Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Contribution de la Suisse à l’Ordre néolibéral international, par Franklin Frederick

Pour ceux qui ignorent comment l’idéologie néo-libérale – imposée dans le sang et la torture depuis le Chili et déferlant avec Reagan et Thatcher sur le reste du monde reprise par Mitterrand – a été couvée par le capital depuis la révolution russe, voici un article sur le rôle de la Suisse (et de ses banques). Dès l’apparition de la Révolution bolchevique l’affaire a été préparée et a fini par atteindre l’URSS grâce aux idiots utiles de l’eurocommunisme. Ne doutons pas que ces gens-là utiliseront tout ce qui sera en leur pouvoir pour continuer et qu’ils trouveront quelques vendus pour raconter l’histoire des droits de l’homme et de la liberté pour mieux exercer censure et interdits contre les communistes (y compris dans la presse dite communiste telle l’Humanité) et populariser l’idée que le nazisme égalait le communisme soviétique. Nul doute que les financements pour de telles opérations ont existé et continuent à exister, l’opacité devenue la règle en est la garantie. Ne pas avoir de débat serein mais diaboliser ceux qui contestent, la Suisse et ses banquiers nous offrent une méthode. S’emparer des problèmes réels comme l’écologie et mettre à leur tête des marionnettes abondamment financées qui en font des phénomènes de mode, intégrer les nations dans un ordre supranational, mais lisez plutôt. Merci à Franklin Frederick qui nous transmet ses textes publiés en plusieurs langues, le français n’étant pas sa langue maternelle. (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

dans World — par Franklin Frederick — 10 février 2021

La Révolution russe de 1917 a paniqué les classes moyennes supérieures européennes, déjà très discréditées et affaiblies par la gigantesque tragédie de la Première Guerre mondiale, résultat de leur propre avidité, irresponsabilité et incompétence. Le krach de 1929, qui a presque ruiné la plupart des pays capitalistes industrialisés mais n’a guère affecté la jeune Union soviétique, a encore renforcé l’alternative posée par la Révolution russe. Cette bourgeoisie a ensuite dû faire face à deux tâches énormes : reconstruire l’ordre capitaliste international et relever le défi posé par la critique marxiste et la Révolution russe. Un groupe d’intellectuels hostiles au communisme, à la gauche en général, et même au capitalisme du New Deal aux États-Unis, a cherché à développer et à imposer une reconstruction plus autoritaire et profondément antidémocratique du capitalisme : le néolibéralisme. Comme mentionné dans un article précédent (https://countercurrents.org/2021/02/switzerlands-dangerous-turn-to-the-far-right/),la Suisse a été le premier pays à accueillir et à financer ces intellectuels, jouant un rôle clé dans l’élaboration de l’ordre néolibéral.

Quinn Slobodian, auteur de Globalists, a donné un nom à la contribution de la Suisse au néolibéralisme : l’Ecole de Genève.

Pour Slobodian :

« L’École de Genève comprend : des penseurs qui ont occupé des postes universitaires à Genève, parmi lesquels Wilhelm Röpke, Ludwig von Mises et Michael Heilperin; ceux qui y ont poursuivi ou présenté des recherches clés, y compris Friedrich Hayek, Lionel Robbins et Gottfried Haberler; et ceux qui ont travaillé au secrétariat de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), tels que Jan Tumlir et Frieder Roessler. Les néolibéraux de l’École de Genève ont transposé l’idée ordolibérale de « constitution économique » – ou l’ensemble des règles régissant la vie économique – à une échelle au-delà de la nation.

Toujours selon cet auteur;

« Genève – plus tard la maison de l’OMC – est devenue la capitale spirituelle du groupe de penseurs qui cherchaient à résoudre l’énigme de l’ordre postimpériel – la période qui a suivi la fin de l’Empire austro-hongrois – qui comprenait évidemment le défi posé par la Révolution russe. Slobodian a ajouté:

« Ce que les néolibéraux de l’École de Genève ont demandé, ce n’est pas une protection partielle mais complète des droits des capitaux privés, et la capacité d’organes judiciaires supranationaux comme la Cour de justice européenne et l’OMC de passer outre à la législation nationale qui pourrait perturber les droits mondiaux du capital », bref, une constitution économique pour le monde.

