Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Socialisme, stratégie et démocratie… par Danielle Bleitrach

Dans le fond, pour approcher une nécessaire discussion sur le socialisme et la stratégie des communistes, nous pourrions partir de ce qui a été défini dès le XVe congrès, du 24 au 28 juin 1959. Ce qui éviterait de mettre à la base de nos réflexions le point controversé qu’est l’eurocommunisme, sans parler de la débâcle de la mutation. Ce qui n’interdirait pas la réintroduction de ce que l’on pourrait après examen considérer comme des apports mais aurait le mérite de constituer une trame. Un socle sur lequel on peut réfléchir à partir de la situation actuelle, des tâches concrètes, mais aussi des points d’appui, des obstacles. Voir ce qui nous parait pertinent tout en parlant une langue commune, en attribuant le même sens aux termes employés. Le 38e Congrès sur cette question du socialisme et de la stratégie est resté bien en deçà en se contentant de refuser la liquidation et l’effacement. Donc s’entendre sur les termes, sur ce qui demeure un non dit apporterait le minimum de cohésion que l’on peut espérer non seulement entre membres encartés du PCF mais en tenant compte du phénomène nouveau d’attirance répulsion orbital d’un grand nombre de groupuscules tout aussi incapables d’imposer une visée stratégique.

Il y a d’abord une définition du socialisme “c’est-à dire la transformation de la société par le passage de rapports de production fondés sur la propriété privée des moyens de production et d’échange à des rapports fondés sur la propriété sociale de ces moyens

Notons que le terme employé dans ce congrès est celui de propriété sociale ce qui constitue un cadre relativement souple en tous les cas plus que collectif ou étatique. Ce qui est affirmé c’est une nécessaire “socialisation” qui rompt avec le caractère d’anarchie concurrentielle du capitalisme à son stade monopoliste et financiarisé. La seule manière de résoudre les problèmes qu’accumule le capital est de “dompter la bête sauvage” des intérêts privés déchaînés et qui détruisent individus et environnement, il y a là une tradition théorique et une urgence immédiate… De la même manière l’insistance sur le caractère centralisé du socialisme n’est pas contradictoire avec un développement des initiatives locales, au contraire le socialisme en a besoin, et cela correspond à la tradition jacobine française qui articule État et communes comme la base de la citoyenneté. Une tradition qui remonte loin puisque la monarchie française a encouragé les pouvoirs communaux base de l’essor sur six siècles de l’apparition de la bourgeoisie. Nous sommes également à la veille de la célébration de la Commune qui a été le cadre d’une lutte prolétarienne et nationale historique et qui a produit une masse de réflexions innovantes sur les institutions et les projets égalitaires.

Ces références historiques à la fois nationales et internationales auxquelles il est indispensable de joindre l’œuvre à la libération sont confrontées à l’actualité et à nos problèmes de crise territoriale, qu’il s’agisse des banlieues ou de l’abandon des zones rurales, ils concernent l’état réel de la classe ouvrière, des services publics, et des grands services comme l’énergie, les transports, etc… pour les intérêts populaires mais dans le même temps environnementaux, climatiques. Les luttes sont indispensables parce que seules les luttes font bouger l’ossification des rapports sociaux des institutions, des représentations et à ce titre elles sont à la base de l’émancipation individuelle et de genre autant que de classe. Mais rien n’est plus aisément repris que les avancées dans ce domaine de l’émancipation individuelle quand la dictature de la bourgeoisie s’appuie de plus en plus sur les forces réactionnaires pour dompter les luttes de classe.

Loin de nous laisser penser que le communisme est déjà là, toutes ces références démontrent la nécessité du combat pour une transition, pour empêcher que le capital interdise cette intervention populaire et impose sa dictature comme une nécessité incontournable. Ce n’est pas un hasard si c’est de la Commune de Paris que Marx et Lénine tirent le concept de dictature du prolétariat pour interdire la dictature de la bourgeoisie. Là encore quand on voit l’évolution de Macron et des autres “démocraties” occidentales on mesure que le fascisme ne se décrète pas un beau matin mais qu’il est en gestation permanente face au mécontentement populaire. Ce n’est pas en suivant le chemin qui mène à la situation actuelle depuis des années que l’on pourra l’affronter.

