Cet article est un de ceux qui de plus en plus nombreux en Russie remettent en cause non seulement la dénonciation de Staline par Khrouchtchev en faisant de cette dénonciation un facteur de désagrégation qui très tôt a été utilisé par les ennemis de l’URSS. L’unanimité se fait autour de ce que Thorez si on en croit les témoignages et son journal a refusé tout de suite en mesurant les conséquences de l’attitude de Khrouchtchev. Ce qui est noté le plus souvent c’est non seulement l’incompréhension des masses mais le mépris général devant la vulgarité du personnage qui ose s’en prendre à celui qui est vécu comme un titan. Une autre conséquence qui n’est que peu abordée ici est que la répression khrouchtchevienne va toucher le peuple, comme en témoigne le film “cher camarade”. Ce qui rend également ce texte intéressant c’est une anticipation des “maidans” et révolutions de couleur dans lesquels le peuple est manipulé. (note de Danielle Beitrach, traduction de Marianne Dunlop)
13 mars 2021
Photo: extrait de vidéo, Texte: Evgueni Kroutikov
https://vz.ru/society/2021/3/13/1089178.html
Il y a 65 ans, en mars 1956, des milliers de Géorgiens ont organisé des émeutes, attaqué des soldats soviétiques, érigé des barricades et crié des slogans réclamant la sécession de leur République. Il est généralement admis que la société géorgienne voulait de cette manière défendre Staline contre les dénonciations khrouchtcheviennes. Mais en réalité il ne s’agissait pas que de la «démystification du culte de la personnalité».
À proprement parler, les événements eux-mêmes ont commencé le 4 mars 1956 avec des beuveries et des rixes au couteau, bien qu’il ait été initialement prévu le 8 mars de déposer cérémonieusement des couronnes et des fleurs au monument de Staline à Tbilissi, comme cela s’était produit l’année précédente,en 1955. Mais la foule a commencé à se rassembler au monument à partir du soir du 4 mars (Staline est officiellement décédé le 5 mars, mais la commémoration a commencé à l’avance), beaucoup étaient ivres.
Un villageois, membre du Parti communiste de l’Union soviétique, Parastishvili« est monté sur le piédestal du monument et a utilisé des mots obscènes” (comme indiqué dans les documents du ministère de l’Intérieur et du KGB). En même temps, il buvait du vin à la bouteille, et brisant celle-ci, dit en guise de toast: “Que les ennemis de Staline meurent comme cette bouteille. »
Étudiant à temps partiel dans l’une des universités de Tbilissi, Zurab Devdariani, 23 ans (dans les documents du ministère de l’Intérieur et du KGB en russe, il apparaît comme Devradiani, mais c’est clairement une faute de frappe) a grossièrement exigé qu’un Major russe de l’armée soviétique qui passait par là monte sur le monument pour assurer la garde d’honneur. L’officier a refusé, alors Devdariani a tenté de le poignarder, mais a été arrêté par la police. En route vers le commissariat, une foule de jusqu’à 300 personnes a repris Devdariani des mains de la police. Le rassemblement avec des toasts s’est poursuivi au monument de Staline jusqu’à minuit.
Le kolkhozien Parastishvili est entré dans l’histoire à tel point qu’il est même inclus dans la section «personnages clés» de Wikipédia, bien qu’en réalité, il n’ait fait que briser une bouteille de vin sur l’asphalte et porter un toast.
Par la suite, ni le KGB ni le ministère de l’Intérieur n’ont été en mesure d’identifier les véritables promoteurs et instigateurs de l’émeute, et l’écrasante majorité des victimes et des personnes arrêtées étaient des personnes de hasard qui souvent ne comprenaient pas du tout ce qui se passait. Malgré toute la spontanéité apparente des événements ultérieurs, après quelques jours, il est devenu évident qu’il existait au moins un centre qui dirigeait et orientait les événements. D’ailleurs, très probablement, il y avait deux centres, qui même se disputaient le pouvoir sur la foule. Cette version est soutenue à la fois par les employés de l’appareil central du KGB et par les participants directs aux événements parmi les manifestants.
Le «cas Kipiani» est très typique à cet égard.
