L’image du but, par Dmitri Novikov, vice-président du Comité central du Parti communiste de la Fédération de Russie. Il n’y a rien à ajouter aux réflexions de Novikov s’interrogeant sur la capacité des lecteurs à lire un si long texte, à faire autre chose qu’à s’envoyer des posts et des selfies … J’ajouterai pour ma malheureuse France à émerger de la médiocrité des “débats” sur les réunions non mixtes avec la débilité garantie des deux côtés des pseudos antagonistes et vrais crétins. Heureusement dans ce blog il existe un micro climat de réflexion et d’écoute. Autre chose tout à fait étonnante : l’intérêt de Novikov pour les questions dont nous nous préoccupons ici et qui concerne justement la nécessité d’avoir un but stratégique pour ne pas être balloté d’imbécilités en imbécilités par des politiciens faisant de la retape aux voix au lieu de tracer l’avenir. Pour tracer l’avenir la théorie est indispensable même si depuis près de trente ans on a réussi à convaincre les communistes que celle-ci n’avait aucun intérêt, que la”formation” consistait à s’initier aux dires de la bourgeoisie et d’y ajouter du pathos, cela donne “une routine stupide” justifiée par un pragmatisme borné. Le débat avec Mélenchon et ses inspirateurs a ici une tout autre dimension et cela vient de Russie, ce dont nous sommes incapables. (note de Danielle Bleitrach, traduction de Marianne Dunlop)
Il y a quelque temps, quelqu’un a téléphoné. Bien sûr, il n’y a rien d’extraordinaire à cela. On reçoit rarement moins d’une centaine d’appels de ce type par jour. Mais cette fois, c’est le «chef» qui a appelé.
30 mars 2021sovross.ru
https://kprf.ru/party-live/cknews/201458.html
C’est ainsi que Guennadi Andreevitch Ziouganov l’appelle. Ceux qui travaillent depuis longtemps avec le chef du Parti communiste de la Fédération de Russie le savent: s’il dit le «chef», il s’agit de V.V. Tchikine. Et en effet, c’est lui – Valentin Vassilievitch – qui a appelé. Il a proposé de réfléchir sur l’importance de l’image de l’avenir pour les communistes. J’étais partagé entre l’enthousiasme et la perplexité. D’un côté, c’est un sujet dont on parle de plus en plus dans le parti. Mais en même temps c’est une énorme responsabilité …
A mesure que j’avançais dans mon travail, je me disais : les colonnes du journal ne sont pas extensibles. Et puis il faut aussi avoir pitié du lecteur. Bien sûr, notre presse patriotique de gauche a un lectorat particulier, intelligent. Il n’empêche qu’il exige de plus en plus des auteurs brièveté, compétence et dynamisme. C’est l’époque qui veut ça.
Les cartes de navigation des communistes
La clé du succès de l’organisation politique des communistes est l’établissement d’un lien vivant et productif entre la théorie et la pratique, entre la tactique et la stratégie. Les activités quotidiennes du Parti communiste sont soumises à des objectifs à long terme. Et il voit son accession au pouvoir non comme une fin en soi, mais pour la mise en œuvre des paramètres de son programme.
Les partis bourgeois s’efforcent soit de préserver l’ordre, soit d’opérer des changements partiels dans le cadre du système existant. Souvent, leurs efforts se réduisent uniquement à la promotion d’individus ou de clans au pouvoir.
Les objectifs des partis communistes sont différents. Les communistes disent sans détour: nous avons l’intention de changer la réalité. Et cela est impossible sans la formation d’une image du futur.
Oui, le Parti communiste fonctionne dans des conditions historiques spécifiques, «ici et maintenant». Son travail est inextricablement lié aux problèmes de société. Il cherche à alléger les problèmes des travailleurs et mène une lutte contre l’arbitraire des exploiteurs capitalistes et de leur appareil d’État. Mais, contrairement aux forces réformistes, les communistes ne limitent pas leurs horizons à cela. Ils voient leur but ultime dans l’émancipation complète des travailleurs. Par conséquent, le système bourgeois devra être envoyé à la poubelle de l’histoire.
Ainsi, les communistes combinent leur travail quotidien avec des objectifs à long terme et les subordonnent à eux. Cette caractéristique a été remarquablement exprimée par Karl Marx et Friedrich Engels. Dans le «Manifeste du Parti communiste», l’image de l’avenir est vue sous la forme la plus vaste et la plus claire pour son époque.
Engels expliquera plus tard: «Les communistes sont communistes parce qu’à travers toutes les étapes intermédiaires et les compromis créés non par eux, mais par le développement historique, ils voient clairement et poursuivent un but ultime: la destruction des classes, la construction d’une société dans laquelle il n’y aura plus la propriété privée de la terre et des moyens de production ».