C’est pour cela qu’il m’arrive d’affirmer que nous en sommes au niveau international (où se répètent des phénomènes de même nature) à la nécessité d’une conférence de Zimmerwald, celle où Lénine constate la faillite du mot d’ordre de paix après la trahison de la IIe internationale et la boucherie de la guerre. Nous sommes face à l’échec de formes social démocrates qui ont touché non seulement les partis communistes mais l’ensemble de la gauche singulièrement en Europe et dans les pays capitaliste occidentaux. Une nouvelle ère est là, il faut la caractériser pour mieux comprendre la nécessité du socialisme. Il y a donc tout un contexte de développement des forces productives et de l’état des rapports de forces dans le monde qui devra être abordé et que je m’économise ici bien qu’il me paraisse fondamental pour en arriver à la nécessité du socialisme.

Les moyens stratégiques si l’on ne veut pas être enfermés dans le cercle vicieux de ce qui mène à la fascisation doivent être subordonnés à ce but socialiste, l’idée du rassemblement qui dans les récents congrès est devenue une panacée reste présente mais dans le but du passage au socialisme parce que celui-ci “ne peut être réalisée que par des millions d’hommes luttant au grand jour, fondant leur action sur leur propre expérience et sur leur volonté propre de résoudre les problèmes vitaux posés à la nation. Contrairement aux calomnies anticommunistes, l’instauration du socialisme ne peut pas être le fait d’une faction s’organisant dans l’ombre, la conséquence d’un complot ou le résultat d’une intervention extérieure faisant violence à la majorité d’un peuple”.

Cette affirmation du rôle des masses et du refus non seulement de la conspiration, des petits groupes violents et provocateurs comme du gauchisme est fondamentale.

Paradoxalement on découvrira que la période stalinienne est beaucoup plus respectueuse de cette vision du socialisme que le khroutchévisme qui est beaucoup plus “gauchiste” faisant disparaitre des petites productions qui subsistaient sous le stalinisme et imposant des diktats à des peuples avec le résultat de la division sino-soviétique qui s’est propagée dans tous les pays et dans la plupart des partis. Les épurations intervenues dans le parti, l’armée, la discipline imposée aux cadres ayant moins d’impact sur l’ensemble de la population qui voit la victoire et la modernisation. Ce sont des questions qui relèvent du travail des historiens mais qui concernent aussi les militants dans un moment où le capital, l’UE sont allés très loin dans l’ignoble identification entre communisme et nazisme à travers la figure historique de celui qui pourtant a abattu le nazisme. En fait, il s’agit non seulement de rendre répulsif le communisme mais de blanchir le nazisme, de lui donner des conditions de possibilité. Comprendre cela n’est donc pas indifférent pas plus que la manière dont sont déformées, stigmatisées les expériences socialistes existantes. C’est non seulement par anticommunisme mais pour favoriser le fascisme et son corollaire le bellicisme, les expéditions, la course aux armements autant que la recherche de l’ennemi intérieur.