Des slogans politiques sont apparus pour la première fois lors d’un rassemblement au monument de Staline le 9 mars. Ils ont été lus de la tribune par un certain Ruben Kipiani, un soldat qui avait combattu sur les fronts de la grande guerre patriotique, et qui a passé huit ans dans les camps à la suite de ces événements. La pétition dont il a donné lecture contenait sept points très étranges : depuis la nomination de Vassily Staline au Comité central du PCUS jusqu’à une demande d’amnistie générale. Et un autre point : la libération de l’ancien premier secrétaire du Comité central du Parti communiste d’Azerbaïdjan, Mir Jafar Baguirov, récemment arrêté (il sera fusillé en mai 1956). La feuille même sur laquelle cette pétition était écrite, ni le KGB ni l’enquête n’ont jamais pu la retrouver.
Le témoignage de Kipiani varie selon les différents documents. Lors du procès, il a déclaré: «Le 9 mars, j’ai bu de la vodka et me suis mis dans la file d’attente avec ceux qui souhaitaient parler. Quand mon tour est venu, on m’a remis un papier à la tribune et on m’a demandé de le lire. »Il faut dire qu’il était arrivé sur la place à 18 heures et avait attendu son tour pour parler pendant trois heures. Pendant tout ce temps, un orateur en remplaçait un autre, c’était tout un défilé d’orateurs qui faisaient des proclamations, fustigeaient les ennemis, récitaient de la poésie et prononçaient des toasts. Kipiani était bien habillé et avait l’air bien avec tous les ordres et médailles sur sa poitrine. C’est peut-être à cause de cela qu’il a été choisi pour le rôle de «porte-parole» des revendications politiques, ce qui a brisé sa vie.
Dans une plainte contre le verdict du 4 février 1957, Kipiani décrit déjà ce qui s’est passé d’une manière un peu différente: «Au signal du président, j’ai pris le micro et, prenant une grande inspiration, je m’apprêtais à lire un poème (beaucoup de gens déclamaient des poèmes consacrés à Staline –note de VZGLIAD). Mais à ce moment-là, trois preux chevaliers sont montés sur le podium (c’est exactement ce qu’il a écrit – note de VZGLIAD). Ils étaient comme des messagers délivrant un message très important et urgent. <…> Je n’ai repris mes esprits que lorsque l’un d’eux, m’ayant remis le papier qu’ils apportaient, a dit clairement, distinctement: “Ceci est du secrétaire du Comité central, le camarade Mzhavanadze, lisez-le immédiatement.” J’ai commencé à lire à la hâte, ne comprenant pas le sens de ce qui était écrit. »
Puis l’un des «preux chevaliers» lui arracha le papier des mains en disant «il faut le rendre au camarade Mzhavanadze». Le KGB n’a jamais retrouvé les «chevaliers» et le malheureux Kipiani a continué à rédiger des plaintes depuis sa détention jusqu’en 1959. Toute cette «politique» était en fait imputée à une personne qui était là complètement par hasard.
Néanmoins, le procès de Kipiani a montré assez précisément qu’il existait un certain centre organisationnel, un «quartier général» dans les coulisses des troubles. Le premier vice-ministre de l’Intérieur de la Géorgie, le général Alexei Asmolov, dans un passé récent l’un des chefs du mouvement partisan pendant la guerre, puis un combattant contre Bandera, rendant compte des événements de la nuit du 9-10mars, conclut sans équivoque qu’il existait «une sorte de centre clandestin à Tbilissi qui dirigeait toutes ces émeutes». Dans un autre document, l’existence d’un centre clandestin est évaluée comme une “hypothèse solide”.