Lénine a dû signaler plus d’une fois le danger de l’opportunisme de gauche et de droite. Le premier rejette la nécessité de l’activité quotidienne du parti et appelle à sauter directement dans « les lendemains qui chantent ». La seconde limite la lutte au fait d’arracher des concessions partielles à la bourgeoisie. Entre les Charybde et Scylla de ces courants se trouve le chemin de chaque parti communiste. Et si l’on ne veut pas se perdre, il est impossible de se passer d’une carte de navigation. C’est précisément le rôle que remplit le programme du parti.
Comment ne pas se tourner à ce propos vers l’histoire du parti bolchevique? Il s’est développé dans la lutte contre diverses déviations, et à chaque fois il est ressorti plus solide et plus soudé. Au début du long voyage, il s’agissait du «marxisme légal» et de «l’économisme», prêts à tout réduire à la lutte pour les revendications économiques.
Les désaccords sur la question de la construction du parti ont abouti à la division des sociaux-démocrates en bolcheviks et mencheviks. Après la défaite de la première révolution russe de 1905-1907 et l’instauration de la réaction, plusieurs tendances sont apparues à la fois. Ainsi, les liquidateurs ont exigé que le travail soit limité aux formes juridiques, tandis que les otzovistes, au contraire, les ont rejetées et ont insisté sur le rappel des sociaux-démocrates de la Douma. Des discussions encore plus féroces ont éclaté dans le parti avec le déclenchement de la Première Guerre mondiale et la Révolution de février.
Il faut admettre que les conflits dans le travail de parti sont inévitables. Surtout dans le contexte des bouleversements historiques. Malgré l’acuité de la controverse, et peut-être grâce à elle, le parti bolchevique a réussi à éviter des erreurs fatales. Le secret de cela, à notre avis, réside dans la combinaison dialectique de la stratégie et de la tactique, des buts ultimes et de la lutte quotidienne.
Ce sont les léninistes qui ont réussi à diriger la première révolution socialiste victorieuse. Le fondateur du bolchevisme s’est plongé tête baissée dans la construction créative. Mais les objectifs à long terme n’ont jamais été perdus de vue par Lénine. Il a souligné: «En amorçant des transformations socialistes, nous devons clairement nous fixer l’objectif … de créer une société communiste, ne se limitant pas seulement à l’expropriation des fabriques, des usines, des terres et des moyens de production, ni à une stricte comptabilité et au contrôle sur la production et la distribution des produits, mais à aller plus loin dans la mise en œuvre du principe: de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins. »
Théorie et parti
Il est difficile de maintenir un équilibre entre le court et le long terme. Le programme du parti a pour vocation d’y contribuer.
Le deuxième congrès du POSDR en 1903 a adopté son programme après une lutte acharnée. Les partisans de Lénine ont réussi à inclure des points sur la dictature du prolétariat et le rôle dirigeant du parti révolutionnaire dans le mouvement ouvrier. Le document se composait d’un programme minimum et d’un programme maximum. Le premier se fixait la tâche immédiate de renverser l’autocratie avec l’instauration d’une république démocratique, la journée de travail de 8 heures, la destruction des vestiges féodaux dans les campagnes, etc. Le second formulait comme objectif principal le renversement du capitalisme et l’établissement de la dictature du prolétariat pour la construction d’une société socialiste.
Il est important de souligner que le programme des bolcheviks s’est avéré plus révolutionnaire que celui de la plupart des organisations sociales-démocrates en Europe, qui étaient influentes et nombreuses. Proclamant l’objectif qui pouvait sembler lointain de la construction du socialisme, le parti de Lénine développait ainsi un antidote contre l’opportunisme.
L’histoire a montré la justesse de ce choix. Avec le déclenchement de la Première Guerre mondiale, la plupart des partis de la Seconde Internationale sont passés à des positions social-chauvines. Les bolcheviks, eux, sont restés fidèles à l’internationalisme prolétarien. Ils ont également assuré une alliance durable entre la classe ouvrière et la paysannerie travailleuse. En Russie, c’était de la plus haute importance. Réclamant l’abolition des droits de rachat des terres [dans le cadre de l’abolition du servage en 1861, NdT] et des lourdes charges à payer, proposant d’autres mesures pour soutenir les paysans, les bolcheviks entrent dans un conflit sérieux avec les mencheviks, qui soulignent le caractère réactionnaire de la paysannerie. Mais Lénine et ses partisans étaient étrangers au dogmatisme et ont abordé le marxisme de manière créative.