Pour l’Ecole de Genève, toujours selon Slobodian :

« Les engagements en faveur de la souveraineté nationale et de l’autonomie étaient dangereux s’ils étaient pris au sérieux. Les piliers de l’École de Genève croyaient ainsi qu’après l’empire, les nations doivent rester ancrées dans un ordre institutionnel international qui protégeait le capital et protégeait leur droit de le déplacer librement dans le monde entier. Le péché cardinal du XXe siècle était l’indépendance nationale sans entraves, et l’ordre mondial néolibéral exigeait une isonomie exécutoire – ou « mêmes lois », comme Hayek l’appellerait plus tard – contre l’illusion de l’autonomie, ou « propres lois ».

En d’autres termes, pour les néolibéraux de l’École de Genève, les lois défendant les « droits » du capital devraient chevaucher les lois nationales concernant les droits des travailleurs ou la protection de l’environnement, par exemple.

De nombreux participants de l’Ecole genevoise ont été parmi les fondateurs de la Société du Mont Pélerin en Suisse, une organisation qui a joué un rôle clé dans la construction intellectuelle du néolibéralisme et la diffusion internationale de ses propositions. La Société du Mont Pélerin a servi d’inspiration et de modèle à d’autres organisations importantes du droit international telles que le Réseau Atlas et le Conseil atlantique.

Face au défi posé par la Révolution russe, la bourgeoisie suisse s’est très tôt vouée au capital, embrassant même les extrêmes les plus autoritaires du capitalisme représentés par le néolibéralisme, le tout pour arrêter le « danger » toujours plus menaçant de la gauche. Une gauche toujours beaucoup plus menaçante, du point de vue du capital, que toute menace totalitaire de la droite. Un témoignage important de la croisade de la bourgeoisie suisse contre le communisme et la gauche en général est donné par les écrits de Harry Gmür, écrivain suisse et communiste. Né à Berne en 1908, Gmür a été témoin de la montée du fascisme en Europe et de la réaction néolibérale en Suisse, à la fois des réactions au défi posé par les travailleurs et à la Révolution russe. Contrairement à beaucoup de ses contemporains, Gmür chosit la gauche et ses valeurs humanitaires. Dans un texte publié en 1965 sous le titre Hitler’s War and Switzerland, Gmür écrit : « Après le déclenchement de la guerre, le gouvernement de Berne, sous la pression allemande, mais se prévalant certainement trop facilement de l’occasion, s’était empressé d’interdire et soumettre à la surveillance policière tous les partis, associations, journaux, distributeurs de livres, et ainsi de suite. »

Et dans un autre article publié en 1975 – À l’époque en Suisse – Gmür écrivait :

« La gauche suisse a subi des pressions particulières pendant la guerre… Après le déclenchement de la guerre, le Conseil fédéral, sorti de l’anticommunisme pas moins que par servilité au Troisième Reich, avait supprimé Freiheit, l’organe du Parti communiste, et les deux quotidiens des socialistes de gauche de Vaud et de Genève, qui s’étaient séparés de la social-démocratie. Après la reddition de la France, le Parti communiste, les partis socialistes de gauche de suisse Français, l’opposition germano-suisse du Parti socialiste (une faction qui lutte contre le cours de droite de la direction du parti) et la Société suisse-union soviétique ont été purement et simplement interdits. Leurs biens – imprimantes, librairies, même inventaire de bureaux – ont été confisqués et jamais rendus.

Les plaintes justifiables de la presse soviétique concernant le traitement des prisonniers de guerre soviétiques qui s’étaient enfuis en Suisse ont été rejetées par le chef de la justice et de la police. »

Les deux articles de Gmür ont été publiés dans Weltbühne, une publication dans l’ex-République démocratique d’Allemagne, sous le pseudonyme de Stefan Miller, certainement pour éviter la répression de la droite en Suisse.

