voici la traduction par Marianne Dunlop d’un article de notre camarade Andrei Doultsev, correspondant de la Pravda à Paris et Berlin, article qu’il a bien voulu confier à Histoire et société. Un article d’autant plus précieux qu’il nous permet d’approcher ce que Marianne et moi considérons comme “la civilisation soviétique”. Une civilisation fondatrice malgré la contrerévolution de la nation russe aujourd’hui et même au-delà de la Russie dans l’ex-union soviétique. A un point tel que nous n’avons pas la même estimation des catégories politiques et encore moins avec les USA. Tout doit être traduit et placé dans ce contexte. Notons comme pour le cinéma et comme le dénonce non sans perspicacité haineuse Soljenitsyne dans un antisémitisme décomplexé à quel point cette civilisation soviétique porte la marque de créateurs juifs. (note de Danielle Bleitrach et traduction de Marianne Dunlop)
portrait d’Ehrenbourg par Matisse
A l’occasion du 130ème anniversaire de la naissance de l’écrivain soviétique
Le nom d’Ehrenbourg occupe une place à part dans la littérature soviétique. Pratiquement plus personne en Russie ne le lit aujourd’hui, il est difficile de trouver quelqu’un qui puisse citer ses principaux romans ou poèmes, et même ses célèbres rapports de guerre sont devenus l’apanage des historiens.
Son autobiographie, Les Années et les hommes, est probablement son œuvre la plus célèbre aujourd’hui : à la fin de la période soviétique, ses mémoires étaient devenues pendant une courte période un best-seller, jusqu’à ce qu’elles soient délogées par les œuvres de Boulgakov, Platonov et Zamiatine, inédites pendant de nombreuses décennies. Cela dit, il serait erroné de déclarer Ehrenbourg irrémédiablement obsolète. Nous devrions nous sentir coupables devant lui car c’est précisément sa vision des choses, qui refuse de voir tout en noir et blanc, mais saisit aussi les tons gris, qui peut offrir une des clés pour comprendre notre histoire soviétique complexe (et aussi notre littérature). Ehrenbourg n’est pas un auteur facile, son sous-texte est plus profond que la prose de beaucoup de ses contemporains. Il serait juste de le respecter de loin, en sachant qu’il recèle quelque chose.
Si l’on y réfléchit bien, la nature de cette ambivalence est claire. La littérature soviétique a utilisé peu de gens autant qu’Ehrenbourg. C’est en grande partie Ehrenbourg qui a créé cette littérature sous sa forme définitive, son expérience de vie s’est intégrée à la culture russe, et pourtant les lecteurs d’aujourd’hui sont pour la plupart paresseux et indifférents, mais surtout ingrats.
Le 130e anniversaire de l’écrivain semble être une bonne occasion pour tenter de revisiter son œuvre. Le problème, c’est qu’aucune des formes qu’il a trouvées n’a su s’affirmer de manière autonome. On a l’impression que les formes qu’il a découvertes n’ont pas été remplies avec un contenu adéquat. Ehrenbourg était un génie de la forme et un innovateur en termes de technique linguistique, mais tout ce qu’il a jeté dans cette marmite était si complexe et alambiqué que le lecteur le mieux intentionné ne peut saisir qu’une partie de ses idées.
Ehrenbourg, issu d’une riche famille juive de Kiev, avait déjà fait l’expérience, dans ses premières années, de la nature antisémite du régime tsariste. Comme beaucoup de gens de sa génération, Ehrenbourg (avec son camarade de classe, le futur rédacteur en chef de la Pravda et des Izvestia, Nikolaï Boukharine) a commencé à sympathiser avec le mouvement révolutionnaire et le parti bolchevique nouvellement créé alors qu’il était encore lycéen. Après son arrestation, il a dû émigrer à Paris, où il a rencontré Vladimir Lénine. Le futur écrivain ne se doutait pas que cette émigration marquerait son destin : sa vie se déroule désormais entre la France et la Russie, jusqu’à ce qu’en 1950, l’administration française lui refuse un visa (malgré le fait qu’en 1945, de Gaulle ait décoré Ehrenbourg de la Légion d’honneur).