La question d’un nouveau programme de parti a commencé à se poser avant même la Révolution de Février. Lénine a souligné sa nécessité dans les Thèses d’avril. Il le fallait avant tout à cause des bouleversements mondiaux, tels que l’entrée du capitalisme dans sa phase impérialiste et le déclenchement de la Première Guerre mondiale. De plus, les événements se développaient de manière dynamique en Russie même.
Le travail sur un nouveau programme a commencé après la Grande Révolution socialiste d’Octobre. En mars 1919, après une discussion animée, le document fut approuvé par le huitième Congrès du PCR (b). Le programme contenait une analyse de l’impérialisme, soulignait l’intensification de la lutte des travailleurs des États capitalistes et la croissance de la lutte de libération nationale dans le monde colonial.
Le programme incluait une caractérisation de l’État soviétique comme un État ouvrier et paysan ouvrier. Le programme de l’organisation clandestine est devenu le programme du parti au pouvoir. Des tâches nationales y figuraient. Les objectifs du développement économique ont été fixés – la transformation des moyens de production en propriété commune des travailleurs, le développement de l’économie nationale selon le plan national, l’organisation d’une agriculture socialiste à grande échelle. La nécessité d’instaurer un enseignement obligatoire et gratuit a été notée. «Notre programme du parti ne peut pas rester uniquement un programme de parti. Il doit devenir un programme pour notre développement économique, sinon il ne convient pas comme programme du parti », a noté Lénine.
Comme le premier programme, le second répondait aux exigences de l’époque. Ce lien entre les documents théoriques et la vie était le reflet de tout le travail du Parti. Sous la direction de Lénine, puis de Staline, le parti s’est développé comme un organisme vivant, sensible aux changements dans le pays et dans le monde. Pas étonnant qu’exactement deux ans après l’adoption de leur deuxième programme, les bolcheviks proclamaient la NEP.
Le Parti communiste a su répondre aux défis de l’époque. L’Union soviétique a fait un bond en avant sans précédent en matière de développement. Le pays agraire, ravagé par les guerres, est devenu une puissance industrielle – la première d’Europe et la deuxième au monde. L’industrialisation, la collectivisation des campagnes et la révolution culturelle ont permis de forger un bouclier de défense. La victoire a été remportée dans la bataille avec l’Allemagne nazie, et en fait – avec l’ensemble de l’Occident. La politique culturelle de l’URSS a formé un homme nouveau, un créateur. Qui a rejeté en toute confiance la vieille coquille du philistinisme, de l’individualisme, de l’oppression.
Avec la construction d’une société socialiste, les tâches de 1919 ont été largement accomplies. Mais les circonstances ont retardé l’adoption d’un nouveau programme. La guerre est intervenue. Une fois achevé, le projet de programme a été préparé par Staline et Jdanov. Le pays soviétique devait développer le socialisme pour atteindre son but ultime – construire une société communiste. Mais le document déclarait: « La transition du socialisme au communisme ne peut se faire que par une série d’étapes de transition, en passant par le développement continu des fondements matériels et des relations sociales de la société socialiste ».
Pour un certain nombre de raisons, le programme «Staline-Jdanov» n’a jamais été adopté. On est revenus sur cette question après le 20e Congrès du PCUS, qui a été fatal pour le pays. Les travaux ont commencé en 1956 et se sont terminés au XXIIe Congrès du PCUS, en 1961. Le nouveau programme reflétait toutes les contradictions de la période poststalinienne. Ses auteurs ont fixé 1980 comme date de la construction de la société communiste en URSS…
C’était, bien sûr, non scientifique. De telles absurdités ne sont possibles dans le Parti communiste que lorsque les grandes questions idéologiques et théoriques sont subordonnées à une routine stupide et à une pragmatique momentanée, lorsque l’idéologie a tendance à être effacée et adaptée aux besoins bureaucratiques de la caste de l’appareil.
Dans le programme “khrouchtchevien”, un accent particulier a été mis sur les facteurs matériels et mécaniques du développement. Il a été déclaré qu’en 1970, l’Union soviétique “dépassera le pays capitaliste le plus puissant et le plus riche – les États-Unis en termes de production par habitant”. Et à la suite de la prochaine décennie (1971-1980) “la base matérielle et technique du communisme sera créée”.
En fait, le communisme était ramené à des indicateurs tout à fait terre à terre… Mais comprenant profondément le danger d’une telle approche, Lénine avait averti: «Le moyen le plus sûr de discréditer une nouvelle idée politique (et pas seulement politique) et de lui nuire est de la pousser à l’absurde. »
Oui, le programme de 1961 était complètement éloigné de la réalité. Tout en produisant un texte truffé de proclamations triomphalistes, la direction du PCUS, dirigée par N.S. Khrouchtchev a fermé les yeux sur les tendances alarmantes du développement de la société. Les phénomènes négatifs se sont accumulés. Des réformes irréfléchies, une politique des cadres douteuse, la bureaucratisation ont sapé les convictions des citoyens. Les attitudes consuméristes, le philistinisme et le carriérisme gagnaient de plus en plus en ampleur.