Cependant, le document le plus convaincant sur la bourgeoisie suisse, sa guerre incessante contre la gauche et sa défense intransigeante du capital par-dessus tout est le rapport Bergier.

En décembre 1996, une commission indépendante a été créée par le Conseil fédéral suisse sous la direction de l’historien JeanFrançois Bergier, avec pour mandat, selon Bergier lui-même :

« pour répondre à une série de questions spécifiques: sur les actifs « non réclamés », c’est-à-dire les actifs déposés dans les banques suisses avant la (Seconde Guerre mondiale) par les futures victimes (du nazisme) et jamais récupérés plus tard par eux ou leurs héritiers; sur le traitement des réfugiés; sur toutes les relations économiques et financières entre la Suisse et l’Allemagne nazie – commerce, production industrielle, mouvements de crédit et de capitaux, assurance, trafic d’armes, marché des œuvres d’art et des biens pillés ou vendus par la force, transit ferroviaire, électricité, travail forcé dans les filiales allemandes d’entreprises suisses.

Le rapport Bergier dans son ensemble se compose de 11 000 pages réparties sur 28 volumes. C’est une œuvre immense et inestimable.

Pour Pietro Boschetti, auteur d’un livre qui résume le rapport Bergier intitulé Les Suisses et les nazis, d’où provient la précédente citation de Bergier,

« Le rapport en général a confirmé ce que les historiens savaient déjà: oui, la politique d’asile a été extrêmement dure pendant la guerre; Oui, la Banque nationale a acheté beaucoup d’or suspect à l’Allemagne nazie, lui fournissant ainsi un service très apprécié.

Dans son livre, Boschetti cite quelques exemples de la coopération des grandes entreprises en Suisse avec l’Allemagne nazie, comme le révèle le rapport Bergier. D’après les exemples donnés par Boschetti, j’en mentionne ci-dessous, pour donner une idée de la portée du rapport Bergier.

Sur les affaires entre la Suisse et l’Allemagne nazie, Boschetti a écrit: « Les relations entre les hommes d’affaires étaient évidemment très étroites et durables. Ainsi, après la guerre, le président de la [Banque] SBS [Rudolf Speich] et le directeur de la [Banque] UBS [Alfred Schaefer] ont soutenu le seul banquier nazi [Karl Rasche, membre de la SS, de la Dresdner Bank] devant le Tribunal international de Nuremberg.

Sur l’aryanisation: « Les certificats d’aryanité pour prouver la pureté raciale semblent avoir été une pratique assez courante. Par exemple, afin d’obtenir le droit d’atterrir à Munich, Swissair a accepté que ses équipages prouvent leur aryanité. Nestlé a fait de même, tout comme les compagnies d’assurance.

Et encore, à propos de Nestlé: « Depuis Vevey, Nestlé est resté en contact tout au long de la guerre avec le Suisse Hans Riggenbach, qui était en charge des opérations allemandes de la multinationale à Berlin. Nestlé a vendu son Nescafé à la Wehrmacht pendant la campagne russe, malgré la difficulté d’importer des grains de café. »

Sur le travail forcé des prisonniers de guerre : « Frappées, comme leurs concurrents, par le manque de travailleurs, les entreprises suisses ont recours au travail forcé. … dans les usines de Lonza à Waldshut, où 150 Français débarquent entre juillet 1940 et avril 1942. Depuis lors, jusqu’à la fin du conflit, plus de 400 prisonniers de guerre russes y ont travaillé. Georg Fischer, BBC, Maggi, Nestlé et bien d’autres n’ont pas hésité à puiser dans ce bassin de main-d’œuvre.

« Les mauvais traitements étaient monnaie courante, y compris dans les filiales suisses… Jusqu’en août 1944, la Suisse rapatrie en Allemagne des travailleurs forcés en fuite, notamment russes et polonais.