Dans le même temps, il semble toujours qu’il y ait eu plusieurs de ces “centres” ou “quartiers généraux”. Par exemple, un autre grand rassemblement avait lieu au même moment sur la place Kolkhoznaya (aujourd’hui place Orbeliani). Là, de la même manière, il y avait tout un défilé d’orateurs, pour la plupart des jeunes, dont les paroles étaient impossibles à distinguer à cause du brouhaha général. Mais soudain, à un moment donné, quelqu’un a chanté l’hymne géorgien interdit. Immédiatement, certaines personnes ont tenté d’attaquer les chanteurs, des escarmouches locales s’en sont suivies. Selon le témoignage de témoins oculaires, soudain, sur les lieux des affrontements, des «jeunes avec des brassards» sont apparus et le chant de l’hymne s’est poursuivi. Staline a été rapidement oublié, et la foule a commencé à scander des slogans pour le retrait de la Géorgie de l’URSS, “Les Russes dehors!” et le déjà familier “Frappez les Arméniens!” De plus, le passage des poèmes en l’honneur de Staline aux slogans nationalistes et chauvins s’est produit presque instantanément.Dans le même temps, les affrontements se sont poursuivis entre «des personnes en civil» (mais qui n’étaient pas des employés du ministère de l’Intérieur ou du KGB) et les «personnes avec des brassards».
Jusqu’à la nuit du 9 au 10 mars, les événements se produisaient, quoique violemment, mais relativement pacifiquement. Pour revenir au 6 mars, à quatre heures de l’après-midi, une réunion a eu lieu au Comité central du Parti communiste de Géorgie, à laquelle participaient tous les principaux responsables du parti et du gouvernement, ainsi que des correspondants de journaux et de magazines. Il y avait 70 à 80 personnes au total. Le premier secrétaire Vasily Mzhavanadze a ouvert la réunion, mais a immédiatement déclaré qu’il avait des affaires urgentes et il est parti quelque part. En son absence, dans un silence de mort, un secrétaire a lu une lettre fermée du Comité central du PCUS “Sur le culte de la personnalité”. En une demi-heure, tout Tbilissi connaissait son contenu.
Il y a une opinion que les émeutes ont été provoquées non pas par la «démystification du culte de la personnalité» elle-même, mais par la forme sous laquelle cela a été fait. Pendant une semaine à Tbilissi, il y a eu toutes sortes de rumeurs selon lesquelles Khrouchtchev aurait attaqué Staline précisément en tant que Géorgien, et non en tant que politicien, et que l’arménien Mikoïan était derrière tout cela. Ce sont ces rumeurs qui ont provoqué les premiers rassemblements spontanés au monument à Staline, puis le cortège d’étudiants le long de l’avenue Rustaveli avec un immense portrait de Staline au premier rang. Certaines décisions trop compliquées du XXe Congrès et visiblement incomprises dans la conscience de masse ont été perçues comme une insulte aux sentiments nationaux. De plus, Staline était mort il y avait seulement trois ans, et selon les coutumes locales, il n’est pas bon d’insulter un défunt. La lecture du texte intégral de la lettre «Sur le culte» en présence de toutes les personnes respectées de Tbilissi a été considérée comme une insulte réitérée au défunt au moment où on devrait le pleurer. Maintenant, certains historiens pensent que la demande générale de Moscou de transmettre rapidement à toutes les républiques les décisions du XXe Congrès du PCUS était erronée, mais c’était la logique de Khrouchtchev.
Un autre détail psychologique. Si Staline avait été renversé et démystifié par un héros épique, un «preux chevalier» ou du moins une personne célèbre et respectée, cela aurait en quelque sorte été toléré et pardonné. Mais le gros et chauve Khrouchtchev, avec sa prononciation peu distinguée et ses manières rustiques, était en soi aux yeux des Géorgiens une insulte à la mémoire du titan du monde et du Géorgien le plus remarquable après la reine Tamara, Joseph Staline. La pensée mythologique a spontanément avivé les humeurs de protestation dans une société déjà très malade.
Un autre facteur a été la destruction de tout le mythe sur lequel se tenait l’État. De la psychologie de nombreux Géorgiens ordinaires, on avait ôté et rejeté le noyau principal – Staline. Chaque jour, le stalinisme psychologique était beaucoup plus fort dans la Géorgie soviétique que, par exemple, en Russie. Au début, les gens ne comprenaient tout simplement pas ce qui s’était passé (le sens politique des décisions du 20e Congrès leur était tout simplement incompréhensible), ensuite ils ont bu et décidé d’exprimer leur désaccord.