La clause sur la dictature du prolétariat a été exclue du programme du PCUS. L’avertissement de Staline selon lequel la lutte des classes s’intensifierait avec la construction du socialisme a été rejeté. Et même, sous Gorbatchev, il a été tourné en ridicule à plusieurs reprises.
L’approche erronée des processus internationaux constituait une grave lacune du programme de 1961. La flexibilité du capitalisme, sa capacité à faire des concessions partielles pour préserver son hégémonie, n’ont pas été prises en compte. Et pourtant c’est à cette époque que le concept d ‘«État-providence» ou de «société de bien-être général» était en train d’être approuvé dans les pays occidentaux. Sans analyser ce phénomène et en s’appuyant uniquement sur des critères matériels de progrès, l’équipe de Khrouchtchev a posé une «bombe à retardement» sous l’URSS. L’arrivée au pouvoir de Gorbatchev permettra de faire exploser cette mine.
Définir les actions par les buts
Le parti, quand il s’est reconstitué en 1993, a dû résoudre le problème de la pertinence des programmes et des directives. Comme au début du 20e siècle, le pouvoir à cette époque était entre les mains des capitalistes. La société était divisée en une poignée d’exploiteurs et une masse de population appauvrie. Nonobstant sa communication sur la démocratie et les droits de l’homme, le régime bourgeois a été mis en place grâce aux nouveaux “Dimanches sanglants” et “fusillades de la Lena “. En octobre 1993, les vestiges du pouvoir populaire soviétique ont été détruits par les obus des chars. Une nouvelle oligarchie s’est emparée des fabriques, des usines et même du pays. La Russie perdait sa souveraineté, exécutant docilement des ordres humiliants venant de l’extérieur.
La résistance à la restauration bourgeoise a été menée par le Parti communiste de la Fédération de Russie. Le succès de la lutte idéologique dépendait directement d’une évaluation correcte de la situation. Le programme du KPRF a été adopté au IIIe Congrès en janvier 1995. Il a été complété et modifié en 1997 et 2008.
La première édition du programme déclarait que le régime au pouvoir, par la tromperie et la violence, tentait de ramener le pays à un capitalisme barbare et primitif, conduisant à la régression sociale, à la catastrophe nationale et à la mort de notre civilisation. Des amendements ultérieurs on reconnu le fait de la restauration du système bourgeois.
Malgré cela, le programme met l’accent sur la défaite du capitalisme. Il est dit qu’au XXIe siècle, le socialisme en tant que doctrine, mouvement de masse et système social recevra son second souffle. Le succès des communistes dépendra de leur ancrage dans le mouvement ouvrier, de la diffusion de la conscience socialiste parmi les masses. La lutte pour le socialisme et les formes soviétiques de démocratie se confond avec la protection des intérêts nationaux et étatiques de la Russie.
Il y a trois étapes pour atteindre les objectifs stratégiques. La première devrait atteindre l’objectif d’établir le pouvoir démocratique des travailleurs, de larges forces populaires-patriotiques dirigées par le Parti communiste de la Fédération de Russie. Cela permettra d’éliminer les conséquences catastrophiques des réformes, de restaurer les droits politiques et socio-économiques fondamentaux des citoyens et de rendre aux populations la propriété des moyens de production de base qui leur ont été illégalement enlevés.
Dans un deuxième temps, le Parti communiste s’engage à assurer la participation toujours plus large des travailleurs à la gestion de l’État et de la société – à travers les Soviets, les syndicats, l’autogestion des travailleurs et d’autres instruments de démocratie. L’économie renforcera les formes de gestion socialistes. Il y aura un transfert des ressources naturelles et des industries stratégiques vers la propriété publique.
Enfin, au troisième stade, les relations sociales socialistes prendront enfin forme. Les formes publiques de propriété des moyens de production de base domineront. L’importance de la science en tant que force productive de la société augmentera.
Le socialisme se caractérise dans le programme du Parti communiste de la Fédération de Russie comme une société exempte d’exploitation de l’homme par l’homme, qui repose sur la propriété publique et distribue les biens en fonction du travail. «Il s’agit d’une société où la productivité du travail et l’efficacité de la production sont élevées grâce à une planification et une gestion scientifiques, à l’utilisation de technologies à forte intensité scientifique et économes en ressources. Il s’agit d’une société de vraie démocratie et d’une culture spirituelle développée, stimulant l’activité créatrice de l’individu et l’autonomie gouvernementale des travailleurs », indique le document.