Qu’est-ce qui, dans l’héritage d’Ehrenbourg, est pertinent pour nous aujourd’hui ? Ehrenbourg a été le premier à écrire des poèmes lyriques en prose et a ainsi découvert une nouvelle intonation poétique et un nouveau mode d’expression lyrique.
De plus, c’est Ehrenbourg qui a créé le roman picaresque soviétique des années 20 et 30 et qui a été le premier à introduire la satire antireligieuse dans sa prose. En 1922 a été publié son roman Julio Jurenito. Les romans cultes d’Ilf et Petrov Les douze chaises et Le veau d’or n’ont été publiés que cinq ans plus tard. Et c’est seulement après l’épopée d’Ostap Bender que Mikhaïl Boulgakov a créé le personnage inoubliable de Woland dans son roman à la fois satirique et religieux “Le Maître et Marguerite“. Les sujets bibliques et la satire semblent être faits l’un pour l’autre, car les sujets bibliques impliquent une interprétation exaltée de la réalité, donnant un riche aliment à la satire. “Julio Jurenito” est le premier roman philosophico-picaresque soviétique, et il n’est pas moins bon que ses célèbres successeurs.
Nous devons à Ehrenbourg la création de l’épopée militaire soviétique. C’est la dilogie composée des romans “La Tempête” et “Le Neuvième Flot” qui a jeté les bases de l’épopée russe de la Grande Guerre Patriotique. Tout le monde peut-être n’en conviendra pas, mais Vassili Grossman et Constantin Simonov, dans leurs livres “Vie et destin” et “La Russie en guerre“, ont pris modèle précisément sur Ehrenbourg. En même temps, leur travail semble être non pas une épopée unique, mais une chaîne d’épisodes disparates d’un tableau général de la guerre. Tous les écrivains ne sont pas capables de se forger une image complète des événements, susceptible de devenir la base d’une épopée. Alors que le matérialisme dialectique et le réalisme socialiste auraient dû leur donner la base d’une telle vision holistique du monde. “La Tempête” n’est pas un roman au sens classique du terme ; le roman ici est plutôt une forme d’organisation du matériel littéraire. “La Tempête” est écrit par Ehrenbourg d’un point de vue anthropologique – la guerre soulève la question des limites des possibilités humaines. Ehrenbourg pose cette question de manière plus approfondie que Grossman. Il pose une dialectique de la guerre et de l’humanisme, prouvant que le relativisme en temps de guerre est impossible, il n’aide pas à survivre. Seul l’amour universel ou à l’inverse une haine tout aussi universelle permet de survivre dans la guerre. Ehrenbourg avait cette haine – non seulement envers le fascisme en particulier, mais aussi envers les Allemands en général. Sa haine est vivante, réelle, et cela seul fait de “La Tempête” un grand roman, qu’il est intéressant de lire encore aujourd’hui.
En même temps, la haine d’Ehrenbourg n’est pas une formule creuse, contrairement à ce que lui a reproché le directeur de l’École supérieure du parti, l’académicien G. F. Alexandrov en 1945 dans son article “Le camarade Ehrenbourg simplifie” (article inspiré vraisemblablement par Joseph Staline). Le fait que ce soit justement Staline, qui auparavant s’était moqué des socialistes allemands (en disant qu’une révolution en Allemagne serait impossible parce que cela aurait abimé le gazon), qui soit entré en polémique avec Ilya Ehrenbourg, est, après la victoire de 1945, une concession au réalisme en politique. Staline cherchait un point de départ humaniste pour donner à l’Allemagne une chance de se réinventer. Bolchevik de l’ancienne génération, Staline savait en pratique que sans la philosophie classique allemande, il n’y aurait pas eu de dialectique hégélienne, pas d’économie politique marxiste, pas de Lénine. L’image d’une “autre Allemagne” devait être à la base de l’arrangement d’après-guerre.
