque à la mise en place d’un système de surveillance bancaire, où les bases de données multidimensionnelles, permettaient de traiter les informations presque dans n’importe quel sens.
Ce système permettait de suivre le risque de défaut bancaire sur les crédits de chaque client entreprise ou particulier, le niveau de détail était chaque ligne de crédit pour tous les client. Le niveau le plus fin possible.
Cela représentait des millions de lignes de données pour une seule année, et le système était dimensionné pour stocker et analyser 15 ans de données.
En 2 ans et demi de travail, avec un seul clic, le contrôleur des risques avait un rapport complet sur le risque bancaire encouru, et ce rapport était ensuite dupliqué et affiné pour chaque responsable d’agence, sans intervention humaine.
A charge ensuite à chaque échelon de la banque de prendre les mesures pour minimiser le risque, traduire par attribuer ou non un crédit ou modifier les conditions.
Une autre nouveauté était le calcul de probabilité de défaut, basé sur des modèles mathématiques et non plus sur uniquement la réalité de l’emprunteur mais sur les risques sectoriels ou géographiques. Tous les clients professionnels étant catégorisés par secteurs. Conséquence si par exemple une grippe aviaire était prévue les éleveurs de volailles auraient eût un durcissement de l’accès au crédit.
Ce système de contrôle n’était pas une lubie de notre client, mais une réglementation internationale imposée par la BRI.
Cette réglementation devait permettre de limiter le risque bancaire systémique et de donner des informations aux banques centrales et commerciales sur le risque réel de chaque banque, en prenant en compte non plus l’encours global de crédit, mais aussi le hors bilan (le crédit permanent non utilisé par les clients pour la trésorerie par exemple) et la probabilité de défaut pour la banque elle même.
De ces informations complexes et dont le rendu est possibles uniquement par l’avancée de l’informatique de cette époque dépendent les besoins de fond propres des banques, leur capacité de refinancement et par conséquent leur profit.
Ce système de contrôle du crédit social limité aux crédit financier à été généralisé en occident fin des années 2000.
Et bien avant ça, nous avions déjà les fichiers des interdits bancaires de la Banque de France, Tracfin, le consortium carte bleue, et maintenant les cartes de fidélité, etc…
Les cartes de fidélités ont été pensées par la grande distribution fin des années 1990, là aussi avec les progrès de l’informatique. L’objectif des cartes de fidélité n’était pas tant de fidéliser un client que de connaître avec précision la consommation, fréquence et composition des achats de chaque ménage en particulier, ceci associé au couponing pour des promotions personnalisées.
Avant seuls les tickets de caisse étaient analysé, un de nos client utilisait un système Terradata de 64 ordinateurs en parallèle capable de traiter des milliards de lignes en une nuit.
Ces données servaient ensuite aux centrales d’achats qui avaient aussi un système de renseignement informatisé sur les fournisseurs avec historique des prix et notes sur le fournisseur pour aider à la négociation.
Le terme Blockchain désigne une technologie qui permet de certifier un document numérique de façon robuste, ensuite on peut y mettre ce que l’on veut comme information, par exemple une entreprise française a développé un certificat électronique d’œuvres d’art sur la technologie blockchain, permettant d’authentifier non pas l’oeuvre mais le certificat numérique et les données qui y sont ajoutées sous forme d’historique. Les cryptomonnaies ne sont que des documents numériques “infalsifiables”, sur laquelle éventuellement on peut ajouter des informations comme pour n’importe quel fichier informatique, d’où un traçage possible.
La question politique est de savoir qui utilise ses informations et à quelles fins pour en définir les limites.
En parallèle du SCS chinois il faut intéroger les GAFAM et les oéprateurs télécom qui possèdent énormément d’informations sociales, sous des lois et des juridictions étrangères aux utilisateurs, et sans aucun contrôle démocratique, avec les risques de manipulation des masses importants.
Jean-Claude Delaunay
Merci pour toutes ces informations. C’est vraiment intéressant. Et aussi la définition du terme “blockchain”.
Popelin
Article intéressant.