En conséquence, les deux facteurs – le stalinisme au quotidien et le nationalisme dans sa forme extrême se renforçaient l’un l’autre. Et à un moment donné dans la nuit du 9 au 10 mars, le nationalisme a rejeté le stalinisme à la périphérie de Tbilissi.
Il existe une expression “bailler aux corneilles”. C’est exactement ce que faisaient depuis une semaine le ministère de l’Intérieur et le KGB de Géorgie. Par exemple, dès le 7 mars, le nombre de manifestants dans la partie centrale de Tbilissi atteignait 70 000 personnes. Des gens étaient battus dans les rues au point de perdre connaissance pour avoir parlé russe ou pour toute expression de désaccord avec les manifestants. Mais le ministre de l’Intérieur de Géorgie, le général Vladimir Dzhandzhgava, n’a envoyé le premier télégramme à Moscou que dans l’après-midi du 8 mars.
Dans la soirée du 9 mars, Tbilissi était en fait investie par les manifestants, dont la majorité étaient des étudiants armés. Le fait de l’attaque du dépôt de bus plaide également en faveur du fait que les actions n’étaient pas complètement spontanées. Des bus et des camions avec des jeunes circulaient dans la ville de manière incontrôlable, beaucoup étaient armés. De vieux drapeaux géorgiens apparaissaient sur les bus, qui vrombissaient continuellement. Les slogans “Les Russes dehors!” et “Frappez les Arméniens!” étaient devenus majoritaires. À l’automne 1956, les officiers du KGB compareront cette image visuelle avec les événements beaucoup plus sanglants en Hongrie et ne trouveront aucune différence.
A 22h25 le 9 mars, Dzhandzhgava décide enfin d’informer ses supérieurs directs à Moscou – le ministre de l’Intérieur de l’URSS Doudorov – de ce qui se passe en Géorgie (les émeutes atteignaient déjà Gori, Soukhoumi et Koutaïssi). Doudorov a informé le secrétaire du Comité central, Averky Aristov, qui, à son tour, a appelé Mikhaïl Souslov.
Une surprise attendait les informateurs. Souslov dit froidement à Aristov qu’il «savait tout» et que le commandant des troupes du district transcaucasien, le général Ivan Fediouninski, avait déjà «reçu toutes les instructions nécessaires». Par quelle ligne Moscou avait reçu des informations sur la situation en Géorgie, si dans la soirée du 9 mars il y avait déjà une décision ferme d’utiliser les troupes, on ne le sait pas. Selon l’une des versions non confirmées, des agents du renseignement étranger rappelés de l’étranger pouvaient se trouver en Géorgie. Ce sont eux qui ont fourni à Moscou des informations objectives. Seulement cela peut expliquer le fait que le responsable du Comité central pour les forces de l’ordre Averky Aristov ne savait rien quand le secrétaire à l’idéologie Souslov donnait déjà des ordres aux troupes.
Le 8e régiment d’infanterie a commencé à entrer à Tbilissi dans la nuit du 10 mars. C’était une grande unité armée de chars. Son utilisation était en partie due au fait qu’il y avait une certaine méfiance à l’égard de la division nationale géorgienne. D’ailleurs, c’est après ces événements que toutes les formations nationales de l’armée soviétique ont finalement été dissoutes.
Par ordre n ° 14 du chef de la garnison de Tbilissi, des patrouilles militaires de la ville ont été introduites à partir de minuit le 10 mars. Toutes les 15-20 minutes était diffusé à la radio en géorgien et en russe “Un appel aux communistes, aux membres du Komsomol, aux ouvriers et employés, à tous les travailleurs de Tbilissi!” qui affirmait entre autres que certaines “personnes malhonnêtes” avaient “entrepris de commettre des atrocités”.
Pendant que Kipiani lisait la «pétition», un membre du présidium du rassemblement (où se trouvait tout le gratin de l’intelligentsia de Tbilissi) a décidé d’envoyer une délégation à la Maison des Communications pour «envoyer un télégramme à Moscou ». Personne ne savait de quel télégramme il s’agissait, ce qui y était écrit. La Maison des Communications se trouve à environ 400 mètres du monument de Staline. Les gardes de sécurité du bâtiment ont laissé entrer plusieurs personnes à l’intérieur (selon des données non vérifiées, quatre étudiants – deux jeunes hommes et deux jeunes filles), mais les ont immédiatement détenues pour découvrir leur identité, car la Maison des Communications est un établissement sécurisé. Cette information a rapidement atteint les manifestants sur la place, et la foule s’est précipitée à la Maison des Communications en renfort.