Qu’y avait-il de si particulier dans la haine d’Ehrenbourg envers les Allemands ? Il déteste le fascisme et comprend très tôt que le principe de l’internationalisme prolétarien ne fonctionne pas dans le cas de la Seconde Guerre mondiale. Ehrenbourg (avec Constantin Simonov) a été le premier à lancer le mot d’ordre “Tuez les Allemands” ! Ce chapitre de l’histoire est presque oublié, mais dans les premiers mois qui ont suivi l’attaque traîtresse de l’Allemagne fasciste contre l’Union soviétique, les soldats et les officiers de l’Armée rouge s’attendaient naïvement à ce que les soldats allemands issus des rangs des travailleurs fassent défection en masse et retournent leurs fusils contre les capitalistes allemands et la clique hitlérienne. Ehrenbourg a mis fin à ces illusions. Du point de vue actuel, certains de ses appels de l’époque peuvent sembler excessivement féroces. Mais ils étaient engendrés par la nature antihumaine de la guerre totale que l’Allemagne avait déclarée au monde. Dans le contexte de l’époque, la colère d’Ehrenbourg était justifiée, et ses paroles précises étaient autant une arme contre le fascisme que les chars soviétiques, les “Katioucha” et les bombardiers.
Dans tout cela, la haine d’Ehrenbourg ne visait pas le génocide des Allemands, mais l’éradication de l’idéalisme de caserne, du romantisme de la terre natale, des fausses valeurs puritaines-protestantes. Le dramaturge allemand Peter Hacks a exploré et prouvé en son temps à quel point le romantisme réactionnaire était immanent à la culture allemande ; il n’est pas surprenant qu’Ehrenbourg ait porté sa colère sur la plus grande partie de cette nation. Surtout, comme Nabokov, il était irrité par le côté total de l’Allemagne, qu’il ne pouvait pardonner. Il n’a pas vu cette totalité dans la culture russe. La Tempête suggère que le fanatisme est étranger à la culture russe : la victoire russe n’implique pas le fanatisme ; la tranquillité inhérente au caractère russe est la base – et ici Ehrenbourg utilise délibérément un terme provocateur – de la surhumanité qu’il voit dans le personnage de Pierre Bézoukhov. La haine passionnée de ces monstres qui se considèrent comme surhumains, la haine passionnée de la déshumanisation, c’est ce qui nous permet de classer les rapports de guerre d’Ehrenbourg et son roman La Tempête comme un grand héritage littéraire.
Plus important encore que La Tempête est l’essai d’Ehrenbourg La Chute de Paris. L’auteur, qui a assisté à la prise de la capitale française par les nazis et s’est réfugié à l’ambassade soviétique, a témoigné de l’horreur opérée par les bandes de bourreaux et bouchers allemands qui sévissaient à Paris. Il n’est pas étonnant que, même aujourd’hui, le nom d’Ehrenbourg ne laisse pas les fascistes allemands indifférents.
Enfin, nous devons à Ehrenbourg la notion de “dégel”, qui est devenue synonyme de déstalinisation. Deux ans avant le 20e congrès du parti au cours duquel Khrouchtchev a démystifié le “culte de la personnalité” de Staline, Ehrenbourg a publié son roman du même nom. La sincérité d’Ehrenbourg pendant les années de déstalinisation est sujette à débat. En fin de compte, Ehrenbourg, du vivant de Staline, était choyé par le gouvernement, il s’est vu décerner toutes sortes de prix et ses livres étaient publiés avec d’énormes tirages. Il était l’un des rares à pouvoir voyager librement à l’étranger et à se permettre des critiques. L’opportunisme d’Ehrenbourg est plutôt un lieu commun. Ehrenbourg fait partie de ceux qui ont été aux origines de l’intelligentsia soviétique – une strate qui a participé à la création du nouvel État – avec enthousiasme et énergie révolutionnaire, jusqu’à ce qu’elle s’épuise et devienne négative. Mais c’est un sujet distinct et très difficile –un sujet qui n’est pas fait pour notre époque, où les étiquettes sont plus importantes que l’objectivité historique.