Le programme du Parti communiste de la Fédération de Russie parle également du communisme comme de l’avenir historique de l’humanité. Ce sera une association sans classe où «le libre développement de tous est une condition du libre développement de tous».
Treize ans se sont écoulés depuis l’adoption de la dernière version du programme du KPRF. De plus en plus souvent, il est proposé de l’accompagner de prévisions prospectives et de notre image du futur. Mais les sceptiques se demandent aussitôt: le parti a-t-il vraiment besoin d’une image concrète du socialisme, et plus encore du communisme? On peut déceler un certain”bon sens” dans un tel raisonnement. Les fantasmes sur “l’avenir” peuvent détourner l’attention des préoccupations pressantes. Disons que lorsque le pays est menacé d’effondrement, les tâches immédiates doivent être résolues,comme parvenir à la mise en œuvre de mesures anti-crise.
Mais une telle approche utilitariste comporte de nombreux risques. À première vue, cela peut élargir la base de soutien du parti. Cependant, il existe un risque d’éroder le Parti communiste lui-même – le noyau du mouvement patriotique de gauche. Remplacer les grands objectifs par des tâches immédiates, se précipiter d’un problème “brûlant” à un autre videra la vie du parti de son sens et fertilisera le terrain pour l’opportunisme.
Ce danger apparaît clairement avec l’exemple de “l’eurocommunisme”. Un certain nombre de partis communistes occidentaux dans les années 70 et 80 ont exclu de leurs programmes les dispositions sur la construction du communisme. Le but était “d’augmenter la flexibilité” dans la lutte pour les besoins des électeurs. Cela a conduit au marais du réformisme, à l’effondrement même de partis communistes aussi puissants que celui de l’Italie.
Anton Tchekhov a écrit avec un sarcasme impitoyable à propos de ceux qui se limitent à un programme éphémère: «Quiconque pense sincèrement que les objectifs supérieurs et lointains des hommes sont aussi peu nécessaires qu’à une vache, que de là viennent “tous nos problèmes”, il ne lui reste qu’à manger, boire, dormir et, lorsqu’il en aura assez, prendre un grand élan et frapper son front contre le coin d’une armoire. » Le même écrivain russe a également écrit ces paroles si merveilleux: «Les actes sont déterminés par leurs buts; un travail peut être appelé grandiose, quand il a un objectif grandiose. »
Lorsqu’on leur demande si les communistes ont besoin d’une stratégie à long terme, d’une volonté de “regarder au-delà de l’horizon”, nous répondrons sans l’ombre d’un doute: « C’est ce que nous faisons! » Ce n’est pas un hasard si l’une des œuvres de Ziouganov a été intitulée Au-delà de l’horizon.
Les partis communistes ne peuvent pas “retrancher” les destinées de leurs pays du canevas des processus mondiaux. Et le principal défi pour l’humanité est le capitalisme à son stade impérialiste. Il cherche à soumettre tous les peuples à sa volonté, leur apporte la pauvreté et l’inégalité, la décadence morale et la catastrophe écologique.
En luttant chacun contre “sa” bourgeoisie, les communistes de chaque pays soulignent que c’est leur contribution à la résistance mondiale à la dictature du capital. C’est l’internationalisme des communistes. Notre objectif n’est pas d’obtenir des concessions, mais de renverser la domination du capital et de le remplacer par une société socialiste. À partir de là, nous n’avons tout simplement pas la possibilité de nous enfermer dans des frontières nationales étroits et des cadres temporels étriqués.
La solidarité et la fixation d’objectifs pour l’avenir sont notre force. «Lorsque les travailleurs sont unis entre eux, sont organisés et poursuivent un seul objectif, ils sont alors infiniment plus forts que les riches», a écrit Engels.
Base sociale et image du futur
Dans tous les programmes, à commencer par le Manifeste de Marx et Engels, le rôle révolutionnaire du prolétariat était invariablement souligné. Le parti n’est qu’une avant-garde et un porte-parole des intérêts de la classe ouvrière.
De nombreux écrivains libéraux proclament la disparition du prolétariat. Les arguments sont divers. Ils parlent d’une forte réduction des travailleurs industriels, de la prédominance du secteur des services. Ils parlent de la “disparition” de la caractéristique principale du prolétariat :le manque total de moyens de subsistance sauf par la vente de leur travail. De nombreux travailleurs, disent-ils, sont propriétaires d’actions et reçoivent une part du capital. On dit que la révolution scientifique et technologique «change complètement les relations de travail».
