L’avenir des builders en France.
Ancien “builder” pendant 20 ans en France j’ai eu l’occasion de travailler
sur de nombreux projets informatiques dans des domaines aussi variés que la banque, l’assurance, le commerce, l’industrie et l’administration publique toujours en tant que sous-traitant.
Les builders ou développeurs sont ceux qui conçoivent, produisent et testent les solutions informatiques qui vont répondre à des problèmes de traitement de l’information.
Issu d’une promotion, d’une formation homogène, de 18 développeurs embauchés dans la même entreprise l’évolution de carrière était assez particulière, tous commencions par de la programmation, c’est à dire l’écriture du code que comprend la machine. Ce travail nécessite une grande rigueur pour que le code fonctionne, qu’il soit facilement lisible par les autres programmeurs afin de faciliter les modification, qu’il soit robuste, résistant aux pannes, qu’il soit performant, économe en ressources et rapide. Dans ce métier il n’y a pas d’à peu près, ça fonctionne ou pas.
Pour arriver à un tel résultat il faut du temps, de la compétence et de l’expérience.
C’est pour ça que les parties critiques ou complexes d’une application sont réservées à des développeurs avec un certain niveau de maîtrise. Cette maîtrise s’obtient pour la plupart par l’expérience et la curiosité, on y retrouve souvent des passionnés. Mais aussi certains issus des meilleures écoles d’ingénieurs ont ses compétences à l’issue des écoles.
Par la suite au bout d’un certain temps s’opère une sélection dans cette promotion, selon l’habilité à communiquer, certains vont quitter la programmation pour faire de la conception et ne reprogrammeront plus jamais, la conception étant l’équivalent du plan de l’architecte pour construire un immeuble. Le plan n’est pas l’immeuble, la conception n’est pas le logiciel.
Passé ce niveau d’abstraction les plus habiles vont se retrouver chefs de projet, dans cette population se trouvent deux catégories, les bons ingénieurs à la formation solide et ceux qui incompétents en programmation et en analyse, mais bons parleurs et capables suivre des indicateurs sur un tableur vont être responsables d’un projet et vont en assurer la gestion et la communication. Les incompétents sont dangereux dans la production, la gestion de projet accepte certaines erreurs.
En cas de problèmes je vous laisse imaginer le résultat quand votre chef est incompétent et qu’il ne fait pas confiance au développeur.
La hiérarchie de salaires suit celle des fonctions, programmeur, analyste concepteur, chef de projet.
Ce genre de chefs se retrouve au sein des entreprises de sous traitance mais également chez les clients en charge de suivre les projets externalisés.
Pour l’anecdote un client avait fait une demande de travaux estimée au doigt mouillé à 3 jours de travail pour un développeur, à la lecture de la demande et après analyse de celle-ci j’ai fait une proposition argumentée à mon chef incompétent pour obtenir 5 jours, le refus a été catégorique de sa part et de celle du chef client, résultat il a fallut 2 mois pour régler le problème en mobilisant en renfort les deux meilleurs développeurs de l’établissement j’avais 10 d’expérience comme développeur et support technique sur de nombreux projets. A l’issue lors de l’évaluation annuelle je me suis fait saquer pour non respect des délais, malgré l’appui de mes collègues, entretien mené par l’incompétent.
Les développeurs sont les premiers à subir la concentration du capitalisme par divers mécanismes:
1) La fusion des établissements et les acquisitions sont en premier temps une formidable opportunité pour les développeurs et les sous-traitants informatique, la moitié de ma carrière a consisté à fusionner des systèmes informatiques.
– Lors des fusions d’établissements financiers au sein du même groupe.
– Lors des acquisitions de chaînes de magasins dans la grande distribution.
– Lors de la ruée vers l’Est de l’industrie suite à la libération des “dictatures du prolétariat”.
2) Externalisation: ces projets temporaires (notez la notion de gestion par projet très importante), implique que les besoins sont très ponctuels et donc réévalués au cas par cas. Cette façon de procéder liées à “l’optimisation financière” rend la sous traitance intéressante: la gestion de la masse salariale incombe au sous traitant et la souplesse est grande, de plus les sous-traitants sont mis en concurrence régulièrement, soit pour des projets, sois également pour la gestion courante des applications informatiques, ce qui était appelé la régie où le client confie la gestion complète d’applications au jour le jour, pendant une période donnée, souvent 3 ans.
Pour les développeurs cela signifie l’assignation aux sociétés de service sans espoir d’intégrer un jour un client, sauf rares exceptions, d’autant plus que l’optimisation fiscale encourage l’externalisation.