Ehrenbourg incarnait l’intellectuel soviétique tiraillé. C’est pourquoi la plupart de ses poèmes sont mal écrits. Le genre lyrique exige un engagement total ou au moins une apparence de sérieux. Ehrenbourg ne va pas jusqu’au bout, recourt au discours allégorique et s’expose ainsi au ridicule. En même temps, son langage d’Esope n’est pas un code secret motivé par la crainte des persécutions : le double lauréat du prix Staline du premier degré, l’un des trois lauréats du prix Staline international, ne craignait pas la censure soviétique. Sa peur de l’expression directe faisait partie de son caractère, il était sujet au mimétisme.
Quiconque cherche l’intégrité dans les poèmes et les romans d’Ehrenbourg la trouvera dans ses reportages de guerre et, surtout, dans sa personnalité. En fait, c’est une des explications du fait que ses textes ont pali avec le temps, tandis que sa personnalité est devenue immortelle.
Un ami très proche d’Ehrenbourg était Pablo Picasso. Ils avaient beaucoup en commun : tous deux avaient voyagé dans de nombreux pays, tous deux aimaient la légèreté française, tous deux furent les précurseurs d’une nouvelle société, les explorateurs de nouvelles formes d’art. Picasso, étant espagnol, a passé la plus grande partie de sa vie adulte en France. La France, qui lui a refusé la citoyenneté en 1940, l’a néanmoins inspiré. Il y découvre un rythme rapide et une passion pour le changement. Picasso a laissé derrière lui des œuvres remplies de tragédies inhumaines – il suffit de penser à “Guernica”, mais son principal vecteur, comme dans l’œuvre d’Ehrenbourg, n’est pas dirigé vers l’intérieur, mais vers l’extérieur, à la recherche de nouvelles techniques et formes. Picasso est plein de tempérament parce que le XXe siècle est comme ça. Il a peur de regarder vers l’abîme, il aborde à tâtons le thème de l’inhumanité, et Guernica et ses toiles antifranquistes tardives véhiculent sa douleur intérieure. Picasso capture sur toile l’enfer intérieur du XXe siècle.
Un poème d’Ilya Ehrenbourg, écrit, selon l’auteur, en 1938 ou 1939 à Barcelone, est intéressant en ce qui concerne Guernica. Il est possible qu’Ehrenbourg connaissait la date exacte de son écriture – le flou de la date est plutôt lié au désir de transmettre au lecteur le linceul brumeux des jours de guerre, un état de léthargie et d’agonie, une prémonition du désastre :
Je vous en prie, coupez cette voix,
Que la mémoire se brise, que cet ennui se fende,
Que les gens plaisantent, qu’il y ait plus de blagues et de bruit,
Que lorsque je me souviendrai, je sursaute et fasse taire ma pensée,
Vivre sans se réveiller, comme un homme ivre, d’un trait et sur le sol,
Que l’horloge fasse tic-tac la nuit, que le robinet goutte,
Que goutte après goutte, que chiffres, que rythme,
que quelque chose,
Un semblant de travail précis et urgent,
Pour combattre l’ennemi, à la baïonnette sous les bombes,
sous les balles,
Pour résister à la mort, pour regarder dans les yeux.
Ne me laissez pas voir, je vous en prie, accordez-moi cette miséricorde,
Ne pas voir, ne pas se souvenir de ce qui nous est arrivé
dans la vie
En ce qui concerne la vie personnelle d’Ehrenbourg, nous savons seulement qu’elle n’était pas riche en histoires d’amour (du moins, on ne sait pas grand-chose à leur propos). Toutes les batailles qu’Ehrenbourg a livrées sur les fronts littéraire, idéologique et culturel, toutes ses grandes actions ont été publiques (y compris une lettre à Staline signifiant son refus de signer une pétition contre le “nationalisme bourgeois” aux connotations antisémites explicites lors de l'”affaire des blouses blanches”, laquelle a entraîné la création d’une commission interne au MGB, qui a conclu en février 1953, un mois avant la mort de Staline, que l’affaire était falsifiée et qui a ordonné son classement). Ehrenbourg s’est exposé à un danger physique constant tout au long de sa vie ; cela faisait partie de sa routine quotidienne. Ehrenbourg, correspondant de guerre pour les Izvestia et la Pravda pendant la guerre civile en Espagne, à Paris capturé par la Wehrmacht allemande, et sur les fronts de la grande guerre patriotique, était trop dangereux pour ses ennemis (il y avait même un ordre personnel d’Hitler, après la prise de Moscou, de capturer et de pendre Ehrenbourg). Ehrenbourg connaissait le prix de la sécurité. Tout ce qu’il a dit et écrit n’est peut-être pas de l’art pur. Mais sa vie en tant que telle est une grande œuvre d’art. Ehrenbourg est le prototype de l’internationalisme soviétique.