Le fait que cette action n’était pas accidentelle est également confirmé par le fait que, simultanément avec la tentative d’assaut de la Maison des Communications, un groupe non identifié a tenté de s’emparer des rédactions des journaux Komunisti (en géorgien) et Zarya Vostoka. Une autre foule (jusqu’à 3 000 personnes) a assiégé le service de police de la ville, détournant simultanément quatre voitures officielles, dont l’une a été noyée dans la Koura.
Là encore, il est frappant que ce schéma reproduise en détail les événements de la fin octobre de la même année à Budapest, qui ne s’étaient pas encore produits. Là, le premier affrontement entre manifestants et soldats avec de grandes pertes a eu lieu près de la Maison de la Radio, et en parallèle la rédaction du journal “Sabad Nep” (“Peuple Libre”) a été saisie, devenant le porte-parole des rebelles. Et aussi les bâtiments du ministère de l’Intérieur et du ministère de la Sécurité d’État ont été pris d’assaut.
Selon la version héroïque géorgienne des événements, les soldats du 8e régiment ont immédiatement commencé à tirer avec les mitrailleuses sur la foule qui avait pris d’assaut la Maison des Communications. Selon des témoins oculaires, les soldats ont d’abord tenté de contenir la foule sans tirer, mais plusieurs soldats ont été blessés au couteau et des coups de feu sporadiques sont partis de la foule. Dans l’obscurité (il était entre 11 et 12 heures du soir), il fallait défendre sa vie et des tirs aveugles ont commencé. Au moins 15 personnes sont mortes sur place. C’étaient principalement des étudiants, des jeunes exaltés, tandis que les organisateurs des émeutes restaient dans l’ombre.
Les affrontements entre les militaires et les manifestants se sont poursuivis dans toute la ville. Les chars se sont déplacés le long de l’avenue Rustaveli en direction de la place Lénine (aujourd’hui Tavisuplebis moedani, place de la liberté), poussant les manifestants dans les ruelles sur leur parcours. La maison du gouvernement était gardée par des gardes-frontières sous le commandement du lieutenant-général Bannykh. Elle était assiégée par une foule d’environ 500 personnes qui ont été dispersées. Les manifestants ont tenté de construire des barricades avec des trolleybus près de l’hôtel de Tbilissi et non loin de la Maison des Communications, mais les barricades ont été renversées par les chars.
Très vite, comme c’est toujours le cas dans de tels cas, l’hostilité réciproque a commencé à grandir. Il y avait des dizaines de blessés parmi les soldats. Dans une telle situation, les soldats ne prenaient plus de gants.
C’est la réunion principale au monument de Staline qui a duré le plus longtemps. Selon le KGB, il y avait déjà des appels ouverts pour le renversement du gouvernement central. Selon la version géorgienne, le slogan le plus alambiqué était “Vive le gouvernement soviétique dirigé par le camarade Molotov!”. Certes, une affiche “Vive Beria!” était accrochée à proximité.
Le monument à Staline se trouvant dans un parc, les chars et les véhicules blindés de transport de troupes ne pouvaient y passer à cause des arbres. Les soldats ont encerclé le parc et ont invité les manifestants à se disperser. En réponse, ils ont entendu des quolibets et des insultes. Lorsque les militaires en colère ont commencé à repousser la foule, ils ont rencontré «une résistance sérieuse». Finalement, les soldats eux-mêmes ont ouvert le feu au-dessus des têtes sans attendre l’ordre des officiers, mais ils ont arrêté de tirer sur ordre. La foule a commencé à se disperser. Un jeune homme a été piétiné à mort. Plus tard, une fille a été retrouvée avec une blessure à la tête, et elle est également décédée à l’hôpital. Deux autres,un gars et une fille ont refusé de quitter le piédestal du monument à Staline. La fille a été jetée à bas avec une baïonnette, elle est morte sur le coup, le gars a été abattu avec un pistolet.