Cette définition du socialisme implique aujourd’hui un certain nombre de conséquences, malgré le grand reflux en Europe des idées communistes il y a des possibles. Nous sommes aujourd’hui en situation de défendre le fait que la propriété sociale dans un grand nombre de domaines est de loin préférable à la propriété privée. En situation de le faire mais dans un rude et acharné combat. Ce qui se passe avec l’accélération de la pandémie donne de la crédibilité à la fois à la nocivité du capital et des profits, mais ce n’est pas un hasard si montent dans le même temps des formes quasi-racistes d’anticommunisme. D’un côté, depuis le 38e congrès la démarche stratégique est entamée non seulement à propos de la santé mais dans le domaine de l’énergie, dans les transports avec les luttes à la SNCF. Comme d’ailleurs le choix d’un problème prioritaire à résoudre, celui de l’emploi. Il est bien vu leur nécessité pour la nation et pour les couches populaires, le retour à l’entreprise. Mais là encore cette perception perd de sa force parce qu’elle se heurte à la conscience de l’affaiblissement en nombre mais aussi dans l’organisation et la formation des militants. Le fond en reste le fait que cette démarche est détachée d’un but stratégique le socialisme, la seule perspective politique devient alors les compromis de sommet électoralistes que désavoue de plus en plus l’électorat populaire. Nos campagnes ont du mal à prendre non seulement parce que tout est fait pour ne pas aborder l’essentiel et de rester sur le sensationnel, le secondaire mais aussi parce que notre propre démarche manque d’une cohérence d’ensemble, le but du socialisme étant absent. Non qu’il soit plus facile à imposer mais parce que si nous ne l’imposons pas nous serons définitivement marginalisés comme la classe ouvrière peut l’être en Allemagne ou aux États-Unis, lieux envisagés pourtant comme ceux privilégiés pour l’instauration du socialisme.

Avec cette perspective du socialisme, il y a des choses à ne pas négliger, l’existence d’un parti capable d’empêcher les dévoiements et les divisions par rapport à ce but, ce parti n’est en rien une faction de conspirateurs mais une avant-garde consciente des buts, dont le rôle d’avant-garde se justifie par sa capacité à faire s’exprimer la véritable démocratie qui est le moyen d’instaurer le socialisme. C’est-à-dire la majorité qui impose ses vues à la minorité capitaliste par une articulation entre luttes et élections (où il faut imposer un système réellement démocratique, celui de la majorité).

Autre aspect de la démocratie, la souveraineté nationale face à l’UE, à l’OTAN, souveraineté nationale ayant un but arracher au monopoles financiarisés les instruments de la propriété sociale. Et certes l’UE n’a rien d’une une nation comparable aux USA, sans langue unique, sans conscience nationale de ceux qui la composent, elle est donc une création artificielle dans laquelle les nations ne peuvent qu’être privées de leur souveraineté mais on nous répondra qu’elle est en construction, qu’en sortir ne mène nulle part là encore l’argumentation ne peut en rester là. La nation qui n’est pas une communauté raciste mais une communauté historique de génération en génération, a certes un droit à l’autodétermination mais ce droit à l’autodétermination est jugé par rapport aux intérêts de classe et par rapport à la lutte anti-impérialiste, c’est à ces conditions là qu’une aspiration nationale a un sens dans la perspective du socialisme et pas comme un but en soi. On peut dénoncer cette analyse mais elle est celle incontestablement des marxistes et des léninistes, celle sur laquelle nous avons bâti le PCF.

Ce n’est pas du “démocratisme”, c’est la démocratie poussée jusqu’au bout pour passer de la propriété privée à la propriété sociale. Arracher à la propriété privée des moyens de production et d’échange leur dictature sur les travailleurs, sur les besoins sociaux. La démocratie est le moyen d’avancer vers un but, d’unifier, face au capital qui n’aura de cesse de diviser.

Parce que dès ce XVe congrès, il n’est pas renoncé à la dictature du prolétariat mais le terme évolue après la dénonciation de 1956, celle-ci puisqu’elle est dictature de la majorité sur une minorité selon le terme emprunté à Lénine devient une préoccupation essentielle que l’on ne peut pas détacher du but le socialisme en tant que construction démocratique.