Il est tout à fait possible que les textes d’Ehrenbourg prennent leur revanche, reviennent sur nos étagères et occupent nos esprits. Il est digne de notre attention. Ehrenbourg est digne de lecteurs qui sauront distinguer la vérité du mensonge ; c’est un écrivain du futur, dans lequel la forme claire et le dévoilement des contradictions internes deviendront la norme.
Andrei Doultsev
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Pierre Nouzier
Je me permets de réagir à un trait mineur de votre introduction, sans vouloir minimiser l’extrême intérêt de cet article (Ehrenbourg mérite à coup sûr d’être lu, comme son collègue Vassili Grossman). Ce n’est sans doute pas le meilleur moment pour le faire mais tant pis, car vous ne pouvez vous empêcher d’agiter périodiquement l’épouvantail Soljenitsyne. Je n’ai pas encore lu ses deux volumes “Deux siècles ensemble” et ne pourrai juger de son antisémitisme réel qu’après l’avoir fait (on est cartésien ou on ne l’est pas …). Au vu des recensions de l’ouvrage, il ne me paraît pas si avéré. Vous avez d’ailleurs une étrange formule : “perspicacité haineuse”. Remontons un peu dans sa production : L’archipel du Goulag, écrit à la fin des années 60, évidemment sans le recours aux archives du KGB. Il comporte certes quelques chiffres fantaisistes, mais qui ne comprend que ce livre vaut par l’accumulation des témoignages, du vécu, la réflexion sur l’histoire du système répressif, et ce qu’on appellerait aujourd’hui le “devoir de mémoire” ? Le mépris à son égard est conforme à l’attitude de Georges Marchais qui m’avait choqué en 74 : en gros, Krouchtchev a tout clarifié en 56 en dénonçant le culte de la personnalité, ce livre n’apporte rien, circulez y’a rien à voir. Et puis si on n’aime pas Soljenitsyne, il y a Varlam Chalamov. Remontons encore : Georg Lukàcs n’a sans doute pas connu l’Archipel publié à Paris en 73, mais il a salué ses romans. Les éditions Delga ont publié plusieurs ouvrages qui réévaluent le rôle de Staline, et qui méritent toute notre attention. Notre boulot de lecteur lambda est néanmoins de faire la synthèse entre des approches historiques, statistiques, économiques, et les témoignages vivants ainsi que les œuvres littéraires qui nous font sentir une époque, dont on ne saurait minimiser l’importance. Lisons donc Ehrenbourg. Bien cordialement.
Danielle Bleitrach
A l’inverse de vous j’ai lu Ensemble… Ne parlant pas le russe je ne suis sans doute pas apte à apprécier le style de Solejestyne mais Ensemble est un espèce de rapport historique en deux volumes dont je résumerai le propos avec l’idée suivante, les juifs ont toujours fait le malheur des russes, s’ils sont ivrognes c’est à cause d’eux et du monopole qu’ils avaient plus ou moins sur la vodka… ça c’est pour l’ancien régime mais la où les juifs ont témoigné de leur nocivité c’est la manière dont ils ont créé la révolution bolchevique… Bref cet individu grand russe, réactionnaire, qui ne se contente pas d’être contre les juifs et l’Union soviétique mais réhabilite des collaborateurs du nazisme n’est pas selon vous antisémite, vous lui faites confiance sans le lire. Mais reprenons votre propos, donc sans l’avoir lu vous êtes persuadé que Solejestyne n’est pas réellement antisémite. Bref il faut accabler Erhenbourg et Grossmann (tiens qu’est-ce qu’ils ont en commun? j’adore votre terme “collègue” ) et sauver Solejstyne. Mais là où cela se corse réellement c’est quand on passe à Marchais coupable de ne pas avoir apprécié le dit Solejestyne mais par contre Staline voilà quelqu’un de bien et Delga a raison… j’ai du mal à percevoir la logique anti marchais mais pro-Staline,rien ne parait le justifier, rien sinon que selon la doxa vous pensez Staline antisémite alors qu’il ne l’était pas. Non seulement à cause de ce que dit de lui kaganovitch mais y compris dans le texte ci-dessus où l’on voit que c’est sur ordre de Staline après qu’Erhenbourg ait refuser de signer une pétition aux connotations antisémites, Staline lui-même fait classer l’affaire.