Dans certains cas se sont les employés même de l’entreprise cliente qui ont été forcés à partir vers le sous-traitant lors de l’externalisation du service.
Les effets sur les conditions de travail sont la précarité des projets, l’instabilité, le stress et la pression sur les salaires.
3) Concurrence: pour emporter ces contrats externalisés, dans les années 2000, les sociétés de services en France qui sont devenues des multinationales grâce aux processus d’externalisation des clients et des réformes du commerce international ont développé des centres “off-shore” à Mumbai en Inde où un ingénieur est payé le prix d’un développeur débutant chez nous. La concurrence était effective au sein même du groupe entre développeurs et les chefs qui ne parlent pas anglais ont commencé à être mis de côté ou virés. Le support était externalisé vers les pays de l’Est, l’Irlande et l’Inde.
L’internationalisation a donné naissance à des groupes informatiques indiens qui sont entrés en concurrence avec nos multinationales et avec les établissements indiens ouvrant le marché au Vietnam encore moins cher et au Maghreb qui malgré le même fuseau horaire et la langue française n’avaient pas au début de l’internationalisation les infrastructures pour accueillir les centres de développement, contrairement à Mumbai qui avait investi.
Cette externalisation s’accompagnera de contrats commerciaux et par conséquence d’un accroissement du poids des normes et de la bureaucratie au détriment de la technique.
4) Sous traitance en cascade: les principales sociétés de service ont acquis la gestion des projets et ont fini par sous-traiter elles même à d’autres sociétés de service de même catégorie ou plus petites. Les développeurs passant parfois de l’une à l’autre à la demande du client final pour conserver les compétences.
Cette particularité abouti à une distorsion sur le marché de l’emploi dans l’informatique: lorsqu’un client a un besoin de compétences particulières pour un poste une offre d’emploi est publiée, puis est aussi tôt multipliée par les sous-traitants espérant remporter le contrat, ce qui aboutit à parfois 5 offres pour un seul poste réel.
De plus pour faire face rapidement à un appel d’offre, les sociétés de service constituent des banques de CV: elles publient des offres permanentes, sélectionnent les candidats et les embauchent seulement si le contrat avec le client est signé.
Il n’existe aucun moyen de contrôler le nombre réel d’offre d’emploi dans ce secteur.
Ce qui fait dire à nos politiques incompétents et corrompus qu’il y une tension dans le marché du travail de l’informatique, où à l’âge 40 ans vous êtes en grand danger si vous perdez votre emploi.
5) Les systèmes intégrés de gestion: certaines fonctions sont communes à plusieurs entreprises, paye, RH, relation client, logistique, comptabilité,etc… ce qui a favorisé l’essor d’éditeurs de logiciels leurs ventes étant favorisées par le tissus de sociétés de services déjà implantées. Ces logiciels nécessitent essentiellement du paramétrage et le développement des interfaces avec le système d’information existant.
Les profils évoluent vers des métiers de consultants avec une plus faible part de compétences en programmation. Le déploiement de ces systèmes a été possible avec la baisse du coût des ordinateurs personnels et le développement de la technologie client serveurs et des réseaux informatiques.
6) Déploiement d’Internet: favorise l’échange d’information entre les entreprises et le contact immédiat et permanent entre travailleurs et services dans le monde entier. L’anglais professionnel, globish, favorise la concurrence et le partage d’information.
Partage d’information fait de manière gratuite dans les forums de développeurs passionnés. Aujourd’hui il est facile de trouver des “tutos” faits par des personnes compétentes, gratuitement. Ce travail gratuit fait la fortune des plateformes d’une part et sert également aux développeurs professionnels dans leur activité salariée au profit de leur employeur et client. Nous avons là une socialisation du travail qui dépasse le cadre de l’entreprise. De plus la complexification des outils de production logicielle rend cette entraide internationale quasiment indispensable.
Avec le développement des sites web et des hébergeurs bon marché fourni par de grands groupes comme OVH, le statu d’auto entrepreneur a permis de précariser une profession un peu particulière les développeur web. En province pour espérer un revenu net de 2000€ par mois il faut facturer entre 400 et 450€ par jour. Certains auto entrepreneurs parfois autodidactes, parfois en complément d’activité facturent 200€ la journée, cette concurrence rend le métier non viable, de plus ce secteur est soumis à la concurrence internationale. Ceci sans garantie pour le client sur la qualité logicielle et le conseil.