Nous rencontrons de telles idées non seulement parmi les libéraux pur jus, mais aussi parmi les penseurs de gauche. Parmi eux figurent Chantal Mouffe et Ernesto Laclau, dont les considérations ont grandement influencé les activités des Podemos espagnols, du grec SYRIZA et de plusieurs autres organisations. Ils rejettent la lutte des classes. Selon eux, la base de l’identité n’est pas une classe, mais d’autres critères multiples – genre, profession, race … Et le but de la rivalité politique, proclament-ils, n’est pas le renversement de la bourgeoisie, mais une attention accrue à leur groupe. Au cours du siècle et demi depuis que le prolétariat est entré dans l’arène historique, de nombreux concepts similaires sont apparus. En détournant l’attention des travailleurs, ils renforcent l’hégémonie de la bourgeoisie.
Le communisme scientifique ne croit pas que la classe ouvrière doive devenir le groupe le plus important de la population. L’accent est mis sur autre chose – sur les conditions de vie et de travail du prolétariat. C’est ce qui fait de lui l’adversaire le plus constant du capital.
Cependant, même en termes d’indicateurs quantitatifs, le nombre de prolétaires industriels et de salariés est actuellement un record dans l’histoire de l’humanité. Ils sont de plusieurs ordres de grandeur plus élevés que sous Marx ou Lénine. Ainsi, l’industrie emploie aujourd’hui 1,8 milliard de personnes – 600 millions de plus qu’en 1991, par exemple.
Une redistribution géographique du prolétariat a eu lieu. Depuis 30 ans, la part des travailleurs industriels dans le nombre total des salariés a diminué: en Allemagne – de 38 à 27 %, aux États-Unis – de 26 à 19 %. En Inde, il est passé de 15 à 25 %, ou de 134 à 342 millions de personnes.
Bien sûr, derrière ces chiffres se cache le transfert de la production des entreprises vers des pays à main-d’œuvre bon marché. Cette recherche de profits a créé de graves problèmes dans les bastions du grand capital. Des millions de personnes ont perdu leur emploi. Détroit aux États-Unis en est un exemple frappant, mais pas le seul. Ces tendances, d’ailleurs, ont créé le phénomène Trump.
La désindustrialisation de la Russie a fait chuter la part de la classe ouvrière industrielle de 40 à 27%. Mais même malgré cela, elle reste une force impressionnante. Sa population est de près de 30 millions de personnes.
La situation des travailleurs dans le monde évolue. Le précariat se développe – des travailleurs à temps partiel et temporaires, des revenus instables. Mais la contradiction principale du capitalisme – entre le travail et le capital – n’a en rien disparu. Seules les formes extérieures d’exploitation changent.
Dans les pays occidentaux, “l’État-providence” s’érode rapidement. Comment pourrait-il en être autrement? En effet, il n’était pas le résultat naturel du développement du capitalisme. C’était la réponse forcée de l’impérialisme à la “menace rouge” venant de l’Est.
Des masses de migrants sont de plus en plus attirées dans les rangs du prolétariat occidental. Et, par exemple, au Congo et dans un certain nombre d’autres pays africains, le comportement du capital n’est pas très différent des atrocités commises par les colonialistes au cours des siècles passés …
La thèse de Marx sur l’appauvrissement relatif et absolu des travailleurs reste valable. Même avant la pandémie, près de 300 millions de salariés gagnaient des revenus inférieurs au salaire minimum. Dans l’Union européenne elle-même, un travailleur sur huit se trouve en dessous du seuil de pauvreté. Quatre milliards de personnes – plus de la moitié de la population mondiale – ne sont pas couvertes par le système de protection sociale de l’État.
Au cours de l’année de la pandémie, le nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde est passé de 700 à 850 millions. Le Programme alimentaire mondial des Nations Unies prévient que près de 30 millions de personnes pourraient mourir de faim dans les années à venir. Mais la richesse combinée des personnes les plus riches de la planète a augmenté de 2 billions de dollars.
Les complexités de la structure en classes sociales de la société moderne ne doivent pas désarmer les communistes. Il convient de rappeler que le “prolétariat pur” n’a presque jamais existé nulle part. Sous Marx et Lénine, il avait largement conservé des vestiges féodaux et petits-bourgeois. Il y avait diverses formes de son emploi et des instruments d’exploitation. Cela ne fait que renforcer le rôle du parti dans la formation d’une conscience de classe très développée parmi les travailleurs.