Pour Bergier, les autorités et les responsables des entreprises suisses de l’époque « n’ont pas manqué de justifier chacune des mesures qu’elles ont prises, ni leur refus de les prendre, ni leur hésitation. Mais leurs explications font rarement l’objet d’un examen minutieux », comme il l’a écrit dans l’introduction du livre de Boschetti.

Toutefois, le débat public qui aurait dû avoir lieu après la publication du rapport – l’objectif ultime de tous les efforts déployés – a été contrecarré. Comme l’a dit Pietro Boschetti :

Pays curieux tout de même! Alors qu’il vient de terminer un ouvrage louable d’introspection historique reconnu presque partout comme exemplaire, alors qu’il a investi des ressources considérables pour permettre aux historiens de travailler sérieusement et indépendamment, alors qu’il a traversé une « crise d’identité » causée par le scandale des actifs non réclamés qui a donné lieu à toutes sortes d’exagérations et d’excès, ce pays, à un moment où il a le matériel historique nécessaire pour avoir un débat serein, refuse de le tenir… Quel dommage!

La suppression de ce débat a été une victoire fondamentale pour la bourgeoisie et les grandes entreprises dans leurs efforts pour protéger leur propre image et maintenir en Suisse l’espace et la crédibilité nécessaires pour poursuivre l’expansion de l’agenda néolibéral. Sans cela, des institutions aussi différentes que le Forum économique mondial et le Fonds mondial pour la nature (WWF), tous deux basés en Suisse et héritiers et partisans de la vision néolibérale du monde, c’est-à-dire le marché comme principal instrument d’organisation de la société et même le « sauveur » de la planète, n’auraient peut-être pas atteint une telle renommée.

2022 marque le 20e anniversaire de la publication du rapport Bergier. C’est l’occasion de tenir la discussion supprimée mais encore nécessaire sur ce document, non seulement pour une compréhension plus approfondie du rôle de la bourgeoisie suisse et des grandes entreprises et de leur idéologie au moment de la Seconde Guerre mondiale, mais surtout pour comprendre les développements actuels. Après tout, la vision néolibérale du monde et ses représentants détiennent toujours un énorme pouvoir politique dans ce pays, l’hostilité contre la gauche reste aussi agressive qu’elle l’était pendant la guerre froide, et la Suisse continue d’être un partenaire important dans la construction et la diffusion des faux discours américains soutenant les campagnes antidémocratiques contre Cuba et le Venezuela, pour ne citer que ces deux exemples. Les forces politiques et les intérêts économiques qui ont conduit à la collaboration de grandes entreprises suisses avec l’Allemagne nazie sont les mêmes que ceux qui sous-tendent les propositions de réorganisation de l’Etat en fonction des intérêts du capital défendus par la Société du Mont Pélerin et le Forum économique mondial; ce sont aussi les mêmes forces qui ont empêché le débat public sur le rapport Bergier.

Le capitalisme néolibéral continue d’être avancé en Suisse comme seule solution possible aux différents problèmes auxquels l’humanité est confrontée aujourd’hui, de la crise écologique à la crise sanitaire représentée par la pandémie. Le rôle du capitalisme néolibéral comme cause de ces mêmes problèmes n’est même jamais mentionné. Lorsque le mouvement climatique a osé remettre en question le néolibéralisme en Suisse, la réaction a été brutale et répressive. Malgré la Société du Mont Pélerin et l’Ecole de Genève, le Forum économique mondial et le WWF, il y a une autre tradition en Suisse, qui s’est incarnée dans Harry Gmür, la Commission Bergier et qui réapparaît aujourd’hui dans le mouvement climatique. C’est maintenant à cette tradition de rouvrir le débat nécessaire et de défier le néolibéralisme dans l’un de ses centres les plus importants et influents, la Suisse.

Franklin Frederick est un écrivain et militant politique brésilien.

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