Décidemment l’antisémitisme a pour vous des vertus qui vous permettent de passer sur bien des choses, confondre l’admirateur de Vlassov qu’est Solejestyne avec le vainqueur sur la nazisme… Bref vous montrez un peu trop ce qui vous meut et qui vous fait sauter du coq à l’âne pourvu que ça retombe sur le juif…
C’est tout sauf cartésien… vous devriez réaliser que cette limite intellectuelle vous nuit et rend votre démonstration peu claire. C’est le gros problème avec l’antisémitisme, iCelui qui est la proie de cette obsession maladive est en général comme Proudhon et Durhing affligé d’autres vices de la pensée qui font que l’on peut rarement isoler l’antisémitisme et sauver l’ensemble du propos qui est toujours réactionnaire.C’st ce qui fait queMarx etEngels n’ont pas besoin d’attaquer l’antisémitisme de Proudho ou celui de Durhing, il leur suffit de considérer le casractère obscurantiste, réactionnaire de ces personnages et l’enflure désordonnée d’une telle pensée. Vous pouriez également lire avec beaucoup de profit ce que Politzer dit de Rosenberg, l’idéologue fumeux du nazisme.
Réflechissez et reprenez ce que vous venez d’écrire je suis sûre que vous aurez vous même du mal à voir où vous voulez en venir si l’on enlève le fil de l’antisémitisme comme logique…
j’ai du mal à être cordiale
etoilerouge
Peut-on faire interdire comme propagande antisémite et ro nazie le soi disant gd écrivain nobelise soljenitsyne ?
Pierre Nouzier
Comme je me fais ici “l’avocat” de Soljenitsyne, je réagis simplement à votre formule “soi-disant écrivain”, en citant trop brièvement Georg Lukács (Soljenitsyne, Gallimard-Idées 1970, qui traite des romans et nouvelles publiés à cette époque), juste pour donner le ton.
p.67 : … Soljenitsyne se révèlent non seulement l’héritier des tendances les meilleures du réalisme socialiste à ses débuts, mais aussi celui de la grande littérature, de Tolstoï et de Dostoïevski.
Il cite aussi Thomas Mann dans la généalogie esthétique de l’écrivain. A la fin de son essai, le subtil philosophe définit ce qui pourrait être les limites de son art. Il le voit comme un écrivain annonciateur d’un renouveau de la littérature soviétique.
p.179 : Notre critique vise donc le mode de questionnement fondamental de Soljenitsyne. Mais son mérite historique reste que la tradition plébéienne d’une importance capitale, qui fut l’une des bases de la grandeur de la littérature russe jusqu’au jour où elle vint déboucher dans la première phase [c’est à dire les années 20, pas le réalisme revu et corrigé par Jdanov !] d’essor du réalisme socialiste, trouve en ses œuvres un prolongement digne d’elle. Et ces œuvres ont encore pour mérite, qu’on ne saurait surestimer, de faire présager, à n’en point douter, une floraison nouvelle.
Dans cette floraison Lukács cite le beau roman de Tchingiz Aïtmatov, Adieu Goulsary.
À mon sens, la vrai question est : Soljenitsyne a-t-il trahit ces promesses dans ses livres suivants? Totalement ou en partie? Ou bien : rien de ce qu’il a écrit n’a d’intérêt, et on peut sans dommage l’effacer de la photo (celle de la littérature russe).