Un trait distinctif des communistes est le rejet des évaluations superficielles, la pénétration profonde dans l’essence des phénomènes, la recherche de modèles dans une variété d’événements. Tenant compte de la situation et ajustant les tactiques, les communistes restent fidèles au but ultime. Comme l’a noté à juste titre le poète letton Jan Rainis:
Un maillon de la chaîne est perdu, –
Un des outils est devenu inutilisable … La
hache est émoussée – alors quittez votre travail?
Un chemin a été coupé, mais le but est resté –
Et nous devons chercher de nouvelles voies!
La mission de l’avant-garde
Introduire la conscience socialiste parmi les travailleurs est une tâche ardue. Mais sans cela, les masses ne réaliseront pas leurs intérêts, ne se transformeront pas en classe révolutionnaire, ne garantiront pas leur émancipation.
Staline a écrit: «Un mouvement ouvrier spontané sans socialisme erre dans l’obscurité… la conscience socialiste est donc d’une grande importance pour le mouvement ouvrier… le porteur de cette conscience, la social-démocratie, a pour devoir d’introduire la conscience socialiste dans le mouvement ouvrier, pour être toujours à la tête du mouvement, et ne pas regarder le mouvement ouvrier spontané de l’extérieur, ne pas rester à la traîne ».
Notre tâche d’introduire la conscience de classe est devenue beaucoup plus difficile qu’il y a cent ans. Le capital a perfectionné les outils de manipulation de la conscience. Ce n’est pas un hasard si cette session plénière de janvier du Comité central du Parti communiste de la Fédération de Russie a déterminé les tâches dans les conditions des guerres hybrides modernes. Toute la masse de la culture et de la propagande bourgeoises vise à détruire la conscience de classe, à diviser et à désintégrer les travailleurs.
Même Marx et Engels ont mis en garde contre l’illusion que les relations de production influencent automatiquement la conscience sociale. Ils ont noté que l’Etat bourgeois, la loi, les idées, la propagande protègent les fondements de la société bourgeoise.
Le communiste et penseur italien Antonio Gramsci a accordé beaucoup d’attention à ce sujet. Il a mis en avant le concept d’hégémonie culturelle. Son essence est que la conscience de la classe dirigeante, sa vision du monde, ses idéaux sont souvent perçus par la société comme vrais, comme le sens commun général. À cette fin, la “société civile” est utilisée – un ensemble d’organisations privées de la classe dirigeante qui ne sont pas directement incluses dans l’appareil d’État. Parmi elles se trouvent des organisations culturelles, publiques, éducatives, religieuses, des partis politiques et les médias. A travers elles, la bourgeoisie implante son idéologie, cherchant le soutien d’autres groupes sociaux.
Aujourd’hui, ces phénomènes sortent de partout – de manière manifeste, de manière proéminente, de manière éclatante. Nous le voyons dans l’industrie de la publicité et du divertissement, dans l’imposition d’une culture de masse et d’un consumérisme total. Les ouvriers sont convaincus qu’il n’y a pas de différence fondamentale entre eux et la bourgeoisie. Pour réussir, il faut soit travailler dur, soit “faire le buzz” et saisir sa chance, soit devenir un virtuose au service du patron.
Gramsci a vu l’issue dans la formation par le prolétariat et son avant-garde – les communistes – de leur propre hégémonie culturelle. Cela signifie la diffusion de l’idéologie de la classe ouvrière à travers la création de leur propre parti, des syndicats politiques, l’expansion du réseau des organisations de classe – conseils d’usine, syndicats, associations de jeunes et de femmes.
Oui, c’est “la guerre des tranchées”. Oui, c’est l’avancée “moléculaire” de la classe ouvrière vers le pouvoir. Oui, parfois vous voulez tout tout de suite. Mais vous ne voulez pas toujours travailler d’arrache-pied jour après jour. D’où la tentation d’avancer à marche forcée plus en avant et plus à gauche. D’ailleurs, certains camarades le font avec une telle agilité qu’ils ne remarquent pas à quel point les virages serrés les mènent fortement vers la droite. C’est ainsi, par exemple, que surgit la perspective de se retrouver dans le sillage du “vote intelligent” parmi les forces libérales de droite.
Oui, une guerre de position fastidieuse est inévitable. Vous ne l’arrêterez pas si vous n’êtes pas prêt à trahir la cause de la classe ouvrière, à “calmer” la juste colère de la jeunesse et à vous reposer sur les lauriers de l’immunité parlementaire. Mais la guerre de position est également inévitable lorsque vous n’êtes pas prêt à brûler vos camarades dans le feu des provocations inutiles et de toutes sortes d’aventures.
“L’avancement moléculaire” est une partie forcée du processus révolutionnaire à un moment où la “guerre mobile” est impossible – un choc direct des classes avec le renversement du régime du capital. Ces deux étapes ne se contredisent pas. Elles sont dictés par l’équilibre des forces de classe et sont capables de se fondre les unes dans les autres.