Et ceci est particulièrement vrai aujourd’hui face à l’abstention grandissante, le sentiment d’être grugé quel que soit le vote on a les mêmes avec la même politique. Il a été très caractéristique dans le mouvement des gilets jaunes la revendication “un citoyen, une voix” ou le retour à une proportionnelle intégrale, comme d’ailleurs l’idée du renvoi des élus ayant failli. Le message a été brouillé parce qu’il a été porté par l’extrême-droite mais il posait la question de “la démocratie jusqu’au bout”, synonyme chez Lénine de la dictature du prolétariat. Simplement on retrouve ici aussi faute de poser l’objectif du socialisme un moyen détaché de son but.

Voici ce que dit Lénine et qui a été repris par divers congrès du PCF : “Développer la démocratie jusqu’au bout, rechercher les formes de ce développement, les mettre à l’épreuve de la pratique, c’est là une des tâches essentielles de la lutte pour la révolution sociale. Pris à part, aucun démocratisme ne donnera le socialisme, mais dans la vie le démocratisme ne sera jamais “pris à part”, il sera “pris dans l’ensemble”, il exercera son influence sur l’économie également, il stimulera la transformation et, à son tour, il subira l’influence du développement économique, etc. Telle est la dialectique vivante de l’histoire.

En lisant cela un exemple vient à l’esprit, celui du malheureux enseignant décapité pour cause de caricature. Ceux qui cherchent la moindre excuse à cette folie barbare et fasciste en croyant adopter un point de vue de classe ne cautionnent, ne serait-ce qu’en mêlant cette question à celle d’un prolétariat urbain déclassé, que l’extrême-pointe du capitalisme, le fascisme. Mais ceux qui croient avoir réglé le problème de l’école et du système éducatif français par la mise en évidence de ce fait atroce et du malaise enseignant ne font que du “démocratisme” utile à la bourgeoisie. Il faut être sans pitié pour la fascisation mais si on ne mesure pas les racines dans lesquelles peuvent apparaitre de telles horreurs on n’avancera pas d’un millimètre vers la solution des difficultés d’une école dont le véritable problème est qu’elle assure moins que jamais la promotion des enfants de la classe ouvrière parmi lesquels bien sûr ceux issus de l’immigration. Un tel exemple extrême illustre la dialectique qu’exige de nous une stratégie vers le socialisme et combien le sensationnalisme, la rumeur, sont ennemis de la démarche. Le moralisme, le débat sur les mœurs ne sont pas plus l’angle le meilleur pour cette intervention démocratique jusqu’au bout.

Le XVe congrès conclut: “la lutte pour le socialisme se situe donc dans les perspectives de la lutte pour la démocratie et son progrès continu, de la lutte pour donner une réponse concrète au grandes questions que les événements posent à la France.

Je me permets de signaler à ceux qui auront eu la patience d’aller jusqu’au bout de ce texte que batailler depuis trente ans au milieu des anathèmes dignes de l’inquisition, de la censure la plus féroce pour simplement avoir défendu l’idée qu’un parti communiste qui n’a pas pour but stratégique le socialisme, la transformation révolutionnaire de la société se condamne lui même à l’effacement. Et ce quel que soit le dévouement de ses militants, il est obligé d’osciller au meilleur des cas entre être un super syndicat ou tout autre organisation de masse et l’instrument de compromis de sommet dont sont de plus en plus exclus les militants eux-mêmes. L’absence d’une telle perspective s’avère d’ailleurs nuisible au syndicat et aux organisations de masse. S’il manque cette clé de voute l’ensemble s’effondre, se fragmente se délite. Je peux me tromper, la réflexion est certainement insuffisante mais franchement est-ce que cela méritait un tel traitement? C’est non seulement injuste mais totalement absurde. J’en ai conclu et j’en suis définitivement là que ce qui ne peut pas être dit à l’intérieur j’aurai plus de liberté intellectuelle à le prononcer à l’extérieur, l’herem rend libre on le sait depuis Spinoza.

Danielle Bleitrach

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1 Commentaire

  • hoareau charles
    hoareau charles

    Un texte qui me semble fondamental à étudier

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