Il se peut que j’ajoute encore de la confusion? Pas grave. Oubliez.
Danielle Bleitrach
il ne s’agissaitpasici de litterature pas plus que pour bagatelle pour un massacre pour Céline, vous avez nié l’antisémitisme de Solejestye et quand j’apporte la preuve du dit antisémitisme livre en main, que vous avez d’avance et sans l’avoir lu blanchi de toute accusation son auteur pour mieux accabler Marchais, vous retropédalez … Et vous avez la crapulerie de trouver un autre juif pour cautionner l’antisémitisme à savoir Lukacs. Alors que vous avez insulté Marchais qui se situait légitiment sur le terrain politique en dénonçant l’opération de faire passer quelqu’un comme ça comme le défenseur des droits de l’homme face à l’URSS. Comme le disait Aragon à propos des attaques contre le peintre Fougeron: ici il n’est pas question de peinture mais des saloperies que l’on cautionne y compris par l’attribution d’un Nobel.
Pierre Nouzier
Conscient de mes limites intellectuelles, je vais quand même essayer de préciser brièvement quelques détails, déjà pour lever un malentendu cocasse :
– l’antisémitisme caché qui sous-tendrait tous mes raisonnements, ayez l’obligeance de n’y pas croire. J’ai une excellente raison d’y être complètement étranger. Donc si je révise mon jugement plutôt négatif (mais j’espère progresser…) sur Staline, ce n’est sûrement pas grâce à son supposé antisémitisme !
– où voyez-vous que je souhaite accabler Ehrenbourg et Grossman ? Collègues : oui, d’abord comme écrivains soviétiques, et puis comme coordinateurs du Livre noir sur l’extermination des Juifs d’URSS par les nazis. C’est ridicule ?
– les livres de Delga méritent toute notre attention, je n’ai pas dit que tous méritent notre approbation.
– Marchais. Malgré ma sympathie et mon respect pour l’ancien secrétaire général, je maintiens que la position officielle du PCF en 74, qui semblait renouer avec le déni des années 50, a été catastrophique.
– Vlassov. Nous a-t-on assez resservi le Soljenitsyne (qui avait lui-même essuyé les balles vlassoviennes) “admirateur de Vlassov” ! Cela vient apparemment des p.186-194 du 1er Tome. Le récit est assez factuel, je cherche en vain “l’éloge de Vlassov”, et trouve simplement une interrogation assez rationnelle sur les causes sociales de la trahison de quelques centaines de milliers de jeunes gens âgés de 20 à 30 ans prenant les armes contre leur patrie en faisant alliance avec son pire ennemi.
Comme Soljenitsyne écrit mieux que moi et que je ne peux de toute façon plus aggraver mon cas, je ne résiste pas à donner ici un échantillon de son ironie (T.1, p.96).
[Après avoir trouvé chez un bouquiniste un exemplaire du Code Pénal désormais périmé]
Et maintenant je les lis avec attendrissement. Par exemple :
Art. 136 – Le commissaire instructeur n’a pas le droit d’extorquer des dépositions ou des aveux de l’accusé par la force et la menace. (Les auteurs avaient deviné juste !)
Art. 111 – Le commissaire instructeur est tenu d’élucider les circonstances susceptibles aussi bien de disculper l’accusé que d’atténuer sa faute.
Art. 139 – L’accusé a le droit de rédiger ses dépositions de sa main et de faire apporter des corrections au procès-verbal écrit par le commissaire instructeur.
Ah! si nous l’avions su à temps! Ou plutôt: s’il en avait été réellement ainsi! Mais c’est comme par faveur et toujours en vain que nous demandions au juge d’instruction de ne pas écrire “mes infâmes allégations calomnieuses” au lieu de “mes propos erronés”, “notre dépôt d’armes clandestin” au lieu de “mon couteau à cran d’arrêt rouillé”.
Danielle Bleitrach
la confusion subsiste et s’accroit avec vos explications. je ne suis pas convaincue mais vous avez le droit de nier mes conclusions.