Une question: comment cette révolution numérique a-t-elle touché l’enseignement en Chine? Comment cet enseignement est-il organisé ? l’enseignement public ? Y-a-t-il un enseignement privé
payant,? les écoliers chinois ont-ils tous un ordinateur ?
etoilerouge commune
En FRANCE l’ordinateur a remplacé le cerveau, meme les journalistes ne savent pas écrire
Jean-Claude Delaunay
Juste au moment de répondre aux questions de Mireille Popelin, je lis le commentaire d’Etoile rouge. C’est cohérent avec ce que j’observe en Chine. Dans ce pays, aujourd’hui (et il n’y a pas si longtemps) toutes les écoles ont accès à internet. Cela veut dire que même dans un coin reculé du Sichuan ou de Mongolie intérieure, il y a internet. En revanche les écoles ne distribuent pas les ordi. L’école, que ce soit dans le primaire ou dans le secondaire, c’est “kan shu” : lire les livres. L’effort scolaire porte sur la diffusion des livres ou l’édition de livres pas chers mais pas sur la diffusion d’ordi. Je crois que les Chinois ont raison. Faire qu’un jeune lise ses bouquins de classe demande certainement un gros effort pédagogique. Cela dit, il y a des cours d’utilisation des ordi et d’internet et, en plus, des cours supplémentaires pour ceux ou celles qui choisissent le “hobby” ordinateur. Mais il y a d’autres cours parallèles ou supplémentaires. Enfin, on doit noter qu’en Chine, à peu près tout le monde a un téléphone mobile. Or ces téléphones sont des ordinateurs. En classe, leur usage est strictement interdit. Et strictement, à la chinoise, c’est strictement.
J’en viens à un autre aspect de la question ; l’intégration des données relatives aux enseignants, aux élèves et à l’enseignement dans les big data. C’est dans la logique des choses. Mais je ne sais pas où ça en est. Je crois que l’effort a d’abord porté sur la santé, le suivi des médecins, des hôpitaux et des médicaments. C’est la première préoccupation des Chinois : la santé, le coût de la santé. Ensuite, concernant les enseignants, il y a d’autre domaines en cours d’examen sans attendre les big data. A ma connaissance ces domaines sont : 1) les comportements violents ou inappropriés de certains enseignants, notamment dans le primaire. Le ministère combat avec fermeté les cas de maltraitance en particulier à l’égard des jeunes enfants. 2) le deuxième volet est celui des abus sexuels. Les Chinois font très attention à ces deux aspects de la vie des jeunes élèves. Un troisième domaine est en train de prendre forme. C’est la mesure exacte de l’effort demandé aux élèves.
Mais pour l’instant, tout cela est traité indépendamment des big data. Cela dit, j’imagine que les données relatives à l’enseignement et aux enseignants ainsi qu’aux élèves figureront un jour ou l’autre dans le SCS chinois indépendament des questions de savoir si tel enseignant est ou non apprécié de ses élèves. Si le SCS devient un outil d’aide à la planification, il faudra bien que ces données soient enregistrées sans que tout cet appareil statistique soit un moyen de flicage des gens.
Merci pour vos questions. J’espère avoir un peu éclairé votre lanterne. JCD
PS Je me rends compte que je n’ai pas du tout abordé la question du “public/privé”. Non, l’enseignement chinois est public. Il existe un enseignement privé (mais ouvert à tous et très spécialisé) dans le supérieur et dans certains domaines. Mais la dominante chinoise est publique. Pour l’opinion chinoise très majoritaire, la qualité, c’est le public. Et dans primaire secondaire, la question ne se pose pas.
En France jusqu’à une époque récente, la grande et la petite bourgeoisie reconnaissaient que le public c’était la qualité. En Chine, le système d’enseignement dans son ensemble et dans toutes les régions est en pente ascendante. Il est donc public sans problème. Mais il l’est d’autant plus naturellement que ce pays est socialiste. Il défend à la fois les intérêts de la nation chinoise (une force de travail massivement bien éduquée et de niveau croissant de compétence scientifique et technique) et les intérêts du peuple chinois, qui aspire à un avenir meilleur pour les nouvelles générations et donc à un enseignement de qualité.
L’enfant qui, si je puis dire était “le dernier des mohicans” est devenu l’investissement familial majeur. La Chine regarde aujourd’hui vers l’avenir. Elle n’est plus tournée uniquement vers son passé, que pourtant elle respecte. Elle prend donc soin de ses enfants, de ses écoles et de ce que l’on y enseigne. Ce qui me sidère, en tant qu’individu observant la société, les sociétés, c’est que, en tout cas dans la période actuelle, l’individu que je suis ne peut rien en tant qu’individu mais il voit tout. Nous sommes un certain nombre dans ce cas. Nous ne pouvons rien et nous voyons tout. Tout ça va changer. Il n’est pas possible qu’il en soit autrement.
etoilerouge commune
merci de ces très importantes précisions