Les postes sur lesquels ont peut faire des économies sont les salaires et le temps passé sur les tests logiciels. Sur les tests on peut diminuer le temps passé au risque de les bâcler, où bien les automatiser comme cela est courant aujourd’hui. En 1995 j’avais développé des outils de tests automatiques pour un projet, ça n’existait pas dans le commerce à cette époque, il s’agissait du plus gros projet de migration informatique d’Europe, nous avions le budget et les ressources pour innover.
Sans ces outils il aurait fallut 40% de ressources humaines supplémentaires, sur un projet qui a mobilisé plus de 500 personnes,la migration aurait été impossible en un week-end.
7) La dernière étape est le nuage: le cloud permet, aux entreprises qui en fournissent les services, de stocker ou fournir les applications et de stocker les informations, un exemple gmail et toutes les applications google. Ces services concentrent encore plus les lieux de production pour les développeurs.
Si avec l’externalisation les entreprises clientes ont perdu les compétences techniques de production de logiciel, avec le cloud elles perdent le contrôle sur l’infrastructure, les serveurs et leurs données. L’incendie d’OVH à Strasbourg a causé la perte de données pour de nombreux clients, cette perte de données n’est pas causée par la technologie mais par la longue histoire des services informatiques qui hier gérés par des ingénieurs compétents est passée à la gestion par des comptables incultes technologiques à qui le pouvoir de décision est confié. La sécurité informatique implique pour les données vitales d’une organisation de les sauvegarder régulièrement, et d’assurer la redondance des sauvegardes dans des lieux géographiques différents. Cette option était payante chez OVH et certains incompétents ne l’ont pas souscrite par ignorance ou pour économiser trois sous.
Le cloud pose la question de la souveraineté nationale sur la capacité à assurer nos traitements et nos informations d’une part et sur la perte de compétences d’autre part.
8) Le métier: Ce domaine très technique demandant des compétences sans cesse renouvelées n’attirera pas les jeunes étudiants s’il n’y a pas de débouchés et de bonnes conditions de travail sans parler de projets qui font rêver et d’un salaire convenable.
En sous traitance c’est le stress systématique à chaque fin de projet ou vous pouvez vous retrouver en déplacement ou sur un domaine inconnu.
Ce métier est déjà éprouvant par sa nature, traiter des problèmes complexes et les traduire pour une machine bornée qui pour une erreur vous répétera stupidement le même message. Parfois il faut résoudre ces problèmes en pleine nuit, réveillé en astreinte, pour une erreur non détectée, avec comme conséquence le blocage de 5 000 camions le lendemain dans les entrepôts avec un directeur informatique, inutile, sur votre dos encore plus stressé car impuissant face au problème.
Et si vous êtes sur un sujet complexe il n’est pas rare d’avoir la solution en plein sommeil ou lors des moments de repos.
Si vous travaillez sur un domaine qui vous plaît rien ne vous garanti de pouvoir y poursuivre et vous épanouir, à moins de pouvoir devenir indispensable au prix d’une auto formation là encore gratuite pour l’employeur. En fin de carrière le même type de fonction me prenait 4 heures au lieu de 2 jours, lié à l’évolution des outils de développement. Mais au prix d’une abstraction de la technologie.
Certains ingénieurs n’ont plus qu’un rôle de supervision et n’appliquent plus leurs savoirs faire de production, j’ai rencontré les dernières années des jeunes diplômés d’université incapables de faire correctement une requête sur une base de données.
Le plus effrayant est de rencontrer des recruteurs incompétents sur les technologies pour lesquelles ils recrutent, ne produisant pas eux-même.
De plus la promotion à la lèche n’encourage pas la pratique de la production, contrairement aux USA ou par exemple le développeur du langage C++, Bjarne Strostrup, est directeur de son laboratoire, c’est un builder pur jus.
Certes il y a des start-up avec des projets intéressants mais où les places sont rares qui finiront si elles sont intéressantes rachetées et pourquoi pas délocalisée, c’est la magie du logiciel qui se reproduit avec une grande facilité.
Pour ces jeunes passionnés peut être plus encore que d’autres l’avenir rime avec incertitude, concurrence et violence. Ces forces productives qui ne pourront pas se développer.
Une belle opportunité pour un socialisme du numérique.
Les enjeux sont autant ceux d’une profession que ceux des nations et de l’Humanité si l’on pense que l’open source, ces millions de lignes de codes offertes gratuitement pourraient faire une base de production socialiste mondiale formidable. L’exemple le plus connu est le système d’exploitation Linux reconnu pour sa robustesse et son efficacité. Et l’entraide déjà existante entre développeurs est sincère et gratuite.
Une puissance productive potentielle dans un nouveau système de rémunération libérant la créativité et la coopération. La technologie est déjà là, il manque le politique.
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