Il est évident que la consolidation du pouvoir bourgeois a eu lieu en Russie. Par le biais de divers canaux de propagande, il essaie de se présenter comme une émanation du peuple. À bien des égards, il réussit. Les ressources du Parti communiste sont incomparablement moindres. Mais il est nécessaire de résoudre le problème de la maximisation de son hégémonie culturelle.
Pendant ce temps, la position de la Russie dans le système des relations internationales devient de plus en plus précaire. Les contradictions capitalistes se multiplient. Les forces bourgeoises sont de plus en plus agressives. La lutte contre la croissance des mouvements de protestation partout dans le monde n’a pas lieu uniquement au moyen de la violence de l’État. La classe dirigeante distrait les travailleurs de bien des manières. Elle construit des identités artificielles. Elle construit des idéologies obscurantistes. Elle éveille les instincts les plus bas.
En Inde, de nombreux responsables gouvernementaux s’appuient de plus en plus sur le nationalisme militant hindou. En Turquie, le néo-ottomanisme est mis en vedette. Au Brésil, le régime de Bolsonaro bénéficie du soutien de communautés évangéliques influentes. Aux États-Unis, «America First» de Trump a été remplacé par «Americais Back» de Biden. Mais toutes ces constructions idéologiques ont quelque chose en commun. Chacune d’elle est caractérisée par un anticommunisme agressif, la recherche d’ennemis, le pilonnage de l’opinion publique avec des appels à l’expansion territoriale.
On voit les mêmes processus dans le monde que dans les années 1920 et 1930. Le capitalisme faisait alors face à une crise interne profonde et la une menace de l’URSS. Aujourd’hui, la Chine remplace l’Union soviétique. Elle offre au monde une alternative crédible. Et le capital pour l’écraser ira très loin.
Dans le contexte d’une instabilité mondiale croissante, la Russie peut devenir la cible des attaques les plus brutales. Et il sera extrêmement difficile d’y faire face. L’orientation à long terme vers la construction d’une «puissance basée sur les ressources» sape les capacités défensives du pays. Dans un effort pour consolider son pouvoir, la classe dirigeante russe peut recourir au même instrument de fascisation qui est caractéristique d’un certain nombre de pays capitalistes. Cependant, c’est une voie extrêmement dangereuse.
Les communistes apparaissent de plus en plus comme la force qui est capable en Russie de prévenir deux scénarios l’un et l’autre destructeurs : le néolibéral avec subordination à l’Occident et celui autoritaire-nationaliste, non moins sans issue. Les deux sont dirigés contre les intérêts des travailleurs et, par conséquent, contre la Russie. Pour leur résister, il y a beaucoup de travail minutieux à faire – d’abord théorique. Le Parti communiste de la Fédération de Russie poursuivra certainement une analyse approfondie des tendances et des perspectives de développement.
Fidèles à leur objectif ultime, les communistes doivent constamment rallier les travailleurs pour combattre le capital. Nous ne devons pas oublier les paroles de Lénine selon lesquelles « la classe ouvrière se fixe les plus grands objectifs de l’histoire mondiale: libérer l’humanité de toutes les formes d’oppression et d’exploitation de l’homme par l’homme. Elle s’efforce d’atteindre ces objectifs partout dans le monde obstinément, pendant des décennies et des décennies, élargissant constamment sa lutte, s’organisant en millions de partis, ne perdant pas courage à cause des défaites individuelles et des échecs temporaires… Distinguer strictement les étapes de nature différente, enquêter de manière lucide sur leurs conditions de passage – ne signifie pas reporter l’objectif final, ne signifie pas ralentir votre chemin à l’avance ».
Le capital mondial n’a jamais dessiné aussi clairement les perspectives d’un camp de concentration numérique pour l’humanité. Il est plus important que jamais que les communistes présentent leur alternative aux peuples. C’est pourquoi le thème de la vision de l’avenir se pose aujourd’hui. Cela mérite l’analyse la plus minutieuse. Et nous devons prendre cette tâche au sérieux dans toute la mesure du possible.
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Jean François DRON
Ouf c’était bien long, mais que de chose d’un grand intérêt.Je crois qu’ici, en France tous les communistes devraient réfléchir sur la réalité de leur engagement. travailler sans relâche à l’édification du socialisme avec comme toile de fond le communisme.. On est loin de çà actuellement au PCF gganréné depuis 40 ans dans l’idéologie réformiste qui débouche naturellement sur l’absence de remise en cause GLOBALE du capitalisme. Merci Danielle de nous faire partager un texte de cette qualité.