Au cours de la nuit, 200 personnes ont été arrêtées dans la ville, le lendemain encore une centaine. L’intensité des troubles a faibli, mais pendant plusieurs jours à Tbilissi, de grandes foules de personnes ont attaqué les soldats et tenté de percer le cordon menant au monument de Staline. Le 12 mars, un grand groupe a tenté de prendre possession d’un dépôt militaire, mais a été repoussé. Au carrefour, il y avait des brigades avec des mitrailleuses sur les voitures. La célèbre région arménienne d’Avlabar a dû être gardée pendant plusieurs jours en raison des rumeurs constantes sur un pogrom imminent. Il y avait beaucoup de rumeurs dans la ville en général, y compris qu’environ un millier de personnes auraient été tuées, que des soldats russes jetaient dans la Koura. Dans la mythologie géorgienne moderne, ce chiffre a été ajusté à 800.
Un convoi de voitures se rendant à Tbilissi depuis Gori a été arrêté. Dans la “petite Patrie” de Staline, un meeting a également été réprimé. Les événements parallèles à Gori sont remarquables par le fait que c’étaient des officiers de l’armée soviétique de nationalité géorgienne qui ont tenté de jouer le rôle des «clandestins». Ils ont tenté de cacher des autorités Makvala Okroperidze, 25 ans, journaliste du journal local Stalineli et la couturière de 28 ans Mary Dzhioeva, qui dirigeaient un rassemblement près de la maison-musée de Staline depuis plusieurs jours. Les employés du bureau d’enrôlement militaire de Gori, les hauts lieutenants Kokhianidze et Georgadze, avec l’aide d’un acteur du théâtre local Gongadze, ont organisé tout un quartier général clandestin, qui a été découvert par le KGB le 12 mars. Kokhianidze au procès a affirmé que tout cela était une blague, mais on ne l’a pas cru et ils ont été condamnés à 8 ans pour agitation et propagande antisoviétiques. C’est un peu étrange car dans les actions des lieutenants, la trahison est clairement visible. Mais, apparemment, il a été décidé de ne pas trop ébruiter le fait de la tentative de mutinerie des officiers, même s’il s’agissait de grades inférieurs.
Le Comité central du Parti communiste de Géorgie n’a rien fait pendant tout ce temps. Le premier secrétaire Vasily Mzhavanadze s’est personnellement exprimé à plusieurs reprises lors du rassemblement, a promis de «ne pas laisser offenser Staline», mais a ensuite disparu quelque part. Malgré sa position apparemment passive, il a été premier secrétaire jusqu’en 1972, date à laquelle il a été remplacé par Chevardnadze pour des allégations de corruption et des liens avec les commerçants. On a dit qu’il était fortement influencé par sa femme Victoria Terechkevich, une femme avide et dominatrice. À la retraite, il vivait tranquillement à Joukovka près de Moscou, personne n’a porté aucune accusation officielle contre lui, bien que la corruption systémique dans sa version presque caricaturale se soit vraiment formée dans la République de Géorgie sous sa juridiction. Mais il est peu probable qu’il ait réellement formulé des revendications politiques à l’égard de Moscou.
Il y avait une sorte de quartier général clandestin à Tbilissi, qui ne faisait que se servir du nom de Mzhavanadze comme couverture, ainsi que le prouve “l’affaire Kipiani”. Il est révélateur que le KGB de la république n’ait même pas essayé de creuser plus profondément, et toutes les conclusions systémiques appartiennent aux officiers envoyés du centre.
Tout cela montre que les événements de mars 1956 en Géorgie ne doivent pas être vus schématiquement comme une protestation des «staliniens» contre les décisions du XXe Congrès du PCUS. Déjà au milieu des années 1950, le virus du nationalisme et du chauvinisme vivait dans la société géorgienne, simplement étouffé à l’intérieur par les actions dures des autorités centrales. Zviad Gamsakhurdia et les autres dirigeants du mouvement nationaliste qui ont finalement conduit la Géorgie non pas tant à l’indépendance qu’à la catastrophe nationale du début des années 1990 sont nés des événements de 1956.
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